Sommaire de l'article
Cette rentrée, nous allons inaugurer une série d’articles sous l’étiquette de « Fachologie ». Et avant d’entamer la publication du premier article (qui arrivera dans quelques jours), commençons par expliquer ce terme : fachologie.
Qu’est-ce encore que ce néologisme ? Pourquoi reprendre un mot déjà bien galvaudé ? N’est-ce pas inapproprié, voire un poil provocateur ?
Il y a quelques années, à l’occasion d’un évènement public où nous discutions de trolls d’Internet à forts préjugés, Viciss avait utilisé au détour d’une phrase le mot « facho », faisant référence au attitudes et comportements tel qu’entendu par les auteurs de la Personnalité autoritaire (Adorno, 1950 ; nous y reviendrons). Ces échanges avec d’autres invités et le public ont continué, ce fût un moment très enrichissant.
Quelques jours plus tard, nous recevons un mail d’une personne présente à cet évènement. L’auteur du message commence par nous signifier qu’il apprécie notre contenu en général, mais très vite le propos devient critique, pour ne pas dire virulent, et surtout très méprisant à l’égard de Viciss.
Petite précision avant d’évoquer la teneur du message : à l’époque, n’ayant pas encore fait mon CO et ma transition, j’étais perçue comme un homme.
À mon endroit, l’auteur du mail était très flatteur, m’évaluant comme pertinent, réfléchi, respectueux, dans l’argumentation. Bref, il ne me donnait que des bons points. Mais ces bons points servaient surtout à dévaloriser Viciss par comparaison, évaluée par l’auteur comme : trop « polarisée », « agressive », « laissant trop de place à [ses] émotions ».
Déjà, je pense que certains d’entre vous ont repéré dans son comparatif des modalités typiques du sexisme : quand c’est Viciss qui parle, c’est trop émotif, agressif, polarisé ; quand c’est Gull qui parle, c’est carré, argumenté, respectueux….
Hum.
Pourtant, Viciss et moi sommes 100% en phase par rapport à nos contenus et notre démarche, cette activité se faisant au quotidien main dans la main (ou plutôt synapses à synapses). Ainsi, si nos modes d’expression diffèrent, le fond de la démarche est similaire : nous sommes certes deux personnes bien singulières, mais dans la démarche qu’est le hacking social nous surfons sur la même planche, d’autant plus quand nous sommes toutes deux conviées à un évènement. Nous connaissant par cœur, nous voyons nos différences d’expression comme complémentaires, nullement comme concurrentielles. Vouloir ainsi nous « comparer » en distribuant à l’une des bons points, à l’autre des mauvais points, comme nous mettant dos à dos, est déjà assez navrant ; mais plus encore quand, dans ce cas de figure, ressort ce genre d’asymétrie :
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« L’homme » qui parle est rationnel et objectif / la femme qui parle est trop émotionnelle, trop subjective ;
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Un homme qui parle avec enthousiasme et engagement est un homme déterminé qui fait preuve d’assurance, ses piques étant tout à fait acceptable, après tout cela n’est qu’humour et finesse / une femme qui parle avec enthousiasme et engagement est une personne qui se laisse emportée par ses émotions, c’est un manque de maîtrise et de retenue, et si en plus de temps en temps elle fait des petites piques c’est inacceptable, c’est un manque de rigueur, c’est « agressif », « irrespectueux ».
Avec le recul, l’une des questions qu’on se pose Viciss et moi suite à le relecture de ce mail, c’est de savoir si nous aurions eu droit à une telle comparaison si j’avais déjà fait mon CO et ma transition lors de cet évènement. Aurais-je été perçue de la même manière (argumentée, respectueuse, avec de l’humour…), aurions-nous été jugée de la même manière, sans comparaison ? Ou peut-être n’aurions-nous tout simplement pas reçu de mail, irrécupérables que nous sommes. Nous ne le saurons jamais, mais à titre personnel je suis à peu près certaine que ce message n’aurait pas été anglé de la même manière.
Cette comparaison au relent sexiste n’est pas le cœur de mon propos (Viciss aura sans doute l’occasion de vous en reparler, notamment en rapport avec les thématiques qu’elle étudie en ce moment, soit la honte), ni le cœur de son message, car le véritable nœud du problème, ce qui a été selon lui une très grave faute de notre part : avoir osé utiliser en public le mot « facho » !
Extrait du message :
« Là où j’ai été réellement choqué, c’est quand vous avez parlé des trolls sur Internet. « Trolls », OK. « Haters », OK. Mais « facho » ? Pouvez-vous m’expliquer ce que le fascisme vient faire la dedans ? Savez-vous au moins ce qu’est le fascisme ?
Pour moi, cette attitude lors d’un débat fait perdre toute crédibilité à l’intervenant.
J’ai bien compris que vous n’aviez pas vocation à être neutres, que vous êtes engagés, mais ce n’est pas une raison pour dire n’importe quoi.
Je suis particulièrement déçu, parce que vous êtes, compte tenu du contenu que vous produisez, très bien placés pour ne pas faire ce genre d’erreurs grossières justement, en totale incohérence avec le propos de votre chaîne. »
Viciss avait eu tort d’utiliser le mot « facho », l’auteur précisant que c’est à se demander si cette femme savait vraiment ce qu’est le fascisme. Par conséquent, le simple fait d’utiliser ce mot nous aurait fait perdre automatiquement toute crédibilité.
Il précise également qu’en plus cette faute grave ( dire « facho »), ce serait aussi en « totale incohérence » avec notre propre démarche et contenus passés.
Ça fait toujours plaisir quand un individu qui vous interpelle ainsi de manière si « agréable » (ben oui, c’est un homme qui nous écrit ce mail, c’est forcément respectueux, argumenté et non agressif, ça tombe sous le sens, non ?) se présente comme étant plus expert que vous dans la connaissance de vos propres réalisations, contenus, démarche.
Pour rappel, à l’époque de cet évènement qui a eu lieu en 2019, Viciss (la fautive qui dit « n’importe quoi ») avait déjà publié sur le site un dossier complet sur les premières études de la personnalité autoritaire, le titre du dossier étant « Espèce de Facho ! » (dossier que vous pouvez retrouver ici : https://www.hacking-social.com/2017/07/07/pdf-espece-de-facho-etudes-sur-la-personnalite-autoritaire/ ).
Viciss entendait parler de fascisme sous cet angle, d’autant que lors de l’évènement, lorsqu’elle a désigné des commentaires comme étant « fachos », elle pensait explicitement à plusieurs messages que nous recevons parfois sur la chaine ou notre site, ce type de commentaires exprimant explicitement des idées fascistes et correspondant aux caractéristiques autoritaires étudiées par les chercheurs.
Pour donner quelques exemples, voici une personne en appelant à des actes terroristes d’extrême droite sur nous et notre communauté :
Ou encore ici, ouvertement nazi et prônant le fascisme :
Quant à la chaîne, certes je n’avais pas encore débuté la série sur l’autoritarisme (bien que je commençais à l’envisager à l’époque), mais sa raison d’être était déjà bien calée selon cette démarche autodéter et anti-autoritaire qui a toujours été nôtre (prenez nos plus anciennes vidéos, telles que celles sur le costume : dès le départ il s’agissait de mieux saisir les effets insidieux des hiérarchies sociales et rapport de domination par la symbolique du vêtement).
Voilà pour ce qu’il en était déjà de notre démarche et du contexte.
Mais ce que je veux mettre ici en avant via ce message, indépendamment de son caractère sexiste et méprisant, c’est qu’il est assez illustratif du caractère quelque peu polémique et épidermique de l’usage du terme « facho », au point parfois que le simple fait le prononcer revient à « briser » un interdit, d’autant plus quand vous êtes dans une démarche de vulgarisation scientifique.
D’une certaine manière, je crois avoir moi-même pendant longtemps internalisé cet interdit, comme si au fond de moi était solidement fixé un panneau sur lequel on pouvait lire :
« Faut pas dire facho ! »
Ce n’est pas pour rien que Viciss a été capable d’employer ce terme durant cet évènement contrairement à moi : cela ne relève aucunement du fait que je serais plus mesurée qu’elle, d’autant plus que je m’accordais déjà alors avec cet usage, mais je pense avec le recul que contrairement à Viciss, je contraignais trop mon expression personnelle selon diverses internalisations qui découlent notamment de mon parcours personnel.
C’est cette internalisation (désormais révolue) du « faut pas dire facho » qui me permet, entre autre, de mieux saisir le pourquoi des vives réactions autour de ce terme, et selon des raisons qui d’ailleurs sont parfois tout à fait légitime.
En effet, le mot « facho » est souvent désigné comme un terme « trop flou », pour ne pas dire « vidé » tant il est employé à tort et à travers, voire de manière exclusivement disqualifiante (c’est-à-dire comme une insulte gratuite que l’on brandirait pour jeter le discrédit sur une personne avec qui nous ne sommes pas d’accord, mettant ainsi fin à toute possibilité de dialogue, d’échange et de nuance, et nous permettant en prime de nous valoriser moralement via la dévalorisation d’autrui). Un tel mésusage peut se faire à l’emporte-pièce de la part de groupes idéologiquement séparés, voire opposés, ce qui entretient un véritable flou artistique.
Sur l’usage souvent inapproprié, exagéré et polarisé du terme, j’en conviens parfaitement et m’accorde avec ce constat, tout autant que j’observe aussi un usage souvent malhonnête selon une visée volontairement exagérée et disqualifiante, voire tout simplement insultante et humiliante. Pour autant, je ne m’accorde aucunement avec la proposition consécutive à ce constat qui consisterait à devoir abandonner ce terme, à ne plus l’utiliser (sauf selon son acception exclusivement historique, comme nous l’avait signifié si « agréablement » l’auteur du mail que nous avons reçu), à considérer qu’il n’a aucune valeur scientifique (sur ce point, j’étais déjà intervenue via un petit article pour rappeler que les termes de « fascisme », de « gauche » et de « droite » signifiaient bien quelque chose dans les recherches en sciences humaines et sociales : https://www.hacking-social.com/2022/03/25/pourquoi-la-notion-de-gauche-et-droite-ainsi-que-celle-de-fascisme-veut-dire-quelque-chose/ ).
Pourquoi ne suis-je pas partisane de l’abandon de ce terme en dehors de sa seule dénotation historique, d’autant plus si je suis bien consciente de ses abus ? Car une telle réduction reviendrait à dénier les différentes études et réflexions sur le fascisme, entendu comme structure, système de croyances et/ou profil psychologique (soit des attitudes et comportements bien spécifiques que nous allons développer plus loin).
Par exemple, il est important de rappeler que les auteurs de la Personnalité Autoritaire1 nommaient explicitement les hauts scores à l’autoritarisme de profils « autoritaires potentiellement fascistes ».
▶ La personnalité autoritaire « potentiellement fasciste »
Cette « potentialité » au fascisme est clairement définie par les auteurs de la Personnalité Autoritaire, présentant une personnalité qui coïncident généralement avec ces neuf facettes :
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La soumission à l’autorité = c’est-à-dire qu’on demeure acritique vis-à-vis de son groupe d’appartenance (on ne le critique pas, ou très peu ; on ne le remet pas en cause), de la même manière on sera crédule vis-à-vis des autorités que l’on reconnaît et davantage enclin à leur obéir (aveuglément).
Par exemple, les hauts score à l’échelle sont généralement en accord avec cette opinion « L’obéissance et le respect de l’autorité sont les vertus les plus importantes que les enfants devraient apprendre. » (il s’agit ici d’un item issu de l’échelle F, ce sera d’ailleurs le cas concernant les diverses opinions que nous citerons comme illustration des autres facettes)
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Le conventionnalisme = on se conformera aux valeurs, croyances et comportements de son groupe d’appartenance. Par conventionnalisme, les auteurs de la personnalité autoritaire entendent plus spécifiquement les valeurs conventionnelles dominantes de l’environnement politique et social.
Par exemple, les hauts scores sont généralement en accord avec les opinions qui vantent le dur labeur comme vertu « Même si le repos est une chose appréciable, c’est le dur labeur qui rend la vie intéressante et digne d’être vécue. »
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L’agressivité autoritaire = on glisse vers des attitudes et comportements agressifs, haineux vis-à-vis des groupes qu’on estime différent du nôtre (qu’on estime potentiellement menaçant) ; cela peut peut passer par notre tendance à vouloir multiplier des dispositifs de surveillance, à juger très négativement des groupes extérieurs ou tous ceux qu’on estimera ne pas adhérer suffisamment aux valeurs conventionnelles et/ou traditionnelles.
Par exemple, les hauts scores à l’échelle F manifesteront des préjugés importants à l’encontre des minorités, des femmes, des gays, etc. En cela, ils seront généralement en accord avec des préjugés tel que « il est naturel et juste que les femmes soient si restreintes à l’intérieur de certaines limites par rapport auxquelles les hommes ont davantage de liberté », « L’homosexualité est une forme particulièrement dépravée de délinquance et devrait être sévèrement punie. »
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L’anti-intraception = on aura tendance à rejeter tout ce qui a trait à l’imagination, à la créativité, à la sensibilité, à la tendresse, aux émotions. On aura une faible conscience de soi, consécutif d’un refus à l’introspection (par exemple, avoir l’impression d’être « neutre » et objectif car complétement aveugle à ses émotions). Ainsi, si on a d’importants préjugés, on pourra avoir de grandes difficultés à les reconnaître.
Par exemple, cette difficulté (ou incapacité) à l’introspection ainsi qu’à tout ce qui a trait aux émotions et à la complexité des situations de vie pourra avoir pour conséquence un désintérêt et un agacement pour les œuvres de fiction (livre, film, musique…) qui portent un soin particulier à la psychologie des personnages, aux émotions que cela suscite, plus particulièrement quand cela peut directement les concerner : « Les livres et les films ne devraient pas tant décrire les aspects les plus sordides et bas de la vie ; ils devraient se concentrer sur des thèmes divertissants ou plus nobles. »
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La superstition et la stéréotypie = la superstition désigne ici la propension à croire en des déterminants mystiques, comme le destin ou une justice immanente et/ou suprême (la croyance en une justice immanente est bien plus répandue qu’on ne l’imagine au premier abord, notamment selon des logiques néolibérales méritocratiques, mais là n’est pas le sujet du jour, et nous y reviendrons plus tard2) ; la stéréotypie désigne quant à elle la disposition qu’a l’individu à penser en catégorie réductrice, c’est-à-dire à se référer plus que la moyenne à des stéréotypes pour penser le monde.
Par exemple, concernant la superstition, les hauts scores seront souvent en accord avec cet item : « Chaque individu devrait avoir une foi profonde en une force supranaturelle supérieure à lui, à laquelle il voue une obéissance totale et dont il ne remet pas en cause les décisions. »
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Le pouvoir et la dureté = on s’identifiera davantage aux figures de pouvoirs, avec une préoccupation exagérée pour tout ce qui a trait à la force, à la dureté, etc (ce qui pourra ressortir via le vocabulaire et les expressions utilisés).
Par exemple, les hauts scores seront souvent en accord avec l’item : « trop de gens de nos jours vivent de manière contraire à la nature et avec mollesse ; nous devrions retourner aux fondamentaux, à un mode de vie plus énergique et actif ».
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Destructivité et cynisme = on aura une vision du monde et de l’espèce humaine extrêmement négative.
Par exemple, les hauts scores seront souvent en accord avec l’item : « à bien y regarder, cela fait partie de la nature humaine de ne jamais rien entreprendre sans considérer son propre profit. »
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La projectivité = on aura tendance à projeter nos peurs et sentiments sur le monde. Par cela, on pourra croire plus que de raison que des évènements violents et dangereux se produisent autour de nous (nos émotions et croyances façonnent notre perception du réel). Quand on lit ou qu’on entend des propos autoritaires (de la part d’un potentiel haut score), il y a une petite astuce très éclairante que l’on peut mettre en place pour mieux saisir celui ou celle qui les exprime : considérer que l’individu ne parle pas tant de son pays, du monde, des autres, mais davantage de lui-même. Par exemple, si on entend « la France est meurtrie, elle a perdu sa puissance, elle s’est affaiblie », on peut remplacer la « France » par « Je », ce qui tout de suite nous offre une grille de lecture qui n’est pas toujours approprié mais qui dans bien des cas peut se révéler particulièrement éclairante : « Je me sens meurtri, j’ai perdu ma puissance, je me sens faible ». N’allez pas considérer cette astuce comme une forme de moquerie, car cela peut nous aider vraiment à mieux cerner un sentiment d’impuissance de la part du locuteur, et donc de pouvoir lors d’un échange prendre cela en compte afin d’envisager quelques pistes pour tenter de l’amener à réduire des glissements autoritaires préjudiciables pour autrui.
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Préoccupation concernant la sexualité = on aura des préoccupations exagérées concernant tout contact sexuel, ce qui implique par exemple un rejet de l’homosexualité. Pour le dire de manière plus contemporaine, les hauts scores à l’échelle F seront anti-LGBT+.
Vous avez là les différentes facettes mesurées par l’échelle mise au point par Adorno et son équipe : l’échelle F.
Les hauts-scores à cette échelle sont ainsi considérés comme « potentiellement fasciste », c’est-à-dire qu’ils pourront davantage être séduits par des idéologies d’extrême droite et agir en conséquence via des comportements destructeurs, ce qui sera confirmé par des travaux ultérieurs3.
C’est donc à l’aune de ces neuf facettes qu’on peut parler dans ce cadre de potentialité fasciste en terme d’attitude et de comportement.
Je ne vais pas m’avancer davantage à la présentation de ces travaux, car nous y consacrons déjà un dossier complet (disponible ici : https://www.hacking-social.com/2017/07/07/pdf-espece-de-facho-etudes-sur-la-personnalite-autoritaire/ ) ainsi que deux vidéos (les deux premières parties de notre série Les Autoritaires) :
Ce terme de « fascisme » a par la suite été progressivement abandonné des études portant sur l’autoritarisme en psychologie sociale et politique, pour des raisons conceptuelles et autres désaccords (comme nous l’avons évoqué dans la partie 3 de notre série les Autoritaires, avec les propositions alternatives à l’échelle F, comme le dogmatisme de Rokeach), mais aussi selon des constats scientifiques car ces premières études souffrent d’importantes limites, notamment le fait que ce profilage à 9 facettes s’est révélée confondre au moins deux dimensions de l’autoritarisme : d’un côté, la dimension de la soumission autoritaire (c’est-à-dire les individus qui suivent un leader autoritaire et seront davantage dans la conformité de leur groupe d’appartenance) ; d’un autre, la dimension de la domination autoritaire (c’est-à-dire les individus qui visent ardemment à dominer les membres de groupes qu’ils estiment inférieurs).
[nous résumons différents débats universitaire autour des recherches portant sur l’autoritarisme dans cette 3ème partie des Autoritaires]
Ces deux dimensions vont ainsi être explorées et conceptualisées avec Altemeyer (qui va porter focus sur les soumis autoritaires avec ses travaux sur le RWA, « l’autoritarisme de droite ») et Pratto et Sidanius (qui vont porter focus sur les dominateurs sociaux via la SDT, théorie de la dominance sociale, et le SDO, l’orientation à la dominance sociale).
Pour résumer très rapidement l’une et l’autre de ces dimensions, le RWA (autoritarisme de droite) rend compte d’une inclination aux attitudes et comportements autoritaires à forts préjugés selon trois facettes (que l’on retrouvait déjà dans les travaux d’Adorno et de ses collègues, d’où des définitions assez proches) :
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La soumission à l’autorité = attitudes non critiques à l’égard des autorités morales idéalisées du groupe d’appartenance. Par autorité, il ne faut pas entendre les « autorités officielles » (comme le président ou le 1er ministre du pays par exemple), mais les autorités reconnues comme légitimes (parents, représentants de l’ordre social, moral et/ou religieux, figures de proues de son groupe d’appartenance et de l’idéologie que l’on soutient, etc) . Autrement dit, bien que cela puisse paraître contre-intuitif, on peut, par soumission à l’autorité se rebeller contre les autorités et institutions en place si on estime que celles-ci sont contraire à ce que défendent des autorités que l’on estime plus légitimes (on peut citer l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, où il est plus que probable que différents participants à l’assaut ont agi par soumission à l’autorité, c’est-à-dire par soutien indéfectible au candidat perdant : Donald Trump4).
« Il est toujours préférable de faire confiance au jugement des autorités compétentes en matière de gouvernement et de religion que d’écouter les bruyants agitateurs de notre société qui tentent de créer le doute dans l’esprit des gens. » [extrait de l’échelle RWA, Altemeyer 2006]
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Le conventionnalisme = tendance à se conformer à des normes conventionnelles, plus particulièrement celles approuvées par les autorités. Le psychologue John Duckitt5 parle plus volontiers de « traditionalisme » en cela qu’il sera davantage question d’adhésion et de conformité à des valeurs et croyances considérés comme traditionnelles (par exemple, aux États-Unis comme en France, les valeurs et croyances chrétiennes).
« Les lois de Dieu sur l’avortement, la pornographie et le mariage doivent être strictement suivies avant qu’il ne soit trop tard, et ceux qui les enfreignent doivent être fortement punis. » [extrait de l’échelle RWA, Altemeyer 2006]
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L’agressivité autoritaire = désigne des attitudes et comportements hostiles à l’encontre des individus ou groupes considérés comme suspects, menaçants, en raison notamment de leur éloignement des normes et valeurs sociales défendues. L’une des manifestations de cette agressivité va apparaître via de forts préjugés et comportements discriminants (cela peut aller très loin : violence physique, meurtres, attentat terroriste). Notons d’ailleurs que sur cette facette, l’échelle RWA est considérée (avec l’échelle SDO) comme l’un des meilleurs prédicateurs de préjugés généraux6.
« Il y a beaucoup de gens radicaux et immoraux dans notre pays aujourd’hui, qui essaient de le ruiner pour leurs propres fins impides, que les autorités devraient mettre hors de combat. » [extrait de l’échelle RWA, Altemeyer 2006]
Le SDO (« Social dominance Orientation », orientation à la dominance sociale) désigne le degré avec lequel les individus désirent et soutiennent la hiérarchisation sociale, rend compte principalement du désir de préserver l’hégémonie des groupes sociaux au statut élevé (tels que les hommes par rapport aux femmes, les blancs par rapport aux minorités, les élites de la classe supérieure par rapport aux classes défavorisés, etc.). Ainsi les hauts scores à l’échelle SDO seront très favorables à des attitudes et comportements autoritaires (comme une forte demande d’ordre, un soutien à l’extrapunitivité quand il s’agit de groupes marginalisés, un soutien à toute politique qui empêche et tend à défaire les droits des femmes ou qui lutte contre les discriminations, pour les droits LGBT+, etc.).
Par exemple, les hauts scores seront généralement d’accord avec les items suivants [extraits de l’échelle SDO de Pratto et Sidanius (2004)] :
- « Certains groupes de personnes sont tout simplement inférieurs à d’autres groupes »
- « Pour avancer dans la vie, il est parfois nécessaire de marcher sur d’autres groupes. »
- « Si certains groupes restaient à leur place, nous aurions moins de problèmes. »
Enfin, les SDO seront davantage enclins à promouvoir ce que Pratto et Sidanius nomment des « mythes légitimateurs » qui accentuent la hiérarchie sociale. Parmi ces mythes, on peut citer : les croyances associées au racisme anti-noir, au sexisme, ou encore à l’élitisme culturel (idée selon laquelle les pauvres ne sont pas capable d’apprécier l’art par exemple), l’égalité des chances (au sens méritocratiques et néolibéral du terme, car cela peut déboucher à la croyance que chacun devrait être capable par sa seule volonté de s’extraire de toute condition défavorable, sous-entendant que si les gens restent pauvres c’est de leur faute, ce qui maintient à minima le statut quo), la croyance en un monde juste (idée que chacun obtient ce qu’il mérite), etc.
Le SDO et le RWA se distinguent en cela que les motivations et objectifs ne sont pas les mêmes : les haut scores au RWA seront davantage défensifs, hypersensibles à la menace car ayant une vision du monde comme étant dangereux, leur besoin sera ainsi centré vers l’ordre, la sécurité, la stabilité et la cohésion sociale ; les hauts scores au SDO seront davantage sensible au maintien de leur statut social et à l’obtention de pouvoirs, selon la vision d’un monde en constante compétition où règne en quelque sorte la loi du plus fort7.
Pour illustration plusieurs distinctions entre le RWA et le SDO, voici un tableau synthétique (celui-ci n’est en rien exhaustif, le but ici est de proposer un aperçu pour mieux saisir les différences et similitudes entre ces deux dimensions de l’autoritarisme).
L’autoritarisme de droite (RWA) |
Orientation la dominance sociale (SDO) |
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Dimension de l’autoritarisme |
Soumission autoritaire |
Domination autoritaire |
Ce qui est mesuré |
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Degré avec lequel les individus désirent et soutiennent la hiérarchisation sociale |
Corrélations avec d’autres échelles, attitudes et comportements (liste non exhaustive)
RWA |
SDO |
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Préjugés généraux |
Préjugés généraux très forts Ces préjugés se feront à l’encontre de groupes extérieurs perçus comme menaçant la sécurité collective [Duckitt & Sibley 2010] |
Préjugés généraux très forts (plus encore que chez le RWA) Ces préjugés se feront à l’encontre des groupes de faibles status ou groupe concurrent. [Duckitt & Sibley 2010] |
Déterminants situationnels |
Les menaces situationnelles (crise économique, attentats, guerre, pandémie type Covid, etc.) contribuent à faire augmenter le RWA au sein de la population [par exemple, Hartman & Al. 2021, Kossowska, 2011 ] |
Le SDO augmente lorsque les rapports de domination sont forts, que les environnements sociaux prônent davantage la concurrence et la compétition [par exemple, Morrision, Fast et Ybarra, 2009 ; Levin, 2004] |
Affinités idéologiques |
Conservatisme de droite (de la droite à l’extrême droite) [Jost 2021] Davantage en affinité avec le conservatisme social (VS progressisme) [Duriez, Van Hiel, (2001) ; Duckitt & Sibley 2010] |
Conservatisme de droite (de la droite à l’extrême droite) [Jost 2021] Davantage en affinité avec le conservatisme économique [Duriez, Van Hiel, (2001) ; Duckitt & Sibley 2010] |
Ethnocentrisme |
Ethnocentrisme intragroupe ou défensif important [par exemple Bizumic, Duckitt, Popadic, Dru et Krauss 2009 ; Stangor & Leary 2006] |
Ethnocentrisme intergroupe ou chauvin important [par exemple Bizumic, Duckitt, Popadic, Dru et Krauss 2009 ; Stangor & Leary 2006] |
Vision du monde perçue comme menaçant / comme compétitif et concurentiel |
Davantage corrélé à la Dangerous World Scale (vision du monde perçue comme dangereux) [Duckitt (2001), Atlemeyer (2006), Nilsson & Jost 2020] |
Davantage corrélé à la Competitive World Beliefs Scale (vision du monde comme compétitif et concurentiel) [Duckitt (2001), Atlemeyer (2006), Nilsson & Jost 2020] |
Vision du monde humaniste VS normative |
Négativement corrélé aux valeurs humanistes, positivement corrélé au valeurs normative [Nilsson & Jost 2020] |
Négativement corrélé aux valeurs humanistes (bien plus que pour le RWA), positivement corrélé aux valeurs normatives [Nilsson & Jost 2020] |
Besoin de fermeture cognitive (Need for closure) |
Corrélé à un plus grand besoin de fermeture cognitive (=Besoin d’avoir une réponse plutôt que de subir l’ambiguïté, intolérance à l’incertitude,) [par exemple Onraet et al. (2011)] |
Plus faiblement corrélé que le RWA [par exemple Leone & Chirumbolo (2008)] |
Dogmatisme |
Forte corrélation avec le dogmatisme [par exemple Duckitt 2009, Everett (2013)] |
Corrélé au dogmatisme (mais plus faiblement que pour le RWA) |
Fondamentalisme religieux |
Corrélé au fondamentalisme religieux (dans le contexte de l’Amérique du Nord) [par exemple Whitley (2009), Altemeyer & Hunsberger (2005)] |
Non corrélé au fondamentalisme religieux [Altemeyer (1998) et Van Hiel et Mervielde (2001)] |
Disposition quant à la manipulation, l’amoralité et la malhonnêteté |
Plutôt en déssacord avec les items de l’E-Mad (Exploitive Manipulative Amoral Dishonesty/Exploitation, Manipulation, amoralité et malhonnêteté ) [Altemeyer 2006] |
Plutôt en accord avec les items (Exploitive Manipulative Amoral Dishonesty/Exploitation, Manipulation, amoralité et malhonnêteté ) [Altemeyer 2006] |
Disposition par rapport au pouvoir, à domination, et à la méchanceté |
Ne corrèle pas avec le PP-MAD (The Personal Power, Meanness, and Dominance Scale) Pouvoir personnel, méchanceté, domination) [Altemeyer 2006] |
Corrèle avec le PP-MAD (The Personal Power, Meanness, and Dominance Scale) Pouvoir personnel, méchanceté, domination) [Altemeyer 2006] |
Valeurs morales |
sont en faveur de la conformité ; la sécurité ; la tradition. Sont en défaveur de l’hédonisme ; de la stimulation ; de l’autodétermination ; de l’universalisme ; de la bienveillance (Duriez, Van Hiel, 2001) |
Sont en faveur du pouvoir, de la sécurité, de la réussite, de la conformité, de l’hédonisme. Sont en défaveur de l’universalisme, de la bienveillance ; de la tradition (Duriez, Van Hiel, 2001) |
Traits de personnalité (Big Five) |
Corrélé à une plus faible ouverture à l’expérience et une plus forte consciencité [Duckitt & Sibley 2010 ; Nilsson & Jost 2020] |
Corrélé à une plus faible agréabilité [Duckitt & Sibley 2010 ; Nilsson & Jost 2020] |
Je ne développerai pas davantage pour le moment le RWA et le SDO, d’autant que Viciss l’a déjà fait dans d’autres articles ( par exemple vous retrouverez une synthèse plus complète de l’échelle F, du RWA et du SDO : https://www.hacking-social.com/2019/09/02/mcq-le-potentiel-fasciste-lautoritaire-et-le-dominateur/ ) ainsi que dans son livre En toute puissance (https://www.hacking-social.com/2021/09/17/en-toute-puissance-manuel-dautodetermination-radicale/ ).
De plus, ces deux dimensions de l’autoritarisme feront l’objet des prochaines parties de notre série vidéo Les Autoritaires (la 4ème partie, qui sera consacrée au RWA, arrive dans quelques semaines, encore un peu de patience).
▶ Ces multiples facettes comme boussole
C’est donc selon les attitudes et comportements associés et/ou dérivés du RWA et du SDO que nous parlons d’autoritarisme.
Mais alors pourquoi diantre suis-je en train de reprendre ce terme de « facho » après avoir précisé que celui-ci a quasiment été délaissé des chercheurs en psycho?
Car ce terme demeure selon moi tout à fait opératoire non pas pour désigner des dimensions autoritaires spécifiques mais davantage pour rendre compte de manière globale et synthétique ces différentes facettes et dimensions propre aux attitudes et de comportements autoritaires hautement préjudiciables car destructeur.
Comme sommairement évoqué plus haut, ses inclinations au RWA et SDO se distinguent sur bien des points ; pour autant, ils ont aussi en commun :
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De maintenir des hiérarchies sociales fortes dans la société, voire de réclamer une plus grande verticalité.
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D’accorder une grande importance à l’autorité, bien que de manière différente entre les RWA et les SDO, puisque les premiers veulent surtout se soumettre à une autorité forte qui assurera l’ordre et la sécurité, tandis que les seconds souhaitent obtenir davantage de pouvoir pour dominer celles et ceux qu’ils perçoivent comme inférieurs.
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D’avoir tendance à réclamer une extra-punitivité ( au sens où l’entendait Adorno et ses collègues, c’est-à-dire d’être favorable par exemple à certaines formes de violences éducatives ; d’être extrêmement sévères en matière de peines judiciaires, etc.). Cette extra-punitivité n’est en revanche pas homogène, elle ne concerne pas toute personne considérée comme étant en violation des normes et des lois, puisque les RWA et SDO pourront au contraire être très permissifs et indulgents de la part de leurs leaders, des dominants et tout individu ou groupe associé au pouvoir (nous en reparlerons dans la partie 4 des Autoritaires).
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D’avoir des préjugés généraux bien plus hauts que la moyenne. Par préjugés généraux il faut entendre l’idée que lorsqu’un individu aura de forts préjugés vis-à-vis d’un groupe social, il sera probable que cela prédisent d’autres préjugés à l’encontre d’autres groupes (par exemple, si un homme a de forts préjugés contre une minorité, il est probable qu’il ait aussi des préjugés pour l’ensemble des minorités). A noter que de nombreux chercheurs ont récemment remis en cause cette hypothèse de préjugés généralisés, les résultats étant souvent contradictoires et semblant donc infirmer cette idée de généralisation des préjugés. Et en effet, si on définit les préjugés dans le sens étroit d’un « nous contre eux », cela ne fonctionne pas. Plus étonnant encore, on pourra observer que des membres d’un même groupe social peuvent avoir des préjugés… à l’encontre de leur propre groupe d’appartenance et percevoir plus positivement des groupes extérieurs. C’est ce qu’on nomme des biais pro-exogroupes. Alors pourquoi maintenons-nous donc ce concept de « préjugés généraux » ? Tout simplement parce d’autres travaux récents comme ceux de Bergh, Akrami, Sidanius, & Sibley, C. G. (2016) permettent de sortir de cette impasse, car si on tient compte du statut social, ce qui apparaissait comme contradictoire devient tout à faire intelligible : les gens n’ont pas de préjugés généraux relativement à leur groupe d’appartenance VS groupe extérieur, mais relativement à la hiérarchie sociale en présence, soit des préjugés exclusivement tournés vers les groupes sociaux perçus comme inférieur (en bref, les personnes perçues comme non-blanches, les migrants, les femmes, les classes sociales défavorisés, les LGBT+, etc) . Ainsi, dès qu’on intègre la question du statut social, on retrouve en effet cette interconnexion des préjugés, et c’est cela qui permet notamment de comprendre les biais pro-exogroupe8 : les membres d’un groupe marginalisé pourront avoir eux-mêmes des préjugés qu’ils ont internalisés à l’encontre de leur propre groupe (par exemple, une femme qui internalise des stéréotypes négatifs à l’encontre des autres femmes, ou qui retourne ses stéréotypes contre elle-mêmes en s’auto-dévalorisant). Ainsi, quand nous parlerons de préjugés généralisés, ce sera bien sous cet angle, c’est-à-dire les préjugés tournés contre les groupes marginalisés et dominés, et là-dessus les profils autoritaires ont tous en commun d’avoir de forts préjugés généraux (jusqu’à avoir des préjugés et comportements discriminants à l’encontre de leur propre groupe social s’ils font partis de groupes dominés), avec des comportements effectifs qui peuvent avoir des conséquences destructrices (ce que nous verrons notamment avec « l’effet Trump »).
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Haut RWA et haut SDO ont en commun d’avoir des visions et croyances anthropologiques très négatives, telle que la croyance que l’humain serait « naturellement » mauvais, égoïstes, malveillant (ce qui nécessiterait donc une autorité forte et implacable pour éviter le chaos) ; que le monde serait comme une jungle où règne la loi du plus fort, etc.
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Les haut RWA et haut SDO seront davantage attirés par des idéologies conservatrices de droite (ce n’est pas pour rien si Altemeyer a désigné les soumis autoritaires comme des « autoritaires de droite »). Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des profils autoritaires dans des groupes se réclamant de gauche (j’insiste sur le « se réclamant de gauche », car je considère à titre personnel que la poursuite effective d’attitudes et de comportements autoritaires demeurent antithétique avec des valeurs de gauche tel que la réduction des hiérarchies sociales et des inégalités ainsi que la primauté de la dignité humaine). Pour illustrer cela, nous aurons l’occasion dans la partie 4 d’évoquer la mise à l’épreuve du RWA en URSS9. Cela étant dit, les idéologies de droite et d’extrême droite étant plus en phase avec les attitudes autoritaires, il n’est pas étonnant de retrouver les plus hauts scores très engagés dans ces idéologies10. L’échelle RWA s’est d’ailleurs révélé est l’une des meilleurs échelles de mesure pour prédire les affinités idéologiques : plus le score RWA est faible, plus il probable que l’individu soit en phase avec des idéologies progressistes de gauche ; plus le score RWA est haut, plus il est plus probable que l’individu soit en phase avec des idéologies conservatrices de droite11.
C’est ainsi que j’entends ici utiliser le mot « fascisme » (tout du moins sa racine), c’est-à-dire comme concept englobant les différentes dimensions de l’autoritarisme ; l’idée n’est aucunement de retomber dans des travers présentés plus haut, mais à travers ce terme de « fachologie » de proposer différentes études et investigations ayant trait (directement ou indirectement) aux différentes facettes de l’autoritarisme afin de mieux saisir les processus inhérents (d’où le « logos » de fachologie).
C’est aussi une manière de rendre hommage aux initiateurs de ce champ d’investigation, soit les auteurs de la Personnalité autoritaire. Car si l’échelle F n’est plus utilisée dans la recherche, ce travail inaugural demeure encore une source d’inspiration incroyable.
▶ Bon, du coup, on entend quoi par « Fachologie » ?
En bref, fachologie est un terme générique que nous utiliserons quant à la vulgarisation des recherches et thématiques portant sur l’autoritaritarisme (principalement via la psychologie sociale et politique) afin de mieux saisir les processus et enjeux propre aux attitudes et comportements autoritaires, et ce dans la visée de pouvoir s’en prémunir, voire de réduire et d’inverser de telles glissements.
Nous pensons en effet (Viciss et moi) que l’un des enjeux de notre époque est de proposer des pistes et outils à destination collective pour enrayer des glissements autoritaires, tel qu’on a pu le voir ces dernières années. Point de fatalisme chez nous, si on peut apporter notre contribution, allons-y pleinement, avec créativité, humour et autodétermination.
Concrètement, nous allons publier une série d’article selon cette inspiration, et ce en parallèle de notre série les Autoritaires (ben oui, l’idée est aussi de compléter nos vidéos, soit en y présentant des aspects non développés, soit en approfondissant davantage certains éléments évoqués).
Et puisqu’on parle de notre série sur les Autoritaires, voici au passage un petit teaser de la 4ème partie :
On revient très vite sur le site pour notre première enquête de fachologue où il sera question de l’Effet Trump : les discours de haine sont-ils contagieux ?
La suite ici : » L’EFFET TRUMP » : QUAND LA HAINE DEVIENT CONTAGIEUSE
Notes de bas de page
L’image d’en-tête a réalisé via l’IA Midjourney
1 Bien sûr, Adorno et ses collègues ( Adorno, T. W., Frenkel-Brunswik, E., Levinson, D. J., & Sanford, R. N. The Authoritarian Personality. New York: Harper and Row. Copyright 1950 by The American Jewish Committee. Printed in the United States of America) ne sont pas les premiers à s’être engagés dans ce type de recherches ; pour autant, si on peut leur accorder une certaine primauté, c’est bien parce que leurs travaux sur la personnalité autoritaire se sont révélés inédits quant à leur ambition de profilage psychologique du fascisme, ouvrant tout un champ d’étude qui inspire encore de nombreux chercheurs actuels en psychologie politique (voir par exemple Jost dans son livre Left and Right, The Psychological Significance of a Political Distinction, 2021).
2 Notamment quand nous évoquerons plus précisément la théorie de Justice Motive et la croyance en un monde juste. Si tout se passe bien, la rediffusion d’une conférence que j’ai tenu à ce sujet au REC 2022 devrait être prochainement diffusée.
3 Par exemple, Coulter (1953) ou encore Steiner & Fahrenberg (1979) ont montré que des groupes explicitement fascistes obtenaient bien des hauts scores à l’échelle F. A noter que les travaux initiaux de Steiner & Fahrenberg ont été réanalysé à nouveau, utilisant leur base de données initiale mais avec des outils méthodologiques à jour (voir Steiner, J.M., & Fahrenberg, J. (2011). Authoritarianism and social status of former members of the Waffen-SS and SS and of the Wehrmacht. Research data).
4 Nous en reparlerons dans notre premier dossier sur « l’effet Trump ».
5 Par exemple: Duckitt J, Bizumic B, Krauss S, Heled E: A tripartite approach to right wing authoritarianism: the authoritarianism-conservatism-traditionalism model. Polit Psychol 2010
6 Altemeyer, 1998 ; Duckitt et Sibley, 2007 ; Duriez & Van Hiel, 2002 ; Hodson, MacInnis & Bussen, 2017 ; Pettigrew, 2016
7 Les haut SDO présentent généralement un déficit d’empathie (par exemple, Joan Y. Chiao, Vani A. Mathur, Tokiko Harada, Trixie Lipke 2009) ; là où les hauts-scores au RWA peuvent se révéler très soutenant et empathique… envers les autres membres de leur groupe d’appartenance exclusivement.
La bonne nouvelle dans le cas des hauts RWA, c’est qu’il possible de les amener à étendre leur empathie à d’autres groupes extérieurs, en nous appuyant justement sur leur altruisme pro-endogroupe ; par contre, pour les hauts SDO, c’est beaucoup plus compliqué, sans doute en raison de cette difficulté pour eux à se sentir préoccupé par autrui.
8 Voir par exemple Sachdev, I., & Bourhis, R. Y.,1991
9 Spoiler : les partisans du régime soviétique qui ont répondu à l’échelle RWA avait un niveau d’autoritarisme de droite plus important que la moyenne [voir Stone, Lederer & Christie, 1993]
10 Voir par exemple The authoritarian-conservatism nexus, Nilsson & Jost 2021.
11 Par exemple, Altemeyer 1996, 2006, Decker et Brälher, 2006 ; Decker et Al. 2016, 2018 ; Dunwoody & Plane, 2019 ; Jost et Al. 2003, Dunwoody, Funke, 2016 ; Bizumic, Duckitt, 2018
D’après ces critères, nous pouvons donc étiqueter Jean-Luc Mélanchon de facho ?
Ah bon ? Pour quel critère ?
> 7. Destructivité et cynisme = on aura une vision du monde et de l’espèce humaine extrêmement négative.
[Wikipédia (1)](https://fr.wikipedia.org/wiki/Cynisme) :
> Cette école a tenté un renversement des valeurs dominantes du moment, enseignant la désinvolture et l’humilité aux grands et aux puissants de la Grèce antique. Radicalement matérialistes et anticonformistes, les cyniques, et à leur tête Diogène, proposaient une autre pratique de la philosophie et de la vie en général, subversive et jubilatoire. L’école cynique prône la vertu et la sagesse, qualités qu’on ne peut atteindre que par la liberté. Cette liberté, étape nécessaire à un état vertueux et non finalité en soi, se veut radicale face aux conventions communément admises, dans un souci constant de se rapprocher de la nature.
[Wikipédia 2](https://fr.wikipedia.org/wiki/Cynisme_(contemporain)) :
> le cynisme est une volonté de rébellion et de subversion contre l’ordre établi, la morale et la tradition1. […] Le cynisme moderne peut être défini comme une attitude de méfiance à l’égard des valeurs morales habituellement professées dans la société et comme un rejet du besoin de s’impliquer socialement8.
Du coup, j’ai beaucoup de mal avec l’utilisation du mot « cynisme » pour parler d’une personnalité autoritaire hiérarchiste, conformiste, et traditionaliste. On est même plutôt à l’exact opposé.
> C’est donc selon les attitudes et comportements associ**er** et/ou dérivés du RWA et du SDO
Elle pique celle-là.
Sinon, petite question : l’autoritaire serait à la fois soumis à une autorité perçue comme légitime et dominant face à l’exogroupe. Mais est-ce que cette « autorité légitime » se perçoit comme dominant notre autoritaire, qu’elle percevrait comme son exogroupe, avec le même type de préjugés et de mépris envers lui, que ce dernier envers ceux qu’il veux dominer ? Une sorte de transitivité de cette relation de domination en quelque sorte ? Je ne sais pas si la question est très bien posée.
Le cynisme a été une catégorie abandonnée, et généralement en psycho les termes ont leur propre définition qui diffèrent grandement de celles philosophiques ; Pour les autorités c’est un autre jeu qui implique d’autres calculs : il y a des bénéfices d’accession au pouvoir, de notoriété, d’opportunités à saisir qui entre en jeu. Dans « purifier et détruire » de Semelin (Bouquin génial sur les génocides), il est d’avis que certains leaders autoritaires ont promu des idéologies autoritaires par pur opportunisme, d’autres semblaient quand être y croire. Je dirais qu’une autorité a potentiellement un SDO fort (plus on a un statut favorisé, haut, plus le SDO est fort), donc il me semble plus probable qu’ils s’estiment supérieur et méritant plus d’égards que ceux qui le suivent. De là à les considérer comme exogroupe, je dirais que ça dépend des attributs du suiveur. Si l’autorité est un homme a SDO fort face à une femme, oui il l’infériorisera. Et idem si le suiveur est d’une autre couleur de peau, d’une autre religion, etc.
Du coup, que signifie le mot cynisme lorsque l’on parle de psychologie ? Parce que je n’ai trouvé de définition distincte nul part.
Ici cela renvoie à une catégorie d’items de l’échelle F qui mesure aussi la destructivité : c’est une hostilité générale qui vilipende le genre humain ; en quelque sorte une misanthropie. Par exemple, ceux qui répondent positivement à la catégorie nommée « destructivité et cynisme » sont d’accord avec ce genre d’items « 6.g la nature humaine étant ce qu’elle est, il y aura toujours des guerres et des conflits. ». C’est juste le descriptif de cette catégorie d’items, encore une fois cela n’a pas été gardé dans la suite des étude comme nécessairement lié à l’autoritaire ou le dominateur, même si on voit par ailleurs soit une peur de l’humain comme étant mauvais par nature (chez l’autoritaire de droite) ou chez le dominateur une conception de la société comme une gigantesque compétition, dominée par la loi de la jungle. Ces deux conceptions vilipendent toujours le genre humain, soit le voyant comme menace soit comme concurrent. Les non autoritaires tendait soit à avoir une vision positive et confiante des autres, soit y voyait les aspects positifs comme négatifs. On a détaillé l’échelle F ici : https://www.hacking-social.com/2017/02/14/f5-anti-faible-agressif-intolerant-et-soumis-la-personnalite-autoritaire-potentiellement-fasciste/
Merci.
Une remarque/question : la notion d’ethnocentrisme ça va, mais si on rajoute intra/inter groupe c’est difficile à capter chez moi.
Intragroupe veut dire dans le groupe lui-même, intergroupe veut dire entre les groupes J’explique un peu plus longuement dans l’autre commentaire plus bas 🙂
R c’etait moi, je pensais que la contribution n’était pas passée…
Vous pouvez effacer (ou pas) encore désolé pour la perte de temps et merci pour votre boulot.
Merci pour vos articles.
Je ne comprends pas du tout la distinction entre ethnocentrisme intergroupe et intragroupe.
Parle t’on des mêmes groupes ? de groupes ethniques ? etc…
Pour moi, naïvement, l’ethnocentrisme c’était mon groupe contre les autres groupes.
On peut appartenir à plusieurs groupes certes, mais en bref je capte pas.
Intragroupe veut dire dans le groupe lui-même, intergroupe veut dire entre les groupes. Par exemple dans mon ancien boulot, dans une même équipe de cuistots bossant au quotidien ensemble, y avait de l’ethnocentrisme intragroupe, y avait un qui été toujours ciblé négativement par les racistes ou alors les racistes s’estimaient hautement supérieur à lui (mais il faisait partie du même groupe). Et il y avait aussi un ethnocentrisme intergroupe, entre les serveurs et les cuistots (quel que soit le groupe, ils n’arrêtaient pas de se reprocher d’être la source de problèmes), mais aussi entre les clients et les employés (les employés avaient des préjugés de base sur les clients parisiens – irrespectueux, tentant de dominer – et certains clients avaient des préjugés sur nous aussi – tentant de les arnaquer, n’était pas assez à leur service -, ces préjugés servant à préserver en amont l’estime de soi du groupe comme étant meilleur, entre autres, ce qui est commun à l’ethnocentrisme).
(J’avais fais une réponse sans appuyer sur reply, déso)
Un exemple je suis terrien, français, blanc, de sexe mâle.
La qualification de mon ethnocentrisme (inter/intra) dépendra plus de quels groupes le qualificateur voudra mettre en avant que de la nature même du bouzin.
Entendu, toujours pas vraiment convaincu car même si l’on peut être identifié à plusieurs groupes et sous-groupes, in fine on revient toujours à une forme inter (nous/les autres)
Mais je pense avoir compris votre point de vue, désolé si ça semble être du chipotage, la formulation m’avait choqué, merci.
Bonjour, je suis curieux de savoir si ce que je développe ici vous semble pertinent. Bonne journée. https://ici-et-ailleurs.org/contributions/actualite/article/deuils-sur-le-communique
[…] 2 Nous en parlions dans notre article introductif à la fachologie à propos des préjugés généraux : « de nombreux chercheurs ont récemment remis en cause cette hypothèse de préjugés généralisés, les résultats étant souvent contradictoires et semblant donc infirmer cette idée de généralisation des préjugés. Et en effet, si on définit les préjugés dans le sens étroit d’un « nous contre eux », cela ne fonctionne pas. Plus étonnant encore, on pourra observer que des membres d’un même groupe social peuvent avoir des préjugés… à l’encontre de leur propre groupe d’appartenance et percevoir plus positivement des groupes extérieurs. C’est ce qu’on nomme des biais pro-exogroupes. Alors pourquoi maintenons-nous donc ce concept de « préjugés généraux » ? Tout simplement parce d’autres travaux récents comme ceux de Bergh, Akrami, Sidanius, & Sibley, C. G. (2016) permettent de sortir de cette impasse, car si on tient compte du statut social, ce qui apparaissait comme contradictoire devient tout à faire intelligible : les gens n’ont pas de préjugés généraux relativement à leur groupe d’appartenance VS groupe extérieur, mais relativement à la hiérarchie sociale en présence, soit des préjugés exclusivement tournés vers les groupes sociaux perçus comme inférieur (en bref, les personnes perçues comme non-blanches, les migrants, les femmes, les classes sociales défavorisés, les LGBT+, etc) » https://www.hacking-social.com/2022/09/12/faut-pas-dire-facho-introduction-a-la-fachologie/ […]