Vous savez quoi ? Je suis en train d’exulter parce que j’ai fait une erreur, et j’ai envie de vous partager ça. Je trouve qu’on parle pas assez souvent du kiff qu’il y a avec la science, les connaissances, de découvrir qu’on a fait une erreur.
Ceci était initialement un thread que j’ai posté là (je vais tenter de faire plus de billet de ce genre à l’avenir non pas pour obéir à twitter, mais parce que ça me cadre et m’incite à faire court, ce qui est un défi pour moi 😀 ) : https://twitter.com/HViciss/status/1536684231467880448
J’ai l’impression qu’on ne vous partage qu’une vision autoritaire de l’erreur, notamment à travers les debunkages et autres « CECI EST FAUX ! C’EST CA QUI EST VRAI ! ». Ce genre de truc, moi je le vis en mode « tu as été une espèce de sous merde, avoue le !!! ». C’est vachement sapant.
Alors que parallèlement, lorsque j’étudie des articles ou recherches scientifiques, je vis mes erreurs (ou celles présentées) comme un big bang dans ma tête, c’est d’une kiffance absolue. Quel contraste !
Donc voilà. J’étudie depuis un certain temps le game design, la gamification (transposer les mécaniques du jeu dans des choses qui ne sont pas du jeu) etc. Je suis très critique de la gamification qui s’avère être un domaine quasi totalement approprié par le marketing et le management manipulateur pseudolibre.
J’en ai déjà parlé un peu ici : Changer le(s) système(s) : La Gamification [1]
A force de lectures et de réflexion, je commence à réfléchir à une façon de « gamifier » qui serait plus saine, et l’un des critères qui me semblait important d’inclure serait d’enlever les souffrances. Le jeu est plaisant parce qu’on risque pas des douleurs, ni sa vie. Rien n’y est grave.
(je met « gamifier » entre guillemets parce que ce que je bidouille est plus de l’ordre de la playification, c’est-à-dire qu’on met un élan ludique dans la vie, ce qui amène à changer les mécaniques des activités vers des choses similaires au jeu).
En conséquence, il me semblait donc logique qu’une « playification » serait d’enlever la gravité de la vie à certaines activités.
ERREUR.
Mais avant ça, je suis passée par plein d’étapes.
Je rangeais mes notes, je triais et je me dis « tiens si j’allais re-fureter chez Mihaly ». J’ai déjà eu un premier big bang dans ma tête en redécouvrant que la notion de flow est venue parce qu’en gros Mihaly respectait (trop à mon sens) les classifications du jeu et du play.
Mais le flow, c’est du play. Donc quelqu’un qui est en kiff total, concentré au max dans son activité est dit en flow, mais ça aurait du être nommé du play, ce qui fait une passerelle de malade avec le domaine du game design, moi ça me rend ouf de joie.
Et là, je continue de fouiner dans son ouvrage, et je me rappelle qu’il a étudié les personnes pratiquant l’escalade. Je me plonge dans leur témoignage, sans doute plus profondément que la première fois, et ça me rappelle mes expériences de bodysurf avec une pote quand on était ado.
Cette pote était vraiment une tête brûlée, excessive en tout, je l’adorais pour ça, on se retrouvait souvent dans des situations incongrues. Son obsession du moment c’était le bodysurf, et on en faisait toute la journée, puis toutes les vacances, et dans toutes les conditions.
On l’a fait même en pleine tempête, on arrivait sur la plage à une vitesse folle, c’était ultra dangereux. Mais quel kiff, et même en se foirant totalement, c’était merveilleux d’être sous l’eau mousseuse, la lumière qui perçait ses milliers de bulles.
Ok donc voilà un play et un game absolument dangereux, où il y a eut des souffrances (ma pote s’était pris je ne sais combien de fois des rochers, sans compter des piqures de bestioles et les coups de soleils), et qui était pourtant totalement mémorable tellement c’était bien.
(j’exclus l’idée de sport à ce qu’on faisait, on suivait aucune règle logique si ce n’est de tester encore et encore l’activité sous toute les coutures, c’était vraiment pris et vécu comme un jeu)
Et les témoignages d’escalade de Mihaly rapporte encore davantage ce lien entre élan ludique dans une activité pourtant hautement dangereuse. C’est même du genre épique voire transcendant, notamment parce qu’il y a la nature dans l’équation.
Voici la merveilleuse erreur qui me fait sourire ici : pour une raison que j’ignore, j’avais oublié cette dimension très étrange qu’on peut avoir un kiff total avec des activités qui mettent nos vies en danger, qui nous laisse des blessures. Des blessures physiques, des dangers physiques.
On peut totalement être motivé par faire face à de l’adversité parfois violente, que ce soit le risque du vide, la violence d’une vague. L’humain est formidablement tête brûlée face à l’adversité de la vie, si ça lui permet de découvrir d’autres choses.
Vouloir diminuer les souffrances n’est pas une erreur totale de ma part, mais une imprécision : la souffrance qui est diminuée dans ces activités dangereuses (mais bien cadrées), c’est celle sociale. Pas d’ostracisation, d’humiliation, d’oppression, de harcèlement, etc.
Personne ne se fout de vous dans l’activité dangereuse que vous décidez de poursuivre encore et encore. Peut-être en dehors, mais cela se voit qu’ils ne saisissent pas l’enjeu ni l’expérience, donc il y a quelque chose qui annule cette souffrance sociale : l’autre est vraisemblablement ignorant de ce qui se joue réellement.
Mon erreur était d’avoir oublié que l’humain peut être téméraire, joueur, pour des trucs risqués pour sa vie, y compris le risque de souffrance physique. Par contre, tout élan volontaire et joueur cesse s’il y a souffrance sociale à l’activité.
Certain dépassent cette peur de la souffrance sociale pour agir, parfois le font avec cet élan ludique (certains témoignages ici : [PA1] La personnalité altruiste), mais les blessures sociales sont anti-play.
Un gamer peut continuer à jouer pour contrer les humiliations des compétiteurs, parfois avec acharnement, mais il n’est plus dans le play (élan ludique), il se débat, se venge, s’acharne. ça devient une affaire sérieuse où son honneur est mis en question.
AH mais quelle merveilleuse erreur, je suis tellement contente de l’avoir faite.
Donc voilà, c’était juste pour vous partager le bonheur de se gourer, de découvrir pourquoi, puis de se réajuster en conséquence : c’est un bonheur total parce que ça ouvre des portes, des horizons à explorer, débloque une inspiration et des espoirs futurs de nouvelles erreurs ou découvertes.
C’est pour cela que j’ai beaucoup de mal à comprendre des collègues sceptiques, d’esprit critique ou zététicien avec leur version du doute. Pour moi l’erreur en science, c’est d’une fécondité qui fait apparaître un nouveau territoire. C’est la joie de l’explorateur qui se rend compte qu’il s’est gouré de direction, qu’il a fait n’importe quoi, mais qui découvre autre chose au passage. C’est d’une motivation incroyable à continuer encore et encore. S’il n’y a pas de territoire lorsqu’on montre l’erreur, à quoi bon ?
Et la subjectivité, nos émotions, nos expériences sont importantes : me rappeler de ces expériences de bodysurf m’a permis de comprendre profondément le flow décrit par Mihaly chez les amateurs d’escalade, m’a permis de déceler des erreurs dans mes hypothèses.
C’est pourquoi j’ai aussi du mal à comprendre cette guerre contre la subjectivité, les émotions, le vécu d’une personne face au « Savoir », comme si c’était un poison. Au contraire, cela peut se compléter avec force pour apprendre plus.
Ce n’est pas parce que j’ai raccroché un savoir à une de mes expériences que pour autant je vais généraliser, le projeter ou en faire une prescription. Ça me permet juste de comprendre, d’intégrer un savoir plus pleinement.
Ne vous supprimez pas vous et vos expériences dans l’espoir d’être « rationnel », la rationalité fonctionne AVEC les émotions (cf Damasio). Intégrez les avec régulation et tout ira merveilleusement bien dans un océan de kifferies 🙂
Il ne s’agit là juste que d’un petit partage d’expérience. En vous souhaitant de faire des erreurs aussi joyeuses que j’en ai pu avoir ce matin 🙂
Les livres dont je parle dans ce fil :
- Beyond Boredom, Mihaly Csikszentmihalyi
- L’erreur de Descartes, Antonio Damasio
- Spinoza avait raison, Antonio Damasio
Sur la définition du jeu, du game, du play, de la gamification (liste non exhaustive de mes inspirations) :
- Des jeux et des hommes, Caillois
- Homo Ludens, Huizingua
- Le jeu, Colas Duflo
- L’art du game design, Jesse Shell
- Rules of play, Eric Zimmerman, Katie Salen
- Glued to games, Deci et Rigby
- Gamer psychology and behavior, Barbaros Bostan
- Rethinking Gamification, Fuchs Mathias, Fizek Sonia, Ruffino Paolo, Schrape Niklas
- Designing games, Tynan Sylvester
- Recipe for a meaningful gamification, Nicholson
Source image d’entête : https://www.holdsurf.es/bodysurf/
> C’est pourquoi j’ai aussi du mal à comprendre cette guerre contre la subjectivité, les émotions, le vécu d’une personne face au « Savoir », comme si c’était un poison. Au contraire, cela peut se compléter avec force pour apprendre plus.
Les émotions ont leur place dans certaines situations où elle sont une force : choix d’un partenaire sexuel, d’un lieu de vie, d’un boulot, pratique d’activité sportive. Cependant elle peuvent être une faiblesse dans d’autres situations. Lorsqu’une publicité (au sens large, ça inclut par exemple la politique) fait appel à nos émotions, c’est qu’elle cherche à esquiver notre raisonnement rationnel. Quand on doit organiser une gestion de ressources limitée, les émotions vont souvent à l’encontre du pragmatisme le plus élémentaire. Enfin, si nos émotions nous font voir une réalité différente de ce qu’elle est objectivement, alors, nous somme en train de nous mentir.
C’est pourquoi, à mon sens, il ne s’agit pas tant d’une « guerre » contre ces émotions, mais d’apprendre à les contrôler, à reconnaître dans quelles situation elles sont utiles ou nuisible. En fait, c’est surtout un équilibre en rationalité et ressenti. Si les deux aboutissent à des conclusions différentes, alors il faut d’abord essayer de comprendre pourquoi avant de se lancer tête baissée dans une décision erratique. Si l’un élimine totalement l’autre, il n’y a pas cette confrontation, et ça donne des absurdité comme les barres d’immeubles, les achats compulsif, le fanatisme politique ou religieux ou le taylorisme.