Disons-le sans détour ni circonvolutions, nous sommes admiratifs des Yes Men : maître du hacking social, ils ont une audace et un génie qui porte ses fruits. Hacktiviste, activiste, artistes, profondément nourris et imbibés de culture jamming, ils excellent dans cet art si particulier du jeu de la ruse activiste.
Quel est le meilleur moyen de révéler les limites (ou l’absence de limites) morales de quelqu’un ?
Pour qui s’est exercé au trolling sur le Net, la réponse est facile à trouver : il suffit de poster un commentaire extrême et de voir les réactions. Par exemple, si vous souhaitez savoir s’il existe des végétariens extrémistes intolérants, vous pouvez jouer son rôle à l’extrême et dire « je ne sais pas comment font les mangeurs de viande pour se regarder dans le miroir, ce sont des meurtriers, ils détruisent la planète, torturent les animaux et en plus ils ne se sentent même pas coupables ! heureusement, la nature est bien faite… Infarctus, cancers… Bien fait pour leur gueule !« . En principe, cela devrait réveiller les végétariens tolérants qui répliqueront par un discours bien plus doux, sans haine pour les mangeurs de viande. Les non-végétariens vont s’énerver, contre-troller et peut-être que des végétariens haineux vont se révéler, à moins que ce ne soient d’autres trolls voulant jouer.
C’est ce que font les Yes Men en adoptant le costard du néolibéralisme extrême, « décomplexé », acceptant le risque de tuer des centaines de personnes pour faire plus de profit.
On vous conseille vivement de prendre une partie de votre soirée pour regarder leur travail, cela en vaut vraiment la peine et c’est en plus loin d’être sinistre : certaines prestations des Yes Men sont à se rouler par terre, d’autres épatantes d’audace. On parie que ça vous arrachera un « WTF » :
Leur trolling IRL ne se déroule pas comme sur Internet, non, c’est bien pire. Malgré leur exagération du libéralisme extrême se contrefoutant de la vie de milliers de personnes, aucun spectateur n’est ouvertement choqué, personne ne s’insurge ni les rappelle à un minimum d’éthique : pire que tout, certain business man se montrent particulièrement intéressé par les outils permettant de calculer le « nombre de morts acceptables » en vue d’un gros profit.
L’action des Yes Men révèle alors les extrêmes, leur absence totale d’empathie, leur adoration sans limites pour l’argent. Elles prouvent que ces grands groupes privés sont à la fois crédules, sans morale, sans finesse d’esprit, voire carrément idiots.
Ce qui n’ a pas été dit dans la vidéo, c’est que les Yes Men ont déjà essuyé un échec (qui est en fait une réussite morale) :
« Devant l’absence de réaction des assemblées, les Yes Men décident de pousser le canular plus loin. Ils le testent sur des étudiants. Lors d’une présentation dans un amphithéâtre, ils distribuent des hamburgers puis énoncent la thèse suivante : la famine dans le tiers monde est un problème pour l’OMC car les personnes qui meurent de faim travaillent mal et produisent peu de richesses. L’OMC propose donc une solution économique : munir les pauvres en filtres permettant de recycler les excréments pour en faire de la nourriture. Ils expliquent qu’un partenariat s’est fait avec McDonald’s et qu’il pourrait être judicieux de construire des pipelines important des pays riches la matière première.
Cette fois-ci, l’assemblée réagit, d’autant plus qu’elle apprend que les hamburgers qu’elle mange sont ces produits expérimentaux. Les Yes Men se font huer, quelqu’un élève la voix : « Monsieur, je ne nourrirais même pas mon chien avec ça, et c’est à des êtres humains que vous voulez donner ça ! »
De ces expériences, les Yes Men concluent que les étudiants sont plus intelligents que les précédents parterres de gens qu’une éducation néolibérale a rendus dociles ou inattentifs à n’importe quelle idée qui leur est proposée. » wikipédia
Certaines opérations des Yes Men poussent au démenti les organisations, c’est-à-dire qu’ils les poussent à réaffirmer haut et fort leurs décisions immorales (Dow chemicals dans la vidéo) : c’est une action très efficace dont parle également l’ouvrage « communication guérilla » et qui peut se mener de différentes façons, en lançant des faux courriers, des faux communiqués, des fausses informations à la presse. Ces techniques « d’incitation au démenti » ont le mérite de faire répéter clairement les intentions et révéler ce que ne fera pas l’organisation, un parti, une municipalité…
Mais parfois pas besoin d’aller aussi loin qu’avec Dow Chemicals pour révéler le fond de la pensée d’un puissant, une simple interview peut suffire :
Résumons un peu ce que nous apprennent les Yes Men :
– L’habit fait le moine : un costard, un brin de roleplay peut suffire à faire le personnage, à ce que le public lui accorde son statut et ne cille même pas quand on lui présente ce genre de costume :
– C’est également la soumission à l’autorité couplée à un contexte de groupe (plus l’humain est rassemblé en groupe, moins son esprit est critique, moins ses facultés de raisonnement et son empathie sont à l’œuvre, cf l’effet spectateur ou témoin) qui font que les Yes Men arrivent à faire des discours exagérément gros sans que personne ne réagisse. Cependant l’expérience du « big mac » montre que certaines populations sont moins soumises à l’autorité et savent réveiller leur esprit critique même en groupe.
– le trolling (jouer un rôle dont les convictions sont poussées à l’extrême en vue notamment de provoquer des réactions contraires salvatrices) est extrêmement efficace à bon nombre de niveaux.
– L’incitation au démenti ou l’annonce de fausse bonne nouvelle révèle les véritables volontés d’une organisation. Cette révélation n’est pas sans conséquence, Dow Chemicals a vu son action baisser de 3% lors de l’intervention des Yes Men. L’incitation au démenti est donc une arme véritablement efficace.
À noter qu’un autre film est en préparation :
Bhopal, la.plus grande catastrophe industrielle/humaine de tous les temps?
Pffffff! Moi qui hésitais entre Macdo et Coca…
Sinon, excellent, comme d’habitude…
Salutations…
PS: Je n’ai rien à ajouter. C’est pour cela que je saute des lignes. Ça meuble.
Pour l’exemple des végétariens, ce n’était absolument pas pour parler du végétarisme ; l’idée était de prendre un exemple peu probable, pas trop politisé juste à titre d’illustration, pour se faire une image du mécanisme du trolling. Y a pas de jugement là dedans, ni des végétariens, ni des mangeurs de viande. Cependant, oui peut être que j’aurais du prendre un exemple encore moins sujet à discussion, car j’ai vu après coup qu’il existe des vrais duels à ce sujet.
Après, nous ne disons pas que la tolérance va dans les deux sens ; des mondes totalement différents ne fonctionnent pas du tout dans les mêmes mécaniques de croyances, de point de vue donc c’est en effet difficile de mettre en parallèle la notion de tolérance chez l’un ou chez l’autre.
l’exemple du trolling est circonstanciel : on peut modifier les circonstances pour appeler certains à dire des opinions qu’il n’aurait pas dit autrement et faire produire, par exemple sous un article, un débat d’opinions qu’on a orienté (en jouant le troll) ; le débat produit orientera le lecteur et changera l’opinion au sujet de l’article.
Est-ce que cette explication a clarifié nos propos ?
Je vais consulter le PDF en lien, y a des titres alléchants, merci ! 🙂
Merci pour cet article, j’adore profondément les Yes Men. Leur action sur Bhopal était effectivement extrêmement intelligente.
Je suis en revanche un peu étonné par votre exemple sur les « végétariens extrêmistes intolérants ». Je pense premièrement qu’une réflexion est à mener sur la notion d’extrêmisme (j’évite toujours d’employer ce terme) : Je vous conseille à ce sujet l’article « le culbuto, l’effet bof et autres Ni-Ni » dans le n°1 de La Traverse: (p.50 dans ce pdf) http://www.les-renseignements-genereux.org/var/fichiers/textes/LaTraverse_RG_1.pdf
Par ailleurs je ne suis pas d’accord avec cette idée communément partagée que la tolérance fonctionne dans les deux sens. Si un patron de Dow Chemichals venait dire à des activistes « J’exploite des personnes, vous ne le faites pas. C’est votre choix, je le respecte, donc respectez le mien », on comprendrait bien que l’utilisation de la tolérance réciproque ici n’est pas pertinente. Il en va de même lorsqu’il s’agit de végétarisme et d’omnivorisme. C’est du moins ma position. Je suis prêt à en discuter avec vous, avec plaisir :).
[…] codes. Le hacker est alors dans une démarche ludique et poétique. Il détourne. Par exemple, les Yes-men, des activistes qui jouent avec les apparences et les codes, qui par le jeu parviennent à […]
Bonjour,
je découvre votre site avec beaucoup de plaisir, ce qui m’occupe pas mal de temps étant donné la taille des articles 🙂
En revanche j’émettrais une réserve sur une de vos « conclusions » de cet article : quand vous dites « Cependant l’expérience du « big mac » montre que certaines populations sont moins soumises à l’autorité et savent réveiller leur esprit critique même en groupe. »
En effet, avez-vous envisagé que la réaction soit due à d’autres facteurs que la population ciblée ? Je m’explique, en effet les étudiants réagissent, mais l’expérience n’est pas la même que celle soumise aux autres groupes de gens. La principale différence est que là on touche directement les personnes en leur faisant croire qu’elle vont manger quelque chose qui parait répugnant. Or c’est peut être le sentiment d’appartenance qui a fait que ces étudiants se sont révoltés. Si on proposait aux autres populations de se faire exploiter peut être qu’elles auraient aussi des réactions négatives.
Quoi qu’il en soit votre conclusion me parait beaucoup trop hâtive.
Pour le reste, continuez !
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