★ Se démotiver, hacker le monde du travail, désobéir !

Aujourd’hui, nous rapportons deux ateliers expérimentés avec les gens autour du thème du travail. J’exposerais les idées, expériences que nous ont partagées les personnes présentes, puis je tenterais une petite analyse de ce qui a été rapporté. Comme d’habitude, les personnes ont été d’une très grande inspiration, je tiens à les remercier pour leur participation, pour avoir partagé leurs réflexions et expériences. C’est toujours un plaisir et honneur pour nous.


Rapport des ateliers


Aujourd’hui, je vais donc résumer deux ateliers, l’un récent qui a eu lieu aux Geek Faëries 2019, le dimanche matin avec pour thème la démotivation ; et l’autre qui a eu lieu toujours aux Geek Faëries mais en 2018, Hacker le travail. Ce n’était pas prévu, mais il s’avère que ces deux moments entrent en résonance, et, ma foi, sont tous deux magnifiquement non-allégeant 😀

La démotivation, mais enfin, pourquoi parler de ça ?

La première étape a donc été d’expliquer notre thème : habituellement, on parle de la démotivation comme d’un problème, d’un fardeau, d’une pénibilité qui nous affecterait comme une vilaine grippe. À cela, les coachs, les consultants, le développement personnel vont fournir des connaissances, des trucs, des techniques pour rebooster sa motivation. Nous-mêmes avons fait d’ailleurs un article sur la motivation, via la théorie de l’autodétermination. C’est logique, tout le monde aime être motivé, il est pénible d’être démotivé.

Cependant, cette théorie nous apprend que l’amotivation (ou « démotivation ») est parfois un signe de profonde autodétermination : la personne est démotivée, ne veut pas obéir ou continuer à faire l’activité, parce qu’au fond d’elle, il y a un très fort élan qui l’encourage à faire autre chose. Oui, la « sensation » de démotivation est pénible. Mais cette pénibilité est un message qu’on devrait peut-être écouter plus attentivement pour comprendre quel bel élan il cache.

Cet élan peut être éthique : la personne démotivée ne peut pas faire telle activité, parce que cela brise des principes, des valeurs, une morale qui lui tiennent à cœur ; ou elle est démotivée car empêchée de faire des actions qui ont du sens pour la société, pour les autres. C’est par exemple ce qu’on peut retrouver chez les désobéissants dans l’expérience de Milgram.

Ne regardez pas si vous êtes déjà déprimé :

Cet élan, qui se cache dans la démotivation, peut être lié à ses compétences ou à ses capacités : la personne pourrait faire énormément de choses complexes, mais l’environnement ne propose aucune action ou tâche « digne » de ses compétences ou capacités. L’ennui, le bore-out, le fatalisme règnent alors, car les possibilités sont chaque fois plus profondément enfouies sous terre lorsque l’environnement force à ne rien faire de vraiment digne d’être fait.

Cet élan, qui se cache dans la démotivation, peut être social : l’environnement social où naît la démotivation sape les volontés, l’altruisme, la solidarité, la compassion, la dignité, au point que cela en devient insupportable. L’humain est un animal social qui, s’il est forcé à nuire à autrui ou à subir le rejet continuel, s’il est empêché d’être altruiste, va ressentir une profonde démotivation (parfois c’est le corps qui s’en charge, avec de profondes atteintes).

En cela, nous pensons que la démotivation est un excellent signal qui, s’il est bien apprécié, écouté, accepté, peut être un pont vers l’autodétermination. L’atelier précédent celui-ci nous avait d’ailleurs montré un exemple : un homme nous avait raconté à quel point il s’était senti mal dans son travail ; il n’apprenait plus rien, il y avait un climat de mépris envers lui, toutes ses tâches étaient routinières alors qu’il était arrivé par véritable passion dans ce métier (l’informatique). Un jour il en a eut assez, démotivé sur tous les plans (le social, sa compétence, son éthique, son autonomie était sapé) et a saisi par curiosité une offre de formateur, et là, tout à changé pour le mieux, il avait trouvé une voie émancipatrice. La démotivation semble ici être un premier acte d’une nouvelle vie, meilleure pour soi et les autres.

Alors, qu’est-ce qui nous démotive ?

Nous avons demandé aux personnes qu’est-ce qui les démotivaient, et elles ont parlé majoritairement du monde du travail. Ce n’était pas forcément le but de l’atelier (on essaye d’être le plus flexible possible, le hors-sujet est même totalement ok), mais vraisemblablement, les exemples à trouver de la démotivation semblaient plus courants dans le monde professionnel qu’ailleurs.

* la bureaucratie | l’administration | la surveillance horizontale | l’organisation rigide

Plusieurs personnes, une travaillant dans l’administration et les autres étant soumis à des diktats administratifs insensés (dans le monde médical, en bibliothèque, en gestion des forêts…), nous ont parlé des lenteurs bureaucratiques, des obligations de papiers ridicules qui ne servaient à rien. Le tout semblant être fossilisé dans une organisation rigide où tout changement semblait impossible, personne ne voulant envisager un changement. La personne travaillant dans l’administration à l’organisation rigide qu’elle nous décrivait, nous disait qu’il y avait en plus une forte surveillance horizontale : chacun se surveillait en continu, rapportait à la hiérarchie les moindres manquements, traquait les déplacements de l’autre et ce qu’il faisait sur son ordinateur, et que cette surveillance entraînait soi-même à surveiller l’autre, on se voyait soi-même mémorisait ce que l’autre faisait, prendre des notes… Comment changer ça ?

Lors de l’atelier, j’ai demandé aux personnes concernées si elles avaient pu vivre des moments de connivence, de désobéissance partagée, de solidarité « contre » la structure professionnelle, mais personne n’a malheureusement pu me donner d’exemples (ou n’osait pas, ce n’est pas forcément évident de parler devant tout le monde, surtout d’actes étiquetés comme « illégitimes »).

* Le chef | l’obsession de l’entreprise pour le chiffre | le travail non- écologique

Une personne nous a raconté son parcours de démotivation. Elle a quitté son métier principalement parce que cela n’allait pas du tout avec son chef, ni avec l’obsession de l’entreprise pour le chiffre en plus de cela, c’était un travail qui n’avait rien d’écolo ; on a ici trois grands facteurs de démotivation et d’autodétermination vers autre chose, c’est-à-dire une bonne proximité sociale, de l’éthique et du sens donné à la compétence ; puis elle a trouvé un travail de gestion des forêts, qui correspondait à la fois à son éthique, où elle était libre grâce à une variété de taches qu’elle pouvait réaliser selon ses décisions

* la déconsidération

Une personne travaillant comme aide-soignante en hôpital nous a raconté la déconsidération des médecins à leur endroit constituait la plus grande source de démotivation. Elle aime son métier, mais la déconsidération est telle (ainsi que d’autres aspects liés à la bureaucratie) que c’est vraiment très désespérant. On a donc là un dilemme particulier, celui d’un « beau » métier en soi (aider autrui), mais qui est sapé par des éléments de la structure (la structure formule le rôle des médecins pour qu’ils aient autorité, ce qui peut se justifier sur l’aspect médical, mais qui ne justifie en rien qu’ils expriment ce rôle par le mépris et la déconsidération envers les autres rôles ; cependant la structure, en tolérant qu’on méprise, déconsidère certains autres rôles, justifie implicitement cette pratique.

* le manque de sens | gestion absurde

De retour à nos thèmes de bureaucratie, les personnes nous ont parlé de paperasses et plans totalement absurdes qu’on les obligeait à remplir alors qu’ils étaient extrêmement mal conçus, inappropriés (et qu’ils avaient signalé les problèmes depuis longtemps pour faire évoluer ce plan, sans que ça amorce quelconque changement) et que cela prenait un temps fou, tout cela n’apportant strictement rien quant au travail lui-même. Au vu de ces thèmes bureaucratiques qui revenaient au cœur de la démotivation, j’ai cru sentir que les personnes voulaient travailler à ce qui fait sens au cœur de leur travail.

* les deadlines

Cette fois, une personne nous racontait comment à l’université, pour des travaux de recherche, la deadline sapait la motivation : après un travail profondément libre, le contraste avec la pression de la deadline était très fort, changeant radicalement la motivation.

* la non-acceptation (en général) des erreurs et échecs

Nous avons beaucoup parlé de la peur de l’échec qui tétanise, fait peur : des profs nous parlaient de leur élèves qui n’osent pas s’essayer à des exercices de peur de se tromper (et préfère laisser tomber), on a parlé des jeunes employés totalement stressés par l’idée de faire une erreur, de la pression qu’on peut se mettre ou recevoir pour faire « parfait ». On a parlé (il me semble, peut être que je confonds avec un autre atelier), de certains responsables qui appuient sur le moindre détail pour critiquer, déprécier un travail.

Or, il semble que tout le monde était d’accord, l’erreur fait partie de l’apprentissage, est même apprentissage en soi. Alors pourquoi cette peur ? Pourquoi sanctionner, critiquer l’erreur ? Le phénomène semble plus global, la société nous demandant une efficacité que je qualifierais de « machine », et le spectre de la précarité et du rejet social nous pressant implicitement. L’erreur est (à mon sens) parfois saisie non parce qu’elle serait grave, mais comme moyen d’exercer une domination sur l’individu, et pour le dominateur de se complaire de son « pouvoir » sur l’autre. Ainsi, implicitement, on a peur de faire une erreur parce que c’est comme offrir une opportunité de domination à l’autre ; peut-être qu’en fait le vrai problème est la soif de contrôle de celui qui attend l’erreur pour dominer, ce comportement étant lui-même conditionné par une incertitude concernant ses compétences, ses rôles, sa place.

Hacker le travail

Dans l’atelier de 2018, la question était autre, et portait sur les problèmes du monde du travail, ce qui n’impliquait pas forcément l’expérience, mais portait plus sur l’analyse ou l’observation et son impact sur la société (en terme de sens, d’efficacité éthique). Et les points se recoupent (je rapporte moins de détails, car un an a passé, et ma mémoire est faillible) ; voici les problèmes qui ont été répertoriés :

  • le jugement
  • l’ambiance sociale négative
  • la division hiérarchique
  • le stress/la pression
  • l’interdépendance entre des environnements sociaux n’est pas prise en compte (notamment lors de politique sur la suppression de services sociaux, la personne nous racontait que la fermeture d’un centre de loisirs dans un quartier avait participé à l’augmentation la délinquance dans ce même endroit)
  • l’excès d’autorité
  • l’injonction à être autoritaire
  • la déshumanisation
  • le rationalisme économique
  • le manque de moyens (notamment dans le social)
  • les institutions dégradées par les politiques alors qu’il y a des besoins sociaux
  • les représentations sociales d’un statut « privilégié » (par exemple les profs sont perçus comme ayant un statut privilégié) alors que c’est un statut normal, avec ces avantages et inconvénients
  • Des attributions causales problématiques : internalité allégeante, |erreur fondamentale d’attribution (ce qui augure des jugements négatifs, des erreurs de politiques, des problèmes qui persistent, etc.)
  • Il y a des problèmes de médiatisation des mobilisations sociales
  • Il y a sentiment d’insécurité sociale (quant à la possible perte de son emploi, son statut, etc.)
  • Il y a pessimisme/fatalisme quant à la situation (qui empêche de se mobiliser pour régler les problèmes, ou de faire des actions pour les régler)
  • La grève semble moins efficace, moins suivie à cause de la peur de la précarité

Et qu’est -ce qui est positif au travail, qu’est -ce qui motive ?

Dans les deux ateliers, les points positifs ont peu été remplis ; sans doute parce que parler des problèmes est important, on a tous besoin de les partager avant de pouvoir penser à des solutions ou issues, donc nous avons pris le temps nécessaire. Il me semble que ce n’est pas trop grave, car à partir des points négatifs, on peut en déduire les points positifs.

  • la variété des tâches : les personnes nous racontaient que ce qui leur plaisait c’était de pouvoir varier à leur convenance les tâches ; certains rebondissaient justement sur les tâches administratives qui pour leur part ne les dérangeaient pas, car ils pouvaient les faire quand ils le souhaitaient, selon leurs décisions. On a pu remarquer qu’effectivement, tout changeait du tout ou tout, entre l’activité « imposée » et celle libre ou la personne peut décider, s’organiser comme elle l’entend.
  • le choix des tâches : toujours dans le même état d’esprit de liberté, pouvoir choisir permettait aussi de casser la routine. On voit que cela implique de ne pas être contrôlé, d’avoir de l’autonomie dans son travail, soit d’être indépendant, soit d’avoir au moins une hiérarchie qui a confiance.
  • pouvoir toujours apprendre : une personne nous a dit que le travail motivant était lié au fait d’avoir toujours à apprendre, car effectivement la routine est signe qu’on n’apprend plus rien, que l’environnement n’offre plus matière à se développer d’une façon ou d’une autre.
  • la liberté : comme on le constate, les faits, les structures, les tâches démotivantes sont toutes liées à des contraintes extérieures plus ou moins autoritaires (bureaucratie, chef, impossibilité de choisir ses tâches/son organisation…) et les expériences positives rapportées ont toute un caractère de liberté. Une personne a souligné que c’était aussi sans doute pour cela que les systèmes éducatifs type Montesorri, basés sur l’autonomie et la liberté des enfants, fonctionnaient si bien (on en a parlé ici, donc je ne peux que plussoyer 🙂 ).
  • le climat de confiance : pour cette liberté, on a vu qu’effectivement il est nécessaire qu’il y ait la confiance de l’équipe, de la hiérarchie ou du corps de métier. La méfiance entraîne le contrôle, la surveillance constante, l’injonction, la pression au chiffre…

Et l’atelier sur hacker sur le travail donne aussi des points positifs similaires, également liés à la proximité sociale avec les collègues proches et éloignés :

  • entente dans l’équipe
  • la solidarité entre services
  • la passion pour le métier

Solutions ?

Dans l’atelier sur hacker le travail, nous avons eu le temps d’explorer plusieurs solutions pour contrer les problèmes :

  • aller vers l’autre | les connaître hors travail | ne pas parler travail à midi
  • empathie militante, où comment comprendre puis aider les autres dans le but de réparer les structures
  • sabotage social : ce terme renvoie à une pratique largement employée durant la Seconde Guerre mondiale ; ici il a été évoqué dans le cadre où l’entreprise s’avère être totalement destructrice à plusieurs niveaux, donc où il est nécessaire de gripper la structure pour protéger les gens (par exemple lorsqu’il y a harcèlement institutionnalisé) ; nous avons parlé ici du sabotage social dans la conférence ci-dessous, et traduit le document de l’OSS ici : https://www.hacking-social.com/2016/05/09/etre-stupide-ou-lart-du-sabotage-social-selon-les-lecons-de-la-cia/

  • statactivisme : il s’agit d’un activisme via des contre-statistiques ; le rationalisme économique des organisations produit une foule de chiffres, tous liés à la productivité, niant l’humain. Compter autrement rappelle la réalité humaine. C’est par exemple (fait récent) de compter les suicides liés au travail, pour montrer la réalité qui se cache derrière les profits, la soi-disant bonne santé de l’entreprise. On peut dénombrer d’autres faits, que ce soit le nombre d’insultes, d’injonctions ; ou encore le nombre de feed-back humiliant, le nombre de rejets d’idées qui pourtant pouvait améliorer la structure… Globalement une attitude d’enquêteur, qui collecte les faits, les preuves, est recommandée dans toute démarche légale de lutte (syndicat, justice…) ou de désobéissance civile.
  • sensibilisation et prise de conscience, notamment contre les erreurs d’attributions causales et les représentations sociales négatives, pour contrer les mésinterprétations des conflits sociaux par les gros médias (par exemple leur fameuse « prise en otage des usagers » dès qu’il y a une grève des transports)

***

Nous n’avons pas abordé les « solutions » à la démotivation, parce que la démotivation en elle-même était un indice et parfois une étape de la solution déjà en marche ; par exemple une personne racontait un travail passionnant dans l’associatif, autour de projet de livre : l’équipe avait tout donné, puis effectivement la motivation n’était plus la même, était plus laborieuse. Une personne a souligné que parfois cette démotivation après un grand élan, était peut-être tout simplement un appel à prendre des vacances. Effectivement, on ne peut pas être à fond tout le temps, même quand le projet, l’organisation est saine.

Parfois la démotivation est plus intense, plus caractérisée par des dégoûts éthiques : généralement les personnes ont rapporté avoir changé de métier, et effectivement c’est souvent la solution appropriée. L’autre idée qui me vient à l’esprit, tout en tentant de négocier des changements pour améliorer la structure (y compris le recours à des institutions compétentes, syndicats, inspection du travail, etc.), pourrait être le hack, des opérations de désobéissance collective. Si la structure est violente, destructrice, a des conséquences négatives pour la société, porte atteinte aux droits de l’homme, il me semble que le sabotage social (extérieur et intérieur) peut être pertinent. Généralement, que la lutte soit légale ou d’ordre de la désobéissance civile, elle commence toujours par une collecte de preuves, de faits, de documents, de chiffres montrant la réalité des problèmes (déshumanisation, harcèlement, oppression…) et l’action se module autour de cela, y compris lorsqu’elle est désobéissante et illégale.

Première petite analyse : résister, lutter pour un autre idéal de travail

Pour info, cette analyse n’est pas forcément celle que feraient les personnes ayant participé aux ateliers : peut être serait-elle d’accord sur certains points, peut être qu’elles ne seraient pas d’accord. Je ne sais pas. C’est donc juste mon bidouillage en fonction de mes connaissances, mais d’autres analyses seraient possibles, menant peut être à d’autres conclusions, je propose simplement une réflexion parmi d’autres.

Les discussions semblaient évidemment à l’opposé de l’idéologie du travail que diffusent les dirigeants politiques ou autres et présentant le travail comme émancipateur, merveilleux, rendant « libres », parce que l’expérience des gens est bien autre : une personne, voyant la liste de tous les facteurs de démotivation, disait que cela décrivait parfaitement son travail en centre d’appel. Toutes les pires conditions y étant réunies.

Cette expérience négative du monde du travail, on peut aussi la voir dans les témoignages recueillis lors mouvement OnVautMieuxQueCa dont nous nous sommes occupés un temps ; ce sont des centaines de témoignages qui parlent des mêmes problèmes : problèmes de rapports sociaux (408), problème de législations (346), problèmes de conditions insupportables (319), de santé (237), etc.

Cette avalanche de problèmes inversons-là pour entrevoir des solutions : pour cela j’ai cherché le contraire positif à ces problèmes, afin d’apercevoir une image de ce qui nous motiverait (donc qui débloquerait notre plein fonctionnement pour l’activité) et ferait fonctionner mieux toutes ses structures, que ce soit pour des entreprises privées, des institutions ou des organisations sociales. Le résultat est totalement à l’image de ce que recommande la théorie de l’autodétermination. Voudrions-nous un monde où nous pourrions nous autodéterminer ? Cherchons-nous donc la liberté avant toute chose ? Étonnamment (et pour mon plus grand plaisir :D) les motivations extrinsèques n’ont pas du tout été évoquées : personne n’a parlé de salaire comme « motivateur », ni parlé de statut élevé dans la hiérarchie, ni de gloire ou de célébrité, ni de volonté de dominer autrui. Les gens voulaient de la liberté, du sens, de l’éthique, de la solidarité, de joyeux échanges entre humains, de la coopération, de l’humanisation, œuvrer véritablement à l’activité et non à ces superficialités bureaucratiques ou ces stupidités autoritaires.

En renversant les problèmes, on trouve donc l’idéal, mais aussi la façon d’hacker le travail pour contrer les problèmes ou tenter de créer cet idéal si les oppressions sont moindres ; s’il y a un climat de déshumanisation, il s’agira donc de créer un climat d’humanisation, où l’on prend soin de tous les besoins humains. Aux cibles de la déshumanisation, le hacker social contrera le mal par une humanisation redoublée, sapant les objectifs malsains du deshumanisateur au passage. Mais l’action furtive ne suffit pas, surtout si la déshumanisation est institutionnalisée. Là, ce travail d’humanisation doit être de plus en plus collectif, dans et hors de l’entreprise.

Cette militance collective peut se faire via les moyens de lutte légaux que sont l’appel aux syndicats, à l’inspection du travail, aux prud’hommes, la médecine du travail, des spécialistes en droits, le contact avec des journalistes investigateurs.

Étant donné que les lois sur le travail ont rendu plus difficile ou plus inefficaces le recours à ces moyens légaux, sans compter les actions « classiques » (tels que les manifestations ou grèves) qui sont de plus en plus dévitalisées ou réprimées, il me semble personnellement tout à fait légitime (notamment parce que les droits de l’homme sont parfois largement bafoués) d’employer d’autres moyens consistant notamment à rendre visible ces problèmes : médiatiser par ses propres moyens, de façon anonymisée, le réel, le vécu problématique dans l’entreprise opprimante, jouer à Snowden (collecter des preuves, des documents et les sortir de la confidentialité pour que tous soit au courant, ce que font les lanceurs d’alerte), désobéir à des injonctions préjudiciable à autrui, et face à la destructivité, être dans le sabotage social. J’estime pour ma part que lorsqu’un travail consiste à détruire autrui, est destructif, on est en droit de le saboter au nom des droits de l’homme, que ce soit en ne faisant pas le travail demandé ou en détournant ses objectifs pour faire à la place quelque chose de constructif, d’altruiste. À noter que cette lutte, on peut la faire même lorsque l’on n’est pas employé dans l’entreprise, par exemple en boycottant les magasins ou entreprises qu’on sait malsains avec leurs employés, en informant le plus grand nombre des pratiques de telles marques, pour ne parler que des moyens légaux (je vous laisse deviner les moyens « gris »). L’argent et la renommée sont souvent les buts centraux de ces organisations malsaines, donc c’est sur ces points qu’il faut « taper ».

Pour le long terme, je suis pour ma part de plus en plus convaincue par l’orientation non violente « sois le changement que tu veux voir en ce monde » (Gandhi), qui n’est pas qu’éthique, mais tactiquement et symboliquement beaucoup plus puissante que « la fin justifie les moyens » (qui n’est à mon sens qu’une hypocrisie pour justifier sa soif de domination, avec à terme, une plongée dans l’opposé des idéaux qu’on a prêchés ; c’est là d’ailleurs qu’on voit émerger toute sorte de dérive dans des mouvements qui au départ partaient sur des causes et pour des buts légitimes). La non-violence n’est pas un pacifisme conventionnel de bisounours craintif de la loi, au contraire, il s’agit de désobéir pleinement (par exemple comme la désobéissance de Carola Rackete qui obéissait à d’autres devoirs plus altruistes, qui est de sauver les gens en mer), de se confronter avec courage aux conséquences, mais d’une façon qui fait sens.

Par exemple, les mouvements pour les droits civiques entre autres guidés par Martin Luther King consistaient pour les Afro-Américains à fréquenter les lieux qui leur était interdit par ségrégation, de s’asseoir sur les places de bus qui leur était injustement interdites. Les moyens de lutte font écho aux fins du mouvement, ce qui rend souvent le mouvement extrêmement sensé, avec une très forte puissance symbolique et paradigmatique.

Le film Selma montre bien je trouve à quel point les mouvements non-violents (dont on a oublié que ce n’est en rien un évitement du conflit, au contraire) demandent un sacré courage et ne sont en rien facile :

C’est pourquoi il me semble que le problème « dévalorisation », qui demande une solution de « valorisation », ne peut pas être réglé pleinement si on ne porte pas soi-même cet idéal en valorisant les gens. Vouloir être valorisé tout en dévalorisant d’autres personnes perpétue le problème, c’est presque le valider et l’estimer comme une bonne chose. La première des luttes consiste donc à ne pas œuvrer dans le sens de ce qu’on critique ; par exemple, on ne peut pas râler contre l’ambiance sociale négative si on passe son temps à insulter les personnes autour de soi (donc à alimenter le climat négatif), ce n’est qu’une hypocrisie égoïste.

Donc il y a deux façons de lire ces « inversions » de problèmes : comme ce que devrait être une structure du travail du futur ; comme un moyen de militer et montrer ces idéaux qu’on applique directement. J’avais commencé à écrire le détail de cette réflexion, cumulé avec quantité d’exemples, mais à ce rythme-là j’aurais pondu plus d’une centaine de pages, ce n’était pas raisonnable. Donc, voudriez-vous que je détaille, point par point, en faisant des articles précis ? En attendant, après la liste je vous mets les recommandations de la théorie de l’autodétermination pour créer un environnement social « libre » VS autoritaire ; les articles ou j’ai déjà pu abordé des « que faire » contre ses problèmes ; et des sources inspirantes qui répondent à ces problématiques.

* la surveillance horizontale | ambiance sociale négative)))<->(((le soutien entre pairs | un objectif d’ambiance sociale positive | la solidarité | la connivence.

* la déconsidération | le jugement | incompréhension (représentation sociale « privilégié », internalité allégeante, erreur fondamentale d’attribution))))<->(((la compréhension, l’empathie militante, la considération et la gratitude militante, parler du réel du travail, médiatiser le réel non allégeant ; et par ailleurs être curieux, apprendre à comprendre plutôt que juger.

*déshumanisation)))<->(((le respect des droits de l’être humain, l’égalité appliquée (dans les actes concrets et non en tant que autopromotion de son éthique de surface)

* L’autoritarisme | excès d’autorité | injonction à être autoritaire | les deadlines | division hiérarchique)))<->(((autogouvernance, démocratie dans les actes concrets, horizontalité, autogestion, la suppression des instances de contrôle oppressantes, le refus de dominer clairement dans les actes

* la bureaucratie | l’administration | l’organisation rigide | gestion absurde)))<->(((la gestion et l’administration au plus simple (voire minimaliste), centrée sur l’humain et son activité et non un moyen de contrôle ou de pouvoir (et également non motivé par soumission ou conscienciosité obsessionnelle) ; autogouvernance, tous responsables.

* le manque de sens | l’obsession de l’entreprise pour le chiffre | le travail pas écologique | rationalisme économique)))<->(((l’organisation centrée sur la raison d’être de son travail (son œuvre et l’impact de cette œuvre dans le monde) ; de nouveaux indicateurs de réussite liés au bien-être humain ; un travail éthique

* Stress | pression | la non-acceptation en général des erreurs et échecs | l’interdépendance entre des environnements sociaux n’est pas prise en compte | manque de moyens (dans le social) | institutions dégradées par les politiques alors qu’il y a des besoins sociaux)))<->(((Conditions d’exercice qui envisage l’humain comme un organisme vivant et non une machine, se considérer comme un organisme vivant ayant des besoins physiologiques à combler pour bien fonctionner | penser que l’apport d’une organisation ne se calcule pas uniquement sur son apport financier, trouver d’autres indicateurs de réussite (le bien-être par exemple)

* problèmes de médiatisation des mobilisations sociales | sentiment d’insécurité | pessimisme | fatalisme | La Grève n’est plus efficace à cause de la précarité)))<->(((Moyens de résolutions de conflits qui permettent de faire évoluer l’entreprise/l’institution du bas vers le haut ; un réel pouvoir de changement du bas vers le haut, ou de façon horizontale (autogouvernance/autogestion) ; médias à l’écoute de toutes les voix/médiatisation par soi même (exploitation des nouveaux modes de communication via Internet) ; affiner/recréer/réinventer la militance (désobéissance civile en entreprise, sabotage social, lanceur d’alertes ; plus d’insoumission et de lutte directe contre les motivations extrinsèques de ces organisations).

Être libre au travail VS être dominé donc sapé : les conseils via la théorie de l’autodétermination

À noter que tous les conseils de la théorie de l’autodétermination ont été observés, testés, expérimentés (dans Self-determination theory, Deci et Ryan). Les environnements sociaux qui suivent ceux qui sont classés en « non » sont moins productifs, moins efficaces, ont plus de turn-overs, de problèmes, les individus qui les composent sont en moins bonne santé physique et mentale, sont malheureux ; et au contraire ceux qui suivent les mesures classées en « oui » sont plus productifs, efficaces, avec des employés heureux, en bonne santé et motivés, moins de turn-overs. Il est donc complètement stupide de la part des entreprises, même quand le but est le profit, d’être sur des modèles autoritaires, oppressants ou pseudolibres (basés sur la manipulation) : presser les gens comme des citrons et les jeter est une stratégie qui n’a aucune justification valable, et qui s’expliquerait par des motifs profondément égoïstes d’individus qui y gagneraient quelques bonus, mais qui n’est en rien une stratégie bonne pour l’entreprise.

Oui (mesures à favoriser qui comblent les besoins psychologiques des personnes dans les environnements sociaux)

Non (mesures à éviter qui sapent les besoins psychologiques des personnes dans les environnements sociaux)

Viser le bien-être des personnes

Viser le comblement des besoins des personnes

Chercher à ce que les individus soient autodéterminés, puissent s’émanciper grâce à ses apports ou être libres dans la structure.

Encourager et nourrir les buts et aspirations intrinsèques (aimer faire les choses en elle-même)

Concevoir un environnement favorisant l’autonomie :

  • transmission autonome de limites (pas de langage contrôlant ; reconnaissance des sentiments négatifs ; justification rationnelle des limites)

  • soutien avec de vrais choix, pas que des options

  • fournir des explications claires et rationnelles

  • permettre à la personne de changer la structure, le cadre, les habitudes si cela est un bienfait pour tous

  • ne pas condamner les prises d’initiatives

Concevoir un environnement favorisant la proximité sociale inconditionnelle

  • faire confiance

  • se préoccuper sincèrement des soucis ou problèmes de l’autre

  • dispenser de l’attention et du soin

  • exprimer son affection, sa compréhension

  • partager du temps ensemble

  • savoir s’effacer lorsque la personne n’a pas besoin de nous

Concevoir un environnement favorisant la compétence via la maîtrise de la compétence (et non la performance)

  • être clair sur les procédures, la structure, les attentes

  • laisser à disposition des défis/tâches optimales, adaptables à chacun

  • donner des trucs et astuces pour progresser

  • permettre l’autoévaluation

  • si besoin proposer des récompenses « surprises » congruentes

  • donner des feed-back informatifs, positifs ou négatifs, mais sans implication de l’ego.

Viser et participer au mal-être des personnes (en stressant ou en les menaçant par exemple)

Viser la frustration des besoins des personnes

Chercher à déterminer totalement les individus, à avoir un contrôle total sur eux.

Encourager et nourrir les buts et aspirations extrinsèques (argent, gloire, statut), éliminer/nier buts intrinsèques (aimer faire les choses en elle-même)

Concevoir un environnement contrôlant :

  • punitions

  • récompenses (conditionné à la performance, conditionnelles)

  • mises en compétition menaçant l’ego

  • surveillance

  • notes/évaluation menaçant l’ego

  • objectifs imposés/temps limité induisant une pression

  • appuyer sur la comparaison sociale

  • modèle de pouvoir hiérarchique, en insistant fortement sur son pouvoir dominant

Concevoir un environnement niant la proximité sociale ou uniquement conditionnelle

  • ne jamais faire confiance

  • être condescendant, exprimer du dédain envers les personnes.

  • Terrifier les personnes

  • montrer de l’indifférence pour les autres

  • instrumentaliser les relations

  • empêcher les liens entre les personnes de se faire

  • comparaison sociale

  • appuyer sur les mécanismes d’inflation de l’ego (l’orgueil, la fierté d’avoir dépassé les autres)

  • vanter le self-control non-autonome, non-autodéterminé

  • identification fermée/compartimentée (hautes défenses)

Concevoir un environnement défavorisant la compétence ou n’orientant que la compétence via la performance

  • ne pas communiquer d’attentes claires, ni donner de structure ou procédure concernant les choses à faire

  • donner des tâches et défis inadaptés aux compétences des personnes, voire impossible par quiconque

  • évaluer selon la performance

  • donner des feedback menaçant l’ego de la personne (humiliation, comparaison sociale)

  • donner des feedback flous sans informations

  • traduire les réussites et échecs en terme interne allégeant en niant l’environnement

  • feed-back positif pour quelque chose de trop facile

  • valoriser les signes extérieurs superficiels de réussite

Des articles et contenus où l’on a déjà donné des idées de solutions à ces problèmes

#hacker | détourner

#construire

Des sources inspirantes

Vous trouverez quantité de sources par thèmes dans les liens de nos articles, ici je rajoute simplement ceux qui n’y sont pas déjà présents. Cette fois, c’est principalement de la philosophie, des sciences politiques et de l’histoire.

  • Discours de la servitude volontaire, Étienne de la Boétie, 1576
  • La Désobéissance civile, Henry David Thoreau, 1849
  • Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich Nietzsche, 1883
  • Révolution non-violente, Martin Luther King, 1965
  • Avoir ou Être ? Erich Fromm, 1976
  • Pour sortir de la violence, Jacques Semelin, 1983
  • Sans armes face à Hitler, Jacques Semelin, 1989
  • La non-violence, Christian Mellon et Jacques Semelin, 1994
  • Un si fragile vernis d’humanité : banalité du mal, banalité du bien, Michel Terestchenko 2005
  • Magda et André Trocmé, figures de résistance, Pierre Boismorand, 2007
  • Désobéir en démocratie,Manuel Cervera-Marzal, 2013
  • Désobéir, Philippe Gros, 2017
Viciss Hackso Écrit par :

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4 Comments

  1. 25 janvier 2024
    Reply

    Bonjour,
    j’ai fouillé dans le plan et le sommaire par sujets, je ne trouve pas l’article concernant « Moyens de résolutions de conflits qui permettent de faire évoluer l’entreprise/l’institution du bas vers le haut ; un réel pouvoir de changement du bas vers le haut, ou de façon horizontale (autogouvernance/autogestion »
    Aviez-vous écrit sur une inversion des pouvoirs haut/bas -> bas/haut ? cela m’intéresse particulièrement en ce moment…
    Merci d’avance pour votre attention, et encore merci pour tout votre travail.

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