▲ Hommage

J’avais envie de rendre hommage à Matthieu Gallou, mon ancien prof de philo, décédé hier ( https://www.letelegramme.fr/finistere/brest/a-brest-le-president-de-l-universite-de-bretagne-occidentale-matthieu-gallou-est-decede-14-12-2022-13241623.php ). Il s’agissait d’une personne sans qui je n’aurais probablement pas pu aller aussi loin, pas seulement dans mes études mais plus globalement dans mes autres projets.

Cet article est initialement un thread publié ici : https://twitter.com/ChaykaHackso/status/1603325270576046080 

Fin lycée, mon profil ne fléchait absolument pas vers la poursuite d’études en philo. Je partais avec pas mal de lacunes (je n’avais pas été très studieuse au lycée, c’est le moins qu’on puisse dire).

Je ne me sentais donc pas légitime, avec un gros syndrome de l’imposteur. J’avais choisi philo par curiosité, envie (notamment car intéressée par certaines thématiques), absolument pas par stratégie avec un projet en tête, encore moins par cohérence avec mes points forts.

C’est là que j’ai rencontré Gallou. Il fut l’un de ses enseignants, atypiques, qui me rassura à plus d’un titre, très sérieux sans se prendre au sérieux, très précis et exigeant tout en étant bienveillant, soutenant et jamais cassant ou méprisant. Il pouvait être très sévère dans sa notation, mais savait se montrer très encourageant.

Il abordait la philo antique de manière vivante, loin des clichés et préconçus qui s’étaient immiscés au lycée dans les plis de mon cerveau : la philo antique était passionnante, décapante, amusante, parfois rock’n’roll.

Niveau méthodo, il a su donner les bons outils. La fameuse dissert de philo, si difficile à maîtriser, encore plus à la fac. Cette épreuve qui me rendait si anxieuse, ça m’a beaucoup apporté, grâce à quelques clefs simples, accessibles, le genre d’infos que j’aurais tellement voulu avoir au lycée.

Elle est progressivement devenue l’un des exercices où je me suis sentie de plus en plus à l’aise, jusqu’à m’en passionner. Ce terrain anxieux était devenu un terrain rassurant car propice au déploiement d’idées, de connaissance, et surtout de liant. Du tissage avec des connaissances et des idées, voilà ce que j’ai appris à faire.

Ayant un job à côté, et voulant expérimenter d’autres voies, j’ai mis en pause mes études au milieu de ma licence. Gallou m’a beaucoup aidé durant cette période, soutenant mes expérimentations parfois hasardeuses telles que la réalisation de courts-métrages.

Durant cette pause dans mes études, on s’est beaucoup vu : on discutait ciné (je crois me souvenir qu’il était particulièrement fan de D. Lynch) et parfois on partait dans des projets ubuesques, comme cette parodie de Dallas. J’ai eu avec lui l’un de mes plus gros fous rires une nuit à 2h du mat, sur une simple photo de cheval, entre 2 parties de Guitar Hero.

J’ai finalement repris mes études, cette fois avec beaucoup plus d’aplomb. Je pensais m’arrêter à la licence, finalement je poursuivis, m’aventurant vers les rivages de la philo antique, en partie grâce à lui car il avait été de ceux qui m’avait permis d’envisager un environnement de travail non écrasant pour un profil comme le mien.

Le syndrome de l’imposteur je l’avais toujours (je l’ai encore), mais c’est grâce à des gens comme Gallou que je n’en suis plus paralysée. J’ai appris avec des gens comme lui qu’on peut être très sérieux, sans se prendre soi-même au sérieux ; qu’on peut être très rigoureux, sans en devenir rigide ; qu’on peut suivre une méthode sans en être tributaire, qu’au contraire cela peut nous donner davantage de souplesse et de liberté (un cadre n’est pas un bornage), qu’il ne s’agit pas de la respecter aveuglément, mais de se l’approprier avec autonomie ; qu’on a le droit durant ses études de ne pas aller en ligne droite, qu’on peut suivre des voies divergentes ; qu’on a le droit d’arriver sans honte à la fac malgré toutes ses lacunes.

Des profs écrasants et méprisants, j’en ai rencontré beaucoup et j’en rencontre encore ; il en fût l’opposé. Sans des profs comme lui, je n’aurais jamais poursuivi mes études ; je n’aurais sans doute jamais pu déconstruire ces fausses croyances que j’avais accumulées sur moi-même, quant à mes capacités (et surtout absence de capacité).

J’aurais sans doute acté ce qu’on m’avait laissé entendre au lycée : la philo, ce n’est pas pour moi ; suivre un parcours universitaire, ce n’est pas pour moi ; suivre un cursus sans objectif professionnel précis, principalement par curiosité et envie, ce n’est pas sérieux, etc.

Je regrette de ne pas avoir pu le revoir ces dernières années, juste pour lui dire merci, merci pour tout cela. Je voulais donc lui rendre hommage, et à travers lui rendre hommage à tous les enseignants soutenant et rieurs, qui encouragent et stimulent la pensée et les cheminements divergents.

Chayka Hackso Écrit par :

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Un commentaire

  1. Noren
    9 février 2023
    Reply

    J’aime beaucoup cet hommage. Je trouve que votre analyse d’article parue aujourd’hui sur tweet lui fait un bel écho, une sorte de réponse de la bergère au berger qu’il a été. Ce remarquable enseignant a contribué à porter la personne qui produirait un jour cette lecture analytique d’article. Pour le plaisir du jeu de langage: ce monsieur semble bien avoir eu une croyances, vis-à-vis d’étudiants (en plus correctement dit, de la confiance, en fait, non?): il avait « raison » d’avoir eu cette « croyance ». Voilà pourquoi cet hommage me plaît beaucoup.

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