Je suis triste de l’emploi du terme « psychologiser » dont la valence est super négative et accusatrice. D’une part, c’est réduire la psychologie à une perspective qui ignorerait le poids des environnements sociaux sur les problèmes individuels.
Ceci est également un thread que j’ai posté ici :
Je m’exerce à l’exercice du thread non pas pour valoriser twitter, mais parce que ça me cadre et m’incite à faire plus court que des articles-dossier de 100 pages 🙂
Même en psycho clinique on voit le social et ses articulations avec les troubles. Les troubles individuels sont profondément sociaux, les problèmes sociaux causent des problèmes individuels. Tout ça peut être perçu en interaction, en interdépendance, en superposition.
Je trouve que la chaîne de psychocouac montre extraordinairement bien à quel point le bon psychologue clinicien va d’abord explorer toutes les causes possibles pour saisir le problème du patient, et voir comment tout ça s’entremêle, ici par exemple sur l’hypersensibilité :
D’autre part, je sais aussi que ce terme « psychologisation » renvoie un à problème néolibéral où les structures/phénomènes sociaux sont complètement éludés des réflexions.
Par exemple, on « psychologiserait » quand on dit que le stress c’est uniquement parce que les gens n’arrivent pas à le gérer, tout en ignorant que les environnements sociaux, les situations le causent. (J’en ai parlé ici : Comment la pleine conscience peut-elle être néolibéralisée ? McMindfulness, Travail, Google )
Mais ce n’est pas faire de la psychologie que d’émettre de tels jugements si réducteurs et erronés. C’est faire une erreur d’internalité allégeante, c’est être dans une norme néolibérale typiquement occidentale.
J’ai fait un résumé de l’erreur d’internalité allégeante ici : https://www.hacking-social.com/2019/02/04/mqc-la-norme-dallegeance-une-forme-de-soumission/ ; en gros, c’est lorsque face à un problème, on met la responsabilité de celui-ci sur l’individu et on exclut toute responsabilité des environnements sociaux.
Les erreurs d’internalité, c’est donc aussi ignorer les facteurs situationnels, des facteurs d’adversité pour qui personne ni quoique ce soit n’est responsable. C’est grave parce qu’à cause de ça, on s’empêche de trouver des solutions efficaces aux problèmes.
Par exemple, un soignant dans l’internalité allégeante, face à un patient aux troubles psychiques qui se plaint d’avoir mal au ventre, va mettre tout sur le dos de ses troubles psy’.
Le soignant n’engage donc aucun soin autre que de demander à se calmer ou dire au patient de se détendre et que c’est rien du tout.
Il s’économise du temps et des efforts au passage, et on peut difficilement lui en vouloir car il est possible que la structure, le manque de moyens l’amène à « optimiser » de cette façon le temps disponible.
Le patient a de plus en plus mal, se plaint encore et encore, l’équipe en a marre de ses « caprices », râle, et finalement après des heures cède à l’envoyer faire des examens approfondis.
C’est trop tard.
Comme il y a eu internalité, l’appendicite a eu le temps de s’aggraver, comme le patient n’était toujours pas cru au « il m’arrive un truc » ça a fini en péritonite puis en septicémie, bref il était aux portes de la mort.
Voilà la gravité où mènent des jugements internes allégeants, aux portes de la mort.
À cette internalité se rajoute les préjugés : par ex. quand vous êtes une femme on peut vous attribuer ce même mal de ventre à une incapacité à gérer la douleur de vos règles ou votre faiblesse supposée face à la douleur (LOL).
Si vous êtes gros, tous les problèmes seront mis sur le compte de votre poids : dans la norme d’internalité allégéante, le surpoids est perçu comme étant de votre responsabilité alors qu’il y a des tas d’autres causes possibles sur lesquelles il serait plus efficace de travailler.
Et vous voyez le drame arriver : si on met tous les problèmes sur une même cause erronée, et bien la maladie qui n’a rien à voir avec cette fausse cause peut évoluer encore et encore jusqu’au drame.
Le jugement interne allégeant dit « c’est de ta faute, c’est pas de ma responsabilité de m’investir plus à enquêter sur ce problème ».
ça vaut aussi pour les problèmes hors médical, j’en ai fait tout un dossier sur la question du chômage, de pôle emploi (full interne allégeant), des missions locales : [PE1] Pourquoi le Pôle emploi nous déprime et comment y remédier ?
Et les gens ne sont pas des crétins d’émettre cette internalité allégeante : c’est ainsi qu’ils sont acceptés dans leur environnement social, c’est comme ça qu’ils doivent penser pour être socialement validés, les conditions et des structures poussent à ce raccourci, ils étaient conditionnés à ne pouvoir formuler que des jugements de la sorte.
Donc, nommer ce phénomène d’internalité allégeante « psychologisation », c’est attribuer le problème au fait de chercher dans la psychologie des gens la cause, donc que la psychologie serait une discipline dépolitisée et allégeante.
C’est paradoxalement dépolitiser ce problème que de le foutre sur la responsabilité d’une discipline scientifique qui, vraisemblablement, n’est pas comprise ou qui est encore confondue avec la psychanalyse.
Peut-être que je me trompe et que ce terme de psychologisation désigne une « psychologie naïve » (cad qu’on pratique sans être expert de la discipline, entre gens lambdas), mais là aussi c’est faire preuve d’internalité allégeante d’accuser les individus de pratiquer un truc nul.
Autrement dit, parler de « psychologisation » pour désigner l’internalité allégeante, que ce soit pour désigner une « psycho naïve » ou la discipline, c’est être interne allégeant, parce qu’on met la cause du problème sur les individus (ou une discipline) qui penserait mal.
Or c’est un problème politique, d’environnements sociaux et de leurs normes. Pas un problème individuel.
Autrement dit, on pourrait dire que le terme psychologisation est psychologisant, ce qui est un sacré paradoxe 😀
Parler d’internalité allégeante, c’est repolitiser le problème : oui, l’internalité est une norme sociale occidentale et l’allégeance est full néolibérale. Les écrits de Beauvois et de Gangloff sont très explicites à ce sujet.
Alors oui, je sais c’est pas pratique du tout à dire internalité allégeante, c’est pas sexy. Je milite pas spécialement pour son introduction dans le langage commun, je cherche juste à partager la connaissance cette norme.
Je comprends tout à fait les collègues qui parlent de psychologisation, je vois ce qu’ils veulent dire. Mais je crains qu’à employer ce mot on masque le politique que porte ce phénomène :
Attribuer toutes les responsabilités à l’individu (internalité) et ignorer des discours/sa réflexion les responsabilités des environnements sociaux (allégeance) c’est jouer les règles du jeu néolibéral, s’y soumettre.
Dire que ça, c’est de la psychologie, c’est se tromper de coupable et être allégeant en masquant involontairement qu’il s’agit d’un problème néolibéral et occidental.
Et, à ce lendemain d’élections totalement déprimantes, où copinent neolibéralisme et autoritarisme, je me dis qu’il est peut-être temps d’appeler un chat un chat.
De dégager toute internalité allégeante de nos discours, réflexions. De ne plus jouer cette règle du jeu.
(sauf si vous avez besoin de vous infiltrer dans un milieu néolibéral, là il s’agit d’apprendre à imiter leurs normes sans s’y soumettre ou s’y conditionner ;D, mais ça c’est une toute autre histoire) .
Donc, si le terme interne allégeant ne vous sied pas, peut-être qu’on pourrait dire que c’est toute simplement une norme néolibérale. Et on pourrait décider d’arrêter de la suivre et de jouer le jeu de la néoliberalisation.
Vous pouvez faire l’inverse de cette définition et j’avais mis d’autres pistes dans cet article : [MQC] La norme d’allégeance : une forme de soumission
J’en ai mis d’autres ici aussi, à la fin du dossier : [PE8] Que faire contre l’allégeance au travail et en général ?
Et évidemment, à fond ici puisque c’est plus de 600 pages qui tentent de trouver des soluces contre l’autoritarisme et le néoliberalisme, sans internalité allégeante : En toute puissance, manuel d’autodétermination radicale – Hacking social (hacking-social.com)
Des sources au sujet de l’internalité allégeante et de la néolibéralisation :
(liste non exhaustive)
- Ronald Purser, « McMindfulness »
- L’allégeance : un principe des logiques d’aide à l’insertion professionnelle, Lionel Dagot and Denis Castra https://osp.revues.org/3362
- La norme d’internalité et le libéralisme, Nicole Dubois ; un extrait : norme-liberalisme-ext.pdf
- Les illusions libérales, individualisme et pouvoir social. Petit traité des grandes illusions, Jean-Léon Beauvois
- La soumission librement consentie, Robert-Vincent Joule, Jean-Léon Beauvois
- Psychologie du travail et des organisations, Claude Lemoine
- Des attitudes aux attributions, sur la construction de la réalité sociale, J.C Deschamps et J.L Beauvois
- L’internalité et l’allégeance considérées comme des normes sociales : une revue Bernard Gangloff http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1630
- De quelques variables modulatrices des relations entre croyance en un monde juste, internalité et allégeance : une étude sur des chômeurs, B. Gangloff, S. Abdellaoui et B. Personnaz http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=559
- La norme d’internalité, un concept de psychologie sociale libérale ? Odile Camus http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1662#tocto1n3
- À propos d’une critique critiquable : quelques précisions sur la théorie de la norme d’internalité – Cairn.info
Source de l’image d’entête : https://www.amazon.com/Mugua-Glass-Handmade-Bedroom-Garage/dp/B08DCQW6M4
touut cet article pour au final dire « parler de psychologisation c’est psychologiser les psychologues et la psychologie » :3
ya un angle mort de cet article, c’est que la psychologisation concerne en fait tout dépolitisation
c’est pour ça que je pense que le terme à propagandiser en remplacement serait plutôt « dépolitisation » que « internalisation allégeante »
parce que justement certaines dépolitisations « psychologisantes » sont des externalisations, typiquement quand un système d’oppression, plutôt que d’accabler, tente de justifier, typiquement dans le cas des agressions sexuelles et violences patriarcales. il arrive que des gens nient le caractère patriarcal ou l’éducation viriliste ou à la masculinité toxique, ou des déséquilibres économiques, pour dire que l’agresseur était justifié par le comportement d’autrui, une situation interpersonnelle difficile, l’alcool, etc. mais en niant le rôle du privilège masculin (économique, moral, éducatif).
Dans ces cas, bon, du coup une psychologisation dépolitisante en évacue une autre, une psychologisation politisante… donc c’est également critiquable, mais j’ai pas l’impression que l’article en parle, vu qu’il se limite à l’internalisation allégeante… alors qu’ici c’est ou bien une externalisation, ou bien un genre d’internalisation (dépolitisée, justifiée) face à une autre (systémique, niée)… du coup parler d’« internalisation allégeante » en plus de faire trop compliqué et précis, me semble pas pertinent… on pourrait juste dire « dépolitisation »
le caractère de ce blog, qui justement repolitise les problèmes psychologiques, me semble d’ailleurs pourtant très adapté à la question : au vu du dossier sur l’autoritarisme… la personnalité autoritaire s’applique-t-elle plus aux hommes qu’aux femmes (j’ai pas tout tout tout lu et j’ai mauvaise mémoire et je peux rater des trucs), se retrouve-t-elle chez les agresseurs, et, à défaut, est-ce qu’un genre de processus similaire est développable ou développés à propos de ceux-ci ?
[…] que de pathologiser, individualiser, essentialiser ou que sais-je (on en avait déjà parlé ici : https://www.hacking-social.com/2022/06/20/la-psychologisation-wtf/ […]