★ Du trauma au soulagement, mon expérience de justice transformative

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J’étais terrorisée à l’idée que ce que j’ai vécu soit reproduit chez d’autres personnes, et que mon silence jusqu’à présent ait contribué à perpétuer de la souffrance. Ainsi, ceci est la dernière étape de mon processus de justice transformative : rendre public ce qui m’est arrivé, expliquer ce que j’ai fait pour tenter de le résoudre.

C’est un bout de ma vie que je publie aujourd’hui, et c’est difficile, stressant, angoissant. Mais aussi libérateur : j’estime que cet acte est juste, je doute de le regretter un jour, je sens dans mes viscères que c’est la chose à faire. En cela, je me lance, même si je bouscule la ligne éditoriale et mes règles pour écrire sur ce site.

Mon serment de vulgarisatrice est brisé ici pour laisser l’écrivain en moi dominer la plume, parce que c’est la seule façon dont je puisse expliquer cet épisode et son issue. J’en souffre parce que j’ai honte, mais j’ai pas le choix, va falloir parler de ta vie meuf, et cette fois, tu peux pas te cacher derrière les études et les recherches.

J’en souffre parce qu’il fallait réanimer l’écrivain en moi, et cette nécromancie nécessite d’affronter le fait que vous me rejetiez pour cette façon de parler, pour ce sujet. Beaucoup risquent de détester. Beaucoup risquent de ne pas me croire. Beaucoup risquent de dire que c’est de ma faute. Beaucoup risquent de me mépriser. C’est arrivé pour moins que ça. Je sais que l’authenticité coûte un bras.

Soit. Il est trop tard de toute façon, je l’ai déjà écrit, l’article que vous vous apprêtez à lire. Et il est un bout ce que j’ai été et de qui je suis, profondément, dans mes viscères : je ne peux pas passer plus de 4 ans à écrire un livre sur l’autodétermination sans moi-même être poussée à me montrer pleinement authentique et brutalement sincère. Ceci est donc aussi pour moi la résurrection d’un art que je croyais avoir perdu et qui ne tuera pas celui de la vulgarisation. Je m’y recompose.

On va parler viol et violences physiques. Défaites et combats contre le traumatisme et la haine de soi. Et enfin tentative de justice transformatrice.

Je ne décrirais pas le détail des actes, excepté dans un autre document qui sera à disposition ailleurs, pour ceux qui ont besoin de comprendre les faits. L’important c’est pour moi de vous partager comment on peut tenter de s’en sortir, en tant qu’ex-victime, survivant·e, pour retrouver le pouvoir qui nous a été volé.


Inconscience et prise de conscience de l’offense


Onze ans auparavant, j’expérimente ce qu’à une époque, certaines femmes qualifiaient parfois du « plus beau jour de leur vie », à savoir, la naissance de leur enfant. Cela n’a pas été vrai pour moi.

Ce jour, je le qualifierais comme le jour le plus émotionnellement ambigu de ma vie. Il est un patchwork d’ébahissement, de souffrances, de peurs, d’émerveillement, de sentiment de participer à quelque chose de surnaturel, de WTF parfois. Je ne peux pas trouver un qualificatif unique, ce serait mentir, il est tout cela à la fois.

Des frites et des rouleaux de printemps, par l’IA midjourney. Personne n’a jamais pu percer le secret des frites inoubliables de ma grand-mère vietnamienne métisse japonaise, qui cohabitaient parfaitement avec le Gio, pâté de porc vietnamien 🙂

Je n’arrive pas dans ce moment de façon naïve : toutes les femmes métisses de ma famille ont souffert de leurs accouchements et n’ont pas été avares quant à en parler de vive voix, sans rien en cacher. Ce tabou autour des questions gynéco, je vois bien qu’il existe du côté famille blanche au statut supérieur1, mais j’ai eu la chance de passer plus de temps dans le clan2 métisse, parce que même mes proches blancs y préféraient amplement l’ambiance. Les petits enfants dont je faisais partie étaient aimés dans cette famille, tout le monde s’en occupait collectivement dans un style magnifiquement créolisé3.

Fausses couches, enfants mort-nés, césariennes, cousins mauves sauvés de justesse, accouchements en urgence à la maison… même les hurlements de ma mère ont été enregistré sur une bande audio, c’est vous dire à quel point j’ai accès à un niveau d’information ample. Je savais donc que ce ne serait pas évident, et j’avais déjà mille situations en tête où cela pouvait déconner pour moi ou mon enfant.

Cette absence de tabous, je sais que c’est une chance folle. Dans quelle famille, alors que tout le monde est au café et s’occupe de tout et de rien, les femmes peuvent d’un coup lancer un débat ouvert sur pourquoi on n’a pas un mot unique pour désigner la vulve, le vagin et tout le reste, et qu’elles le font sans complexe devant tout le monde ? Elle est là, la première prise de conscience, dans cette chance d’avoir une éducation sexuelle, gynécologique sans tabous et réaliste, ne cachant ni les aspects les plus sordides, ni les aspects les plus beaux.

Informer sur le sexuel, le gynécologique, les accouchements ne va pas du tout choquer les enfants si vous-mêmes vous n’êtes pas choqué et bourré de tabous quand vous en parlez. J’ai tout appris de façon banale, entre deux routines du quotidien, comme ça, parce que c’était un sujet qui émergeait parmi d’autres. Un coup on parlait pâté de porc, un coup on parlait de mort. On regardait des magazines collectivisés par toutes les femmes de la famille, puis d’un coup une de mes tantes appelait ma grand-mère, criant à travers la maison, pour savoir à quel âge exactement elle avait eu sa ménopause. Pas de problème à ça, elle répondait et on faisait des calculs prémonitoires en fonction de nos dates de départ de règles, collectivement.

Quatre femmes eurasiennes, par l’IA midjourney ; à noter que pour cette représentation de mes tantes et de ma mère, j’ai eu du mal à ce qui l’IA fasse de réelles métisses variées, soit elles étaient trop blanches, soit trop asiatiques, ou c’était une armée de clones 😀 Cependant j’ai gardé cette image parce que l’une de ces femmes imaginaires ressemble très fortement à une de mes tantes.

La prise de conscience demande donc une éducation, des informations mais pas seulement. J’ai l’impression qu’il y a besoin de les transmettre d’une façon banale, pas chargé de gêne, de honte, de pression, de sérieux ou que sais-je. L’absence de tabous c’est pouvoir parler de sa mort, de ses règles ou de son accouchement comme si on racontait sa matinée passer à attendre à la poste, ah et qu’est-ce qu’il était chiant à être lent untel, et t’aurait vu la tête de machin qu’est-ce que je l’adore heureusement qu’il était là, ah c’est mal organisé leur truc, ils devraient changer ça. Banal. Sans s’inhiber, sans non plus se faire le centre de l’attention dramatique en mode « attention, attention écoutez moi tous, mon histoire va être importante, taisez-vous, notez tous, vous aurez une interro surprise à la fin », non, c’est juste banal.

Les traumas et évènements graves peuvent néanmoins bloquer la parole et rendre tabous des sujets, et cela pour des raisons parfaitement compréhensibles : le sujet est associé à une menace incontrôlable qui peut nous tomber sur la gueule. N’allez pas vous reprocher de ne pas réussir à parler : votre cerveau bloque peut-être parce que le niveau de menaces vous hante. L’important c’est d’abord de trouver un environnement non menaçant, capable d’exorciser ces menaces avec vous. Si je parle de ça, c’est juste parce que les configurations spécifiques aux situations m’ont donné cette chance, ce n’est pas du tout une injonction, on fait ce qu’on peut.

Pleine de contractions, je suis donc emmenée à l’hôpital sans naïveté. J’ai même hâte d’accoucher parce que physiquement c’est insupportable, j’ai des douleurs atroces dans les jambes qui me font être rouillée comme si j’avais 95 ans. On refuse de me diagnostiquer autrement que par un commentaire « oh ça arrive, prenez un spasfon/doliprane ».

J’évite de penser à la douleur qui deviendra de pire en pire, tout en sachant que je vais morfler : c’est une constante familiale dans toutes les générations, la douleur et le gynécologique, de l’examen banal à l’accouchement aux suites de celui-ci. Je le sais déjà : toute ma vie les docteurs, les sages-femmes, qu’ils soient plus ou moins sympas, plus ou moins expérimentés, plus ou moins insultants ou brutes, m’ont fait mal. Je me disais que c’était comme ça, c’était le prix de la santé, de la vie. N’absorbez pas cette leçon : c’est faux.

Là, c’est un manque de prise de conscience. Comme je n’avais que pour référence ma famille métisse qui morflait systématiquement avec les gynécos, alors j’ai pensé que c’était une normalité vécue par tout le monde, que cela faisait partie du package désagréable de la consultation. Si vous êtes dans le même cas que moi, et que vous dériviez de la norme d’origine non occidentale (même si elles sont invisibles, comme c’est mon cas), ou que vous subissez d’autres stigmatisations (âge, genre, orientation sexuelle, classe sociale), cherchez de l’info. Demandez à des potes non stigmatisés comment ça se passe pour eux, surtout sur ces situations où vous avez systématiquement des problèmes. C’est effarant de différence.

La douleur des contractions est rapidement insupportable, pire que celle de la péritonite qui a failli me tuer à mes 25 ans. J’encaisse. Là aussi j’encaisse sans conscience de la singularité de ma façon d’encaisser la douleur comparée à d’autres : automatiquement j’essaye de tout faire pour paraître au mieux, résister, ne pas trop me plaindre, rester cordiale et attentive au besoin de l’autre, y compris en étant en train de crever.

Là, les déterminations de ce comportement sont multiples, liées à mon vécu, liées à des apprentissages sociaux malsains, liées à mon corps lui-même, liées à des manières culturelles d’exprimer ou non la douleur. Je suis consciente de cela maintenant, mais incapable de faire l’inverse encore aujourd’hui. Mon réflexe de survie est de me taire et d’éviter de déranger l’autre. Parce que dans d’autres circonstances de ma vie, c’était effectivement la meilleure chose à faire.

Durant ces 13 heures d’accouchement, je resterais donc cordiale et polie quand j’ai l’énergie, silencieuse quand les conditions deviendront physiquement ingérables (faim, soif, tension extrêmement basse, fièvre, douleurs, efforts). Dans la première partie de cet événement, j’ai été bien traitée, avec un sage femme exceptionnel ; seul l’anesthésiste a été légèrement agaçant, se plaignant de moi en parlant comme si j’étais absente. L’infirmière qui l’accompagnait a compensé avec un calme et une attention exceptionnelle. Merci à elle.

Dans la deuxième partie, une sage-femme nerveuse me maltraitera, me méprisera. Stressée et semblant surmenée, elle laissera pourtant la secrétaire venir discuter de ses vacances entre deux poussées finales.

Cette sage-femme fera des actes injustifiables sur mon corps de moins en moins anesthésié. « Je suis obligée de passer par là, pour le bébé » justifiera-t-elle à ma surprise et mon rejet instinctif de son geste que je sentais trop bien.

Mon silence explosera magistralement lorsque la gynécologue, venue pour quelques minutes seulement, découpera mes chairs intérieures : j’ai tout senti. Tout l’hôpital, y compris moi, m’entendra hurler comme quelqu’un qu’on torture.

Chayka, a été virée de la salle par la gynécologue, sans pouvoir s’y opposer. Elle entendra tout, durant un temps qui lui parut considérable. Encore aujourd’hui, les hurlements de douleurs sont toujours pleinement présent dans sa mémoire et elle n’a pas pu supporter l’épisode un de House of dragon, où l’une des protagonistes subit ce que j’ai subit.

J’ai très largement battu le niveau de décibel d’une voisine qui avait décidé d’accoucher sans péridurale, encore aujourd’hui je culpabilise d’avoir potentiellement effrayé les autres patients. Mais récemment, regardant le premier épisode de house of dragon, je me dis qu’on n’a pas le choix, c’est impossible de ne pas hurler de ça. Les représentations dans la fiction comptent aussi beaucoup.

Les jours suivants sont à burn-out, pour des raisons habituelles de parentalité d’un bébé se réveillant la nuit, pour des raisons socialement injustes et injustifiées de certains proches s’étant comportés avec mépris ou sans empathie, pour des raisons systémiques d’hôpital déjà surmené et manquant sans doute de personnel, pour des raisons de santé qui faisaient que j’étais ravagée, pour des raisons traumatiques.

À ce moment-là, le souvenir de cet épisode est extrêmement ambigu. C’est incontestablement l’évènement le plus incroyable de ma vie d’avoir vu que de deux personnes, une troisième toute nouvelle pouvait surgir, et que c’est mon corps en toute autonomie qui l’a fait.

« C’est très violent » c’est la phrase d’un proche que me reste, je ne sais pas s’il a décrit cela avant ou après mon accouchement, mais c’est resté gravé dans ma mémoire : il avait la même expression dans le passé lorsqu’il me parlait de la violence d’une tempête, avec cette fascination pour quelque chose qui nous dépasse totalement, qui est grand et d’une puissance incontrôlable. C’était ça. Un court instant de ma vie, mon corps a été un volcan en éruption, un tremblement de terre, un ouragan, d’une violence inclassable mais pour une bonne raison : faire vivre. Y a quelque chose de surnaturel là-dedans.

Je sais que c’est paradoxal d’employer ce terme, mais il y a quelque chose là-dedans de tellement épique que ça en devient surnaturel. Après cette violence, voici la fragile vie qui surgit, avec une quantité de cheveux considérable. Ce n’était pas le plus beau jour de ma vie, non, mais incontestablement le jour où j’ai compris à quel point la vie était tout aussi affreusement difficile à faire advenir que précieuse et fragile. Le même jour, la même minute et la même seconde, la mort, la violence, l’adorable et la vie sont là.

Et je précise que tout parent, proche, ami impliqué peut ressentir cela, ce n’est pas réservé à celui qui accoucherait, à celle qui serait « biologiquement » la mère : c’est une question de s’impliquer dans cette expérience, empathiquement et concrètement, avec les côtés les plus beaux comme les plus cauchemardesques.

J’ai donc conscience de cette dinguerie à ce moment-là, ça m’empuissante parce que je le partage pleinement avec Chayka. Elle vit totalement avec moi et notre fille, les bonheurs, les difficultés, tout est vécu ensemble et me fait éviter la dépression post-partum (une dépression qui arrive parfois avec la chute des hormones). Je suis soutenue. Je ne suis pas seule. Et donc je peux parler.

Je raconte ce qui s’est passé et dont elles ne sont pas au courant. L’acte que personne n’a vu et qui a précédé l’épisode du hurlement. Je le raconte avec le cerveau encore dissocié. Je vois le dégoût épique de ma mère, elle traite de tous les noms cette sage-femme, je sens la teneur du drame dans le nuage d’anxiété de Chayka.

J’ai une chance folle de pouvoir leur parler et de voir à travers leur comportement que le problème est effectivement un problème. Mais dans ma tête, y a un câble émotionnel déconnecté à ce moment-là. Mon corps prend la posture de honte quand je dis ça, je me replie, je regarde au sol. J’ai honte. Une honte si intersidérale que je serais incapable de la nommer à ce moment-là, elle se contente de m’affaisser.

Je me balade dans l’appartement, dissociée, en me disant c’est comme si j’avais vécu un viol, et ça revient encore et encore. C’est une conscience du trauma sans conscience, c’est confus, je le sais sans savoir. Le « c’est comme si j’avais été violée » se répète dans ma tête sans se fixer aux faits, c’est une ritournelle générale, entre deux moments d’extase esthétique devant ma fille qui est si belle, si apaisée lorsqu’elle dort les deux poings en l’air en prenant toute la place dans son berceau.

Je n’arrive pas à acheter des vêtements, parce que mon sens du toucher est d’une hypersensibilité douloureuse, et quand enfin je réussis, je fais n’importe quoi et j’achète trop grand. Je ne comprends pas quelle taille je fais, j’achète des choses que je n’aime pas et finis par détester. Mon reflet dans le miroir est insupportable, je me dégoûte, je ne comprends pas, c’est difforme, grotesque, inhumain. Tout compliment reçu sonne dans ma tête comme un mensonge évident, toute remarque devient ma guillotine : je sais, je suis un monstre de foire, t’inquiète je me haïrais et me dégoûterai mille fois plus fort que tu ne pourrais le faire. L’impression d’avoir été violée disparaît, la ritournelle se tait. J’ai perdu la cause initiale, j’ai perdu la conscience des faits, elle a été colonisée par la honte et la haine de soi.

J’ai peur d’aller chez le dentiste, la kiné, le médecin. C’est comme une phobie du milieu médical dans son ensemble. J’y vais quand même, et la kiné me trouve dans un état de tension énorme, hyper-contracturée, elle me parle de consulter un sexologue, me demande si j’ai un problème avec ça, je sais pas, elle me prend de cours, je m’attendais à un diagnostic inverse4. Alors que les autres primipares y vont (re)muscler leur périnée, là je dois apprendre à me détendre tellement je suis en tension.

Je ne fais aucun lien avec les faits, à la place je m’estime débile de ne pas être consciente de mes propres problèmes, je cherche ma culpabilité à être tendue comme ça, purée je suis vraiment une merde à tous les niveaux. La kiné est sympa et elle ne me fait pas trop mal, elle dit que je devrais consulter parce que y a quelque chose sur ma cicatrice. Hors de question de voir un gynéco, je ne lui dis pas évidemment.

J’ai des torticolis massifs à répétition à cette époque, alors elle finit par s’occuper plutôt de mon cou et mon dos. Mon corps entier n’est que tension, contracture, elle en est étonnée. Je ne peux pas parler des évènements, parce que je ne vois aucun lien entre cette tension et ceux-ci. Rien ne me vient en tête, excepté que ça doit être certainement de ma faute, comme je suis une grosse merde. Je ne dois pas faire assez l’effort pour me détendre, je dois mal gérer mon temps de mère au foyer ou de mère au travail lorsque j’ai des missions salariées, mal gérer mon sommeil et mes activités.

À ce moment-là, je ne veux plus jamais être examinée gynécologiquement de ma vie entière, c’est fini. Je prends la pilule avec une attention paranoïaque, j’angoisse de retomber enceinte, j’ai peur de me rendre victime d’un déni de grossesse. Pourquoi ? Je ne peux pas le formuler clairement, la honte et la haine de moi-même remplacent tout, c’est une marée noire sur la vérité. Une marée noire qui me permet paradoxalement de rendre sensé ce qui m’est arrivé : c’est parce que je suis une grosse merde et puis voilà, affaire réglée, avançons et tentons de nous rattraper tant bien que mal en étant meilleure.

L’inconscience devient totale parce que j’ai internalisé l’agression à mon égard comme étant méritée, de ma faute. Mon cerveau a fait cette connexion pour me faire continuer à vivre dans une interprétation de l’existence comme étant juste : oui j’avais été déshumanisée, maltraitée, violentée, mais c’était logique puisque j’étais intrinsèquement une espèce de monstre. Jusqu’à le voir dans le reflet du miroir, jusqu’à inconsciemment prendre les pires poses du monde pour constater ma monstruosité, saisir uniquement les reflets de mon corps dans les vitres les plus déformantes. Y en avaient même des preuves chaque jour, c’était donc logique. Violent, pure souffrance, mais logique.

Et une fois que les choses sont à peu près logiques, on peut repartir dans le quotidien pour travailler, assurer les choses. Si je remettais en cause ce mécanisme de haine de soi – ce qui m’est peut-être arrivé – voilà que la marée noire affluait à nouveau : quelle honte d’avoir honte. C’est sans fin les mécanismes de honte.

J’ai avancé comme ça longtemps jusqu’à oublier l’accouchement, même lorsque je devais l’aborder chez des médecins qui étudiaient ma fille, je disais : accouchement normal, sans problème. Voilà ce qui était écrit dans son carnet de santé, voici les preuves. Tout était parfaitement normal selon les autorités médicales qui avaient géré cette situation, alors je disais que c’était normal. Je me rappelle même avoir inventé de toutes pièces des explications à mes hurlements à une proche nullipare5, pour la rassurer ; j’ai censuré des parties entières de mon témoignage à une amie enceinte pour la rassurer, alors qu’elle me demandait de lui raconter tous les détails, y compris les plus durs. Je n’ai rien dit à mon médecin traitant quand elle m’a demandé. Mon esprit avait trouvé la voie de la honte comme seule issue et s’y accrochait, quitte à mentir par omission, encore et encore.

Et puis vous savez, il y a assez peu de temps, la presse a commencé à parler des violences gynécologiques et obstétriques.

J’ai écouté des témoignages6, vu les femmes raconter leur histoire, être traumatisées et raconter les faits. Le mot viol est revenu dans ma tête. La ritournelle est revenue, mais cette fois je pouvais dire à haute voix : « j’avais l’impression d’avoir été violée, mais en fait on peut appeler ça un viol». Ce n’était pas qu’une impression. On peut appeler ça un viol7 . La ritournelle a repris, obsédante, c’était la prise de conscience, cette voix qui revenait ponctuer mes journées. On peut appeler ça un viol. Ce n’était pas encore total, cette prise de conscience. Je n’intégrais pas encore le mot « violences obstétrique » pour ce qui avait suivi, parce que mon narratif mensonger tenait encore le cap.

Sans doute à ce moment-là, ma honte a commencé à foutre le camp. Parce que je voyais que ce qu’elles avaient subi était terriblement injuste, injustifié, injustifiable. Il y avait là des tas de nanas au caractère, à la personnalité, aux comportements différents et ça n’avait aucunement créé un poids différent dans la balance de leurs offenses. Toutes avaient été considérées comme des objets, des serpillières qu’on écrase du pied, qu’importent leurs forces ou leurs singularités humaines. Ce n’était pas de leur faute, en aucun cas, la faute était sur ce qui avait causé ces offenses : parfois il y avait des auteurs sadiques et pervers , parfois on sentait que c’était tout un système hospitalier, un système hiérarchique, qui conduisait à ces erreurs, ces déshumanisations chez des agents qui n’avaient qu’en tête de bosser au plus vite, de gérer, et qui pour cela s’étaient débarrassées de tout care8. Ça m’a rappelé la restauration rapide, lorsqu’on nous hurlait de « tuer » le rush, à savoir se débarrasser des clients au plus vite en agissant au plus vite et en coupant tout respect, toute considération du client comme humain parce qu’il était une nuisance dont le taff considérait à s’en débarrasser, même si par ailleurs on avait l’injonction paradoxale de le traiter en roi9. Les accouchantes devaient se dépêcher et arrêter de faire chier : quand j’y pense, même à la préparation à l’accouchement, les sages-femmes nous avaient, par prévention, demandé de ne pas faire la gueule lorsqu’on arrivait à la maternité, de sourire parce qu’on donnait la vie. Qu’est-ce que c’est que ce monde où l’on demande aux gens, même lorsqu’ils sont pliés par la souffrance, en pleine épreuve de force, d’être cordiaux et souriants ? Pourquoi vous ne voyez pas l’indécence qu’il y a là-dedans ?

Ces ex-victimes n’y pouvaient strictement rien, elles avaient dû subir les conséquences d’institutions déconnantes, qui laissent des comportements anti-care, pervers, violents, sexistes être une voie correcte, voire « efficace » de travailler en tant que soignants. Seuls des résistants intègres compensent : mon accouchement est à l’image de cette contradiction. Il y avait de véritables soignants, étant attentif respectueux à la patiente que j’étais, démontrant toutes leurs compétences humaines, tout comme il y avait des employés qui étaient davantage préoccupés par toute autre chose, comme finir au plus vite cette piqûre car c’était chiant que je bouge, terminer cet accouchement sans péridurale qu’on juge débile, raconter ses vacances qu’importe si au milieu y a une meuf qui souffre, s’énerver contre tous parce que y a trop de monde à gérer, allez faites un effort poussez plus fort. C’est injuste, injustifié et injustifiable ce qu’on a vécu. Déjà en restauration rapide ça avait fini par me choquer qu’on traite les clients comme un problème dont il fallait se débarrasser au plus vite, mais dans le milieu du soin et du médical ??? C’est une ignominie, une perversion de la notion de soin. Et les soignants résistants en sont heureusement conscients et compensent comme ils le peuvent les conneries de l’institution, mais jusqu’à quand10 ?

Alors, qu’importe l’ordre du récit, je m’arrête ici pour dire merci infiniment. Vous n’imaginez pas, témoins de tout poil et de toute histoire, à quel point vous dénouez des choses chez des personnes qui sont encore sous l’emprise du trauma ou de situations, d’oppressions abjectes. C’est un acte considérable de courage qui transmet ce courage à tant d’autres. S’il n’y avait pas eu #metoo,ces témoignages sur les violences obstétriques #payeTonUtérus, puis les témoignages des soignants eux-mêmes sur les dérives du milieu médical11, des tonnes de lanceurs d’alerte, je serais encore hantée. Je n’aurais pas eu le courage de faire ma démarche et je n’écrirais pas ce que j’écris actuellement pour en témoigner. Merci du fond du cœur de toutes mes tripes, de tous mes pleurs parce que purée, je suis si désolée que vous ayez subi ces injustices majeures. Si désolée que vous, soignants intègres, ayez été dévalorisés, humiliés par les institutions parce que vous avez eu l’audace de persister à œuvrer selon l’éthique de ce travail. On a tous été victimes et en plus on a dû se battre pour faire admettre aux offenseurs, aux institutions et à la société qu’on l’a été . Il a fallu ensuite tenir bon, résister et se blinder avec un courage démentiel pour endurer les menaces, les horreurs de ceux qui ne veulent pas nous croire et nous écouter parce qu’ils sont trop fragiles pour se représenter la réalité (cf la croyance en un monde juste dont on parle dans le lien vidéo ci-dessous). J’ai envie de dire force à vous, mais c’est ridicule car vous êtes déjà fort·es, vos actes le démontrent.

  • Sur la croyance en un monde juste et le phénomène de double victimisation :

J’ai donc écouté les témoignages, j’ai trouvé quelques éléments similaires à mon histoire, mais je n’entendais pas parler des actes que j’avais subis, ni celui que je nommais viol, ni même celui que je nommais violence. J’ai fait des recherches pour comprendre ces actes, voir s’ils pouvaient être connectés à une pratique médicale déterminée ou qu’un témoignage en parlait. Je n’ai pas trouvé12. Et ne rien trouver avait un caractère terrifiant.

J’ai aussi pris conscience à ce moment-là qu’il s’était passé plus de 10 ans depuis ces actes, je savais que justice ne pouvait plus être rendue selon la loi. Si je n’avais plus honte car je voyais que ces actes étaient injustes, injustifiés et injustifiables, que les ex-victimes n’y étaient pour rien, je ne pouvais pas encore me débarrasser personnellement du narratif qui m’avait fait tenir bon pour tant d’autres traumas également. La haine que je portais à mon égard a transformé cette honte qui n’était plus sensée de porter, en une culpabilité.

Je me suis dit que mon silence, vieux de plus de 10 ans, avait protégé la personne qui avait fait ça.

Je me suis dit qu’elle avait peut-être fait ça sur des tas d’autres patients.

Et que c’était parce que je n’avais pas parlé. C’était de ma faute.

La honte me procurait finalement un certain confort : quand on se pense une merde sur tous les plans, on ne voit pas qu’on pourrait faire quelque chose, on nage dans un « de toute façon quoique je fasse ça va foirer » qui coupe toute prise de responsabilité.

J’ai été ravagée de douleur, parce que la culpabilité est accompagnée d’une responsabilisation pour les faits et nous oblige à faire quelque chose pour les réparer, pour ne plus participer de près ou de loin à les reproduire.

Ma honte s’était transmutée en culpabilité, une autre tournure autodestructrice atroce qui me retournait les viscères. J’étais de nouveau un monstre, cette fois d’égoïsme, de n’avoir rien fait pour stopper son action destructrice, j’étais responsable s’il y avait d’autres victimes. Sur plus de 10 ans. Je ne vous dis pas à quel point je me suis haïe au plus profond de moi pour cela.

C’était une culpabilité erronée évidemment : seuls les offenseurs sont responsables de leurs actes, les victimes n’y sont jamais pour rien à moins de se transformer en offenseurs à leur tour, par la vengeance violente. Si par exemple, suite à cet événement j’avais décidé de péter la gueule à mes offenseurs ou foutre le feu à leur maison, j’aurais été à la fois toujours victime des offenses premières et coupable de la violence physique que j’aurais commise par la suite. Dans la littérature13 que j’ai lu sur la honte, il est justement très commun que la violence soit un cycle qui se répète de façon infernale entre des offenses qui font honte et poussent des gens à se venger, les transformant en offenseurs ensuite : cela n’enlève rien au fait qu’ils restent toujours victimes des offenses subies, ni qu’ils sont coupables des offenses qu’ils ont commis. Mais comprendre toute la dynamique, sans nier les premières victimisations ni les vengeances, permet aussi de voir les facteurs premiers, les causes profondes à traiter dans la société. On a besoin de voir l’ensemble de la situation pour comprendre comment stopper ces dynamiques et construire une société meilleure pour tous.

Bien que j’étais dans une nouvelle étape de prise de conscience encore difforme, au moins, cette culpabilité, même erronée, m’a permis de fournir de l’énergie pour faire quelque chose pour régler le problème.

Ainsi, j’ai commencé à me renseigner, voir que l’hôpital dans lequel j’avais accouché avait des équipes de médiation, les procédures étaient expliqués sur le site. J’ai donc décidé d’écrire mon témoignage en commençant ainsi: « Ce qui me pousse à vous contacter est mon terrible sentiment de culpabilité : je suis terrorisée à l’idée que ce que j’ai vécu soit reproduit chez d’autres femmes, et que mon silence jusqu’à présent ait contribué à perpétuer de la souffrance ».

Écrire, chez moi, c’est plus que rapporter des évènements. Je ne réfléchis et ne me rappelle pleinement que lorsque j’écris. Ainsi, la rédaction a été dure, mais il y a eu un switch qui a à la fois levé la honte et la culpabilité : il y a des mystères dans cette histoire. Il y a des tas de questions pour lesquelles je n’ai aucun élément de réponse. Il y a des incohérences inexplicables. Je manque d’infos.

Là, j’ai senti une nouvelle posture naître en moi face à cette histoire, une posture qui est mon boulot sur ce site : ok, ceci est un mystère à traiter, il y a investigation, fouinage à faire, et ça je connais ce rôle, je sais comment on fait. Une distance s’est opérée de mettre ça sur papier : voici une histoire qui est sur un papier et non un démon qui hante ma vie. Cette histoire sur le papier, je peux la traiter, la corriger, aller chercher des éléments pour compléter les épisodes manquants. Je ne peux pas juger de ma culpabilité ou de ma honte tant que je n’ai pas tous les éléments. Et ça, je peux contrôler ça, reprendre du pouvoir dessus, en cherchant tout d’abord de l’information.

 

Une femme écrivant frénétiquement, Makoto Shinkai style, par l’IA midjourney

 

La lente reprise de contrôle

Je n’ai pas repris le contrôle de cette histoire tout de suite. Pour des raisons que j’ignore, j’ai oublié un temps mon témoignage et mon idée de le transmettre à l’équipe. C’est mon corps qui me le rappellera indirectement.

A cause d’aménorrhée14 répétées, d’hormones au plus bas, mon corps m’oblige à prendre rendez-vous chez une gynéco. Je n’ai pas très peur et je ne procrastine pas tant que ça, je veux juste un traitement pour cette pathologie dont je devine assez nettement le diagnostic. J’en ai juste marre d’être fatiguée. Par ailleurs, ce moment arrive après avoir passé plus de 4 ans à travailler sur ETP15, travail qui a une influence considérable sur ma pensée, mes valeurs, mes forces, mes choix.

Pour ce rendez-vous gynécologique, j’ai décidé de prévenir plutôt que guérir. J’applique exactement ce que j’ai écrit dans ETP, adapté à mes démons : à chaque examen médical, je pose des tas de questions – au hasard, parfois pour des choses que je sais déjà -, pour humaniser au maximum la relation et contrer à la fois la possibilité d’être déshumanisée et mes tendances à endurer tout sans rien dire. Je dois cette technique aux désobéissants dans l’expérience de Milgram : les chercheurs ont découvert que plus ils parlaient tôt, plus ils pouvaient dire non à l’obéissance destructrice16. J’ai généralisé cette leçon à toutes les situations qui me terrifient : plus on est actif dans la relation sociale tôt, plus on a d’informations, plus on se donne de la force/du courage, plus on pourra potentiellement choisir.

Alors chez la gynéco, j’assume : avant l’examen, je lui dis clairement que j’ai été traumatisée, que je suis verte de trouille. Elle est très sympathique, elle comprend, et évite de choisir les pires instruments. Elle me demande mon consentement. Elle m’explique tout ce qu’elle va faire et tout ce qu’elle fait. Elle fait au plus vite pour ne pas faire durer la douleur, douleur que je n’ai pas besoin de verbaliser parce qu’elle me voit et m’entend, ce sont des informations suffisantes pour qu’elle comprenne. Et je comprends en retour que respecter le consentement, être dans le soin attentif, ne prend que quelques secondes de plus, ce sont justes de petites phrases, et pourtant cela fait toute la différence.

Je pars soulagée que ça se soit bien passé. J’ai effectivement une insuffisance ovarienne précoce, auparavant appelée « ménopause précoce ». D’abord ça me déprime, parce que les contenus sur les net à ce sujet mélangent ménopause et symptôme liées à la vieillesse, sans compter le sexisme épouvantable lorsque des femmes tentent de parler positivement de la ménopause17. Je m’accorde un jour de deuil pour la retraite de mes ovaires, puis vois la vérité en face : je ne veux plus d’enfants, je n’aurais plus de règles, je n’aurais plus jamais à m’inquiéter des retards, j’aurais le droit à des hormones qui rétabliront mon équilibre pour le reste de mon corps… N’est-ce pas au contraire une excellente nouvelle pour moi18 ????

Et parce que je prends conscience que mon corps entame une nouvelle période de vie qui peut être beaucoup moins glauque que les contenus ultra médicalisants et/ou sexistes ne le disent, je me rappelle du témoignage. Allez, comme ma fertilité est terminée, autant fermer aussi cette histoire pour entamer cette nouvelle période de vie, ensuite je serais psychiquement pleinement disponible pour profiter de tous ces jours sans règles et sans angoisse pour leurs retards.

Évidemment, je crois avoir perdu ce témoignage. Je fouine partout, le retrouve, regarde à nouveau les démarches sur le net. Je vois qu’on peut consulter le dossier médical19 : cela pourrait peut-être m’aider à trouver les infos, lever les mystères. Je prends rendez-vous, on me rappelle vite, j’ai une seule semaine à attendre. J’ai de la chance.

Dans ma poche, je mets le témoignage. Deux choix me sont possibles : si la consultation de dossier se passe très mal (on ne me croit pas, on tente de me gaslighter20, etc.), il restera dans ma poche et je trouverai un moyen autre de le transmettre à l’équipe en maternité. Si au contraire, je suis face à une personne qui semble de confiance, alors je lui demanderai de faire passer mon témoignage à l’équipe. Mon but, c’est que plus jamais il n’arrive ce qui m’est arrivé. Mon témoignage rapporte suffisamment d’éléments glauques et honteux au regard d’une éthique médicale pour devenir une leçon. En fantôme non malveillant21, il leur soufflera à leur conscience : fait pas ça, ne devient pas comme eux, travaille d’une façon digne qui respecte les valeurs de ton métier et de tes patients.

Hospital corridor at night oppressive horrible, Makoto Shinkai style, par l’IA Midjourney et l’utilisateur Feiqiyilangtou

Mon but avec le dossier médical est d’obtenir le maximum d’informations pour lever les mystères. Comprendre pourquoi c’est arrivé, qu’est-ce qui s’est passé exactement. Je sais que l’information c’est le pouvoir : cela me permettra de ranger cette histoire, tous les épisodes seront au complet, reformulés, corrigés, je pourrais passer à autre chose.

J’y vois aussi une lutte personnelle contre ma honte et ma haine de soi : elle s’est nourrie de ce manque d’information, de cet insensé. Faute de savoir pourquoi j’avais subi ça, pour quelles raisons, mon cerveau a alors créé une explication totalitaire et dogmatique : tout est de ta faute, misérable insecte écrasable à souhait. L’information est une opposition à ce mécanisme, les consciences de soi malveillantes ne pourront survivre face à une histoire plus vraie. Une vérité sera peut-être établie, les causes peut-être enfin classées correctement.

Je vais au rendez-vous. C’est flippant, mais je suis rassurée que tout cela arrive très vite, j’aurais pas le temps de ruminer. J’y vais seule parce que je veux faire ça seule jusqu’au bout, ne pas replonger quiconque dans ces histoires sordides. Jean-Pierre, le syndicaliste qui m’a formé, n’aurait pas approuvé : si on peut être accompagné à un entretien difficile, il faut toujours le faire, parce que quoiqu’il se passe, l’autre pourra être un témoin valable au regard de la justice. Désolée Jean-Pierre, j’avais oublié…

Un syndicaliste avec des tonnes de documents dans son bureau, par Midjourney

J’ai ma liste de questions, j’ai mes objectifs en tête.

D’abord, j’ai pris des photos du dossier sans rien dire.

Puis j’ai commencé à demander à la (chef?) sage-femme présente ce que voulaient dire les acronymes et d’autres détails. Puis je l’ai laissée m’expliquer un document où il y avait tout ce que je cherchais, et même plus. Là j’ai commencé à dire mon histoire. En chialant sa mère. Purée, heureusement que le masque est encore obligatoire à l’hôpital, je ne suis que sanglots. Avec le recul, d’avoir pleuré surtout là-bas et non chez moi, cela me semble symboliquement juste.

Elle a validé ma parole, et celle des autres femmes témoignant des violences obstétriques : vous faites très bien de parler. L’hôpital a changé, c’est pas encore parfait, mais ça a évolué me dit-elle. Les témoignages comptent.

Le dossier révélait des blessures et des conditions physiques dont on ne m’avait pas prévenu. Le dossier révélait des conditions médicales que ma fille a subi dont on ne m’avait pas informée. Le dossier révélait que mes douleurs avaient été totalement ignoré par la seconde équipe.

L’acte de viol n’avait aucune justification, elle m’a confirmé qu’il n’y a aucun acte légal/justifié qui correspond à ce que je décris, surtout durant l’accouchement.

J’ai failli me faire gaslight à plusieurs reprises, moi-même sous le coup de l’émotion j’ai trouvé des interprétations à l’acte de viol. J’ai cette tendance débile à tout faire pour essayer de mettre à l’aise l’autre, lui donner raison, quitte à me rendre folle si cela peut le dédouaner. Là aussi c’est une espèce de mécanisme de survie lié à d’autres hontes et humiliations passés : on s’écrase parce que ça diminue les escalades d’agressions à notre égard, et parfois on conserve ce réflexe, y compris dans des situations non-menaçantes.

Parfois aussi, j’ai pu réussir à stopper les tentatives de retournement de responsabilité, lorsqu’elle a commencé à me dire « dans ces moments on est confus on oublie », ou « il faut communiquer la douleur » : j’ai quand même réussi à remettre la discussion sur les questions concrètes plutôt que me faire entraîner sur un débat sur ma mémoire ou mon introversion. Je ne lui en veux pas, c’est son équipe, son hôpital, c’était prévisible qu’elle les défende un peu.

Je regrette de ne pas avoir continué à tout prendre en photo, j’ai oublié à cause de l’émotion. Mais j’avais tous les éléments essentiels. Comme la personne était de confiance, je suis passée à l’autre étape : je lui ai confié le message et demandé de le partager avec son équipe. C’était tout ce que je voulais : que cela ne se reproduise pas.

Pour celle qui m’a offensée, je ne savais pas quoi faire. J’ai cru comprendre que peut-être elle n’était plus en poste, mais qu’il y avait une sorte de lien encore avec l’hôpital. J’étais perdue, je savais pas quoi faire, j’ai dit que je lui laissais décider.

Je n’ai pas de rage contre celle qui m’a offensée, vraiment le sentiment qui me dominait à ce moment-là à son égard est un immense « pourquoi » dans un océan de sidération. Je ne comprends pas pourquoi elle a fait ça. Elle-même était enceinte de quelques mois, je l’ai appris par hasard parce que ses collègues lui en parlaient. Elle-même allait se trouver à ma place dans peu de temps, et pourtant elle a fait tout ça. Je ne comprends pas. Toutes les interprétations qui me passent par la tête me sont insensées – le stress, la pression, le déni – certes, c’est logiquement possible, mais le mécanisme m’échappe, je n’arrive pas à me le représenter possible. C’est pour ça que je reste sans idée à son sujet, je me dis à présent que pour en arriver là, elle devait souffrir elle-même, être oppressée par des tas de choses. Je n’ai senti nulle perversion ou pur sadisme à son acte, juste une espèce de chaos et de grand n’importe quoi.

Un moment, elle m’a piquée pour une prise de sang ou la perfusion, je ne sais plus. Je sais que les soignants en général ont beaucoup de mal à trouver mes veines, alors j’ai souvent des bleus, des douleurs. Je ne leur en veux pas, je sais que mes bras posent intrinsèquement un défi à leurs pratiques. Mais là, c’est carrément un geyser de sang qui a surgi, j’ai été surprise, elle aussi. Et dans sa tête de surprise, j’y vois tout le chaos des offenses que j’ai subi : c’était au fond dû à un grand n’importe quoi sans raison autre que lui-même. Un manque de contrôle sur les situations, qui s’exprimaient par plus d’autoritarisme sur ma personne. C’était une absence d’humanisation par volonté de contrôler un chaos, volonté mal placée qui créait du chaos supplémentaire. J’ai été une victime parce que le chaos n’était pas contrôlé d’une manière humanisante et que cette absence de contrôle éthique a ses raisons qui appartiennent à cette situation, ces personnes, cette institution à ce moment-là. Mais pas à moi. J’avais déjà assez à faire à tenter de donner la vie. Je ne suis pas responsable de ces comportements.

J’ai ressenti un premier énorme soulagement.

Ce message que j’ai confié à l’équipe de l’hôpital, le voici dans le lien ci-dessous, augmenté de tout ce que j’ai appris. Si vous lisez cet article sous son format PDF ou epub, je l’ai mis à la toute fin, après cet article.

À noter que je l’ai isolé, car il peut être violent à lire. Dans un contexte d’accouchement, j’y parle de viol, de violences physiques et de divers mépris/humiliation. Je donne des détails intimes. C’est glauque. Cependant, cela ne représente pas un accouchement normal, j’espère que mon cas est très exceptionnel, n’allez pas le consulter en imaginant que pour vous ou vos proches, il faut s’attendre à ce genre de violences durant l’accouchement. Ainsi, comme je ne sais pas qui est derrière l’écran, je préférais opérer une certaine distance tant pour vous que pour moi. Sur le site, j’ai bloqué ce témoignage brut avec un mot de passe que je vous donnerai, afin que les internautes ne tombent pas dessus par hasard, sans le contexte de ce présent article.

Vous pouvez soit aller directement le lire dès maintenant, soit poursuivre la lecture de ce présent article, soit ne jamais aller le voir. C’est comme vous le sentez. Personnellement, j’ai écrit la suite de ce présent article d’une façon qui puisse être compréhensible sans avoir besoin de connaître les détails glauques, donc c’est comme vous voulez.

Voici le lien du témoignage :  https://www.hacking-social.com/2022/10/19/annexe-le-temoignage-brut/ ‎ le mot de passe est JT

L’influence des hackers, de l’art et des syndicalistes

J’ai ressenti un énorme soulagement à cette procédure, qui s’est démultiplié lorsque j’ai pu partager ce droit et ses bienfaits (les réponses à ce tweet, c’est incroyable ce que le corps médical peut cacher parfois aux patients) : https://twitter.com/HViciss/status/1541835843207401472

L’information c’est le pouvoir, et la partager, c’est démultiplier celui-ci, c’est contrer les dominations qui ont tout intérêt de garder l’info pour elles. C’est une leçon que j’ai appris du domaine du hacking et du renseignement : on ne peut difficilement agir correctement si on manque d’informations pertinentes, précises, éclairant toute la situation. Si tu ne sais pas précisément toute l’envergure d’une situation, tu taperas dans le vide de façon absurde, tu te feras détecter, tu n’atteindras pas les buts de ton opération. Sans informations, on ne peut même pas se donner un but convenable.

Aaron Swartz, représenté par l’IA midjourney, « l’information est le pouvoir. Mais comme tout pouvoir, il y a ceux qui veulent le garder pour eux » ; vous pouvez connaître l’histoire de ce brillant hacktiviste ici : https://www.youtube.com/watch?v=9vz06QO3UkQ

Le premier objectif, face à un problème ou à une chose mystérieuse/menaçante dont il va falloir s’occuper, est donc de collecter une masse d’informations. Chaque donnée trouvée signale intrinsèquement ce qu’il y a besoin de savoir davantage sur tel aspect du problème. Parfois, cela demande de développer telle compétence, de faire telle action pour tester des hypothèses ou récolter plus d’informations.

Ce processus est très similaire à des méthodes scientifiques ou au processus de créativité en général. Artiste, agent de renseignements, scientifique, autodidacte et hacker ont tous une motivation intrinsèque à faire face à un problème, à une situation bizarre, une confusion. Cela les pousse à lancer une investigation ou une recherche de compréhension. De celle-ci naissent des idées d’actions, parfois suivant des procédés habituels (cf « problème présenté dans le schéma ci-dessous), parfois totalement nouveau ( « problème découvert »). C’est un processus créatif :

J’avais oublié à quel point cette phrase, l’information c’est le pouvoir, est beaucoup plus qu’une citation sympa d’un directeur du FBI22 reprise par les hackers : ça vaut pour tout. Quand j’étais syndicaliste, c’était déjà le cas, on collectait une masse d’informations avant d’œuvrer à quelconque action, et toute information pouvait être signifiante, le moindre papier pouvait devenir déterminant pour prouver les torts de l’entreprise, un harcèlement ou des abus. On collectait le maximum de témoignages aussi dans le but de renseigner le problème. Ensuite, face à la confrontation, on pouvait tenir bon parce qu’on avait cette pile de preuves solides, on pouvait être confiant parce que la somme d’infos allant dans le même sens était impossible à contredire sans que l’autre soit dans une défense totalement et explicitement mensongère. Cela permettait de rendre justice de façon solide, et au harcelé de voir que non, ce n’était pas de sa faute, regarde les autres témoignages, regarde les preuves, c’est pas toi qui a un problème, c’est eux. C’est eux qui doivent changer, pas toi.

On peut donc appliquer le schéma de la créativité à des affaires sociales : au début de ce dossier je vous disais comment j’étais dans une espèce de confusion, mais une ritournelle de conscience me hantait. Le problème, c’est qu’à l’époque, je n’avais aucune expérience et connaissances, je n’avais pas encore milité auprès des hackers, nous n’avions pas encore créé Hacking Social, et il ne me serait pas venu à l’idée d’appliquer ce que j’avais appris en tant que syndicaliste à cette situation. C’était pourtant faisable.

Mais tout parent impliqué sait que les premières années d’un enfant, c’est une espèce de sacrifice où toute votre force, votre attention sont consacrés au bébé. Même votre repos ou vos activités sont conditionnés à son comportement et sa capacité à bien dormir ou pas. Ma fille n’a jamais fait de grandes siestes ni jamais dormi facilement, on avait peu de moyens de garde, peu de moyens tout court, la vie était un tourbillon. Comment j’aurais pu penser en profondeur à mon cul et ses dramas dans ces conditions ?

Je préférais m’ébahir et me laisser hypnotiser dans la mignonnerie de ma fille, l’écouter discuter sans fin avec ses jouets, même lorsqu’elle renversait l’intégralité de notre bibliothèque, nageait dans une mer de livres, j’étais fascinée. Ce « sacrifice » parental, je ne l’ai pas vécu uniquement comme un burn-out injuste : il y avait aussi du privilège dans le fait d’assister au développement de cette toute petite personne magnifique, étonnante, qui disait que son jus de pomme était fou quand elle le renversait 😀

Le jus de pomme est fou, par l’IA Midjourney – ma fille ne ressemble pas vraiment à cette représentation, mais son expression était assez similaire

À la sortie de la consultation de mon dossier médical, j’étais donc enfin fière, ce contraire de la honte, d’avoir mené cette action jusqu’au bout, à savoir obtenir de l’info puis avoir pu déposer ma lettre.

Mais il était alors impossible de savoir alors si ce message serait transmis comme demandé, ou s’il finirait à la poubelle sans être lu. Je ne saurais jamais rien des effets ou de l’absence d’effet de cette lettre.

Quoiqu’il en soit, j’avais fait quelque chose que j’estimais juste de faire, parce que toute la littérature que j’ai pu lire sur la justice transformatrice, mais aussi l’autodétermination, me disait que c’était la bonne chose à faire. Les offenseurs ne peuvent pas changer s’ils n’ont pas conscience de ce qu’ils ont fait ; les environnements sociaux ne peuvent pas s’améliorer s’ils n’ont pas conscience des conséquences de leurs modes opératoires, des erreurs ; la société et la culture ne peuvent pas changer si ce qui déconne est caché, non conscientisé, ou qu’on ne fait rien pour l’empêcher de se reproduire23.

Je crois que l’expression de notre souffrance peut potentiellement avoir un impact si on peut la formuler d’une façon honnête, digne, et pour des buts plus généraux que notre personne24 : c’est dans cet esprit que j’ai essayé d’écrire la lettre, rapportant les faits sans y juxtaposer mon jugement, posant les faits mais sans nier les conséquences psychiques, ni les émotions qui m’ont motivées et démotivées d’agir, respectivement la culpabilité et la honte.

Je voulais être honnête. Je voulais qu’on comprenne parfaitement que mon souhait majeur, c’est que plus personne, au moins dans cette équipe, ne fasse plus jamais ça. L’accouchement est déjà une épreuve en soi, il est intolérable d’imposer en plus des épreuves sociales.

Parce que soyons sincères deux secondes, imaginons qu’on prévienne les patients des risques de déshumanisation, et que ce soit de leur responsabilité d’éviter les offenses, voici ce que ça demanderait : l’accompagnant·e devrait être préparé·e mentalement à un rôle de guetteur·euse surveillant le moindre fait et geste déplacé des soignant·es, qu’iel se prépare à entrer en conflit ouvert avec l’autorité médicale ; et évidemment, le duo parental devrait être formé pour savoir ce qui est correct ou incorrect de faire sur tout le plan médical. Allez, faudrait un bagage de quelques années d’études médicales au minimum. Les patients devraient s’entraîner à surmonter leur personnalité et leur culture en s’entraînant à gueuler sur les autres et rentrer en conflit avec une puissante assertivité, et cela en condition 8 de tension, fièvre, sans manger ni boire pendant des heures, coincé dans un lit attaché de toute part avec des appareils de mesure. Il s’agirait d’accepter que la naissance d’un humain se fasse dans une ambiance de méfiance totale envers les personnes présentes, avec des engueulades et aucune cordialité. Bref, qu’absolument tout le monde, en plus de se tuer à la tache – en travaillant ou en accouchant –, passe en plus un moment socialement aussi insupportable qu’une confrontation syndicale entre ennemis.

Sérieusement, je peux pas croire un seul instant que c’est ce que veulent les gens, y compris les individus que je vois blâmer les victimes qui se déresponsabiliserait selon eux. Pourtant je suis aussi un temps tombée dans cet erreur de jugement : par exemple, je me suis sentie obligée de dire et répéter à une amie qui allait accoucher, qu’il fallait qu’elle gueule à la moindre douleur, quitte à en faire plus que nécessaire. J’étais alors persuadée que si j’avais été plus assertive, peut-être qu’on m’aurait davantage respecté.

Le cumul des abus nous pousse à ce genre de prévention assertive qui vous, personnel médical, vous nuit également au quotidien : stoppons le cercle vicieux. C’est tout simple, il s’agit de faire comme la gynéco que j’ai citée plus haut : elle a fait son boulot respectueusement, en douceur, avec attention, rapidité et efficacité. Qu’importe qui j’étais et mes singularités, elle s’est adaptée.

Étapes improvisées

L’inquiétude a tout de même repris son chemin après cette première étape de livraison de la lettre. La personne était potentiellement encore en poste, parce que c’était ce que m’avait laissé à penser la sage-femme présente à la consultation.

Alors, je l’ai cherchée sur le net, c’était plus simple grâce à la consultation de mon dossier qui m’avait permis de récolter des éléments. Je trouve un mail qui semble correspondre : je la contacte en prenant soin de dire que j’ai des doutes concernant son identité, que cela ne la concerne peut-être pas. Je joins néanmoins le témoignage avec, à tout hasard. Elle me répond rapidement que ce n’est pas elle, elle me fournit même des preuves en retour, et se désole que j’ai eu à subir ces violences. Je suis extrêmement soulagée de voir encore une fois une professionnelle qui me croit et est consciente qu’il s’agit d’un vrai problème. Vraiment, voir des professionnels concernés être conscient des problèmes, les nommant comme étant un problème, a tellement d’importance, merci infiniment à vous.

à ce stade, je me dis que plus de 10 ans s’étant écoulé, la coupable a très bien pu changer de nom de famille, de ville, et je ne pourrais alors jamais la retrouver. Bon, vraisemblablement, le processus s’arrête là, je ne pourrais jamais rien faire pour lui faire rappeler cet évènement et qu’elle en tire une leçon professionnelle.

Puis une idée me vient : et si je cherchais le sage-femme que j’ai eu durant la nuit ? Celui qui était adorable et exemplaire d’attention, de douceur et de respect. Peut-être peut-il encore me comprendre ?

Je trouve un contact mail qui m’indique qu’il travaille en cabinet et non plus à l’hôpital. C’est bien lui, je lui explique la situation, mes buts, j’en profite pour le remercier directement, exprimer ma gratitude pour ses bons soins. Dans l’échange, il semble déjà étonnamment très au courant de ce que je fais, car j’ai peu besoin d’expliquer ou de lui rappeler ce vieil événement : je n’ai plus de doute, la personne que j’ai vu en consultation du dossier a respecté ses promesses et a fait passer le message. Merci, tellement merci. Le sage femme est encore extrêmement attentionné, et me propose de lui transmettre directement le témoignage, me demande si je souhaite un retour de sa part. Je dis oui, uniquement si elle me croit.

Un soignant calme et compréhensif, par l’IA midjourney.

Le soulagement. Voilà, je peux me débarrasser d’un sac à dos lourd d’inquiétudes et de sales affects. Je suis allée au bout, toutes les personnes concernées ou presque savent, sont au courant. Malgré le sordide de cette affaire, je suis heureuse aussi d’avoir pu transmettre ma gratitude à ce sage-femme qui m’a bien traité.

Cela fait environ 5 mois, je n’ai pas eu de retour. Je n’en attends pas.

Je m’imagine que c’est extrêmement dur à lire, en entendre, à prendre conscience, à croire pour la personne. Je ne lui en veux pas, quelle que soit son interprétation de qui s’est passé à l’époque. Pour avoir été moi-même dans un processus d’inconscience pendant longtemps, pour avoir été dans une haine de moi-même qui n’est clairement pas due qu’à cet épisode, mais à toute une culture qui infériorise les femmes depuis leur enfance, je comprends. On peut fauter, se gourer, éluder, s’énerver, ne plus réussir à œuvrer dans l’empathie sous la pression de la situation, mais aussi de la pression culturelle faite aux femmes.

Je ne sais pas si le pardon est une notion importante ou pas pour elle : pour moi, de par un environnement social athée et d’autre part vietnamien avec des éléments culturels bouddhistes et superstitieux, j’ai un mal fou à comprendre la notion de pardonner à quelqu’un, ni ressentir du soulagement à l’idée qu’on m’accorde son pardon. Seul le manque d’informations me hante, que je sois victime ou coupable, j’ai besoin d’échanger pour comprendre, changer, réparer ou me restaurer.

Néanmoins, je sais théoriquement que le pardon est important pour plein de gens : ainsi je la pardonne, c’est-à-dire que je lui en veux pas, je n’ai aucun ressentiment à ce jour, encore moins des désirs de vengeance. La vengeance n’a jamais été ma tasse de thé de toute manière.

Mais je ne crois pas au pardon inconditionnel : tout changerait si j’apprenais que d’autres ont été touchées de la même manière, par cette même personne, maintenant.

Je lui pardonne si elle a pris conscience que c’était des choses à ne pas faire, si à présent elle demande le consentement, si elle informe ces patientes de tout ce dont elles ont besoin de savoir, si elle apprécie la sagesse des stagiaires qui l’accompagneront. Si elle fait tout ça, je peux oublier cet épisode, soupirer d’un soulagement immense. Ce qui compte pour moi, c’est que la souffrance ne soit pas reproduite.

Et cela vaut aussi pour tous ceux qui ont commis des fautes ou ne veulent pas en commettre, qui liront cet article et qui bien décidés, arrêteront les pratiques destructives ou les empêcheront dans n’importe quel domaine. Merci à tous les gens qui m’ont, par leur soutien, par leurs œuvres, par leurs recherches, par leur militantisme, par leurs témoignages, permis de sortir du nuage du trauma et permis de réussir à témoigner de cette façon.

Merci infiniment à vous, vous rendez le monde meilleur.


Des ressources pour aller plus loin


Des contenus qui peuvent aider à la prise de conscience

Ici j’étends le sujet à des violences domestiques, conjugales, parce que lorsque j’étudiais la littérature, la question des traumatismes liés aux incestes, viols et violences provoquait des hontes généralisées assez similaires que celle que j’ai décrite. Souvent bien pires, surtout lorsque ces actes injustes et injustifiables advenaient durant l’enfance.

Cependant je dois vous prévenir, je pense avoir consulté ce lien dans le passé tout en restant parfaitement dissociée des évènements traumatiques.

Ça vaut pour tous les contenus intellectuels : on peut absorber une connaissance, la comprendre, et pour autant que la prise de conscience au sujet de sa propre expérience ne vient pas.

J’ai par contre reconnu la dissociation en moi lorsque j’ai étudié les génocides, parce que Jacques Semelin, spécialiste de la question, a lui-même expliqué comment cela lui arrivait et ce qu’il faisait pour se reconnecter. L’astuce, dans ce domaine-là, était d’étudier aussi des résistants et sauveteurs parallèlement, pour reconnecter les émotions ; j’ai vu la même méthode pour tenir bon chez des psychologues spécialistes des génocides tels qu’Erving Straub, il étudiait tout autant la guerre que la paix. Faut-il généraliser cette astuce et aller chercher des modèles de nos mêmes expériences, ailleurs ? Je n’ai pas de réponse sourcée, mais je sais que les témoignages et certains contenus m’ont fait positivement switcher.

Des vidéos de Marinette

  • Ici on voit comment des personnes se sont sorties d’emprises violentes :

  • Ici elle explique le cycle de la violence dans le cadre des violences domestiques, ce cycle est exportable à mon sens à d’autres situations de violences psychologiques interpersonnelles :

Pourquoi on ne réagit pas sur le moment lorsqu’on est cible de violence, la sidération psychique (et donc les dissociations traumatiques, qui concernent aussi les offenseurs parfois) :

Des vidéos de psychocouac

  • Quels sont les signes que la relation conjugale tourne mal et doit-on chercher de l’aide? Cela parle des violences conjugales très dangereuses  :

  • Sur l’inceste :

  • Sur l’agression sexuelle sur mineurs :

  • Sur le stress post traumatique :

Pour en savoir plus sur la justice restauratrice/transformatrice qu’on soit offenseur, ex-victime ou autre

À noter que dans ce que je vous ai écrit dans l’article, je me suis inspirée de la justice transformatrice (JT), mais je n’ai pas forcément suivi tous les protocoles possibles, ni même tous les principes (je n’ai pas demandé une réparation par exemple) et je l’ai fait juste en tant qu’ex-victime. Il y a beaucoup d’autres possibilités, aussi lorsqu’on a commis des offenses.

Voici mes écrits à ce sujet qui détaillent d’autres possibilités :

Sur le site, j’ai publié une partie de ce que j’ai écrit dans ETP, voici deux autres articles qui exposent les principes, la politique et les limites de la justice restauratrice :

Ensuite, il y a une réflexion critique sur le fait que la police puisse mener cette JR (habituellement il s’agit de médiateurs qui s’en chargent, dans la communauté de la personne) :

Puis on voit la justice transformatrice (JT) qui a pour base aussi la JR :

Ici c’est un exemple de JT menée dans une communauté amérindienne, pour des affaires de violences sexuelles :

Et d’autres formes de JT, menées par des communautés queer et/ou racisées :

Je parle des potentielles dérives du modèle en article final ici :

Et il y a aussi des sources particulièrement riches tant au niveau théorique que pratique, qui offrent plein de possibilités, et que je n’ai pas forcément abordées (faire de la JR/JT en famille, dans le champ éducatif ; comment agir face à des violences sexuelles, ou dans telle situation etc.) :

  • Le site Transform Harm, https://transformharm.org/ tout particulièrement les sections « curriculum » de chaque thème (restorative justice, healing justice, etc.) sont emplis de programmes, d’outils très intéressants.

 

 

Contacts, dans le cadre des violences en général

N’hésitez pas à en parler à des psychologues, des psychiatres, des assistantes sociales, des experts en justice : ce sont des pro qui sont généralement renseignés sur ces questions et qui peuvent vous guider sur le « que faire ». Quels que soient vos choix et vos problématiques particulières, ils sont formés en principe à ne pas vous mettre en doute ou vous juger.

Si vous êtes dans une situation actuelle de violence et de dangers (conjugale, familiale ) ou que vous êtes témoin d’une violence n’hésitez pas à appeler les urgences : même les abolitionnistes de la police, dans leur guide25, n’hésitent pas à conseiller cela si la situation ne laisse pas le choix. Parfois seul l’uniforme de l’autorité permet de contrer une escalade de violence, et s’il faut ça pour sauver des vies, les principes et idéaux peuvent attendre.

  • Sur la question des violences sexuelles et sexistes, il y a ici des explications et des annuaires de contact d’associations et de services contre les violences sexuelles et/ou sexistes : https://arretonslesviolences.gouv.fr/

Notes de bas de page


1Je ne dis pas là que tous les blancs au statut supérieur ont ces tabous, je parle bien de la partie de ma famille blanche, et particulièrement celle au statut supérieur. Les 3/4 étaient prolo.

2Pour moi, le terme clan est ici à valence positive.

3J’emploie créolisé dans le même sens que celui de Édouard Glissant « La créolisation pour moi, c’est le métissage des cultures qui produit de l’inattendu. L’oppresseur, le dominateur blanc va s’accommoder de toutes les résistances, disons ethniques, etc. La seule chose dont il a peur fondamentalement, c’est du métissage. Il a peur d’être mélangé ». https://www.radiofrance.fr/franceculture/edouard-glissant-penser-la-creolisation-6386277

4Après les accouchements, le périnée peut être distendu et affaibli, d’autant plus lorsqu’on a eu une épisiotomie comme moi (plus des déchirures, mais ça je n’en avais pas été informée à ce moment-là, d’où l’importance d’une rééducation https://www.passeportsante.net/famille/accouchement?doc=reeducation-perinee

5Nullipare = Qui n’a jamais porté d’enfant et accouché.

6Je n’ai plus les liens, je ne peux pas vous donner des sources, je consultais cela sans penser que j’oserais un jour écrire à ce sujet. Et si parfois je me rappelle encore du chemin pour accéder à des articles que j’avais consulté dans un cadre personnel, c’est parce que ces articles ne me foutaient pas en PLS.

7Voir l’excellent thread de à ce sujet : je coche toute les caractéristiques qui permettent de nommer ce que j’ai vécu comme un viol.

8Care = capacité à prendre soin d’autrui (Gilligan 1982) ; = « Activité caractéristique de l’espèce humaine, qui recouvre tout ce que nous faisons dans le but de maintenir, de perpétuer et de réparer notre monde, afin que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nos personnes et notre environnement, tout ce que nous cherchons à relier en un réseau complexe en soutien à la vie » (Joan Tronto dans « Un monde vulnérable »). Cette affirmation qu’il y a un problème systémique à l’hôpital, incitant à tuer le care chez beaucoup d’agents et médecins, ne sort pas de nulle part ; je l’ai personnellement un peu synthétisée à travers l’exemple des ehpad et de façon globale dans les hôpitaux (y compris dans d’autres services qu’obstétrique) ici : https://www.hacking-social.com/2021/09/17/en-toute-puissance-manuel-dautodetermination-radicale/  ; mais depuis la rédaction d’ETP, il y a eut des tas d’ouvrages et d’affaires qui sont sortis sur ces questions en plus de ça.

9Idem, j’ai expliqué plus en longueur pourquoi je fais ce parallèle qui n’est pas qu’une simple image dans ETP, il y a une effective néolibéralisation du secteur médical, sourcée.

10Je me pose cette question parce que j’ai connu des tas de soignants (pas forcément lié à des services obstétriques) qui ont tous décidé à un moment de quitter l’hôpital pour exercer en libéral, tant c’était insupportable à cause des pressions, des impossibilités de faire correctement les choses, de la hiérarchie méprisante et de la bureaucratie délirante, le mépris des patients, le sexisme et d’autres discriminations, etc. Ils voulaient faire les choses bien, avec une éthique du soin, et c’était pas possible. Alors ils partent, ces gens précieux, et les patients de l’hôpital n’y ont plus accès.

11J’en ai parlé dans ETP : https://www.hacking-social.com/2021/09/17/en-toute-puissance-manuel-dautodetermination-radicale/ évidemment, il doit y en avoir des tas d’autres.

12Ce n’était pas une recherche pour un dossier, mais juste pour mon information personnelle ; ainsi n’allait pas me demander des sources ou me reprocher que si, quelqu’un en parle à tel endroit. C’est possible qu’il existe quelque part un témoignage similaire. Cependant, vous le verrez dans la suite des témoignages, les sages-femmes m’ont confirmé que c’était un acte qui n’avait aucune justification médicale au moment où il m’a été fait.

13J’ai mis les sources à la fin de cet article.

14Aménorrhée = Absence de règles.

17Je vous préviens ce sont des liens extrêmement énervants où les femmes sont coupées dans leur expression et/ou méprisées : https://www.youtube.com/watch?v=hNlu0nlHWFc et https://www.youtube.com/watch?v=38hhctzhjQs

18Je précise bien « pour moi », je suis tout à fait consciente que c’est un drame pour les personnes qui veulent un enfant, je comprends leur souffrance terrible, et je ne veux surtout pas qu’elles se sentent offensées par ce que j’écris. J’aurais pu éviter de parler de ça pour éviter toute mauvaise interprétation, mais je pense aussi aux personnes qui comme moi ont d’abord pris ce diagnostic d’IOP ou de ménopause comme un drame terrible parce que les seules informations qu’on trouve sont extrêmement déprimantes voire signe notre arrêt de mort. Je ne suis pas d’accord avec ça, on n’est pas mortes sous prétexte d’être infertile. C’est un stade de vie que finalement on a déjà connue enfant, lorsqu’on était pas le moins du monde inquiété par l’idée de tomber enceinte sans le vouloir, ou inquiète de savoir quand nos règles allaient encore tomber pile le moment où ça nous emmerdait au maximum.

20https://fr.wikipedia.org/wiki/Gaslighting ; https://www.urbandictionary.com/define.php?term=Gaslight Traduction du dernier lien, qui est le sens dans lequel j’emploie gaslight « Gaslight = Lorsque vous mentez ou manipulez quelqu’un et que vous le faites passer pour fou de réagir comme il le fait. Vous lui faites croire que son instinct [et ses émotions ou les faits] n’est pas vrai. Vous lui donnez l’impression qu’il réagit de manière excessive. Par exemple, vous le mettez en colère et vous lui dites qu’il est dingue d’être en colère. Il s’agit fondamentalement de manipuler des événements et des situations, pour que la victime se sente folle [gaslightée] et que vous rejetiez le blâme sur elle ».

21J’ai tout fait pour ne pas être offensante, insultante, menaçante dans ce témoignage. Vous pouvez le vérifier ici :  https://www.hacking-social.com/2022/10/19/annexe-le-temoignage-brut/ ‎(mdp = JT ). C’était une question de dignité au regard de mes propres valeurs et objectifs et aussi une question d’efficacité. On n’aide personne à changer en l’insultant et en le menaçant, quand bien même il le « mériterait » au regard de ses offenses. N’allez pas croire que je joue à la Sainte pure en disant ça, évidemment qu’avec mes proches, hors du terrain public, on s’est énervé collectivement avec des mots et des idées pas jolies, c’était une façon de se montrer qu’on se comprenait mutuellement, c’est une étape qui advient, cette colère. Cependant je ne veux pas laisser dominer cette étape de rage lorsqu’il s’agit de résoudre le problème ou créer : là je prends en compte ce que j’ai appris des mes recherches sur l’autodétermination parce que ma priorité c’est, plus jamais ça. À la place de la rage, je pense dignité.

22Il n’y a pas de source sûre, mais ça proviendrait initialement de J. Edgar Hoover ; cependant on trouve cette phrase déclinée par plein d’autres personnes, comme Kofi Annan « la connaissance est le pouvoir. L’information est libératrice. L’éducation est le prémisse du progrès, dans chaque société, dans chaque famille » ou le célèbre hacker Aaron Swartz « l’information est le pouvoir. Mais comme tout pouvoir, il y a ceux qui veulent le garder pour eux ». Quoiqu’il en soit je sais d’expérience que c’est un leitmotiv chez les hackers parce que cela représente une réalité concrète à plein de niveaux.

23Ceci n’est pas une injonction à militer, faire des démarches de justice. Je pense plutôt ici au fait d’être conscient que le mal qu’on nous a fait était injuste, injustifié et de refuser consciemment d’être aussi violent lorsqu’on se retrouve dans le même genre de situation. C’est par exemple l’ancien enfant battu qui n’emploiera jamais la violence sur l’enfant, l’ancien élève humilié qui devenu prof fait tout pour éviter d’humilier les enfants, l’ancien harcelé qui décide de ne pas harceler une personne contre qui il est fâché, etc.

24Là je pense à une étude sur les thèmes de vie de Mihály Csíkszentmihályi, que j’ai rapportée dans l’extension but de mon livre ETP : https://www.hacking-social.com/2021/09/17/en-toute-puissance-manuel-dautodetermination-radicale/ ; on la trouve aussi dans : Chapitre « Life Themes: A Theoretical and Empirical Exploration of Their Origins and Effects » dans « Applications of Flow in Human Development and Education », Mihaly Csikszentmihalyi, 2014

25Beyond Survival Strategies and Stories from the Transformative Justice Movement, Ejeris Dixon ; Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha

Viciss Hackso Écrit par :

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5 Comments

  1. Anonyme
    20 octobre 2022
    Reply

    tl;dr lol

  2. Anonyme
    23 octobre 2022
    Reply

    Merci.

  3. Anonyme
    25 octobre 2022
    Reply

    Je fais habituellement partie de la « majorité silencieuse » qui lit assidûment vos articles sans laisser de commentaire. Je suis sûr de ne pas être le·a seul·e à être admirati·f·ve envers le travail fourni sur ce site et la qualité de la chaîne Youtube/PeerTube. Je ne peux pas imaginer le courage que cela a dû demander de surmonter cette épreuve et d’être allée jusqu’au bout de ce processus de justice transformative. Alors je vous retourne votre conclusion : Merci infiniment à vous, vous rendez le monde meilleur.

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