Sommaire de l'article
On revient aujourd’hui sur un format d’article qui n’est pas si nouveau, mais qu’on va désormais appeler « mot(s) qui compte(nt) » (MQC) : il s’agit de présenter un mot (ou une notion) que nous avons rencontré dans nos recherches et qui a fait « tilt » au point qu’on l’utilise tout le temps tant il est important, révélateur, éclairant. Il s’agit de le définir sans l’entremêler trop avec d’autres sujets (comme dans les dossiers), de l’explorer de façon très terre-à-terre, et voir comment on peut se l’approprier et entrevoir de nouveaux horizons grâce à lui. Ce ne sera pas exhaustif, ainsi pour saisir vraiment complètement la notion, je donnerais tout un tas de liens vers des contenus plus exhaustifs, qu’ils soient de nous ou non.
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- Photographie d’entête par Glenn Halog Clampdown, We are the 99%
Définition
La norme d’allégeance a été formulée et étudiée en premier lieu par Bernard Gangloff :
Pour le dire autrement, la société ayant cette norme d’allégeance et tous ses membres considèrent comme meilleures les personnes qui expliquent les événements, les faits, sans dire que c’est de la faute de l’environnement social, des autorités, des déterminants sociaux.
Au sujet d’un retard, le patron qui écoute l’employé, le beau-père qui rencontre son beau fils, le papi qui parle à son voisin, le prof qui écoute un élève, jugeront mieux l’auteur du retard s’il ne parle pas des éventuelles causes sociales, mais s’accusent, accusent autrui ou encore si leurs justifications sont floues (c’est à dire qu’ils sont interne allégeant ou externe allégéant) :
Là, l’employé, le beau fils, le voisin, l’élève seront bien perçus, excusés de leur retard ou du moins leurs explications acceptées.
Par contre, si l’individu est non allégeant, rebelle, c’est-à-dire s’il prend en compte des explications sociales pour justifier son retard, alors il sera mal perçu. Par exemple :
Ce rebelle-là, cet allégeant-là, ne sera pas recruté, sera mal perçu par sa belle famille, ne sera pas excusé de son retard. Parce que la non-allégeance, c’est prendre en compte l’environnement social et y répondre par son attitude (quand il s’agit de l’interne non allégeant) ; c’est s’opposer à l’autorité ou à des phénomènes plus grands, c’est donc une menace pour ceux qui veulent exercer une domination ou garder un fort contrôle sur la situation.
Quelques résultats des recherches
Toutes les recherches montrent que les autorités de toutes sortes (dans le social, au travail…) valorisent les allégéants et rejettent les non-allégeants.
Ici les agents de la mission locale (aidant les jeunes à trouver emplois ou formations) pensent que les chômeurs internes et externes allégeants trouveront plus rapidement un emploi que l’interne rebelle (étude de Dagot et Castrat, 2002) :
Ici les chiffres représentent un classement sur 4, 1 étant celui que les cadres pensent qu’il va réussir et 4 celui qui a le moins de chance de réussir :
On voit ici que même l’externe (ici allégeant) dont les explications sont toujours assez floues, comme « le manque de chance » ou le « c’est comme ça » est largement préféré à celui qui intègre dans ses propos des explications liées à l’environnement social.
Le classement est toujours plus ou moins le même : est préféré l’interne allégeant, puis l’externe allégeant, ensuite l’externe rebelle (= non allégeant) et le plus rejeté par les autorités et autres décisionnaires, est l’interne rebelle. Pire encore, les agents de la mission locale vont le décrire comme étant atteint de psychopathologies diverses :
La rébellion est considérée comme étant de l’ordre du pathologique, et cela par des agents travaillant pourtant dans le social. Celui qui ignore totalement les causes sociales et s’attribue toutes les fautes ou qualités est considéré comme parfaitement « sain ».
Vous trouverez tous les détails des recherches dans les liens que nous donnerons à la fin.
Pourquoi ils préfèrent l’allégeance ?
Les explications d’interne non-allégeant, rebelle, ont pourtant un discours plus dense surtout en comparaison de l’externe. Le rebelle dit c’est parce qu’il y a ce système, cette mécanique en place qu’il y a tel effet, l’externe va dire dire « c’est pas de chance ». Pourtant c’est l’externe qui sera recruté, considéré comme plus apte à trouver un travail, meilleur employé. Dans une société où c’est la logique qui prime, il serait plus rationnel que celui qui a des explications complexes soit plus recherché, parce qu’il y a plus de chance qu’il améliore l’entreprise, cherche à résoudre ces problèmes, qu’il soit très acteur du quotidien.
C’est exactement pour ces raisons que l’allégeance est préférée : l’individu allégeant ne remet pas en cause les mécaniques à l’œuvre, il n’essaye pas de changer quoi que ce soit ; s’il y a un problème, l’allégeant s’accusera lui-même ou dira que c’est vraiment un manque de chance.
Autrement dit, l’allégeant n’est pas une menace pour les personnes au pouvoir qui tirent beaucoup d’avantages de leur position : ces dominants peuvent faire d’énormes erreurs de gestion ou autre, ce n’est pas grave, les allégeants s’auto-accuseront ou accuseront d’autres personnes ; ils peuvent concevoir n’importe quel système horrible qui leur fait gagner 300 fois plus d’avantages financiers, si les subordonnés sont allégeants, ces derniers ne verront littéralement pas l’injustice, ou s’accuseront de ne pas avoir assez de volonté/de force de se hisser en haut de la hiérarchie, applaudiront la réussite personnelle injuste du dominant, ou encore accuseront les étrangers ou toute autre personne différente d’être la cause de leur pauvreté.
Être entouré d’allégeants pour un dominant, c’est garantir sa place dans un système qu’on ne veut surtout pas voir changer, car il nous procure des tas d’avantages financiers, un haut statut, de la dominance, du pouvoir, etc.
Cependant, cette préférence pour les gens allégeants se fait même chez des personnes qui n’ont pas de pouvoir ou de volonté de dominance : ils ont intériorisé cette norme, quand bien même elle dessert leurs quêtes et valeurs les plus nobles. Voyons les causes de cette adoption parfois consciente, parfois inconsciente :
- Ils adoptent l’allégeance par impuissance, faiblesse par rapport à d’autres environnements puissants ; c’est une interprétation donnée dans l’étude de Dagot et Castra : les institutions auraient été fondées ainsi, de façon à modeler les gens à devenir interne allégeant, par impuissance à résoudre les problèmes autrement. Et les agents suivraient cette directive implicite faute d’avoir les moyens de faire autre chose. Les agences pour l’emploi (missions locales, Pôle emploi) ne peuvent littéralement pas par exemple intervenir dans les entreprises pour essayer de comprendre pourquoi ils ne recrutent pas alors qu’il y a besoin de personnel, ce n’est pas dans leurs pouvoirs. L’État ne le permet pas, sans doute aussi par impuissance et faiblesse par rapport au monde économique, par soumission aux intérêts privés dont les lobbys rejettent la moindre initiative (par exemple récemment l’étiquetage informatif des aliments.
- Ils adoptent l’allégeance par humanisme, par croyance que cela s’oppose à la soumission. C’est assez triste comme constat, mais c’est ce dont j’ai pris conscience en me renseignant sur la communication non violente :
« Lors d’un autre atelier [de communication non violente par Rosenberg], mené cette fois-ci en milieu scolaire, une enseignante confia : « Je déteste mettre des notes. Je ne pense pas que cela serve à quoi que ce soit et ça angoisse beaucoup les élèves. Mais j’y suis obligée : ce sont les directives du rectorat. » Nous venions de faire quelques exercices sur la façon d’introduire en classe un langage qui permette à chacun de mieux prendre conscience de la responsabilité de ses actes. Je lui proposai de reformuler ce qu’elle venait de dire en commençant par : « Je choisis de mettre des notes parce que je veux… » Elle compléta sans hésiter : « parce que je veux garder mon poste. » Mais elle s’empressa d’ajouter : « Mais je n’aime pas le dire de cette façon. Cela fait peser sur moi tout le poids de la responsabilité de ce que je fais. » « C’est exactement pour cela que je voulais vous le faire dire », répondis-je. »
Les mots sont des fenêtres, M. Rosenberg
Pourquoi il force cette institutrice à gommer des explications systémiques ? Voici ce que dit Rosenberg :
« Je partage les sentiments de Georges Bernanos, quand il écrit : je pense depuis longtemps déjà que si un jour les méthodes de destruction de plus en plus efficaces finissent par rayer notre espèce de la planète, ce ne sera pas la cruauté qui sera la cause de notre extinction, et moins encore, bien entendu, l’indignation qu’éveille la cruauté, ni même les représailles et la vengeance qu’elle s’attire… mais la docilité, l’absence de responsabilité de l’homme moderne, son acceptation vile et servile du moindre décret public. Les horreurs auxquelles nous avons assisté, les horreurs encore plus abominables auxquelles nous allons maintenant assister ne signalent pas que les rebelles, les insubordonnés, les réfractaires sont de plus en plus nombreux dans le monde, mais plutôt qu’il y a de plus en plus d’hommes obéissants et dociles » Nous sommes dangereux quand nous ne sommes pas conscients que nous sommes responsables de nos actes, de nos pensées et de nos sentiments.
Les mots sont des fenêtres, M. Rosenberg
Les humanistes, du moins en psychologie, pensent qu’il faut que les individus se responsabilisent pour mieux œuvrer dans leur vie, être plus maîtres de leur actes. Et c’est tout à fait légitime quand on voit l’exemple de Milgram, oui il y a un besoin de se responsabiliser, de prendre sa vie en main pour ne pas se retrouver pion, pantin manipulable, et commettre des horreurs par soumission à l’autorité. Oui l’internalité est nécessaire, lorsqu’elle est résultante d’une forte conscience de ses sentiments, ses émotions
Mais cela n’implique pas d’effacer de sa conscience les déterminants sociaux, les causes systémiques, économiques ou culturelles et d’être allégeant. Au contraire, dans le Jeu de la mort (vidéo ci-dessous, à ne pas regarder si vous êtes déprimés) , ces « internes » résistants qui désobéissent avancent toujours des causes externes par exemple, une personne raconte que cela lui a fait penser à la dictature de son pays d’origine, aux horreurs de l’histoire. Être conscient des causes extérieures est une puissante force pour avoir le courage de dire non.
L’institutrice de l’exemple donné par Rosenberg était effectivement en externalité non-allégeante et oui, il était important qu’elle soit un peu plus interne, pour avoir la force d’agir, de prendre en main le problème. Mais il est totalement injustifié, voire dangereux à mon sens, de lui apprendre à dénier et à écarter ses explications sociales qui étaient parfaitement fondées.
A la place, je pense qu’il aurait du lui proposer une forme d’internalité allégeante : « J’obéis aux directives du rectorat parce que je veux conserver cet emploi que j’aime et qui me permet de survivre, mais ce système de note et ses conséquences sont insupportables de par leurs répercussions sur le moral des élèves et le mien. Peut-être que je peux trouver un compromis et rendre des notes pour ne pas perdre l’opportunité d’apporter des choses aux élèves, mais trouver un moyen que cela ne soit plus une angoisse. Peut-être que je peux m’engager contre ce diktat des notes. Peut-être que je peux saboter ce système. Peut-être que je peux en construire un autre par dessus… »
C’est un constat terrible, malheureusement, je vois aussi beaucoup la psychologie être larvé de ces biais d’allégeance et d’internalité, alors même que les finalités des travaux n’ont pas grand-chose avec une quête de pouvoir, mais une vraie volonté de comprendre ce qu’il y a de meilleur chez l’humain. J’aurai pu aussi signaler les expériences sur le self-control qui se sont révélées avoir d’énormes biais d’internalité allégeante au point de ne pas voir que la pauvreté ou la non-pauvreté était un déterminant fort dans les stratégies des enfants :
En fait « ne pas différer à plus tard la récompense » n’est pas un manque de self-control, mais est une stratégie adaptée quand on est pauvre, l’opportunité de manger pouvant disparaître du jour au lendemain, quelles que soient les promesses des autorités, mieux vaut ne pas attendre. Les critiques : https://www.nouvelobs.com/rue89/nos-vies-intimes/20180605.OBS7730/finalement-ce-n-est-pas-parce-que-l-enfant-mange-le-marshmallow-que-sa-vie-est-foutue.html
- Ils adoptent l’allégeance par stratégie. Dès 8 ans environ, en Occident, on apprend automatiquement à montrer de l’internalité dans ses explications, donc une forme d’allégeance. Or, qu’on singe ou non cette internalité allégeante, cela fait beaucoup d’années d’entraînement et d’autoformatage, au point que je pense qu’on le devient un peu au moins. Et même si les personnes sont totalement conscientes, sont non-allégeantes hors contexte normatif (une discussion avec de bons amis), par exemple en voyant l’injustice des salaires, de la répartition des richesses, en contexte normatif on va être allégeant. Parce que sinon, on n’est pas embauché. Parce que sinon, au travail, à l’école, dans telle administration, on a des ennuis. Nos requêtes ne sont pas entendues si on n’est pas allégeants.
Autrement dit, singer l’allégeance est une étape pour se sociabiliser, être intégré dans une structure, ne pas avoir de problème. Ne pas savoir singer l’allégeance, c’est être marginalisé. En cela, il n’y a pas à culpabiliser d’être parfois allégeant, c’est un rôle indispensable à savoir jouer, au moins un temps, pour être intégré.
Le danger, c’est de perdre la conscience que c’est un rôle et de devenir totalement interne allégeant, car cela réduit drastiquement notre potentiel de réflexion.
C’est donc tout un dilemme : comment préserver son internalité rebelle tout en étant néanmoins un peu accepté, notamment pour survivre et vivre sans que la vie soit horrible en permanence à cause des disputes ou rejets que cela augure. Lionel Dagot donne une astuce toute simple notamment pour les agents d’insertion, qui doivent faire apprendre l’internalité allégeante, mais qui veulent préserver les personnes, ne pas les formater :
Il suffit d’être explicite lorsqu’on transmet ces stratégies aux personnes, ne pas cacher que c’est une norme, que cela peut être un jeu d’acteur à exercer et non une réalité à incarner. Même au-delà de la question d’allégeance, lorsqu’on est responsable d’autrui, c’est vraiment une astuce à tenter, elle fait des merveilles parce que tout est clarifié pour tout le monde.
Quand il s’agit soi-même de singer l’internalité allégeante mais tout en préservant l’internalité rebelle, je pense qu’il y a à s’inspirer des modes de sociabilisation des enfants très sociaux de maternelle : en premier lieu ils observent le groupe des enfants avec qui ils veulent jouer pour apprendre le jeu et les attitudes convenues, conformes ; puis ils imitent en respectant les codes pour s’intégrer ; une fois intégrés, ils proposent de petites différences dans le comportement, le jeu ; puis petit à petit, ils ont exporté à tout petit pas leurs différences, et pour les plus créatifs d’entre eux, ont changer radicalement le jeu, les attitudes. Ce n’est pas de la manipulation, de l’influence ou de la persuasion, c’est parce que le groupe a petit à petit reconnu ça comme plus fun, plus profitable, etc. On peut faire de même adulte, avec notre non-allégeance, mais aussi avec notre créativité, nos bizarreries et autres singularités.
Attention, ce n’est pas complot ! Mais ça peut servir à l’exploitation et à la manipulation
C’est systémique. Rosenberg cité plus haut, ne fait pas exprès de supprimer la lucidité de l’institutrice, il pense l’aider, pas la formater à l’idéologie dominante ni la rendre plus malléable, au contraire, il vise l’inverse.
Cependant quand il s’agit de mesures politiques, qui sont par essence réfléchies pour servir des intérêts (pas vraiment du peuple), évidemment qu’on peut s’interroger. Mais comme je disais au-dessus, qu’un politicien manigance n’est pas le plus grave : c’est prévisible, on peut le décortiquer plus visiblement, on sait qu’il y a des intérêts de garder le pouvoir, la dominance, les intérêts pour soi. Même si les conséquences sont gravissimes, au moins c’est attendu, on le voit bien, c’est clair.
C’est beaucoup plus triste de retrouver perpétué ces biais idéologiques par des agents sociaux, des psychologues, des personnes qui œuvrent pour le bien-être des personnes, et qui faisant preuve d’allégeance, donnent à leur travail un caractère totalement violent et oppressif alors qu’ils cherchent l’inverse. On s’attend à du positif, l’œuvre est positive comme la communication non violente par exemple, mais s’y glisse une horreur sans nom sous de beaux atours. C’est, par incidence, d’un machiavélisme très invisible, et sera repris évidemment d’autant plus facilement par ceux qui ont des volontés de dominance, d’autorité. C’est pourquoi il est fondamental à mon sens dans notre époque d’être toujours non allégeant dans ses travaux, sans quoi ils seront repris pour oppresser les gens d’une nouvelle façon.
J’ai évoqué cette torsion des plus beaux concepts avec la pleine conscience (ici) qui est en train d’être tordue, excepté ses versions non-allégeantes comme la méditation de compassion dont parle Matthieu Ricard, ou encore la méditation façon Fabrice Midal, qui est en opposition radicale avec la compétition, l’exploitation des personnes ;
Je donne ces exemples parce qu’on voit là qu’on peut proposer des choses aux personnes qui soient intrinsèquement non allégeantes, donc pas transformables en nouvel instrument d’exploitation ou de manipulation. La compassion, la paix, profondément et radicalement intrinsèque à ce qu’on propose, semble une piste forte de résistance, mais il faut que cette compassion et cet appel à la paix soit vraiment radicale, profonde , réfléchie en tout ses aspects et maintenue grâce à une très forte autodétermination de la personne qui la conçoit ou en parle. Si l’on singe la compassion, qu’on la compartimente, qu’on ne se l’applique pas à soi-même, ça ne marche pas.
Pourquoi ce mot compte pour nous ?
Cette notion d’allégeance et les résultats que cela a donné (qu’il faut être allégeant pour accéder à des postes, des choses intéressantes ; qu’être non allégeant c’est être très mal perçu) explique une forme de soumission très moderne, qui consiste à se centrer sur soi ou sur les caractéristiques des personnes (internalité) ainsi qu’ignorer tous les déterminants sociaux. On ne doit pas voir les effets des environnements sociaux, même ceux très gros comme « la crise économique », et plutôt rejeter la faute sur soi « je suis au chômage, car je suis nul » ou sur les autres « il y a du chômage, car des étrangers méchants volent nos emplois ».
Ce biais d’internalité allégéante, on le voit continuellement (liste non-exhaustive) :
- dans le coaching (c’est à vous de faire des efforts, de faire preuve de volonté, de self-control, l’environnement n’a pas à changer ou être changé),
- le développement personnel (faites des efforts pour être heureux, les sources de malheur sont en vous, pas dans l’extérieur qu’il faudrait laisser inchangées),
- le management (si ça ne marche pas, c’est à cause des employés que vous n’avez pas bien manipulé/orienté/influencé, les circonstances et le contexte ce sont des excuses de fragiles),
- la politique :
Il a également déclaré : « «J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses et des explications culturelles ou sociologiques à ce qu’il s’est passé.» ou encore «Aucune excuse ne doit être cherchée, aucune excuse sociale, sociologique et culturelle.» C’est un appel à l’allégeance, à ne surtout pas chercher à comprendre les déterminants sociaux pour les régler.
- et pire encore c’est dans l’architecture de certaines institutions, comme on l’a développé dans notre dossier Pôle emploi (et qui parlait aussi des missions locales et du monde professionnel).
Que l’allégeance soit l’architecture d’une institution empêche celle-ci de régler vraiment le problème qui n’est pas de nature individuelle, de la faute des gens, mais de l’ordre économique, politique, environnemental, etc. Comme par exemple tout simplement le progrès technique qui permet aux humains de ne plus exercer des postes extrêmement durs en usine (mais qui n’a pas amené des adaptations sociales, comme la meilleure répartition des bénéfices).
Ce mot allégeance compte, parce qu’il permet d’absolument tout repenser d’une nouvelle façon, y compris des questions politiques, en cela c’est une notion qui personnellement est très rapidement devenue essentielle à notre réflexion, pour imaginer des solutions nouvelles.
On fait quoi avec le concept d’allégeance ?
Vous l’avez vu au-dessus, comprendre ce concept ouvre quantité d’horizons, de réflexions sur tous les aspects de la société des plus simples dans une discussion, au fondement des institutions, à la politique, aux idéologies, à la critique scientifique, etc. Jamais je n’aurais vu le problème de cet extrait de la communication non violente si je n’avais pas avant connu le concept d’allégeance : au mieux, je pense que j’aurais adhéré au livre et ce qu’il préconise, avec néanmoins un sentiment étrange en arrière-goût, mais sans pouvoir le nommer, l’expliquer, détailler ce qui clochait. Donc sans possibilité de trouver une solution pour y remédier, le corriger, le « patcher ». L’allégeance est un concept clef véritablement, personnellement il m’ouvre encore des milliers de portes que je n’aurais jamais aperçues.
Donc, concrètement pour « utiliser le concept d’allégeance », voici ce qu’on peut faire :
1. restaurer la grosse image pour ne plus être allégeant
Et ce n’est pas évident parce qu’on a été formaté depuis ses 8 ans à être interne allégeant, donc si on est allégeant c’est dur de repérer de l’allégeance. Pour cela, le truc, c’est de voir la grosse image (traduction littérale de « big picture »), la vue d’ensemble.
Au lieu de voir ça :
« dépressif, faible, fragile, ne fait pas d’effort pour être bien dans sa peau, devrait sourire plus, ne sait pas régler ses problèmes, est pénible… » (ce jugement protège le système dans lequel est cet enfant en le dédouanant d’être la cause de sa tristesse)
Il faut voir ça :
Et il ne faut pas hésiter à investiguer tous les détails. Par exemple, on oublie souvent l’influence phénoménale que peut avoir la température d’un lieu, comme la chaleur qui peut vraiment mettre un climat social d’énervement. Mais les déterminants d’un comportement peuvent être la foule, les contraintes physiques d’un lieu, le niveau sonore, le type de musique, les bruits, les odeurs, les miroirs (les personnes font plus attention à leur comportement en présence de leur reflet), l’ergonomie ou la non-ergonomie des objets, les feedbacks sociaux (soupirs, mimiques, tons de leur propos, niveau sonore de leur propos, remarques, commentaires, jugement, non-jugement, etc.), présence en groupe ou solitude, etc.
Je me rappelle une fois avoir été encore plus stressé à l’idée d’un rendez-vous chez le dentiste, eh oui en bonne formatée interne allégeante je me suis demandée pourquoi je manquais de self-control ; ce n’est qu’après coup que je me suis rendue compte qu’il y avait des travaux à côté du cabinet, donc des bruits très pénibles de perceuses qui symboliquement se mélangeaient à l’idée de la roulette que j’allais subir. Forcement, ça stresse plus !
Plus on prend en compte la grosse image, qu’on se décentre de soi ou des gens, et qu’on regarde bien tout, plus on a de chance de voir plein de déterminants puissants. D’une part ça nous rend moins interne allégeant, mais permet de voir plus de choses aussi. C’est littéralement une porte vers l’ouverture d’esprit, l’ouverture même de la perception.
2. chercher la non-allégeance partout, l’imaginer
C’est aussi très dur parce qu’on sent littéralement nos formatages poser des murs à notre imagination, on est bridé et c’est extrêmement pénible à ressentir. J’ai remarqué qu’au début il y a un délai phénoménal entre ce qui se passe et enfin la compréhension façon « grosse image » non allégeante : on vit quelque chose, on l’interprète mal (« c’est de ma faute/c’est de sa faute » souvent), et ce n’est que longtemps après qu’on comprend tous les déterminants (« c’était une situation terrible parce que X et Y et Z (…) »).
Pas besoin de s’en vouloir, de ce délai dans la réflexion, au contraire c’est une victoire : on a réussi à analyser pleinement les choses. Certes, ça a pris du temps, mais on a réussi et ce qu’on a compris servira pour le futur. Plus on s’exerce à imaginer la non-allégeance, moins c’est coûteux, plus ça vient rapidement.
Sans forcément la repérer, on peut l’imaginer. Je me rappelle qu’avec des collègues on était consterné de la conformité d’un discours de départ à la retraite où l’un des dirigeants applaudissait par exemple quand le futur retraité disait « travailler en permanence » pour la société ; et moi et mes collègues étant un peu à l’écart, on le refaisait version cynique, retraçant la vie de ce salarié enfermé à loquet dans son cagibi-bureau. C’était juste un bon moment de rigolade sur l’instant, mais cet épisode m’a complètement inspiré par la suite. Et qu’est-ce qu’aurait donné un discours non allégeant dans un contexte de départ à la retraite ? Je me suis dit que la rébellion absolue aurait été de garder l’aspect gratitude tout en dénonçant les mécaniques vicieuses subies par le passé, par exemple « je remercie vivement mes collègues untel et untel pour m’avoir soutenu alors que j’avais été mis au placard, du fond du cœur je vous suis reconnaissant d’avoir eu le courage de ne pas m’oublier ! », ce serait d’un courage formidable tout en conservant la forme positive de la gratitude. Que donnerait la non-allégeance à un mariage ? Aux oscars ? A la réception d’un prix, d’une médaille, d’une promotion ?
Si je traîne sur ces anecdotes, c’est parce qu’observer, imaginer, réinventer, même par le simple délire entre amis, c’est commencer à rendre possible ces choses. Quand on lit un livre, le cerveau vit les émotions et ce qui est lu comme s’il le vivait. Vous comprenez la logique ? Plus on imagine quelque chose de radicalement différent, plus on se donne de probabilité de le percevoir dans la vie ou de le faire, on s’ouvre des fenêtres, on ouvre son attention à la non-allégeance. Et, en plus, c’est intrinsèquement fun de faire ce genre d’exercices.
On peut imaginer d’autres systèmes également, c’est ce que j’ai essayé de faire à la fin du dossier traitant de la non-allégeance, en inventant un système de guilde, certes sûrement farfelu, mais au moins qui dépasse les murs de l’allégeance.
3. Corriger l’allégeance et la rébellion
Une fois qu’on a compris l’allégeance ou la non-allégeance d’un propos, on peut la corriger, la retourner comme une crêpe, jouer avec. On peut rendre un contenu allégeant non-allégeant et du coup le rendre vraiment intéressant.
C’est ce que j’ai tenté de faire au-dessus avec l’exemple de l’institutrice et la communication non violente, mais on peut le faire avec n’importe quel contenu allégeant par inadvertance, et le rendre meilleur.
4. Parler de ces expériences d’allégeance et de non-allégeance
Et je dirais même, parler de ces expériences tout court. Il ne s’agit pas de monopoliser la parole pour raconter sa vie, mais de partager l’expérience en elle-même, ce qui est plutôt rare j’ai l’impression. C’est-à-dire avec les doutes, les échecs, les sentiments, les émotions qui nous ont traversées, y compris les négatives, face à un défi. Trop souvent les personnes tendent à gommer la complexité du ressenti pour n’en garder qu’un ton « normatif », soit de réussite convenue et d’échec convenu, et uniquement sur des thèmes eux aussi conformistes pour ne pas être rejeté d’un groupe. Or, ces mêmes personnes, si on les connaît bien, vivent, construisent des choses extraordinaires que ce soit par une démarche écolo assez téméraire ou encore par un combat au travail, etc.
Je sais que beaucoup de personnes rebutent à parler de leurs expériences, soit parce qu’ils sont tournés vers l’action et ne sont pas de grands bavards ; soit parce qu’ils ont peur de paraître narcissiques ou égocentriques ; soit de ne pas être compris ou de paraître niais si l’expérience est positive, ou encore pas assez intéressant parce que cela porte sur un détail. Pour d’autres encore, il est naturel de vivre de façon anticonformiste, et c’est tellement normal chez eux qui ne voient pas pourquoi ils en parleraient, comme personne ne parlerait de comment il fait la vaisselle.
Souvent dans les cas « d’héroïsmes » altruistes, il y a ce phénomène étrange où le sauveur disparaît dans la nature après avoir sauvé, sans même que quiconque puisse le remercier : beaucoup de gens commettent des actes prosociaux extrêmement importants avec désintéressement total pour la « récompense » (remerciement, gloire, félicitations, reconnaissance de l’héroïsme, jugement positif). Ils le font et n’en parlent pas, comme on range son salon et qu’on n’informe pas la Terre entière de cet acte qui nous paraît « normal ».
Pourtant les autres ont besoin d’explications sur cette expérience, pour savoir que ça existe et que c’est possible ; également pour pouvoir la reproduire, pour savoir ce qu’on ressent lorsqu’on fait ça, pour savoir comment on en arrive à faire ça.
Les tweets que j’ai rapportés dans une revue du web sont assez exemplaires en ce sens :
En fait, il s’agit juste de décrire ce qui s’est passé, au plus proche de la réalité extérieure et intérieure, sans omettre les doutes, la part d’inconnu stressantes, les obstacles, la situation, le contexte. L’ego est hors de propos, on se centre sur l’expérience, donc cela n’a strictement rien de narcissique. C’est juste une capture d’écran d’un jeu avec vue à la première personne, on ne voit que l’action.
5. Détourner
C’est par exemple, quand on le peut, tenter de vivre en étant non-allégeant. C’est assez simple dans le mode d’emploi : il suffit d’expliciter tout, y compris ce qui est normalement caché. Cela détruit l’allégeance qui est un déni, qui comporte des informations cachées ou ignorées.
Mais c’est plus dur à réaliser dans les faits, parce qu’on ne sait pas comment va réagir l’autre. Je l’ai testé plusieurs fois dans des environnements différents de travail (l’un horrible, l’un très cool), ça n’a pas marché dans celui horrible, car clairement c’était beaucoup trop complexe d’emblée : j’expliquais à la nouvelle recrue les normes de caisse qui était à respecter, mais en précisant que dans la réalité il ne fallait pas suivre ces règles et faire d’une autre manière, mais jamais devant tel chef, il fallait le faire ainsi pour atteindre tel chiffre sinon cela nous était reproché ; que tout cela était ridicule et contradictoire, mais qu’il fallait le faire pour avoir la paix, etc. La personne était stressée, ça l’a, je crois, encore plus stressée.
Dans l’environnement cool, j’ai fait ce même genre d’explication totale en « grosse image » avec encore des personnes que je devais former : « on n’a pas le droit de faire ça, mais en vrai tout le monde le fait, mais il faut être discret et avoir gagné de la confiance auprès d’untel et untel ; moi je trouve ça injuste et je t’engueulerais pas pour ça, je veux juste que tu sois discrète parce que je veux pas que tu ais de problèmes ni en avoir moi-même[…] » j’ai bien vu qu’elle a été surprise de mon explication, sans doute une surprise un peu négative, mais elle m’a écoutée et a capté très rapidement par elle-même tous les autres phénomènes complexes qui demandaient une fausse allégeance : parce que l’environnement travail était très bon globalement, parce qu’elle était très intelligente et très vivement autonome, parce que je lui délivrais absolument tout ce dont elle avait pour être autonome et n’avoir pas besoin de moi.
Le plus dur à mon sens est de savoir quand c’est le bon moment, le bon lieu, quand la personne peut être apte à entendre tout cela. Quand j’ai pu le faire – trop rarement – cela s’est fait au feeling. La seule chose que j’ai maintenue en moi est de l’ordre de vouloir vraiment, sincèrement, que les personnes soient autonomes, vraiment libres et j’ai essayé d’être dans la compassion. Je ne sais pas si un maintien de ce genre est nécessaire ou non, c’est à chacun de construire son propre rapport au monde et ce qui est le mieux aussi pour lui-même.
Un résumé de l’internalité allégeante :
Pour aller plus loin sur ce sujet
Sur l’allégeance :
- L’allégeance : un principe des logiques d’aide à l’insertion professionnelle, Lionel Dagot and Denis Castra https://osp.revues.org/3362
- L’internalité et l’allégeance considérées comme des normes sociales : une revue Bernard Gangloff http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1630
- De quelques variables modulatrices des relations entre croyance en un monde juste, internalité et allégeance : une étude sur des chômeurs, B. Gangloff, S. Abdellaoui et B. Personnaz http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=559
- La croyance en un monde du travail juste et sa valorisation sociale perçue par Bernard Gangloff https://www.cairn.info/revue-humanisme-et-entreprise-2010-3-page-45.htm
Sur l’internalité :
- La norme d’internalité et le libéralisme, Nicole Dubois
- Les illusions libérales, individualisme et pouvoir social. Petit traité des grandes illusions, Jean-Léon Beauvois
- Des attitudes aux attributions, sur la construction de la réalité sociale J.C Deschamps et J.L Beauvois https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychologie-sociale-2009-1-page-39.htm
- À propos d’une critique critiquable : quelques précisions sur la théorie de la norme d’internalité, Jean-Léon Beauvois https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychologie-sociale-2009-2-page-117.htm
- La norme d‘internalité et « l’individu responsable, utile et heureux de l’être » Daniel Gilibert https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00589850/document
Le dossier/livre dans lequel nous avons résumé et rassemblé les études sur l’internalité, l’allégeance, les attributions causales et qui parlent aussi des biais d’allégeance des institutions : Pôle emploi au cœur d’un formatage.
Ou la conférence que nous avons faite sur ce sujet :
[…] + de détails ici : [MQC] La norme d’allégeance : une forme de soumission – Hacking social (hacking-social… […]
[…] La notion en résumé :https://www.hacking-social.com/2019/02/04/mqc-la-norme-dallegeance-une-forme-de-soumission/ […]
Article remarquable !
Peut-on extrapoler la notion d’internalité allégeante à un exemple historique comme les sorcières sous l’inquisition? Là, pour le coup, les causes extérieures sont esquivées (l’obscurantisme) pour imputer la seule responsabilité à un individu (vous êtes possédé par le malin).
Comment décririez-vous les choses avec cet exemple ?
[…] fait un résumé de l’erreur d’internalité allégeante ici : https://www.hacking-social.com/2019/02/04/mqc-la-norme-dallegeance-une-forme-de-soumission/ ; en gros, c’est lorsque face à un problème, on met la responsabilité de celui-ci sur […]
[…] j’ai parlé de la notion d’allégeance ici : https://www.hacking-social.com/2019/02/04/mqc-la-norme-dallegeance-une-forme-de-soumission/ […]
[…] erreurs, de l’irresponsabilité. Au travail, et globalement dans nos milieux occidentaux, la norme d’internalité allégeante est à l’œuvre : c’est à dire que les personnes qui donne des causes extérieures à […]
[…] [MQC] La norme d’allégeance : une forme de soumission […]
[…] [MQC] La norme d’allégeance : une forme de soumission […]
[…] [MQC] La norme d’allégeance : une forme de soumission […]
[…] ; l’offense serait considérée uniquement d’un point de vue individuel (internalité allégeante) : l’offenseur serait considéré intrinsèquement mauvais ou ne faisant pas d’efforts. […]
[…] la domination d’une idéologie dans leur propos), tend à être un exercice de conditionnement à l’internalité allégeante : c’est-à-dire que plutôt que de se libérer des illusions de l’ego, plutôt que de penser […]
[…] il s’avère que ces deux moments entrent en résonance, et, ma foi, sont tous deux magnifiquement non-allégeant […]
Tout d’abord merci pour ton travail sur ces questions (et votre travail plus globalement, Hacking Social), dans des temps de questionnements et de perte totale de mes repères vous imaginez pas à quel point ça me rassure de voir une lumière et d’avoir un peu de nourriture pour remplacer, disons de manière imagée, la perfusion de ce sur quoi je me suis construit.
J’arrive totalement après la bataille mais l’article fait écho à des questions que je me pose depuis quelques temps et j’arrive pas à avancer dessus, du coup ton avis pourrait, je pense, apporter beaucoup !
J’ai commencé à prendre conscience des constructions qui me déterminaient par celle du couple hétéronormatif, ce que j’ai tendance à appeler « script de vie »: l’idée que vers tel âge (disons 30ans) on va se « poser » avec son/sa partenaire (de sexe opposé en général), faire un prêt immobilier pour acheter une maison/appartement, fonder une famille etc. J’ai eu la sensation que mon envie de rencontrer quelqu’un avec qui partager une relation romantique était une envie « extérieure » s’inscrivant dans ce script, que ça venait pas de moi comme les émotions que je pouvais ressentir plus quotidiennement, banalement, mais que c’était une pression qui appuyait sur moi.
Malheureusement dans mon cas c’était problématique, car cela rentrait en conflit avec des émotions et envies que je sentais pour le coup « internes », et qui m’indiquaient que ce n’était pas cette voie que je voulais suivre, sans pour autant que je n’arrive à prendre pleinement conscience des ces émotions, de pourquoi je ne voulais pas suivre ça. Et ce conflit il faisait rudement pas du bien, donc il a fallu que je trouve un moyen de m’en extirper.
C’est notamment dans la CNV que j’ai trouvé le concept de responsabilité qui m’a beaucoup aidé. Mais ce concept est tellement flou que je pense en avoir fait une interprétation très différente de celle que peut en avoir la CNV et de celle que tu en as faite, en particulier quand je relis le passage que tu exposes sous le prisme de l’allégeance et de l’internalité.
Dans mon cas, prendre la responsabilité de mes envies « extérieures » ça a été accepter que, même si les constructions qui en sont à l’origine sont extérieures, l’émotion qui en a découlé est désormais mienne, et que la considérer, en tant qu’émotion, « extérieure » (ne pas en prendre la responsabilité selon mon interprétation du concept), c’était vain. Même pire: cela m’empêchait de l’écouter proprement, de saisir ses développements sur mon système de pensée, mes habitudes, mes actes. Je me suis mis à percevoir à la place chaque émotion comme ayant une origine en bonne partie induite (déterminée si l’on reprend les termes de la TAD), que les conflits venaient du fait de paradoxes (tiens je me souviens de « Vendez-vous » et des injonctions paradoxales, je viens de faire le rapprochement), et que la sensation d’extériorité s’expliquait peut-être plutôt parce que parmi ces injonctions, j’en avais mieux intégrées certaines pour X ou Y raison.
Pour en revenir à ce concept de responsabilité, comme je disais il m’a l’air si flou, et il me faisait tiquer aussi car je le sentais se rapprocher doucement mais sûrement du développement personnel, mais je veux pas le jeter à la poubelle, tout comme beaucoup de choses que m’ont apprises ma lecture de la CNV. Il m’a été extrêmement utile dans l’exemple que j’ai raconté, et il m’est encore extrêmement utile dans l’introspection, l’écoute de mes émotions, leur compréhension. Alors j’ai envie de le bidouiller pour lui retirer cette allégeance qui en dérive assez facilement. Pour le moment j’aime à différencier les responsabilités des actes et des émotions. Sûrement on pourrait alors ajouter la responsabilité de l’origine de ces émotions, mais déjà donner une définition pratique de la responsabilité ça me semble déjà « mission impossible » ^^’
Dans la responsabilité des actes, je vois une grande part de raisonnement, c’est-à-dire comment notre raison a traité les émotions pour prendre telle ou telle décision dans l’action. En cela effectivement, l’interprétation est plutôt interne: tu as pris la décision, mais il y a des limites évidentes quand l’on fait apparaître les biais de raisonnement. Ca me fait alors penser que la séparation que je fais entre raison et émotions est tout simplement pas un prisme qui me permet de résoudre proprement ce problème, puisque la raison n’implique même pas responsabilité internalisante totale de ce fait de l’existence de biais sur lesquels des constructions sociales se sont bâties.
Dans la responsabilité des émotions, je vois plutôt une sorte d’acceptation de ses émotions, ce qui en pratique est pas du tout évident. Exemple, quand j’ai dû accepter que j’avais une forme d’envie de rencontrer quelqu’un plus pour la relation que pour la personne, j’étais en mode « mais si je fais ça, je serais un enfoiré d’après ma propre vision des choses ».
Et c’est là que la responsabilité de l’origine de ces émotions prendrait sens à être non-allégeante, afin de résoudre les injonctions paradoxales. J’accepte de ressentir des envies contradictoires, sans jugement, mais ça ne m’empêche pas de chercher leur origine ailleurs qu’en moi-même.
Mais du coup avec ce prisme la responsabilité, notamment celle des actes, reste super difficile à allier à la l’internalité et l’allégeance (ou plutôt du coup la non-allégeance). J’ai l’impression que le passage par la responsabilité des émotions telle que je la décris fait un passage de l’externe à l’interne, mais aussi de non allégeant à allégeant.
Bref, si tu as un avis à apporter (ou quiconque qui lirait ce commentaire), je serais ravi d’en discuter!