đŸŽ„ XP Horizon #6 : Pourquoi celui qui pose les questions paraĂźt souvent plus malin que celui qui doit y rĂ©pondre ?

Les journalistes vous semblent plus compĂ©tents que ceux et celles qu’ils interrogent? Julien Lepers ou tout autre prĂ©sentateur de jeu de culture gĂ©nĂ©rale vous semble ĂȘtre trĂšs cultivĂ© ?

Sur peertube :

Sur viméo :

Si oui, vous avez fait l’expĂ©rience de l’erreur fondamentale d’attribution, connue aussi sous le nom d’effet Julien Lepers !

L’erreur fondamentale d’attribution fait partie de la grande famille des biais cognitifs, c’est Ă  dire de ces processus qui nous mĂšnent Ă  l’erreur, et nous conduisent par exemple Ă  valider des prĂ©jugĂ©s.

L’erreur fondamentale d’attribution consiste Ă  surestimer les causes internes au dĂ©triment des causes externes. Nous vous en avions dĂ©jĂ  parlĂ© sur le site, notamment dans ce dossier « PĂŽle emploi, au cƓur d’un formatage« .

Dans cet épisode, nous présentons deux expériences : celle de Ross, Amabile et Steinmez en 1977 ; et Jones et Harris en 1967.

L’expĂ©rience de culture gĂ©nĂ©rale

Cette expĂ©rience s’est tenue Ă  l’universitĂ© de Stanford, avec 36 sujets (paritĂ© homme/femme). Il s’agit de reproduire une sorte de jeu de culture gĂ©nĂ©rale (quiz game).

On nous pose souvent la question du nombre peu Ă©levĂ© de sujets dans une expĂ©rience en psychologie sociale. 36 sujets, cela paraĂźt peu, cependant l’expĂ©rience est menĂ©e de telle sorte Ă  ce que cet Ă©chantillon soit suffisant pour obtenir un rĂ©sultat pertinent et scientifiquement recevable. De plus, une expĂ©rience en psychologie sociale est souvent reproduite, parfois par d’autres chercheurs, dans des contextes et avec des variables diffĂ©rentes. Ces rĂ©pliques viennent ainsi valider ou invalider les rĂ©sultats originels. En ce qui concerne l’erreur fondamentale d’attribution, ou effet Julien Lepers, les expĂ©riences et recherches diverses ont validĂ© les rĂ©sultats de cette prĂ©sente expĂ©rience. Pour plus de dĂ©tails sur les biais d’attribution, vous pouvez consulter cet ouvrage, qui a Ă©tĂ© l’une de nos sources principales pour cette vidĂ©o :

Des attitudes aux attributions, sur la construction de la réalité sociale J.C Deschamps et J.L Beauvois, presses universitaires de Grenoble.

Dans la vidĂ©o, j’ai inclus deux Ă©tapes d’expĂ©rience en une seule : dans un premier temps, ce sont les participants qui Ă©valuent et s’autoĂ©valuent ; dans un deuxiĂšme temps, ce sont les spectateurs qui sont Ă©valuĂ©s.

Pour plus de dĂ©tails, je vous invite Ă  vous rĂ©fĂ©rer Ă  l’article original dans les sources ci-dessous.

Deux participants tirent au hasard quelle sera leur rÎle dans le jeu : celui de questionneur ou celui de questionné. Ce mode de sélection de rÎles est important, car il institue la cause externe, le rÎle occupé par chacun membre, indépendant de la personnalité ou des compétences de chacun.

On laisse ensuite une quinzaine de minutes au questionneur pour prĂ©parer ses 10 questions : celles-ci ne doivent ĂȘtre ni trop simples, ni trop compliquĂ©es. Comme vous le savez, l’important dans cette expĂ©rience n’est pas tant la rĂ©ussite ou l’échec du questionnĂ©, mais l’impression de l’un et l’autre sur leur culture gĂ©nĂ©rale. Pourquoi alors demander au questionneur de rĂ©diger les questions ? Pour l’impliquer d’une part, mais surtout pour maximiser le rapport asymĂ©trique : c’est le questionneur qui mĂšne la barque, il rĂ©dige des questions dont il connaĂźt forcĂ©ment les rĂ©ponses. On lui aurait imposĂ© des questions dĂ©jĂ  rĂ©digĂ©es, la situation aurait Ă©tĂ© tout autre puisque le questionneur n’Ă©tait pas lui-mĂȘme apte Ă  connaĂźtre les rĂ©ponses. Or, dans ce cas de figure, le doute ne se pose pas.

Ensuite, le jeu se déroule comme un jeu classique de question/réponse :

  • Le questionneur pose sa question.
  • Si le questionnĂ© donne la bonne rĂ©ponse, le questionneur lui indique qu’il a bien rĂ©pondu et passe Ă  la question suivante.
  • Si le questionnĂ© donne la mauvaise rĂ©ponse, le questionneur lui indique la bonne rĂ©ponse et passe Ă  la question suivante.

Une fois le jeu fini, on donne au questionneur et au questionnĂ© un formulaire oĂč ils doivent Ă©valuer leur partenaire (hĂ©tĂ©ro-Ă©valuation) et s’Ă©valuer eux-mĂȘmes (auto-Ă©valuation).

Pour les besoins de la vidĂ©o, nous avons reproduit ces formulaires. Ce ne sont pas des originaux, ils ont Ă©tĂ© conçus uniquement pour l’illustration visuelle :

De la mĂȘme maniĂšre, les spectateurs seront interrogĂ©s :

Voici les résultats :

50 étant la culture générale moyenne, 100 étant « bien meilleur que la moyenne » et 1 « bien pire que la moyenne »

Évaluation par les questionneurs :

  • HĂ©tĂ©ro-Ă©valuation = 50.6
  • Auto-Ă©valuation = 53.5

Évaluation par les questionnĂ©s :

  • HĂ©tĂ©ro-Ă©valuation = 66,8
  • Auto-Ă©valuation = 41,3

Évaluation par les spectateurs :

  • Évaluation questionneur = 82,08
  • Évaluation questionnĂ© = 48,92

Par ces rĂ©sultats, une tendance se dĂ©gage : systĂ©matiquement, le questionneur paraĂźt plus cultivĂ© que le questionnĂ©. Pour le dire autrement, les causes externes (l’attribution des rĂŽles au hasard, le rapport asymĂ©trique) semblent peu prises en compte, sauf peut-ĂȘtre pour l’Ă©valuation par les questionneurs ; les participants sont jugĂ©s selon des causes internes, personnelles.

L’expĂ©rience de Castro

L’expĂ©rience est rĂ©alisĂ©e par Jones et Harris en 1967. Ce qui est intĂ©ressant via cette expĂ©rience, c’est qu’il n’Ă©tait pas question initialement de mettre le doigt sur un tel biais. Les rĂ©sultats n’Ă©taient pas du tout ceux attendus, ce qui a permis Ă  Jones et Harris de mettre le doigt sur ce qu’on nommera « l’erreur fondamentale d’attribution ».

L’expĂ©rience consiste encore une fois Ă  mesurer l’impression d’un groupe d’Ă©tudiant. On leur fait Ă©couter deux discours rĂ©digĂ©s par deux auteurs diffĂ©rents. Le premier discours est en faveur de Castro, le deuxiĂšme en dĂ©faveur de Castro.

Dans une premiĂšre condition, on informe les Ă©tudiants que les deux discours ont Ă©tĂ© Ă©crits librement par les auteurs. On leur demande ensuite de dĂ©terminer l’auteur du discours selon qu’il soit ou non en faveur de Fidel Castro, 0 Ă©tant en dĂ©faveur de Castro, 70 en faveur de Castro.

Voici les résultats :

  • Le discours pro-castro obtient 59,62
  • Le discours anti-castro obtient 17,38

Dans une deuxiĂšme condition, et je prĂ©cise que les expĂ©rimentateurs interrogent un autre Ă©chantillon que la prĂ©cĂ©dente condition, on informe les Ă©tudiants que les discours ont Ă©tĂ© imposĂ©s. On s’attendrait donc Ă  ce que ces deux discours obtiennent un score Ă  peu prĂšs identique entre l’un et l’autre auteur. Or, une nette diffĂ©rence persiste :

  • Le discours pro-castro obtient 44,10
  • Le discours anti-castro obtient 22,87

On remarque donc que les Ă©tudiants maintiennent encore la cause interne : alors que le discours est imposĂ© indĂ©pendamment des convictions des auteurs, on attribue Ă  l’auteur pro-castro une tendance en faveur de Castro, et pour l’auteur anti-castro une tendance en dĂ©faveur de Castro.

Vous retrouverez l’article original ici de l’expĂ©rience Ross, Amabile et Steinmez ici : https://www.gwern.net/docs/1977-ross.pdf

Ainsi que l’expĂ©rience de John et Harris de 1967, ici : http://www.radford.edu/~jaspelme/443/spring-2007/Articles/Jones_n_Harris_1967.pdf

Sources

  • L’allĂ©geance : un principe des logiques d’aide Ă  l’insertion professionnelle, Lionel Dagot et Denis Castra  https://osp.revues.org/3362
  • Des attitudes aux attributions, sur la construction de la rĂ©alitĂ© sociale J.C Deschamps et J.L Beauvois, presses universitaires de Grenoble
  • Article original de l’expĂ©rience princeps : https://www.gwern.net/docs/1977-ross.pdf
  • https://www.canal-u.tv/video/les_amphis_de_france_5/l_erreur_fondamentale_d_attribution.3075
  • Jean-LĂ©on Beauvois, Les illusions libĂ©rales, individualisme et pouvoir social. Petit traitĂ© des grandes illusions
  • 150 petites expĂ©riences de psychologie des mĂ©dias, SĂ©bastien Bohler, Dunod, 2008
  • The Attribution of Attitudes. EDWARD. E. JONES. AND VICTOR A. HARRIS , 1967
  • reproduction de l »expĂ©rience :

Chayka Hackso Écrit par :

Gardienne de l'Ăźle d'Horizon, grande prĂȘtresse du culte du caillou. Si vous souhaitez nous soutenir c'est par ici : paypal ♄ ou tipeee ou ♣ liberapay ; pour communiquer ou avoir des news du site/de la chaĂźne, c'est par lĂ  :

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