♦ Qu’est-ce que la pleine conscience ?

NOTE : ce dossier a été rédigé bien avant le confinement (début février 2020) ;  la pleine conscience est un état qui peut potentiellement aider psychologiquement à vivre la situation, mais elle ne me semble pas d’un grand secours pour les questions collectives ; la compassion, en tant que motivation à reconnaitre les souffrances et volonté d’y remédier est, par contre, fondamentale et nécessaire en situation de crise sanitaire mondiale, que ce soit sur un plan individuel ou collectif.

Ce présent article peut être lu indépendamment du dossier, cependant pour information, il fait suite à cet article :

Crédit de la photo d’entête : https://www.flickr.com/photos/dan23/3319455614/ ; Toutes les oeuvres de Daniel Bussiere sont à admirer ici : https://www.flickr.com/photos/dan23/page1

Ce dossier est disponible en ebook :


Un état et des pratiques éthiques


La « Pleine conscience » est la traduction la plus courante du terme « Mindfulness » en français, et cela a tendance dans le langage commun à être associé au moment de méditation dédié à cet état, ce qui n’est pas forcément la définition utilisée par les chercheurs. Nous allons donc revenir sur ce que recouvre le sujet, le meilleur comme malheureusement le pire. De plus, le terme « conscience » peut lui aussi être mésinterprété, selon les disciplines et les perspectives, il peut désigner un état d’esprit à l’opposé de la mindfulness (par exemple ajouter une couche de réflexion supplémentaire à un travail mental déjà présent), et est donc parfois remplacé par pleine présence1 pour mieux représenter ce qu’est l’état de mindfulness.

La pleine conscience (mindful) en une image, source : https://www.flickr.com/photos/deel/9490410893/in/photolist-fsCQw2-4ivGs1-2dDzQhP-8BsQBa-Amp7bf-24JevCS-c8d58-dtEhGo-dypkkx-G3yw8q-s94QqM-dYoNdE-ssugWe-WTJhJo-qLFKH1-z5PHwo-spZbAq-bzHHhd-saGVWf-rHzzYS-FugxHQ-saFN9b-rpn2BV-fgCj74-ePETaM-kpAtjV-cdsdKA-TGn3cv-ywVfB-e516kr-8BffDW-LUEvS-H5LjKX-efD9wC-5j9KxD-zroNTQ-zHZGVZ-zGTcEj-CvpAxs-5j9BJT-5jdWAS-5jdSuN-5j9BzH-YAjjsM-5j9AMX-5je1gm-5jdScE-5jdYXm-5j9B14-5jdVNf

Une disposition et un état


Dans les recherches (de la SDT, TMT par exemple) c’est en général la disposition de la personne à être pleinement consciente qui est testée, autrement dit si l’individu est souvent (ou non) dans l’état de pleine conscience au quotidien ; Brown et Ryan (2003) définissent la pleine conscience comme un état d’esprit réceptif où l’attention, informée par une conscience sensible de ce qui se passe en ce moment, observe clairement les événements internes (les expériences psychologiques et somatiques) et externes qui se produisent.

Cette disposition à la pleine conscience au quotidien est principalement testée par ce questionnaire :

MAAS, Mindfull Attention Awareness Scale :  ; les personnes devaient répondre soit :

1 > presque toujours ; 2> très fréquemment ; 3 ; assez fréquemment ; 4 assez peu fréquemment ; 5> très peu fréquemment ; 6. presque jamais

À ces affirmations :

  • Il peut m’arriver de vivre certaines émotions et en être conscient bien plus tard.
  • Je casse ou renverse des choses à cause de mon étourderie, du fait de ne pas faire attention ou encore parce que je pense à autre chose.
  • Je trouve difficile de rester concentré sur ce qui se passe dans le moment présent.
  • J’ai tendance à marcher rapidement sans faire attention à ce qui se passe sur le chemin.
  • J’ai tendance à ne pas remarquer mes tensions physiques ou mon inconfort physique jusqu’au moment où ils attirent vraiment mon attention.
  • Lorsqu’on me dit le prénom d’une personne pour la première fois, je l’oublie presque aussitôt.
  • Il semble que je fonctionne en « mode automatique » sans faire attention à ce que je fais.
  • Je me précipite pour faire mes activités sans être attentif à celles-ci
  • je suis tellement concentré sur le but que je veux atteindre que je perds le fil de ce que je dois faire pour y arriver dans le moment présent.
  • Je travaille ou remplis des tâches de façon automatique, sans être conscient de ce que je fais.
  • je me surprends à écouter quelqu’un d’une oreille et faire autre chose en même temps.
  • Je vais parfois à des endroits comme en « pilote automatique » puis je me demande ce que je fais là et pourquoi.
  • Je me trouve souvent préoccupé avec le futur ou le passé.
  • Je me surprends à faire des choses sans y faire attention.
  • Je grignote sans être conscient que je suis en train de manger.

Traduction basée sur le questionnaire MAAS à disposition ici : https://ppc.sas.upenn.edu/resources/questionnaires-researchers/mindful-attention-awareness-scale

Ce n’est pas une « conscience de soi » ni une conscience réflexive : la personne n’ajoute pas une couche de réflexion, de jugement, d’appréciation ou de dépréciation sur son attention portée sur l’intérieur ou l’extérieur. Au contraire, la pleine conscience est pré-réflexive, c’est-à-dire qu’elle n’inclut pas des pensées, des cognitions sur ce qui est perçu, il s’agit juste d’une attention sur ce qui se passe à l’intérieur et/ou à l’extérieur, sans évaluation de quelconque nature. D’où l’emploi du terme « présence » notamment lorsque la mindfulness est suscitée par la méditation :

« Car méditer ne consiste pas à être « conscient », mais à toucher un sens de présence avec l’entièreté de son être, avec son corps, avec son cœur, avec ses émotions, comme avec son esprit, en étant ainsi ancré dans le monde. Méditer n’est pas réfléchir, mais sentir. C’est être présent à ce qui se passe, simplement, sans chercher à prendre conscience sans cesse de ce qui se produit. […] Soyez attentif plutôt que conscient, et avancez avec confiance dans la vie. On n’est pas attentif en se recroquevillant sur soi mais, au contraire, en étant avec ce qui nous intéresse. En étant dans le monde. Plus je suis attentif plus je suis présent, et plus je suis présent plus je suis attentif. L’attention et la présence s’aident mutuellement, et constituent ainsi le ressort le plus profond de ce qu’est la méditation. »

Foutez-vous la paix, Fabrice Midal, 2017

La pleine conscience est le contraire du mode « pilote automatique » ou de l’état de vagabondage de l’esprit, où l’on peut agir sans se rendre compte qu’on agit : par exemple lorsqu’on lit un livre, et qu’on se rend compte que l’on a avancé de plusieurs pages mais qu’on a décroché son attention, qu’on ne sait pas du tout le contenu de ces pages, c’est que nous n’étions pas pleinement conscients, notre esprit vagabondait, on a lu en pilote automatique sans être présent au contenu du livre.

Ce n’est pas une disposition « innée » ou « figée » que d’être capable de beaucoup ou de peu de pleine conscience, au contraire être pleinement conscient est un état qui se pratique, s’exerce, se développe par la pratique, et pas seulement par la méditation. Les chercheurs (Introduction à la pleine conscience, Estelle Fall, 2016) parlent d’exercice de l’attention, et sont assez d’accord pour dire que cette pratique :

  1. implique une attention soutenue sur le moment présent.
  2. requiert un effort délibéré (quand l’individu n’est pas expérimenté).
  3. est facilité par le recours à des exercices de méditation et l’utilisation d’un point d’ancrage (on se concentre par exemple sur le fait d’observer sa respiration ou un élément extérieur).
  4. peut être utilisée par d’autres voies que la méditation.
  5. concerne l’observation des processus sensoriels, affectifs, cognitifs et/ou des stimuli extérieurs.
  6. ne constitue pas une modification de l’expérience, mais une observation de l’expérience telle qu’elle se déroule.
  7. intègre une dimension d’acception ou de non-jugement de cette expérience.

D’un point de vue processus, il s’agit à la fois d’un exercice de l’attention soutenue, de flexibilité cognitive et de l’inhibition de l’élaboration de la pensée, elle implique des régulations de l’attention, de l’émotion, une perception corporelle, et un changement dans la perception de soi (on devient observateur de soi même).

La pleine conscience, telle que définie ici, n’a rien à voir avec le bouddhisme ni avec les méditations qui lui sont associées, étant donné qu’ici la pratique de la pleine conscience est sans éthique, ce qui peut être à la fois bien perçu pour son aspect « laïque », ouvert à tout public de toute croyance ou non-croyance et être perçu comme un problème car elle ne cadre pas du tout les finalités : on pourrait être un tueur très capable d’être pleinement conscient, régulant extrêmement bien son attention, ses émotions et ses cognitions. Le concept tel que défini et testé ici n’a rien à voir avec la bienveillance, l’altruisme ou les comportements prosociaux, mais davantage avec la régulation et l’utilisation de nos processus attentionnels.

Comme le flow, l’état en lui même de pleine conscience n’est pas garanti par une éthique, ni n’est gage de moralité, de prosociabilité ; c’est lorsque cet état est cultivé avec une éthique altruiste qu’il peut être prosocial.


La pratique méditative de la pleine conscience


La méditation en pleine conscience consiste à s’asseoir confortablement, mais avec un certain maintien du dos, à se concentrer sur un objet ou sur un phénomène interne (sa respiration par exemple) et à garder son attention sur ce phénomène, en l’écoutant, en le regardant. On doit s’absorber dans cet objet d’attention sous tous ses aspects sensoriels.

Très rapidement, l’attention va dériver, les pensées vont prendre un autre chemin : il suffit d’en prendre acte et les laisser filer en se reconcentrant sur l’objet. Il ne s’agit pas de « s’injonctiver », d’être autoritaire avec soi lorsque l’attention s’échappe de l’objet choisi, mais juste de constater ce qui traverse l’esprit et de tranquillement replacer l’attention. On a pris l’exemple du livre qu’on peut lire en pilote automatique sans faire nullement attention au contenu, il peut être de même lorsqu’on écoute un professeur : ses propos peuvent être écoutés un moment, puis voilà qu’on se rend compte que ses propos nous sont maintenant incompréhensibles car nous étions perdus dans nos pensées à un moment. Cela peut être dû à notre fatigue, comme au contenu lui-même des propos qui peuvent nous avoir inspiré à penser à toute autre chose, comme être dû à une trop grande complexité, ou alors dû au sujet et à sa forme qui nous désintéressent pour une raison ou une autre. Parfois ce phénomène n’advient pas, on reste totalement concentré, y compris s’il y a un ennui massif, parce que peut-être on prend des notes ou qu’on a une activité parallèle qui nous permet de maintenir notre attention. Accrocher son attention est moins aisé en méditation, car contrairement à un événement ou à un support (le livre, le film, etc.. ) qui est fait pour maintenir l’attention ou du moins qui a un fil conducteur qui tire l’attention du lecteur à lui, l’objet de la méditation n’est pas fait pour séduire, il est juste présent, et c’est cette présence que la pleine conscience veut pleinement sentir.

Cet exercice de la pleine conscience peut se faire en activité, en mangeant, en marchant, en faisant la vaisselle, etc.

Comparons à présent diverses instructions sur la pleine conscience du manger ou boire, selon les programmes ou la littérature soutenant la méditation, car il s’avère qu’il y a une forte variabilité dans l’exercice, qui laisse à penser que les résultats pour les personnes puissent être différents. Voici d’abord l’exercice du raisin, pratiqué notamment dans les thérapies de pleine conscience pour éviter les rechutes de dépression (Le programme MBCT : Mindfulness Based Cognitive Therapy) :

« L’exercice du raisin sec : transcription

je vais faire le tour de la classe et donner un raison sec.

Ce que j’aimerais que vous fassiez est de considérer ce raisin comme un objet. Imaginez simplement que vous n’avez jamais rien vu de pareil auparavant, comme si vous veniez à l’instant de débarquer d’une autre planète et que vous n’ayez jamais rien vu de tel de toute votre vie. […]

Prenez soin de le regarder.

Vous le regardez soigneusement, comme si vous n’aviez jamais rien vu de tel auparavant.

Vous le tournez entre les doigts.

Explorant sa texture entre vos doigts.

Examinant les endroits où la lumière brille… les creux et les plis les plus sombres.

Laissant vos yeux explorer chacune des parties, comme si vous n’aviez jamais vu une telle chose auparavant.

Et si, en faisant cela, des pensées vous viennent à l’esprit, comme « c’est vraiment étrange ce que nous sommes en train de faire » ou « quel est le but de ceci » ou « je n’aime pas ça », vous les notez simplement comme des pensées et ramenez votre conscience vers l’objet.

Et maintenant, prenez l’objet et portez-le sous votre nez, et à chaque inspiration, vous notez soigneusement ce que vous percevez. A-t-il une odeur ?

Et maintenant, vous le regardez à nouveau.

Amenez maintenant l’objet vers la bouche, en remarquant peut-être que votre main et votre bras savent exactement ou aller, en remarquant peut être une réaction de votre bouche alors que l’objet s’approche.

Et maintenant, vous mettez doucement l’objet dans la bouche et remarquez de quelle manière il est accueilli », sans le mordre, explorant simplement les sensations de l’avoir dans la bouche.

Explorez l’objet avec votre langue, en notant les sensations que vous percevez quand l’objet passe d’un endroit à l’autre dans la bouche.

Et lorsque vous serez prêts, mordez très consciemment dedans et notez ce qui survient – les saveurs qu’il libère.

Mâchez-le lentement… en remarquant ce qu’il se passe dans la bouche… le changement de consistance de l’objet.

Ensuite, lorsque vous vous sentez prêts à l’avaler, voyez si vous pouvez d’abord détecter l’intention d’avaler au fur et à mesure qu’elle se forme, de telle sorte à en faire l’expérience consciente avant même de réellement avaler l’objet.

Pour terminer, examinez si vous pouvez suivre les sensations pendant que l’objet est avalé et descend dans votre estomac. Laisse-t-il une trace dans votre bouche ? Remarquez l’absence du raisin dans votre bouche – et les mouvements de votre langue quand vous avez fini d’avaler.

[…] résumé des intentions de l’exercice du raisin secondaires

  • Constater la différence entre l’attention consciente et le pilotage automatique
  • Constater que porter son attention sur des détails peut révéler des éléments qui ont été oubliés ou qui n’ont pas été remarqués.
  • Constater que faire attention de cette façon peut transformer l’expérience.
  • Réaliser que le vagabondage de l’esprit est un phénomène normal. »

La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience pour la dépression, Z.V Segal, M.G. Williams, J.D Teasdale

L’exercice est ici guidé par des psychothérapeutes méditants (avec une expérience d’au moins un an de méditation) et intégré dans un programme de plusieurs semaines7, avec de nombreux autres exercices à destination de personnes ayant connu des dépressions (l’exercice du raisin, la méditation assise centrée sur la respiration, la marche consciente, le travail avec les difficultés, des entretiens, des exercices à faire à la maison…), travaillant notamment sur les schémas automatiques et croyances liés à la dépression (l’autodépréciation, les pensées négatives, l’absence de compassion pour soi-même).

Les buts donnés à ce programme sont de prendre conscience des différents modes de fonctionnement de l’esprit, d’identifier les schémas de pensée récurrents, de cultiver la stabilité et le recul sur les pensées, de trouver d’autres choix que celle des vieilles habitudes de pensée, avoir une attitude plus douce et bienveillante à son égard, identifier les signes avant-coureurs de rechutes et y réagir de façon efficace, en se centrer sur l’ici et maintenant.

On a ici une méditation « laïque » et se basant sur les apports scientifiques et les thérapies cognitives de la dépression, mais qui visent néanmoins une libération de l’individu des souffrances, ce qui reste néanmoins un objectif commun aux méditations bouddhistes.

Mais ces méditations sécularisées peuvent être tout autre dans leurs objectifs et visant des publics différents : certains programmes promettent de combattre l’anxiété, le stress, la dépression ; d’augmenter des qualités comme le calme, le contrôle de soi, la concentration, la sagesse ; d’autres visent le développement personnel, la productivité, la performance ; d’autres la vident de tout objectif, et au contraire parle de la méditation comme un moyen de « se foutre la paix »8. Suivre ces programmes peut être plus ou moins chers, allant du « gratuit  ou peu cher via des méditations à disposition sur Internet, sur application mobile, ou encore livrés avec des livres ; au extrêmement cher s’il s’agit de séminaires, impliquant des voyages dans des lieux spécifiques. Les instructeurs de la pleine conscience peuvent être des psychologues, des médecins (surtout lorsque les objectifs sont médicaux ou liés à des troubles psychologiques) formés et expérimentés à la méditation ; comme des méditants expérimentés, parfois ayant eu des maîtres bouddhistes ou formés par et dans le cadre de ces programmes.


Des méditations pleine conscience plus bouddhistes


Précédemment, on a vu la médiation occidentalisée, sous l’angle unique de la pleine conscience : autrement dit, l’exercice du raisin tel qu’on l’a vu est par exemple dépourvu de la notion de compassion pour tout le vivant, d’interdépendance, et d’écartement de l’ego de l’éthique bouddhiste.

Les programmes de méditations occidentalisées ne sont pas pour autant exempts d’accroche bienveillante : d’une part parce que lorsque ces thérapies ou programmes sont conduits par des psychologues, leur formation en psychologie les a déjà formés à œuvrer dans la bienveillance pour libérer autrui des souffrances (ne serait-ce que dans le cadre de l’entretien), ainsi leur attitude peut déjà transmettre une bienveillance compatissante, empathique. Cependant, si cette bienveillance est transmise par l’attitude du guide, elle n’est pas forcément intégrée dans l’exercice même, contrairement à une méditation de pleine conscience qui prend racine dans le bouddhisme, qui mêle gratitude, interdépendance, compassion, dans la pleine conscience. Voici ici une méditation proposée par un maître bouddhiste, liée à la nourriture :

« Quand nous pouvons ralentir notre rythme et apprécier vraiment la nourriture, notre vie devient beaucoup plus profonde. J’aime beaucoup m’asseoir, manger tranquillement et apprécier chaque bouchée, conscient de la présence de ma communauté, conscient de tout le travail difficile et plein d’amour dans cette nourriture. Quand je mange ainsi, non seulement je suis nourri physiquement, mais je suis aussi nourri spirituellement. Ma façon de manger influence toutes mes activités de la journée.

Le repas est un temps de méditation aussi important que celui de la méditation assise ou de la méditation marchée. C’est une opportunité de recevoir les nombreux cadeaux de la Terre, dont je ne bénéficie pas si mon esprit est ailleurs. Voici un poème que j’aime réciter quand je mange :

Dans la dimension historique,

Je mâche au rythme de ma respiration.

Comme c’est merveilleux de nourrir toutes les générations d’ancêtres

Et d’ouvrir un beau chemin pour les générations à venir.

Nous pouvons utiliser le moment du repas pour nourrir le meilleur de ce que notre famille nous a légué et pour transmettre aux générations futures ce que nous avons de plus précieux »

Vivre en pleine présence, manger, Thich Nhat Hanh, 2016

On voit ici l’ajout d’une pleine conscience de l’interdépendance à travers le temps, entre générations, entre personnes, entre le monde lui-même, accroché à un profond sentiment de gratitude, de joie. Contrairement à l’exercice du raisin, on ne se concentre pas pour apprécier notre rapport à la nourriture, mais pour apprécier ce rapport et ces connexions avec le monde.

«  Avoir l’occasion de manger en famille ou entre amis et d’apprécier un merveilleux repas est très précieux ; c’est quelque chose que tout le monde ne peut pas avoir. Beaucoup de gens souffrent de la faim dans le monde. Quand je prends un bol d’aliments chauds et nutritifs, je sais que j’ai de la chance et je ressens de la compassion pour tous ceux qui n’ont pas assez à manger et qui sont sans amis ou sans famille. En étant simplement assis à table, nous pouvons cultiver les graines de compassion qui renforceront notre détermination à aider ceux qui ont faim et qui sont seuls. »

Vivre en pleine présence, manger, Thich Nhat Hanh, 2016

On voit que la compassion, lorsqu’elle est abordée par les bouddhistes, est une pleine conscience aussi des souffrances, généralement il n’y a pas le mot « compassion » sans qu’il y ait aussi un descriptif de la situation de souffrance pour laquelle on compatit. La compassion n’y est pas un acte de politesse, mais une formulation mentale d’un état qui est fait de soin à autrui. Cette compassion peut être très concrète :

« Nous devrions réfléchir soigneusement à ce que nous achetons et à ce que nous mangeons. Ce que nous achetons et consommons peut contribuer au changement climatique, ou aider au contraire à y mettre fin. Nous pouvons manger en nourrissant notre corps tout en étant conscients que, ce faisant, nous sommes ou pas en train de détruire la Terre.

La valeur d’un repas ne s’estime pas seulement par l’argent que nous avons dépensé pour acheter les ingrédients ou pour payer la note du restaurant. Il y a eu tellement de dur labeur pour faire pousser, pour récolter, pour distribuer et pour cuisiner. Pour être bon, un repas n’a pas besoin de contenir des ingrédients chers. La meilleure nourriture est souvent très simple. Il y a des éléments que le supermarché ne peut pas nous fournir. Même si vous avez de l’argent, vous ne pourrez pas les acheter. C’est avec la pleine conscience, la concentration et la vision profonde que vous pouvez obtenir un repas vraiment riche. »

Vivre en pleine présence, manger, Thich Nhat Hanh, 2016

Il y a ici une éthique avant, pendant, et après le moment de pleine conscience qui est directement donnée. Encore une fois elle repose sur une compassion, un soin apporté au vivant, et toujours une conscience de l’interdépendance entre les êtres vivants et la planète dans son intégralité.

Ces méditations sont évidemment plus ancrées dans une culture religieuse bouddhiste, quoiqu’elle laisse place à d’autres croyances non bouddhistes (le dalaï-lama incite les personnes à garder leur propre religion lorsqu’elles se mettent à la méditation ; par contre il insiste très souvent, y compris auprès de religieux sur l’importance de penser scientifiquement les phénomènes), mais on voit que l’éthique altruiste, pour qu’elle soit liée à la compassion, l’interdépendance y est en quelque sorte chapeautée, guidée, justifiée, et s’incarne dans la pleine conscience, ce qui est un exercice fort différent de l’exercice « nu », sans éthique, de la pleine conscience occidentale. La méditation occidentalisée en apparaît encore plus vivement comme étant avant tout un exercice d’assouplissement ou de « musculation » de l’attention.

La prochaine fois nous verrons des programmes de pleine conscience encore plus douteux d’un point de vue éthique.

La suite : Comment la pleine conscience peut-elle être néolibéralisée ? McMindfulness, Travail, Google

1Notamment par Fabrice Midal qui critique la notion de pleine « conscience » dans son ouvrage « foutez-vous la paix » ?

7Le programme MBCT : Mindfulness Based Cognitive Therapy

8Celle de Fabrice Midal

Viciss Hackso Écrit par :

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11 Comments

  1. Anonyme
    3 juin 2020
    Reply

    super article 🙂
    vous parlez souvent de concept comme le flow ,la pleine conscience. Et je me disais si vous connaissiez ou contier parler du concept de « vie lucide » de stephan la berge
    c’est en gros une forme de pleine conscience sur le monde et je me demandais la différence avec la pleine conscience ? merci 🙂

    • Viciss Hackso
      4 juin 2020
      Reply

      Merci ! Alors non je ne connais pas, j’ai fouiné un peu sur le net, j’ai juste trouvé un chercheur du nom de Stephen Laberge (https://fr.wikipedia.org/wiki/Stephen_LaBerge ) qui travaille sur le rêve lucide ; je ne sais pas s’il y a un lien entre pleine conscience et rêve lucide, en tout cas ce genre de rêve demande souvent un entrainement de l’attention aussi, mais différent des exercices de pleine conscience.

  2. Sylvain
    20 octobre 2020
    Reply

    Très bon article merci pour le travail et la recherche qu’il a fallu (j’ai pris l’article un peu au hasard et vraiment se fut très instructif)

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