Sommaire de l'article
- « Les enfants sont indifférenciés »
- « Cette pédagogie confronte l’enfant au libre choix et pour certains enfants c’est très violent ».
- « Je suis très inquiète pour la notion de sens »
- « Elle a eu des moyens et avantages phénoménaux »
- « Elle se prend pour Jésus »
- « Traîtresse ! »
- « Elle n’a rien inventé de nouveau »
- La suite : [E4] La pédagogie Alvarez et Montessori à la solde du néolibéralisme ?… et autres critiques…
Céline Alvarez s’est-elle prise pour Jésus (mais également comme un Judas ayant trahi l’éducation Nationale) avec sa pédagogie insensée et chère, où les enfants étaient indifférenciés et violentés par trop de liberté ? On continue aujourd’hui à explorer des critiques au sujet de l’expérience éducative de Gennevilliers, dont certains auteurs semblent n’avoir pas lu le livre. Ces critiques sont néanmoins intéressantes pour réfléchir ensemble aux notions de sens, d’éducation individuelle, de hacking social et de traitement médiatique. Le titre de ce chapitre donne déjà un piste d’explication, qu’on approfondira progressivement.
Cet article est la suite de :
- [E1] La méthode Montessori, réactualisée : l’expérience de Céline Alvarez
- [E2] Diktat de la motivation, individualisme et Valeurs : critiques de l’expérience de Gennevilliers
Ce dossier est également en PDF ici : https://www.hacking-social.com/wp-content/uploads/2017/12/Methode-montessori-reactualis%C3%A9e-alvarez-1.pdf
Ce dossier est également en EPUB ici : Montessori_reactualisee___lexperience_de_-_Hacking_social
« Les enfants sont indifférenciés »
« Mais c’est surtout le projet social porté par la méthode Alvarez qui suscite le doute. Les enseignantes relèvent que les enfants sont socialement indifférenciés dans l’ouvrage de C Alvarez. Or les différences sociales sont très marquées dès la maternelle. “Il est aberrant de dire qu’un enfant pauvre et riche c’est pareil”, estime Leila Ben Hamouda. »
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/10/12102016Article636118549414752191.aspx
Au contraire, il me semble qu’il y a un fort respect et acceptation des différences : chaque enfant avait un suivi personnel, ses goûts et ses élans étaient encouragés, ses autodéfis respectés quand bien même ils paraissaient impossibles pour des questions d’âge ou qu’ils étaient « étranges». Chaque enfant était différencié, respecté dans ses différences, écouté et guidé en fonction de celles-ci. Il me semble au contraire que ce soit une critique qu’on puisse plus facilement adresser l’école classique que j’ai connue (donc on parle de 30 ans auparavant, je ne parle pas de la maternelle actuelle) : elle indifférenciait totalement les enfants, la volonté était de former une masse totalement uniforme qui se conformait, qu’importe si untel était laissé dans l’angoisse d’une trop haute difficulté ou si l’un était dans un ennui profond tant c’était trop facile pour lui. Les différences riches, comme des compétences, des élans particuliers, des goûts, des façons de percevoir les choses, les expériences étaient niées voire « interdites ». Par contre les différences pour lesquels les enfants n’y pouvaient strictement rien étaient accusées, stigmatisées, humiliées. Eh oui, les pauvres avaient un traitement différent basé sur la discrimination, l’humiliation ; oui les riches avaient un traitement différent, facilité, tolérant même leurs pires bêtises. C’était horrible.
Voilà pourquoi je trouve extrêmement inquiétant le fait de dire qu’il faut différencier les enfants selon le contexte social : cela me semble un précurseur à la discrimination, dangereux et parfaitement injuste. On a tous le droit à une éducation de même qualité et respectueuse, qu’importe d’où on vient.
Si cette volonté de « différenciation » est entendue comme « il faut prendre en compte les difficultés liées aux problèmes sociaux ou de langage » alors Alvarez et Bisch l’ont fait, dans l’échange individuel du matin, l’enfant pouvait partager ses émotions liées à sa vie hors école, et elles prenaient en compte cela, par exemple en autorisant les enfants à dormir ou se reposer lorsqu’ils en avaient besoin. Il y avait des enfants qui ne connaissaient pas la langue française, et ils ont pu l’apprendre à leur rythme tout comme les autres avec les activités qui le permettaient.
Rappelons que la classe était classée en « zone de violence » et ZEP, et Alvarez et Bisch n’ont pas noté de différences entre enfants aux conditions de vie plus riche d’un point de vue financier par rapport aux autres. Parce que les potentiels des personnes n’ont pas besoin d’être arrosés d’argent pour pousser, ils ont besoin d’étayage, d’attention, d’un environnement sécurisant (où ils peuvent être en confiance) ;dès lors, le développement peut se mettre en route.
Il me semble terriblement discriminant de penser que les enfants pauvres sont différents des enfants riches, dans leur mental et leur capacité à se développer. Pourquoi devrait-on en tant qu’adulte ou pédagogue avoir un comportement différent face à un enfant issu d’une famille riche ou pauvre ? Pourquoi ce critère ? N’est-ce pas plus intéressant de moduler son comportement face à la compétence et à l’élan de l’enfant plutôt qu’à des critères sur lequel ni l’enfant, ni l’enseignant n’ont de maîtrise ? N’est-il pas préférable d’écouter et prendre en compte sa singularité qui exprime « je veux compter jusqu’à 1000 ! » plutôt que la différence subie, comme peut l’être la pauvreté ?
Bref je trouve assez horrible le fait de se centrer sur une caractéristique pour laquelle l’enfant ne peut rien (qu’il soit riche ou pauvre) et non sur ce qui fait sa belle singularité.
« Cette pédagogie confronte l’enfant au libre choix et pour certains enfants c’est très violent ».
« L’idée d’un apprentissage naturel par l’enfant suscite beaucoup d’incrédulité. « C’est vrai pour certains enfants », explique Lilia Ben Hamouda. « Mais la plupart des enfants ont besoin d’être aidés ». Une idée partagée par Maeliss Rousseau. « Spontanément les enfants ne vont pas vers un matériel qui les fait progresser et qui donc les déstabilise ». « L’enfant a besoin de se sentir autorisé à apprendre », explique L Cabaret. « Cette pédagogie confronte l’enfant au libre choix et pour certains enfants c’est très violent ».
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Tout comme les animaux, l’enfant tend à apprendre par lui-même, notamment en jouant. L’adulte n’apprend pas à marcher ou à parler à l’enfant, il voit l’enfant qui babille, répète les syllabes, imite les mots puis parle ; il voit l’enfant qui tente de se faire rouler, exerce ses bras, se lève, s’accroche puis un jour lâche la main. L’adulte accompagne l’apprentissage, en répétant les mots, en articulant exagérément ; l’adulte accompagne en encourageant les premiers pas, soutient en tenant la main tant que nécessaire, etc. L’élan vient de l’enfant lorsqu’il n’a pas de pathologie particulière, et vraiment je ne vois pas en quoi c’est si étonnant.
Les enfants humains ont besoin de beaucoup d’aide et longtemps via l’étayage, parce que nous sommes des animaux relativement complexes qui avons construit un monde encore plus complexe, et c’est ce qui est fait dans la classe d’Alvarez, par les présentations, par le soutien, par tout ce qui est pensé dans l’environnement. L’enfant est autorisé à apprendre, les « déstabilisations » sont prises en compte, la douceur des présentations montre à quel point il y a un soin à rendre sécurisant le lieu, le matériel. Aucun fait, que ce soit dans les vidéos ou le livre n’illustre ces arguments que ce serait « violent ». Le libre choix est accompagné, guidé, pour les enfants parfois confus, de façon toute simple : en leur rappelant l’intérêt qu’ils avaient porté à telle activité ou telle présentation. L’indicateur est le goût, l’enthousiasme de l’enfant, et il lui est appris à remarquer ce qui l’enthousiasme pour qu’il puisse apprendre à faire un choix. Je ne vois nulle violence là-dedans.
La violence du « libre choix » ne me semble présente que lorsque le choix n’est pas libre, lorsqu’il est à injonction paradoxale, qu’il provoque un haussement de sourcil ou une désapprobation sociale de la part de l’environnement humain. Là oui, l’enfant va avoir peur de faire un choix, parce qu’il sent qu’il y a une « bonne » et une « mauvaise » réponse, parce que cela va l’amener à être jugé, etc. Si un choix est perçu comme violent ou terrifiant, c’est parce que l’enfant a été un jour puni, donc ce n’était pas un vrai choix, mais un piège évaluatif, manipulatoire et injonctif.
« La potentialité de la raison est en tout homme, mais son développement n’a rien de spontané ou de “naturel”. Pour qu’elle émerge chez l’enfant et se substitue à la pensée magique, le “petit d’homme” a besoin d’un guide pour sortir de ses représentations enfantines. Chez l’élève, l’acte d’apprendre est un bonheur mais également un arrachement. Il est nécessaire qu’un adulte alimente sa curiosité et aille au-delà de cette attente. Céline Alvarez nous promet du “naturel”, du “scientifique” et du “révolutionnaire”, ce qui satisfait aussi bien les bobos écolos que les progressistes scientistes. En réalité, concernant l’école, la seule véritable révolution toucherait à la cohérence et à la richesse des contenus d’enseignement, mais, malheureusement, à cela, personne n’est prêt. Céline Alvarez ? Rien de nouveau sous le soleil ! »
Là encore la critique ne tient pas sur un seul fait : Alvarez et Bisch ont aidé les élèves, les ont guidés. La forme de cette guidance est simplement différente : au lieu de partir de l’adulte qui dicte les savoirs, on part de la création d’un environnement optimal dans lequel on guide l’enfant pour qu’il y vive et s’y développe pleinement, l’adulte étant un guide plutôt qu’un chef.
« Je suis très inquiète pour la notion de sens »
« Je suis très inquiète aussi sur la question du sens », continue M Rousseau. C’est dans la confrontation avec le groupe, dans des activités communes que le sens des apprentissages se fait jour. L Cabaret relève aussi que cette confrontation est nécessaire aux acquisitions. Sinon l’enfant reste enfermé dans les exercices type Montessori sans faire le passage à une autre situation.
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« Si le matériel Montessori, largement décrit dans le livre, est généralement jugé « très efficace », lui aussi tombe sous les critiques. « Je suis étonnée de voir l’utilisation des lettres Montessori », explique L Cabaret. « C’est en décalage avec les recherches actuelles. Ça date beaucoup. Lire c’est chercher et on s’appuie davantage sur les travaux de Mme Brigaudiot ou de B Devanne alors que l’approche Montessori est en décalage sur la question du sens. On écrit pour communiquer pas pour un exercice individuel ».
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Comme on l’a vu précédemment, dans l’apprentissage de Montessori et d’Alvarez, il est appris d’abord le son des lettres « rrrr » et pas leur nom (dit « air ») cela permet de décrypter les mots, les lire : pppp aaaa pppp aaaa pour PAPA lirait un élève par exemple.
En effet, pour des adultes forcément experts en lecture et cela depuis des années, c’est vraiment difficile de trouver le son des lettres (essayer de trouver par exemple le son et pas le nom de « J » par exemple) parce qu’on a totalement oublié cette connexion son-lettres, on traite tout de façon automatique, on ne décrypte plus les mots.
Si on lui apprend d’abord le nom des lettres, c’est-à-dire que R se dit « air », et qu’il tente de décrypter la syllabe « RA » il dira donc en toute logique « airA » et pas rrraaa. Il faut alors déconstruire l’association R→air pour la remplacer par R→ rrrr. Et la déconstruction d’associations, de savoirs ou de quelques éléments de savoirs, c’est coûteux en termes d’énergie pour le cerveau, beaucoup plus que d’ajouter du savoir. De plus, faire des enseignements qui demandent des tonnes de micro-déconstructions de la sorte, c’est forcément amener l’élève à être en faute, le corriger « non, cela se dira rrra, pas aira », alors que c’est l’adulte qui a induit cette erreur, l’enfant agit en parfaite logique à faire cette erreur. À force, c’est néfaste pour son estime de lui, son feed-back au sujet de son raisonnement (« je pense mal »).
Donc je ne vois pas en quoi la méthode Montessori pour les lettres est plus insensée que d’autres méthodes ou pratiques habituelles, les mots sont des sons retranscrits, dont la retranscription s’est complexifiée au cours de l’histoire de la langue (parfois de façon totalement arbitraire, parce que tel moine copiste trouvait que rajouter des lettres était plus joli).
De plus, dès qu’il arrive à décrypter, le jeu des tickets me semble extrêmement sensé : la lecture c’est accéder à des secrets, des mystères, de l’amusement, de l’aventure, des expériences cristallisées, du savoir. Qu’on ait 6 ans et qu’on décrypte un jeu ou qu’on en ait 30 ans et qu’on décrypte des articles scientifiques, qu’on en ait 40 ans et qu’on reste accroché à un roman stupéfiant dont on n’aurait jamais imaginé le contenu, c’est la même passion de la découverte. Je trouve que l’activité des tickets représente bien cet engouement pour cet âge. J’ai vraiment du mal à comprendre en quoi cela est insensé, d’autant plus que les critiques ne citent pas le fait qui les amène à penser cela encore une fois.
Quand la critique dit que ce serait individuel, là encore, être concentré seul un temps ne veut pas dire que c’est un apprentissage individualiste.
Concernant le sens des autres activités, cela a été une quête rigoureuse pour Alvarez :
« Ainsi, au sein de la classe maternelle de Gennevilliers, mon choix fut radical : toute activité dont l’objectif ne semblait pas faire sens pour les enfants était éliminée. Pour me guider dans mes choix, la joie des enfants ainsi que leur envie pressante de réaliser l’activité étaient des indicateurs imparables. Lorsque les enfants ne se montraient ni enthousiastes, ni pressés de faire par eux-mêmes une activité proposée, après quelque temps l’activité était retirée de la proposition pédagogique. »
Les lois naturelles de l’enfant, Céline Alvarez
Voici pourquoi elle n’a pas fait toutes les activités Montessori, qu’elle a éliminé celles qui étaient déconnectées du sens. Elle n’a pas strictement suivi Montessori en « dogme » parce que Montessori dans ses écrits ne cessait d’appeler à réactualiser les méthodes en fonction des avancées scientifiques et aussi en fonction des cultures. Or beaucoup se sont mépris de Montessori et l’ont prise en dogme :
« Néanmoins, plutôt que de préserver son travail en l’état, Maria Montessori nous invitait à le compléter ou le modifier à mesure que la connaissance du développement humain avancerait, tout comme elle-même l’avait fait avec celui de ses prédécesseurs. Elle estimait que son travail était une contribution scientifique pour le plein épanouissement des potentiels humains, et que cette contribution, par définition, avait vocation à être reprise et développée. Dans les premières lignes de son dernier livre – publié deux ans avant sa mort –, elle était on ne peut plus claire : « Je me tourne aujourd’hui vers vous comme une famille qui doit poursuivre sa route. » Cette volonté n’a malheureusement pas été entendue par ses plus fervents admirateurs qui, de son vivant déjà, faisaient l’inverse : ses travaux étaient sacralisés, transformés en pédagogie figée et érigés en principes dogmatiques intouchables ; c’est exactement ce qu’elle voulait éviter. Renilde Montessori, la petite-fille de Maria Montessori, racontait ainsi que sa grand-mère, dans les dernières années de sa vie, lorsqu’elle se croyait seule, répétait en italien : « Propio non hanno capito niente, propio non hanno capito niente. » Ce qui se traduirait en français par : « Ils n’ont vraiment rien compris. Ils n’ont vraiment rien compris. »
Les lois naturelles de l’enfant, Céline Alvarez
Là est peut-être la source de ces critiques adressées à Alvarez qui s’est inspirée de Montessori, les critiques pensent à une version dogmatique des méthodes de Montessori ; or ce qui est écrit dans le livre et les vidéos suffisent à voir qu’il ne s’agit pas de ça, ce qui nous encourage à dire que cet article du café pédagogique semble franchement manipulateur. Est-ce que les enseignants ont été interrogés sur Alvarez ou sur les écoles Montessori ? Est-ce que ces enseignants étaient vraiment au courant de l’expérience de Gennevilliers ou se basaient-ils sur une description donnée par les intervieweurs ? L’absence totale de connexion des arguments aux faits me semble indiquer un lourd problème dans le traitement du média et de l’usage de la parole de ces enseignants, je ne pense pas que les enseignants se soient ainsi permis de commenter des faits sans les connaître, donc il y a peut-être « embrouille » sur les questions.
« Elle a eu des moyens et avantages phénoménaux »
[quasi tous les articles citent cet argument, je n’en tire pas de citation, vous pourrez le voir dans toutes les sources critiques en fin de dossier]
Je l’ai dit en début de dossier, elle aurait reçu 20 000 euros pour son expérience (plus de sources citent 10 000 euros, par prudence, je mets la somme maximale) en tout et pour tout, cela comprend le salaire de l’atsem et le matériel. Si cela correspond à la totalité de ce qu’elle a touché, et bien c’est très peu ne serait-ce que pour le salaire de l’atsem, on est à 6600 euro par an, cela fait un SMIC à mi-temps voire moins : 555 euros par mois… Cela me semble vraiment très très bas, et je n’ai même pas enlevé le prix du matériel.
Bref, les questions financières sont en effet floues, mais des « moyens considérables », non cela me semble assez peu, même en termes de conditions : les atsem sont également présents dans les écoles classiques, la seule différence c’est qu’ils ne sont pas recrutés comme l’ont été Bisch, cela se fait par concours. En école classique, ils ont plus ou moins de responsabilité et de reconnaissance selon les instituteurs avec lesquels ils travaillent ; parfois c’est de la subordination dans laquelle ils ne sont pas du tout entendus et/ou ils ne peuvent qu’obéir aux ordres et effectuer des tâches dites hygiéniques, parfois ils sont considérés comme de vrais collaborateurs pédagogiques et peuvent organiser/prendre en charge des tâches plus pédagogiques (mais cela ne change rien sur leur salaire ni sur leur reconnaissance malheureusement).
À noter que dans des écoles classiques, j’ai pu voir (récemment) que des conditions étaient bien meilleures que celle de l’expérience : l’école classique en comparaison, était un environnement plus riche en nature (potager, coin nature, belle architecture, très grande salle), avait plus de moyens humains (intervenants extérieurs comme des acteurs pour des spectacles, des musiciens, des artistes); présences de nombreux AVS qui s’occupaient de la classe entière (ce n’est pas normal, mais c’est un fait), faisant monter à 4 voire plus le nombre d’adultes en classe,il y avait des classes moins surchargées (23 enfants par exemple), dans des zones moins difficiles. Évidemment, des écoles classiques n’ont pas ces moyens, mais l’inverse est aussi vrai. C’est pour dire que les conditions de l’expérience de Gennevilliers étaient très loin d’être idéales : 27 enfants en ZEP, avec deux adultes pour s’en occuper dans 55m2 et pas d’autres salles disponibles, pas de coin de nature, pas de possibilité d’intervenant extérieur, bref il y a de quoi être mieux loti tout de même.
« Elle se prend pour Jésus »
Là encore, je ne cite pas, presque tous les articles accusent cela. Cet article est particulièrement représentatif :
Le problème est à mon sens médiatique. Souvent, lorsqu’on est interrogé par les médias, ceux-ci, quelle que soit la mesure dont vous faites preuve dans vos propos, font un storytelling de l’histoire que vous rapportez, gardent le spectaculaire et l’épatant, gomment tout ce qui a trait au doute dans les propos, effacent les détails, la méthodologie, les faits bruts, pour ne garder que les grandes lignes qui conduisent au résultat. C’est extrêmement déstabilisant, et il y a peu de gens qui arrivent à caser dans leur propos une défense, à toute vitesse, dans chacune de leurs phrases pour éviter ces effets d’histoire toute lisse ou encore le focus sur le spectaculaire et l’horrible. Je pense qu’il faut le vivre pour comprendre, mais c’est assez sidérant de voir ces propos tronqués, transformés pour n’en garder que l’essence que l’on ne souhaite pas, c’est-à-dire une image toute lisse (tous les médias et journalistes ne sont pas ainsi évidemment), un conte, une légende, une nouvelle horrible. L’image qui transparaît d’Alvarez via les articles, la télévision est, je le doute, Alvarez elle-même, clairement on voit une construction médiatique, une peinture sur le thème du miracle.
Quand bien même ce serait vrai – qu’elle se prend pour Jésus, qu’elle a un ego surdimensionné – en quoi cette attribution aide en quoi que ce soit à parler d’éducation et de jauger le travail concret effectué à Gennevilliers ? Jamais dans la critique scientifique, des chercheurs réfutant par exemple des interprétations de résultats vont se contenter de dire « il a un ego surdimensionné » pour montrer en quoi leur travail serait problématique. La vraie critique constructive apporte des arguments solides, par exemple si on pense qu’il y a un si gros problème avec l’ego d’Alvarez qui aurait impacté sur les élèves, on aurait analysé chacune de ses vidéos en détail pour montrer là où son ego posait problème dans l’interaction avec l’enfant. Plus constructif encore, le reproche sur le sens qui manque aux lettres Montessori, peut se nourrir d’illustrations concrètes : on propose plusieurs supports de lettres à des enfants de trois ans, on voit ce qu’ils préfèrent et ce qu’ils en racontent. Le sens est une question fondamentalement subjective qui doit concerner les enfants, la seule façon de tester le sens n’est pas de réfléchir avec nos têtes d’adultes beaucoup trop éloignées de la perception enfantine, mais de les écouter et essayer de comprendre pourquoi ils trouvent telle chose intéressante. Sans aller jusqu’à l’expérimentation, étant donné que les critiques proviennent souvent de professeurs, de par leurs expériences, ils doivent avoir quantité de preuves, d’exemples très précis et concrets pour nourrir cette argumentation, cela suffirait déjà à être plus constructif dans leurs critiques. Ensuite, il y a sûrement quantité d’expériences et recherches dans les sciences pour appuyer ces dires.
Cependant, je rationalise peut-être trop une critique qui ne l’est pas, qui se concentre sur l’image médiatique d’Alvarez et la confond avec sa méthode ; voici des extraits d’un même « coup de gueule » qui montre assez bien la confusion au sujet de cette association Alvarez-Jésus :
« On avait pourtant le choix de notre carrière. Il y aurait bien eu cette solution: passer trois ans dans l’éducation nationale, et devenir Jésus… je veux dire Céline Alvarez… C’est-à-dire faire des miracles (imposer nos mains montessoriennes afin que tous les enfants deviennent Einstein à la sortie du berceau) puis rapidement devenir Martyre – crucifiée par l’éducation nationale- avant la résurrection médiatique sous la forme d’un livre qu’on multiplie comme les petits pains. […] Non, enseigner, ce n’est pas faire des miracles, ni vendre des promesses de miracles aux parents. C’est accompagner au long cours des enfants tels qu’ils sont, le plus loin possible. C’est affronter à leurs côtés des conditions matérielles qui n’ont souvent rien d’idéal pour faire le pari d’apprendre des choses ensemble. Et peut-être d’ailleurs le réel problème ne vient-il pas de Céline Alvarez elle-même, mais de la façon dont les médias se sont emparés d’elle. Je suis convaincue qu’on n’arrangera jamais les choses en détestant encore plus notre école et nos profs. N’avançons pas contre le système, pour le pulvériser, mais avec lui, pour l’améliorer, tous ensemble, de l’intérieur. Et nos élèves progresseront. »
« Traîtresse ! »
« Pourtant, heureusement, nous ne sommes pas toutes des Céline Alvarez : heureusement, nous n’abandonnons pas le navire, et nous restons à bord pour tenir le cap -vogue-la-galère- même quand notre matériel est pourri, même quand tout ne va pas comme on le souhaite exactement. »
Ce n’est pas le seul article à vilipender Alvarez pour sa « traîtrise ».
Alvarez dit explicitement qu’elle est entrée dans l’éducation pour mener une expérience. Elle était déterminée à essayer de changer les choses, parce qu’elle a vu le système éducatif étouffer « la lumière et les talents uniques de nombreux camarades » comme c’est sans doute le cas de générations nées il y a trente ans ou plus. Elle a fait des recherches – en partie en autodidacte – sur la psychologie cognitive, la neuro, et a passé le concours des écoles dans cet unique but, puis a obtenu la carte blanche du ministère pour son expérience :
« Pour mener cette expérience, il me fallait entrer dans le système, et donc passer le concours de professeure des écoles, ce que je fis en 2009. “Mais, me demande-t-on souvent, comment avez-vous fait pour obtenir, si rapidement, un accord ministériel, avec carte blanche pédagogique, du matériel onéreux et un suivi scientifique annuel des enfants ?” Ma réponse est simple : parce que rien, absolument rien, n’aurait pu me faire dévier de mon objectif. L’indignation et la tristesse suscitées par ce gâchis des potentiels humains étaient trop profondes. Peu importe la nature des obstacles qui allaient se dresser devant moi, il était clair que j’allais tenter de les contourner, un par un. Qu’ils soient financiers, humains, hiérarchiques ou administratifs – il y avait forcément une solution. Les hasards surprenants de la vie m’ont également apporté une aide précieuse : je me suis quelques fois trouvée aux bons endroits aux bons moments, et dans ces situations, j’ai saisi ma chance sans hésiter. Et surtout, je n’avais rien à perdre, j’étais là pour essayer, je n’avais aucune carrière à protéger, je n’étais pas effrayée, par conséquent, à l’idée de court-circuiter l’échelle hiérarchique pour m’adresser directement à ses plus hautes instances. »
Les lois naturelles de l’enfant, Céline Alvarez
Les médias ont parlé « d’infiltration » dans l’éducation nationale, c’est un peu abusif dans le sens où l’expérience a été un temps officialisée, mais plus compréhensible dans l’idée où il s’agit de construire dans le système quelque chose qui s’y oppose par sa différence méthodologique. Méthode que je qualifierais bien de forme « officielle » de hacking social, et évidemment je n’y vois strictement rien de péjoratif.
Le soutien officiel a duré un an, ensuite les choses ont changé : l’asso « agir pour l’école » a laissé tomber le suivi scientifique suite aux problèmes administratifs, sans doute liés à la rapidité et aux défauts de l’officialisation trop rapide de l’expérience (source : le crieur). S’en est suivi une pénible bataille administrative dont on sait peu de détails, si ce n’est que malgré les efforts d’Alvarez pour régulariser la situation, l’administration n’a pas donné suite :
« La troisième année, je passai une grande partie de mon temps à tenter de régulariser la situation administrative de la classe expérimentale, en essayant d’obtenir le fameux document de cadrage institutionnel. Mes efforts ont bien failli être récompensés, car l’expérimentation obtint le soutien de Mme George Pau-Langevin, à l’époque ministre déléguée chargée de la Réussite éducative. Une visite officielle fut programmée dans la classe afin que Mme Pau-Langevin puisse signer ce document de cadrage en février 2014. Néanmoins, peu de temps avant la date programmée, la visite fut annulée. Mme Pau-Langevin, nommée ministre des Outre-Mer, quittait peu de temps après son poste. Mes interlocuteurs n’étaient plus les mêmes, il fallait tout recommencer. […] À la fin des trois années, la situation administrative de l’expérimentation n’avait toujours pas été régularisée. En juillet 2014, le ministère décida d’en rester là. On m’annonça que le matériel me serait retiré, ainsi que les différents niveaux d’âge. Ne pouvant visiblement pas continuer ma recherche au sein de l’Éducation nationale, je décidai de poursuivre ma route en dehors. Je donnai ma démission à la mi-juillet 2014. »
Les lois naturelles de l’enfant, Céline Alvarez
Elle a donc donné sa démission parce qu’on lui retirait les conditions nécessaires pour poursuivre l’expérience, à savoir le matériel et surtout l’autorisation d’avoir différents niveaux d’âge qui était fondamental pour l’émulsion de la méthode Montessori.
Elle n’a donc pas fui le navire comme un capitaine se défile face au naufrage : elle est montée dans le navire avec un but précis, l’équipage du navire, après accord, n’a plus été si d’accord que ça et a décidé de couper les moteurs. À mon sens, ce n’est pas un comportement qu’on peut qualifier de lâche, mais de cohérent.
Peut-être que ces personnes entendent que c’est le fait d’investir un lieu pour le modifier de l’intérieur qui est une traîtrise ; ce n’est pas notre avis, au contraire c’est une attitude que nous préconisons lorsqu’on se trouve dans un environnement où il y a dysfonctionnement, injustice, souffrance, il nous semble qu’il y a nécessité de le changer, que ce soit en construisant, en détournant voire même en désobéissant, ou les trois à la fois. C’est œuvrer vraiment pour l’environnement et tout ce qu’il comporte à tous les niveaux. C’est en faire bien plus pour tout le monde que de se résigner à subir le système en place défaillant pour l’humain. Se résigner, c’est à dire obéir, faire allégeance au système en défendant l’éducation nationale, en se fondant en elle, niant au passage sa propre expérience sensible qu’il y a un problème profond quelque part, quitte faire une erreur d’attribution causale et accuser les parents, les écrans, Facebook, l’immigration, internet, d’être la cause de tout ce qui pourrait déconner dans l’apprentissage de la lecture.
Je vois plus de traîtrise dans la personne qui obéit, qui fait allégeance, que dans la personne qui teste, expérimente discrètement, râle productivement contre les aberrations administratives. Et fort heureusement, des profs expérimentateurs, qui s’opposent discrètement au système de l’éducation nationale, il y en a des tas, faisant tous des choses qui, oui, clairement, mériteraient d’être mis en lumière (c’est pourquoi on donnera plein de sources à la fin).
Qu’on soit éjecté, épuisé ou parce qu’on veut changer de chemin, partir n’est pas une traîtrise, c’est souvent une démarche réaliste et rationnelle : quand on ne peut plus agir dans un lieu, mieux vaut le quitter plutôt que de s’y résigner et y faire mourir lentement toute motivation et élan. Et la bonne nouvelle, c’est que parfois, l’engagement étant un sentiment assez tenace quoiqu’on fasse pour l’ignorer, on peut se rendre compte qu’on peut poursuivre de l’extérieur, encore plus efficacement. Du moins, c’est ce que nous avons expérimenté de nombreuses fois dans nos parcours militants ou engagés dont certains ont été assez violents ; l’action sur le terrain peut transformer votre vie en enfer, et à partir d’un certain niveau de pression et de harcèlement, il est vital de tout quitter sans quoi on peut gâcher tout ce qui a été fait. Rester, c’est prendre le risque de mettre à mort tout élan et devenir une personne cynique, dépressive, mélancolique, qui ne croit plus en rien et qui par là même empêche tout élan de naître en son entourage. Fuir est nécessaire, non pas pour abandonner : toute expérience, aussi atroce peut-elle être, que ce soit un parfait échec ou quelques belles réussites, est un corpus qui n’a peut être rien de fondamentalement scientifique de par une forte subjectivité, mais qui clairement va nourrir ceux qui veulent s’engager, ceux qui s’engagent. L’expérience subjective est une précieuse information et on se rend compte de sa valeur humaine lorsque les nouveaux engagés s’en emparent, y voient l’utilité et finalement qu’on les voit réussir là où on avait échoué. L’expérience est une première partie à laquelle on a peut-être fait game over, mais le joueur suivant, en lui parlant, saura quel piège éviter et quelles stratégies utiliser grâce à nos game-over précédents.
Autrement dit, l’engagement à changer les choses, que ce soit sur le terrain de la militance, ou dans la construction de nouveaux systèmes dans des vieux systèmes, dans l’associatif ou autre, a besoin d’un corpus d’expériences subjectives et objectives afin d’avancer ; les mentors, ceux qui ont cette expérience sensible, quand bien même ils ont souffert des expériences, sont essentiels à partir du moment où ils partagent tout sans limites aux nouveaux et qu’ils réfléchissent à leur côté et pas au-dessus d’eux.
Pour revenir sur la question de la « trahison » d’Alvarez, j’aimerais ajouter que ce n’est pas parce que quelqu’un a un succès médiatique que cela signe l’échec de ceux dans l’ombre : il me semble que beaucoup d’instituteurs se sont sentis insultés parce que eux travaillent à ces changement depuis des dizaines d’années, appliquent les recettes d’Alvarez peut-être même avant qu’elle soit née. La comparaison sociale ne mène à rien, si ce n’est à chagriner ou flatter l’ego ; que cherche-t-on ? À réussir soit selon les codes extrinsèques de la société – renommée, argent, gloire, etc. – ou soit à voir des idées qu’on partage naître concrètement ici ou ailleurs ?
Ceci étant dit, je comprends parfaitement qu’on puisse être agacé par telle ou telle personne, parfois pour des raisons légitimes, et trouver que son succès est parfaitement injuste en raison de ce qu’elle est et fait par ailleurs, hors des lumières médiatiques. Dans tous les milieux, militant, scientifique, artistique, il y a des profils difficiles au quotidien qui d’un côté font un travail avec une valeur indéniable et qui pourtant d’un autre coté, peuvent trahir la confiance de leur entourage, voler le travail d’autrui, être malhonnêtes, exploiter des personnes dans l’ombre, etc. Mais clairement, la solution n’est pas d’attaquer leur travail surtout s’ils apportent vraiment quelque chose à l’environnement social, qu’en plus on promeut aussi les valeurs qu’on porte, et que ce travail est en soi sérieux. Si vraiment un individu dans le milieu est un « parasite » à cause de son narcissisme, sa psychopathie ou tout comportement pénible qui entraîne des actions de sa part plus que gênantes, cela ne sert à rien de l’attaquer sur les choses qu’il fait bien, c’est être malhonnête. Le mieux à faire me semble de prevenir les gens ou organismes qui vont avoir directement à faire à son comportement et de sanctionner les comportements problématiques directement liés à la psychopathie, au narcissisme, au sadisme etc…
Nous n’avons pas d’informations personnelles sur Alvarez, nous ne savons pas quel genre de personne elle peut être, mais on peut constater que tout ce qu’elle a fait est accessible en ligne, très fourni, que ce soit en conférences théoriques qui « spoilent » tout son livre, en illustration vidéo de l’expérience, en tuto sur les méthodes.
Ici le début de la série théorique 16 vidéos d’environ 30 minutes chacune :
Ici le début de la série didactique, 31 vidéos allant de 20 minutes à plus d’une heure chacune :
Tout cela est très riche d’informations, ce n’est pas de la poudre aux yeux, c’est analysable, décorticable, testable. On n’est pas dans une démarche malhonnête qui consisterait à pavaner dans les médias pour vendre un livre creux ou juste travailler son branding personnel : il y a ici du fond, disponible, exploitable, falsifiable (terme employé en science ; c’est-à-dire qu’on peut reprendre ses recettes et les tester dans le but d’en montrer les failles, les échecs).
Bref, encore une fois, il serait peut-être prioritaire de s’attarder sur le fond de l’expérience elle-même quitte à re-tester quelques items – même à la volée – pour étayer de façon sérieuse des preuves contre cette pédagogie dont les effets seraient nuls ou néfastes. Là on aurait une critique constructive, qui ferait avancer tout le monde.
« Elle n’a rien inventé de nouveau »
Oui, en effet, et jamais elle ne parle ou se vante d’avoir inventé un concept révolutionnaire, inédit, jamais vu. D’entrée de jeu elle rappelle que le matériel Montessori est le fruit de plusieurs personnes à travers le temps ; elle ne cesse de rappeler que les considérations de la psychologie cognitive, neuro, et positive ajoutées aux méthodes Montessori ou modifiant ses méthodes sont issues de tels ou telles chercheurs ou penseurs (Catherine Gueguen, Stanilas Dehaene, Matthieu Ricard, à Jacques Lecomte, Center on the Developing Child de l’université Harvard, etc).
À notre époque, les « créateurs » ou expérimentateurs sont des (re)mixeurs, parce que le savoir, la recherche et les expérimentateurs ont déjà fait un chemin incroyable, donc la « nouveauté » qui serait parfaitement nouvelle, il faut l’oublier. Même dans le cas d’une école comme Quest to learn, extrêmement originale, est issue d’une mixité entre les sciences de l’éducation, la psychologie et le game design. C’est dans l’interdisciplinarité et le mariage fécond de plusieurs disciplines que naissent de nouvelles choses, et ce n’est pas parce que ce n’est pas « purement » nouveau que c’est à jeter ou que cela a moins de valeur. Seuls les arnaqueurs se prévalent de faire de la nouveauté (marketing…) , ceux qui patiemment tente de concevoir, crée, le savent pertinemment : nous ne sommes que des chaudrons qui faisons soupe du passé en tenant compte de l’inédit présent, et c’est ainsi que des nouvelles – pas si nouvelles – saveurs naissent.
Ce critère de valeur selon la nouveauté est donc assez aberrant à mon sens. Oui, la classe avec plein d’âges différents ça existait bien avant et cela existe encore dans des villages avec très peu d’enfants. Hé oui, on y percevait déjà une très grande richesse pour l’apprentissage grâce à l’émulation entre petits et grands, les petits copiant avec enthousiasme les grands ou rêvant de faire comme eux, les grands renforçant leur savoir et leur estime d’eux-même en apprenant aux petits. Mihaly Csikszentmihalyi (né en 1934), le psychologue architecte de la formidable notion de Flow rapporte l’exemple de son école dans un ouvrage dédié au flow et son application dans l’éducation ; c’est assez troublant de ressemblance avec l’expérience de Gennevilliers :
« Dans ma scolarité, au 5eme grade, j’ai eu l’expérience d’apprentissage la plus intense que j’ai jamais connue : elle est advenue lorsque nous sommes arrivés dans un village de Hongrie dans lequel nous étions bloqués pour un an à cause de l’arrivée de la guerre. Ce village avait une classe d’une seule pièce où les enfants de la maternelle à la huitième année étaient ensemble avec un seul enseignant. J’en ai appris plus là-bas que dans les écoles d’élite auxquelles je suis allé avant et après, parce que ce professeur exerçait ce métier comme un chef d’orchestre : il ne donnait jamais de cours magistral. Il ne se tenait jamais debout devant la classe. Il a juste mis en correspondance des enfants en petits groupes chaque jour, selon le niveau de compétence. S’il y avait un élève bon en mathématiques, il travaillait avec ceux un peu moins bons que lui et si un élève savait bien écrire ou lire, il prenait un autre groupe. Tout ce que le professeur faisait, c’était de faire correspondre et de former des groupes, il marchait d’un groupe à l’autre pour voir ce qu’il se passait, stimulant par-ci, donnant un petit coup de pouce par là. Mais nous étions toujours très occupés ; on était toujours très engagés dans les activités. Pratiquement tous les élèves ont eu la chance d’enseigner aux autres élèves après le 4eme grade. Tous les élèves les plus âgés avaient des groupes d’élèves plus jeunes. Cela semblait très bien fonctionner. Bien sûr, cela demandait une compétence particulière l’enseignement, de faire des cours aux autres. Mais tout le monde peut le faire […] Pour réussir ce type d’apprentissage [également Montesorri], qui est de faire correspondre les compétences des élèves, c’est beaucoup plus difficile pour un professeur »
Applications of Flow in Human Development and Education, Mihaly Csikszentmihalyi
Apprendre à autrui, c’est la meilleure recette pour renforcer le savoir. Et pourtant, il m’a fallu personnellement attendre d’être en licence de psycho pour apprendre ce fait tout bête que l’une des meilleures façons d’apprendre, de faire rentrer ces savoirs dans ma tête, était de tenter de les transmettre à autrui. Cette connaissance aurait pu tous nous aider dans toute notre scolarité, cela aurait pu être un exercice que l’on aurait pu faire dès la primaire. Il est là le problème. Peut être que vous, vous les connaissez ces recettes magiques, mais elles ne sont pas diffusées, à croire qu’elles sont sous copyright et qu’un individu hors du milieu ne peut y avoir accès. Voilà pourquoi Alvarez a eu tant de succès auprès des parents et grands-parents et autres curieux déconnectés professionnellement du milieu : nous voulions voir ces recettes et les voir advenir.
Oui, ce n’est pas nouveau de dire que la bienveillance c’est plus profitable pour l’enfant et l’environnement humain en général, que l’autoritarisme à base de domination pure et dure (punition, enfant pion sans liberté, et) est à proscrire, que la motivation est une base de l’apprentissage nécessaire, oui, ça se savait avant qu’il y ait des études dessus. Et la psychologie, la neuro ne font que prouver des postulats qui existaient déjà dans l’intuition et l’expérience de beaucoup de personnes. Seulement voilà, dans l’expérience contemporaine, on voit encore des comportements autoritaires institutionnalisés ou implicitement normés : comme se contenter de dire « taisez-vous !! » à une classe pourtant terriblement enthousiaste à une visite. Pourquoi ne pas saisir cet enthousiasme, apprendre aux enfants à le garder vivace, tout en respectant les oreilles des autres autour ?
Malgré toutes les preuves que le mépris, la pression, et le stress sont nocifs pour l’humain, il y a toujours des discours cinglants contre la bienveillance et l’altruisme qui seraient niaiseries. Malgré toutes ces preuves et expériences, il y a toujours des classes bien rangées en âge strictement identiques et il y a toujours cette idée que le cours magistral est comme une théière de savoir qu’on verserait dans les tasses-élèves qui se rempliraient, alors que c’est strictement faux. On n’apprend rien assis en écoutant, on n’apprend rien en étant passif. Le cours magistral ne fonctionne que si le prof est un excellent acteur, orateur ou qu’on ait atteint un âge ou une sagesse particulière et qu’on soit venu soi-même, par sa décision, écouter ce cours.
Bref, je serais d’accord de récuser quelque chose qui se dit nouveau, fait son bénéfice uniquement sur cette impression, tromperait en quelque sorte sur la marchandise ; mais de un, Alvarez n’a jamais prétendu apporter là un nouveau paradigme : elle a réactualisée Montessori avec les connaissances scientifiques contemporaines, comme Montessori l’aurait souhaité d’ailleurs, plutôt qu’on la suive dogmatiquement. Et de deux, il me semble nécessaire de parler de ces savoirs et expériences, qu’importe si c’est une redite et que certains connaissent déjà ces informations : tant qu’elles sont autant vilipendées ou boudées dans la société, c’est qu’elles n’ont pas été entendues, qu’il faut les exprimer encore de multiples façons pour qu’elles fassent leur chemin.
Bonjour et merci pour ces articles,
Néanmoins je souhaiterai ajouter quelques pistes à propos de de cette méthode pédagogique. Il n’existe que peu d’études à grande échelle traitant de l’efficacité des méthodes pédagogiques. N’étant absolument pas un expert du domaine, la seule que je connaisse est le projet Follow Throught réalisé aux USA dans les années 60. De manière très générale, la méthode ayant donné les meilleurs résultats dans les domaines considérés comme cruciaux que sont : la lecture, l’écriture et l’arithmétique, est l’enseignement explicite que l’on peur résumer très sommairement ainsi :
« l’enseignement explicite repose sur l’idée générale que pour aborder des tâches nouvelles et/ou complexes, il faut avoir automatisé un certain nombre de procédures de base, et qu’il convient donc, d’une part, d’aller du simple au complexe, et d’autre part, de décomposer autant que possible les tâches complexes en tâches élémentaire. ». Ce qui semble l’un des principes généraux de la méthode Alvarez. Néanmoins, il n’y a aucune preuve de la supériorité du matériel montessori sur du matériel traditionnel, d’ailleurs il n’y a pas de données empiriques exploitables.
Un autre point interessant montré dans cette étude est le fait que les démarche fondées sur l’investigation ne donnent pas de meilleurs résultats scolaires que les méthodes plus directives. Par contre, elles permettraient de conserver l’intérêt des élèves pour le sujet étudié plus longtemps (mais même ça, ce n’est pas très clair).
Il me semble qu’avant de descendre ou d’encenser une pédagogie, il faudrait se fonder sur des données empiriques. D’autant plus que la nouveauté d’une méthode, aussi séduisante qu’elle puisse paraitre, ne garantie en rien sa supériorité sur les méthodes plus anciennes.
C.E
Afin d’être honnête, sachez que je n’ai pas regardé les conférences en lignes. Donc si des réponses s’y trouvent directement, mes excuses par avance.
Une des choses qu’il faudrait vraiment enlevé dans les écoles traditionnelles et même dans la classe d’Alvarez ,c’est les chaises (même si il y en a moins dans la classe d’alvarez)parce qu’en plus d’être nocif pour la santé en général être assis sur une chaise réduit le potentiel du cerveau et ainsi la capacité d’apprentissage .(source:https://www.youtube.com/watch?v=wUEl8KrMz14&t=7s)
Et attention je parle surtout de la position assise avec une chaise car il existe des posture bien plus adapté au corps humain (être assis en tailleur dos droit,ou des positions utilisé en meditation zen :https://vimeo.com/162731287 ).
Bonjour,
Vous articles m’ont donné envie de lire le livre de Céline Alvarez, ce que j’ai commencé à faire, et rien que pour ça, je ne peux que vous remercier.
Je ne sais pas si vous avez pris connaissance du livre « Le Complexe de Thétis » du psychothérapeute Didier Pleux, sur les enfants rois. et adulte tyrans A l’occasion de la sortie de ce livre, il est l’invité de l’émission « La Tête au Carré » du 1er novembre, que l’on peut écouter ici :
https://www.franceinter.fr/emissions/la-tete-au-carre/la-tete-au-carre-01-novembre-2017 (surtout à partir de 16 min).
Il parle des écoles Montessori vers 25 min mais surtout des minutes 27 à 30. Il resitue Montessori dans son contexte (1906). Il reconnaît que « l’enfant apprend mieux dans un contexte favorable, mais s’il n’y a pas de conflit cognitif, c’est à dire quand l’enfant ne se heurte pas à des choses qu’il n’a pas voulues, à des apprentissages déplaisants, il ne développe pas de nouveaux schémas neuronaux ». Pour lui, il faudrait être capable d’apprendre aussi dans le déplaisir. Par ailleurs, il affirme – selon ses observations – qu’un enfant confronté à des choix va automatiquement choisir l’activité la plus facile, la moins contraignante.
Par certains aspects, les propos tenus ici ressemblent à un coup de patte envers les travaux de Céline Alvarez. Il serait certainement intéressant de se pencher sur ses recherches, comparées à celles d’Alvarez.
En tout cas, merci encore pour votre excellent travail.
S.L.
Merci (et bonne lecture 🙂 ) !
Globalement je dirais que c’est le réflexe de tout le monde, que face à un choix, on prend le plus facile ; excepté dans des contextes de passions bien cadrés/bien pensés, je pense au jeu vidéo par exemple où certains vont au contraire se mettre en mode le plus difficile, parce que c’est un environnement safe (personne ne va se moquer d’eux s’ils échouent, ils ne risquent pas de punition,ils peuvent revenir en mode facile s’ils n’y arrivent pas et cela sans honte, etc.). On fait des choix faciles parce qu’on calcule les coûts, les risques sociaux surtout : dans un environnement sécurisant, on teste, on sait que quoiqu’il arrive on ne risque rien de déplaisant. Voilà pourquoi les enfants dans l’expérience ont d’eux-mêmes fait des choix audacieux (comme calculer jusqu’à 1000 ou copier tous les albums à la main, etc.), il se sentait en sécurité « sociale », c’est-à-dire qu’il n’y avait pas d’humiliation possible, pas de comparaison sociale, pas de honte, etc…
Que ce soit dans l’expérience d’Alvarez ou ailleurs, de toute manière, l’enfant est forcément confronté à du déplaisir, et ce dès qu’il se déplace : les parents doivent lui apprendre à ne pas toucher à tous les objets qui lui font envie (les prises électriques, les ordinateurs, le four…) ; puis il va devoir apprendre à canaliser ces émotions et apprendre à arrêter de hurler dès qu’on lui refuse l’achat d’un jouet (parce qu’on lui aura expliqué pourquoi et qu’il aura appris à la patience d’attendre Noël par exemple) . C’est l’apprentissage de l’inhibition (on en parle dans les articles suivants) et il s’est fait aussi dans la classe d’alvarez : les élèves devaient se retenir de tout toucher pendant la présentation, il y avait des activités pour apprendre à se déplacer calmement dans la classe, pour être sécurisant vis-à-vis des autres dans son langage ou l’expression de ses émotions.
L’enfant roi, c’est celui a qui on n’apprend pas à inhiber : ce serait par exemple des parents qui, plutôt que de dire non à ce que le bébé touche une prise électrique, coupent le courant, ou encore dans une cour de récréation qu’on laisse un enfant en harceler un autre (voire qu’on le félicite pour sa force) sans expliquer en quoi il est intolérable de mettre dans l’angoisse et la peur ses camarades.
Je ne pense pas que Pleux accusait cette pédagogie (ou peut être les dérives laxistes et dogmatiques Montessori, y en a eut parfois il est vrai, Montessori les accusait elle-même), pour avoir vu un peu ses écrits, les parents ou éducateurs qui font des « enfants rois » sont hyper laxistes, voire soumis à l’enfant, c’est-à-dire qu’ils n’apprennent rien à l’enfant, ils ne font que se soumettre aux émotions de l’enfant, ils ne leur expliquent pas ce que sont les émotions ou comment les réguler, donc forcément l’enfant continue à les laisser exploser sans inhibition parce que son lobe préfrontal n’est pas entraîné à arbitrer les émotions (il n’en est pas heureux non plus, le plaisir aussi vient dans la maîtrise de soi, l’apprentissage, le développement de compétences).
Pour revenir sur les questions d’activités, Alvarez explique qu’elle encourageait à faire autre chose ou un niveau plus difficile lorsqu’un enfant restait sur une même activité très maîtrisée. Il suffit d’un étayage humain, tout simplement.
« Cette pédagogie confronte l’enfant au libre choix et pour certains enfants c’est très violent »
Cette petite phrase est extrèmement révélatrice. N’est-ce pas la peur d’un adulte face à la liberté et la responsabilité qu’elle suppose qui est ainsi projetée sur les enfants aui, eux, n’ont pas les mêmes peurs ?
Finalement, nos sociétés, pourtant dites individualistes n’ont pas tout à fait permis à l’individu de jouer pleinement de son libre arbitre au point que des personnes préfèrent renoncer à leur propre liberté, non pas par le vote, mais par leur non choix de vie de tous les jours. C’est tellement plus réconfortant de faire comme tout le monde … Celui qui vie différemment, qui ose ne pas faire comme les autres, finalement, il fait peur car il ose affronter ce dont les autres ont peur.
Sans doute l’une des racines du totalitarisme ?
Merci pour ce beau dossier !
Envie de rebondir sur la première critique concernant sur le fond il me semble les inégalités entre « riches » et « pauvres » dans le système éducatif. A la fin de la lecture de cette partie, j’ai cru entendre certaines personnes de mon entourage (beaucoup en fait) affirmer avec aplomb: « Eh bien voilà pourquoi il faut remettre l’uniforme! Ca réduirait les inégalités que les enfants perçoivent, qu’on soit riche ou pauvre même habit! »
Et ça sonne sacrément faux je trouve, mais pour autant je sais pas quoi leur dire, sur quel terrain les mener pour qu’ils prennent conscience que même s’ils avaient raison, un tel aplomb est pas justifié. Ca dérive du sujet du dossier mais je trouvais intéressant de le noter parce que je sais que ça pourrait être un argument (même si sans rapport avec le propos initial) qui réutiliserait l’argumentation présentée ici.