⬛ Les extrêmes en politique, pourquoi ce n’est pas pareil

J’écris ce thread par rapport à ce qu’on réentend actuellement quant à l’idée que les extrêmes se rejoignent, que l’extrême gauche/extrême droite c’est du pareil au même.

Note : on le reporte sur le site pour la lisibilité (c’est parfois pas très évident à suivre sur twitter), pouvoir le partager ailleurs que sur twitter, et pour le conserver sur notre plateforme. Image d’entête provenant de Libé, vous pouvez la voir en entier ici :

Cette idée que les extrêmes se rejoignent a été abordée dans les études portant sur l’autoritarisme. Entre les années 50 & 80, il y a eu tout un débat quant à savoir si l’autoritarisme était associé à un type de contenu idéologique (droite ou gauche) ou si on pouvait envisager un autoritarisme général ( qu’on retrouverait tout autant de chaque côté).

Pour vulgariser (je prends ici des raccourcis), deux hypothèses se sont affrontées : 1.l’hypothèse d’un autoritarisme de droite, 2.l’hypothèse d’un autoritarisme des extrêmes.

1. L’autoritarisme est associé à des attitudes politiques précises dites de droite, en cela qu’elles correspondent à des valeurs normatives, maintien des inégalités, hiérarchisation de la société, fort conventionnalisme, agressivité envers les groupes considérés comme extérieurs.

Ou 2. l’autoritarisme n’est pas associé à un contenu idéologique précis, on retrouverait en quelque sorte une symétrie entre l’extrême gauche et l’extrême droite. Selon cette perspective, plus on s’approche du centre de l’échiquier politique, moins on est rigide et autoritaire.

Plusieurs modèles théoriques ont été proposés et testés (par exemple, la proposition du dogmatisme de Rokeach, 1960), mais paradoxalement ces travaux ont conduit à confirmer le lien entre autoritarismes et attitudes idéologiques de droite.

Le modèle d’un éventuel autoritarisme général n’a rien donné, et a même montré qu’on ne retrouvait pas du tout les mêmes caractéristiques entre les deux extrêmes, avec notamment l’extrême gauche qui obtenait des scores très bas au dogmatisme (par ex : Gordon Direnzo 1967b).

L’idée que les extrêmes auraient finalement des caractéristiques communes s’appuie sur cette croyance que les positions dites de centre serait synonyme de modération, d’ouverture… bref, de démocratie pour aller très vite.

Dans les années 80, Stone évoquait à ce propos un biais du centrisme  (Stone 1980) = toute position qui s’éloignerait du centre tiendrait du pathologique, biais qui contribuerait à maintenir un statut quo dans le paysage politique (ce qui n’a rien de neutre sur le plan idéologique).

En 1985, Sidanius va notamment mettre à l’épreuve cette théorie de l’extrémisme, ne trouvant aucun soutien à l’idée que les plus au centre auraient une meilleure complexité et flexibilité que les extrêmes (dans son étude, l’extrême gauche aurait même un niveau plus élevé).

Cette étude, comme d’autres, aboutit à soutenir la théorie d’un autoritarisme de droite (à l’extrême droite, il y a une moindre flexibilité, moindre tolérance à l’ambiguïté, et une relation forte avec l’ethnocentrisme).

Sidanius signale que le terme même d’extrême est trompeur et mène à des confusions car tout extrême est relatif au paysage politique du moment, à l’époque, le pays, la culture…

Une position jugée « extrême » à un instant T peut plus tard être considérée comme modérée (ex : être contre toute monarchie pouvait être considéré comme une position extrême par le passé).

Autrement dit, le terme d’extrémisme n’a de sens que dans un contexte limité, on ne peut en faire des catégories absolues, ce qui est extrême à une époque peut devenir modéré à une autre, et inversement.

Par conséquent, Altemeyer dans les années 70-80 travaillera sur l’autoritarisme (s’appuyant sur ces recherches et débats, notamment sur la théorie de l’extrémisme), corrigera l’échelle F, et nommera son approche RWA : Right Wing Authoritarism/ l’autoritarisme de droite.

On a parlé du RWA dans cet article : https://www.hacking-social.com/2019/09/02/mcq-le-potentiel-fasciste-lautoritaire-et-le-dominateur/

Précision importante : on parle d’attitudes idéologiques, non d’adhésions à un parti politique. On peut tout à fait adhérer à un parti dit de gauche et avoir un haut score au RWA (pour faire simple : l’autoritarisme à gauche est aussi un autoritarisme de droite selon Altemeyer).

Dans une perspective plus large, l’une des questions qui persistent à se poser en psycho pol est de savoir s’il y a symétrie ou asymétrie idéologique entre attitudes/comportements de gauche et de droite. Là dessus, on peut citer l’étude de Jost (2017) qui apporte une synthèse.

Une idéologie est un système de croyances socialement partagé, on y adhère selon de multiples facteurs (dispositionnels et situationnels) et nos croyances ne sont pas sans lien avec nos propres besoins psychologiques.

Adhérer à une idéologie peut offrir un sentiment de certitude, de réconfort, de sûreté, d’identité, etc. On peut dire qu’elles servent des fonctions psy (besoins épistémiques, existentiels, relationnels…).

Autrement dit, les contenus idéologiques de droite et de gauche répondent à des besoins et motivations différentes, n’ont pas la même résonance.

Il y a bien une symétrie idéologique en cela qu’on retrouve des processus commun des 2 côté du spectre (par exemple, polarisation, biais pro-endogroupe…), mais il y a bien une asymétrie en cela qu’on observe des caractéristiques spécifiques avec des effets différents.

Par exemple, le dogmatisme, le besoin personnel de structure (hiérarchie, ordre…), de conformisme, le sentiment de menace, sont plus forts à droite et particulièrement à l’autoritarisme de droite (extrême droite si vous préférez).

Résumé (ironique) des caractéristique de la personnalité autoritaire, plus d’infos ici : https://www.hacking-social.com/2017/01/16/f1-espece-de-facho-etudes-sur-la-personnalite-autoritaire/

Ainsi, on ne saurait dire que les extrêmes se rejoignent en cela qu’il y a une assymétrie idéologique très forte, qu’on ne peut donc pas parler d’autoritarisme de manière interchangeable entre la gauche et la droite.

Cette posture de mettre les extrêmes dans le même sac tient de ce biais que le centrisme serait la position la plus ouverte et modérée et la plus à même de faire obstacle à un autoritarisme que l’on imaginerait similaire à gauche comme à droite.

Or, dans le climat actuel, cette position des modérés, qui ramènent dos à dos les extrêmes, qui se pare parfois d’une certaine « neutralité » idéologique, alors qu’elle est profondément partisane, ouvre une voie royale à l’autoritarisme de droite.

Pour conclure : non les deux extrêmes de l’échiquier politique ne sont pas interchangeables, d’autant que ces deux extrêmes sont relatifs à son centre, centre qui en terme de valeur est déjà pleinement à droite :

l’autoritarisme de droite devient dès lors plus proche de ceux qui se disent modérés, les positions de gauche, même les moins extrêmes, pouvant leur apparaître exotiques.

A vous de décider pleinement selon vos résonances politiques et non selon cette quête illusoire de chercher une position faussement modérée, ou neutre.

Pour info, voici les mouvances d’extrême droite : 

 

Chayka Hackso Écrit par :

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16 Comments

  1. Anonyme
    10 juin 2021
    Reply

    Les sources ?

    • Viciss Hackso
      10 juin 2021
      Reply

      Elles sont dans le corps du message, presque à chaque paragraphe (nom de chercheur + date)

      • Anonyme
        13 juin 2021
        Reply

        Normalement, lorsque l’on choisit ce format de références, on met une bibliographie à la fin de l’article.

  2. Anonyme
    10 juin 2021
    Reply

    Pour un peu plus d’objectivités, pourrait on avoir le schéma des groupes d’extrème gauche ?

    Merci pour votre travail

    • Viciss Hackso
      10 juin 2021
      Reply

      Ce n’est pas vraiment le sujet, il ne s’agit pas de décrire tous les mouvements étiquetés extrême en général. Le sujet est l’autoritarisme de droite, et comment le l’extrême-centrisme concourt à valoriser malgré lui l’autoritarisme de droite.
      Ou alors il aurait fallu un schéma des groupes se disant d’extrême gauche mais qui en fait vantent un autoritarisme de droite (avec valorisation de l’inégalité, de la hiérarchie, de l’agressivité autoritaire, du conventionnalisme, de la soumission à l’autorité ; bref les caractéristiques du RWA d’Altemeyer et du SDO de pratto et sidanius), mais je n’en connais pas qui fasses une analyse si pointue. Alors que dans les partis et groupes d’extrême droite ou ouvertement fasciste, il y a une valorisation de ces thèmes et ils ne s’en cachent pas, donc autant les montrer.

      • Anonyme
        12 juin 2021
        Reply

        Merci pour la réponse !

  3. Anonyme
    11 juin 2021
    Reply

    Vraiment, merci d’avoir pris un peu d’avance par rapport à la sortie des vidéos sur l’autoritarisme. La vitesse de la montée de l’extrême droite est particulièrement inquiétante en ce moment, et plus encore : le fait que personne ne semble s’en rendre compte, ce à mon sens du fait d’un cruel manque de repères politiques.

    Ce texte fait donc un bien fou.

    • Viciss Hackso
      12 juin 2021
      Reply

      Merci <3

  4. 13 juin 2021
    Reply

    Et du coup vous pensez quoi de Costello et al 2021 (Clarifying the Structure and Nature of Left-wing Authoritarianism) ? (lien vers le pdf dans le champ url)

  5. Anonyme
    9 juillet 2021
    Reply

    Ce billet a l’air très motivé pour traiter les centristes de fascistes (« centre qui en terme de valeur est déjà pleinement à droite »), mais pas tellement pour aborder le centre du débat. Vous définissez la gauche comme l’abolition ou atténuation des hiérarchies sociales et la droite comme le maintien de celles-ci tout en plaçant les partis politiques sur un axe gauche−droite en suivant simplement les conventions culturelles françaises qui, il faut l’avouer, sont vachement arbitraires.

    Que les choses soient claires : les Marxistes−Léninistes, Stalinistes, Maoistes et Pol-Potistes, tous affiliés à l’extrême-gauche sur l’échiquier politique français, sont largement plus encleins à des attitudes autoritaires que les libertaires et néolibéraux qui sont pourtant affiliés entre le centre-gauche et la droite. Oui, un état totalitaire compte comme un hiérarchie sociale, et ce même s’il promet de s’auto-abolir (après une période indéfinie) pour laisser place à une société garantie sans hiérarchie. Je préciserais au passage que le socialisme en France est une idéologie politique relativement mal comprise au point où l’article Wikipédia français en donne une mauvaise définition. La plupart des « électeurs socialistes » en France sont en réalité affiliés à la démocratie sociale et n’ont pas la haine envers l’économie de marché et la propriété privée qui caractérisent le socialisme tel que défini dans les milieux académiques.

    Il ne faut pas se voiler la face : l’échiquier politique français est défini de façon purement arbitraire et il n’y a aucun parallèle sérieux entre celui-ci et l’axe gauche−droite que vous proposez. Puisque vous supposez quand-même un parallèle, tout l’argumentaire développé dans ce billiet est à côté de la plaque.

    • Anonyme
      2 août 2021
      Reply

      Le néolibéralisme est extrêmement autoritaire, mais d’un autoritarisme subtile. Comme le montre Barbara Stiegler, le Néolibéralisme considère que l’avenir n’a qu’une seule direction et donc que la seule solution est de s’adapter au changement. Le meilleur moyen pour le faire est simplement de fabriquer le consentement (« Manufaturing consent », W. Lippmann) avec des élections avec plusieurs candidats qui pensent la même chose.

      Le communisme libertaire est une branche de l’anarchisme. Plus à gauche tu meurs.

      Quant aux régimes communistes autoritaires dérivés du léninisme, quand ils arrivent au pouvoir leur seule envie c’est de le conserver. Sauf que accroitre son pouvoir, conserver la hiérarchisation de la société, c’est de droite. La gauche est alors un vague souvenir d’antan, et s’y substitue une logique de puissance. En illustration, qui pense que le parti communiste chinois actuel est de gauche ? En vérité personne. Pourtant il se dit communiste. Alors que les partis trotskistes en occident passent leur temps à faire des scissions, une pratique peu autoritaire.

  6. Caton l'Ancien
    19 août 2021
    Reply

    Bonjour.

    Je suis très intéressé par ces dossiers sur l’autoritarisme.

    Je me pose une petite question : comment on comprend le stalinisme dans ce modèle ? Je suppose qu’on peut contester que Staline ait été de gauche…

    Pouvez-vous préciser sur ce thème ?

  7. Anonyme
    25 août 2021
    Reply

    j’ai apprécié le tableau cronographique des courants idées
    je regrette qu’il n’y ait que la sphère de droite qui soit développer avec des postures d’amalgame dire que catholique = extrême droite
    c’est un raccourci triste je connais beaucoup de catho de gauche
    donc c’est de la caricature
    pourquoi il n’y a rien avec la gauche
    cela montrerai une objectivité intellectuelle

    c’est dommage car ce biais subjectif fait que je ne peux pas renvoyer ce travail

    • Viciss Hackso
      27 août 2021
      Reply

      il n’y a pas marqué « catholiques » mais « catholiques traditionnalistes » sur l’image, ce n’est pas une généralisation de tous les catholiques. Le schéma n’a pas pour but de faire un descriptif « objectif » de tous les courants politiques en général mais de cartographier l’extrême droite afin de lutter contre elle (le schéma vient de la horde).

  8. Anonyme
    25 mars 2023
    Reply

    Si le RWA peut dans un contexte non-occidental se retrouver dans des entités et personnes nominalement de gauche (Corée du Nord etc) alors pourquoi appeler ça « autoritarisme de droite » et pas autoritarisme tout court ?

    D’autant que l’adjectif « de droite » pourrait laisser à suggérer qu’il existe un autoritarisme qui ne soit pas de droite alors que justement pour la polpsy ce n’est pas le cas…

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