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Que ce soit dans un magasin, au boulot, au téléphone, on se surprend parfois à accepter des requêtes incongrues : rendre un service pénible, souscrire à une offre commerciale qui ne nous procure aucun bénéfice, intensifier inutilement son travail…. Bref, on constate avoir acquiescé à une requête que l’on aurait refusé en temps normal.
Mais trop tard, on a accepté, on s’est « engagé ».
Ces exemples vous parlent ? Peut-être avez-vous été victime de la technique du Pied-dans-la-Porte !
Sur peertube :
Sur viméo :
Annexe
Une vidéo est un format formidable pour vulgariser une expérience, facilitant l’explication et permettant d’invoquer plus clairement des illustrations. Cependant, il s’agit aussi d’un format limité, ne serait-ce que par le travail que cela demande ; l’attention du viewer que l’on requiert et qui n’est pas infini…. Il faut donc faire des choix, développer certains thèmes, quitte à en délaisser d’autres, mettre en avant certains points, certaines hypothèses, trier les illustrations, les exemples.
D’où cette annexe qui me permet d’élargir le sujet, de compléter et préciser les propos.
Dans cet épisode d’XP, nous avons évoqué trois expériences en psychologie sociale:
- L’expérience princeps de Freedman et Fraser (1966) dont le Pied-dans-la-porte consiste à faire accepter à des ménagères [ménagère, quel mot horrible ! Nous utilisons ce terme conformément au vocabulaire rencontré dans la description de cette expérience] que des enquêteurs viennent fouiller leurs placards.
- Deuxième expérience de Freedman et Fraser (1966 toujours) où il s’agit cette fois de faire accepter à des propriétaires l’installation d’un panneau publicitaire de 16m² dans leur jardin.
- Et enfin une expérience de Guéguen et Fischer-Lokou (1999) consistant à soutirer de l’argent à des passants.
L’expérience Princeps
Dans la vidéo, nous présentons cette expérience, mais nous n’avons pas évoqué l’intégralité des résultats. Voici le tableau que nous retranscrivons (et qui a été traduit dans le livre de Nicolas Guéguen : Psychologie de la manipulation et de la soumission).
Il y a quatre conditions :
- La condition contrĂ´le, c’est-Ă -dire la condition sans Pied-Dans-La-Porte oĂą on formule directement la requĂŞte, et qui doit servir de comparaison avec les autres conditions. Il n’y a que 22,2% d’acceptation.
- La condition « simple présentation » où l’enquêteur ne propose pas de questionnaire, il ne fait que se présenter, lui et son organisation. Peu de différence avec la condition contrôle puisque les ménagères acceptent à 27,8%
- La condition Pied-Dans-La-Porte, mais sans questionnaire. L’enquêteur appelle une première fois les ménagères, se présente, mais ne leur soumet pas de questionnaire prétextant qu’il les rappellera ultérieurement. Puis enfin, il les rappelle et soumet la requête finale : il y a alors 33,3% d’acceptation.
- Enfin, la condition passation de questionnaire, l’enquêteur appelle une première fois les ménagères, leur soumet un questionnaire (si elle accepte) puis les rappelle ultérieurement pour leur soumettre la requête finale. Résultat : 52,8%
Avec ces différentes conditions, on voit bien que plus les étapes préparatoires sont fortes (sans questionnaire/avec questionnaire), plus les chances d’acceptation de la requête finale sont importantes.
Précisons un point essentiel, et cela vaut aussi pour les autres expériences. Les résultats ne sont pas de simples totaux sur un même échantillon, auquel cas les données seraient complètement faussées. Précisons rapidement la méthodologie :
Chaque condition comporte un Ă©chantillon de 36 personnes (diffĂ©rentes) : condition contrĂ´le : n=36 (n = Ă©chantillon), il n’y a que 22,2% des personnes sur les 36 de ce groupe qui acceptent ; condition pied dans la porte + passation questionnaire : n=36, il y a 52,8% des 36 autres personnes d’un autre groupe, etc….
Expérience panneau publicitaire :
Freedman et Fraser mettent la barre plus haut et se demandent s’ils pourraient obtenir l’acquiescement d’une requête plus coûteuse : l’installation d’un panneau de 16m² dans le jardin de propriétaires.
Voici l’ensemble des résultats.
Encore une fois, il y a plusieurs conditions, qu’on a présenté dans la vidéo, mais que nous n’avons pas complètement développées. Faisons-le ici.
- Comme toujours une condition contrôle : 16,7% des personnes interrogées dans le groupe acceptent.
- Première condition : signer la pétition pour la sécurité routière avant requête finale : 47,8%
- Deuxième condition : signer la pétition pour la préservation de la nature avant requête finale : 47,4%.
- Troisième condition : pose d’un autocollant sur la préservation de la nature avant requête finale : 47,6%.
- Quatrième condition : Pose d’un autocollant sur la sécurité routière avant requête finale : 76%.
Qu’est-ce qu’on remarque ? Dans l’ensemble, on a les mêmes résultats à peu près pour les trois premières conditions. On remarque que pour la pétition ou l’autocollant pour la préservation de la nature, nous passons de 16,7% d’acceptation à 47-48% environ. La différence est de taille. Les individus interrogés, que ce soient la pétition ou l’autocollant, se sont tous engagés, d’où ce taux important d’acceptation.
Mais pour la quatrième condition, le compteur explose : 76% !
Comment expliquer cela ? Selon les hypothèses, on remarque que plus la convergence entre le thème et les caractéristiques des deux requêtes (pied dans la porte + requête finale) est forte, plus le taux d’acceptation ne le sera aussi. Dans la quatrième condition, les individus collent sur leur voiture un autocollant qui concerne justement leur voiture et le comportement, le leur et ceux des autres, sur la route. La convergence est bien plus forte que pour les autres pieds dans la porte, et la requête finale sera alors admise comme « cohérente » avec la première requête. D’où le résultat.
Expérience Pied dans la porte pour soutirer de l’argent
L’expérience de Guéguen et Fischer-Lokou (1999) est une réplique d’une expérience de Harris en 1972 ; l’expérience de Guéguen et son collègue viennent confirmer les résultats :
A la différence des deux autres expériences, on remarque que les requêtes sont directes, il n’y a pas d’attente entre la première et la seconde requête. Le Pied dans la porte s’appuie dans ce cas sur une tendance à l’acquiescement. La première requête, simple demande de l’heure, permet aussi au demandeur d’obtenir l’attention de l’individu à qui il s’adresse. Si on demande directement de l’argent, la réaction la plus souvent rencontrée est l’indifférence, les gens refusant tout en continuant leur chemin. Or, la demande de l’heure, demande tout à fait acceptable, les contraint à s’arrêter. Leurs « portes de sortie », pourrions-nous dire, se réduit.
Note : en mentalisme, exploiter cette tendance Ă l’acquiescement pour manipuler autrui s’appelle faire un « Yes set ».
Le Pied-dans-la-Porte dans le quotidien
Nous avons évoqué dans cet épisode quelques exemples de Pied dans la porte, que l’on peut rencontrer dans le commerce, le démarchage, ou encore au travail. Pour faire simple, on peut rencontrer cette technique partout, dès lors qu’on nous soumet une requête.
Dans le domaine de la vente, on remarque que le Pied dans la porte est « enseigné » à l’université, dans les écoles de marketing, dans des formations de ce type….
Nous avons par exemple illustré nos propos avec l’extrait suivant :
https://www.youtube.com/watch?v=rKvoYowY1Is
Nous avons bien failli aussi illustrer cela avec une autre vidéo, en français cette fois (à partir de 6 minutes) :
Vidéo intéressante, car on nous présente là des techniques de manipulation… sans assumer qu’il s’agit de techniques de manipulation.
Autant la première vidéo y va cash, sans langue de bois, autant dans cette vidéo, on nous présente un monde merveilleux de la téléprospection où le vendeur est sincère, respectueux du client, le laisse libre de choisir…. Oui, mais ça reste de la manipulation, encore plus insidieuse d’ailleurs, car on ne la nomme pas.
Par exemple, cette phrase lourde de sens, et quelque peu contradictoire (je cite les propos du monsieur dans cette vidéo).
« Plus l’autre est libre de son mouvement, plus il avance naturellement ». Oui mais il avance vers quoi, vers quelle direction ? Celle du vendeur. Rien de naturel là -dedans, si ce n’est l’illusion du libre mouvement.
Il s’agit là d’une « soumission librement consentie ». On donne à l’autre l’illusion du choix, afin que celui-ci aille en notre sens, se soumette à ce qu’on lui indique. Méfiez-vous des gens qui vous dissent « vous être libre de… » ou de tout autre formule de ce type.
Et effectivement, ce qui est redoutable avec la technique du Pied dans la porte, c’est qu’elle nous donne l’illusion de la liberté, puisqu’à chaque étape « nous avons le choix », sauf que ces étapes sont progressives et calculés, diminuant peu à peu notre puissance de refus et de rétractation.
Écoutez bien ce que nous dit ensuite le monsieur dans cette vidéo:
« Je le fais valider à chaque fois que c’est possible, que le process lui convient bien, et à chaque fois qu’il dit oui, en fait il se met un frein à la marche arrière ».
C’est de la pure manipulation, appelons un chat un chat ! Ce qu’il nous présente là , c’est le Pied dans la Porte.
Oui, mais ça fait vendre ! Ça marche !
C’est vrai ! Il est juste dommage que le chiffre et la performance prennent le pas sur l’éthique.
Remerciements
Je remercie ceux qui nous suivent et nous soutiennent. Votre soutien est vraiment déterminant, plus que vous l’imaginez, car c’est à la fois un sacré boost et un vaccin contre les petits coups de blues que l’on rencontre parfois sous l’effort déployé d’un projet.
Merci aux « forumeurs » !
Merci Ă supertraducteur pour son expertise.
Merci Ă Wassyl <3
Merci aux tipers !
Et un gros merci à Nico de la chaîne Pilote.
Je ne peux que vous conseiller, vous inciter même sous la menace de mon courroux, à aller faire un tour sur sa chaîne où il parle, sans Pied dans la Porte, de séries télé !
https://www.youtube.com/channel/UCvHft8Duo4NaHsxQr2l9TOA
Sources
- Psychologie de la manipulation et de la soumission, Nicolas Guéguen, Dunod, 2002
Un ouvrage de référence, l’auteur y fait notamment la synthèse des expériences sur le Pied dans la Porte et tout autre technique de manipulation de ce type (pied dans le nez, pied dans la bouche…). - Freedman, J. L., & Fraser, S. C. (1966). Compliance Without Pressure: The Foot-in-the-Door Technique. Journal of Personality & Social Psychology, 4, 195–202.
L’article d’origine présentant les deux premières expériences. - Guéguen N. & Fischer-Lokou J. (1999), Sequential request strategy: effect on donor generosity. The Journal of Social Psychology, 139(4), 669-671.
L’article présentant la troisième expérience.
Pour aller plus loin, on vous conseille.
- Robert Cialdini, Influence et Manipulation, First, 1990
- Jean-Léon Beauvois, La soumission librement consentie, Presses Universitaires de
France, 1998 - Jean-Léon Beauvois, Les influences sournoises, François Bourin, 2011.
- Nicolas Gueguen, 100 petites expériences en psychologie du consommateur, Dunod,
2005. - Et bien sûr, on parle aussi du Pied dans la Porte dans L’homme formaté (p100) ; disponible en ebook ou en PDF
- Tous manipulés :
Il existe aussi ce livre qui parle du sujet de la manipulation. Assez intéressant et très facile à lire, je le recommande à tous:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Petit_trait%C3%A9_de_manipulation_%C3%A0_l'usage_des_honn%C3%AAtes_gens
Je pense que vous connaissez dĂ©jĂ mais comme vous ne l’avez pas citĂ©, je me pose la question: peut-ĂŞtre avez vous une raison?
Oui en effet on le connais. On a prĂ©fĂ©rĂ© de très loin « promotionner » les autres ouvrages de Beauvois qui sont Ă notre beaucoup plus intĂ©ressants, plus joyeusement « piquants ». Pour ceux qui connaissent dĂ©jĂ bien Beauvois, je recommande aussi « les illusions libĂ©rales, individualisme et pouvoir social » que nous lisons actuellement (mais le rapport avec le pied dans la porte est très lointain 🙂 ) Pour un ouvrage gĂ©nĂ©ral vulgarisant la manipulation, je conseillerais plus celui de Cialdini qui le mĂ©rite de donner des solutions pour contrer les manipulations et qui extremement chaleureux dans son Ă©criture. Si on veut du solide, des stats Ă la pelle, des preuves, des arguments d’autoritĂ© ou tout simplement qu’on Ă©tudie soi-mĂŞme le sujet, le manuel de GuĂ©guen est parfait pour cela.
Mmmm, un truc que je me demandais du coup, est-ce qu’il y’a eu des enquĂŞtes sur l’efficacitĂ© du tĂ©lĂ©marketing. Que ça soit des trucs qui filtrent de l’intĂ©rieur des boĂ®tes qui le pratique ou des Ă©tudes menĂ©es par des sociologues, je dois avouer que si vous avez des infos lĂ dessus ça m’intĂ©resserait Ă©normĂ©ment (et ouais j’fais un peu une fixette lĂ dessus dĂ©solĂ© x3).
PS: Par le chemin, comme dirait la traduction Raffarin, j’ai vu l’autre coup qu’il existait un dispositif pour se protĂ©ger du dĂ©marchage tĂ©lĂ©phonique (liste orange, qui ne marche pas d’ailleurs); et que le gouvernement comptait le remplacer pour un truc plus performant ( http://www.economie.gouv.fr/loi-consommation/mesure/lutte-contre-demarcharge-abusif (bon mĂŞme si ça parle un peu pour ne rien dire mais de ce que je me souviens c’Ă©tait un peu moins fragile que cette minable liste orange)). Bon…. heu après, mes dĂ©ductions et pensĂ©es sur le sujet sont d’un anticapitalisme crade et basique… mais bon… DĂ©jà ça marchera pas puisqu’Amazone et ses potes continueront d’envoyer les numĂ©ros en loucedĂ© pour arrondir les fins de mois (et c’est extrĂŞmement dur Ă prouver sans flagrant dĂ©lit ça, mĂŞme si c’est une rĂ©alitĂ© fantastiquement hors la loi…) ouais les dĂ©duction j’arrive!
PPS des dĂ©ductions anticapitalistes basiques et crades de BB: Le soucis, c’est que le tĂ©lĂ©marketing ne produit rien et ponctionne de l’argent partout, alors rendre cette pratique, inutile et nocive Ă la sociĂ©tĂ©, illĂ©gale serait bien plus rapide et nettement plus Ă©conomique pour tout le monde (sauf pour les boĂ®tes incapables de vendre quoi que ce soit sans, littĂ©ralement, abuser des gens). En gros, ce que produit le tĂ©lĂ©marketing, et est vendu par ce biais sont des produits et services trop mauvais pour ĂŞtre consommĂ©s naturellement… et comment marche la vente Ă la base? Hein? è.Ă© En proposant un bon rapport qualitĂ© prix et/ou en rĂ©ussissant sa communication autour de son produit (bordel Ă cul); de prĂ©fĂ©rence de manière morale et honnĂŞte, sinon l’image de la boĂ®te est pourravĂ©e et la boĂ®te coule en vomissant du sang (Ă savoir que ça, c’est dans un idĂ©al oĂą le capitalisme est moral (xptdr de lelilolz))… enfin bon, bref, tout les tĂ©lĂ©marketeux venez me faire un gros câlin, je vous sers une bière et on en cause.
*Se sert un grand verre de rhum planteur*
NamĂ©ho è.Ă© je m’Ă©nerve encore tout seul comme un animal, s’pas possible!
Il faudrait aller farfouiller dans le rayon marketing d’une BU pour des chiffres prĂ©cis, voire mĂŞme dans les bases de donnĂ©es Ă disposition des Ă©tudiants. J’ai lu le livre d’une journaliste infiltrĂ©e qui a eu une expĂ©rience en tĂ©lĂ©marketing, mais je ne pense pas que cela t’apprendra quelque chose, tu connais dĂ©jĂ ce qu’elle raconte : Elsa Fayner, Et pourtant je me suis levĂ©e tĂ´t, Editions du Panama, 2008.
Bonjour,
Je voulais juste ĂŞtre chiant et dire que 22,2% ou 52,6% de 36 personnes… c’Ă©tait pas vraiment possible.
(Oui, si j’Ă©tais honnĂŞte intellectuellement je pourrais postuler qu’il s’agit de moyennes car l’expĂ©rience a Ă©tĂ© effectuĂ©e Ă plusieurs reprises, mais d’une part j’en suis pas sĂ»r mais surtout c’est moins drĂ´le.)
Quitte Ă ĂŞtre lĂ j’en profite pour vous faire des bisous c’est chouette c’que vous faĂ®tes.)
Hey!
C’est 8/36 et 20/36.
Des bisoux!
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