♦Le gamer « no-life », un autoritaire ??

📾 Découvrez cet article en format audio (attention c’est bizarre) : 

C’est une question assez absurde, on est d’accord. Mais je vais vous expliquer comment j’en suis venu à me la poser, et vous partager les réponses que j’ai pu trouver en fouinant dans les recherches. Si vous êtes pressés, vous pouvez consulter la partie « en résumé » qui donne en un paragraphe la réponse.

Si vous êtes encore plus pressés, voici la réponse en un mot : non.


Mais c’est quoi un no-life ????


À une époque fort fort lointaine, ce terme désignait une personne qui passait uniquement son temps à jouer à des jeux en ligne, et pas simplement une petite heure sur quelques niveaux de Mario : il pouvait par exemple passer 16 heures par jour sur un jeu comme World of Warcraft ou encore Everquest, bref ce n’était pas du jeu solo ne demandant que peu d’investissement ou pouvant s’arrêter à tout moment avec une sauvegarde.

Je ressuscite ce terme désuet aujourd’hui, sans en faire une insulte, mais une espèce de constat pour désigner une personne qui pourrait avoir ce qu’on nomme « un trouble d’usage du jeu vidéo sur internet » : ce trouble d’usage du jeu vidéo se caractérise par une conduite qui ressemble à une addiction. L’individu passe au minimum 30 heures de jeu par semaine et cela peut aller jusqu’à plus de 16 heures de jeu par jour, et ce, sans que cela soit lié à une activité professionnelle rémunératrice. Ces « no-life » peuvent donc aller jusqu’à négliger leurs besoins vitaux (ne pas manger à leur faim), et abandonnent tout investissement extérieur (l’école, le travail ou les autres loisirs sont abandonnés), ils perdent leurs amis ou leurs relations positives avec leurs proches. Autrement dit, ils abandonnent la vie réelle pour ne se consacrer qu’au jeu en ligne, d’où le fait que le terme no-life me semble pas si déconnant pour désigner ce trouble d’usage du jeu en ligne.

La qualification d’un trouble du jeu est une question à très forts débats, y compris dans la communauté scientifique occidentale. Ainsi parler « d’addiction » aux jeux vidéo est généralement considéré comme une erreur, car on ne peut pas vraiment faire d’équivalence entre une addiction à une substance et la pratique du jeu vidéo.

Ceci étant dit, le trouble d’usage du jeu en ligne a été néanmoins validé parce que c’est un champ où on trouve plus de recherches en Asie, particulièrement en Chine et en Corée du sud, où le trouble serait davantage prévalent parmi les jeunes, et préoccupant davantage la société qu’en occident. C’est pourquoi la CIM (la classification internationale des maladies) et le DSM-5 (la bible des psychiatres) ont tout même validé ce trouble : il ne s’agit pas de psychiatriser l’usage du jeu vidéo, mais de reconnaître qu’il y a besoin d’aider des personnes qui ont fait un usage extrême, qui porte préjudice à leur santé et bien être, voire à celle de leurs proches. De nombreuses études montrent qu’en plus, ils prennent bien moins de plaisir au jeu vidéo1.

Dans une grosse méta-analyse de 20232, incluant 37 042 participants dans 9 pays différents (Chine, Corée du Sud, Singapour, Allemagne, Espagne, Pays bas, Norvège, États-Unis et Australie) on découvre les facteurs qui prédisent le plus ce trouble, ici classé du plus puissant au moins puissant :

  1. Le temps de jeu
  2. La solitude
  3. Le trouble des médias sociaux, qui est caractérisé par le fait d’être très préoccupé par les médias sociaux, de ressentir le besoin incontrôlable de s’y connecter/de l’utiliser et d’y consacrer beaucoup de temps et d’effort au point que ça affecte d’autres sphères de la vie.
  4. Affiliation à des pairs déviants (c’est à dire ayant des comportements agressifs, de triche, d’abus de substance3.
  5. L’agressivité,
  6. L’anxiété,
  7. Les troubles d’attention/d’hyperactivité,
  8. La dépression,
  9. La maltraitance par la famille (violence physique, émotionnelle et/ou sexuelle ; négligence)
  10. La recherche de sensations (un trait de personnalité notamment inclus dans la catégorie extraversion)
  11. La vulnérabilité sociale (corresponds à la fragilité matérielle et morale à laquelle est exposé un individu.
  12. L’impulsivité.

Et ceux qui prémunissent du trouble :

1.Le self-control,

2.Le trait de personnalité « conscienciosité », les hauts scores en conscienciosité sont scrupuleux, méticuleux et fiables dans leurs devoirs. Ils consacrent du temps à planifier, réfléchir avant de décider, ranger, ordonner, organiser et gérer les tâches. Ils peuvent ne pas aimer improviser, être spontané ou non-perfectionnistes

On parle de ce trait et de la personnalité en général dans ce dossier https://www.hacking-social.com/2023/04/03/%e2%99%a6pp1-la-personnalite-cette-performance/

3.La relation avec les pairs

4. Le trait de personnalité « agréabilité », Les hauts scores ont tendance à être altruistes, à éprouver de la compassion : ils éprouvent de la sympathie et de la confiance pour les autres et veulent les aider, car ils sont sensibles à leurs problèmes. Ils évitent les conflits et font des concessions quitte à parfois se soumettre aux autres au détriment de leur bien-être.

On parle de ce trait et de la personnalité en général dans ce dossier https://www.hacking-social.com/2023/04/03/%e2%99%a6pp1-la-personnalite-cette-performance/

5.L’estime de soi

6. L’engagement scolaire (cela correspond aux relations positives et soutenantes reçues de la part des enseignants, des camarades et de l’environnement scolaire.

7. Les besoins d’autonomie comblés

C’est pour l’individu être à l’origine de ces actions, pouvoir choisir, pouvoir décider, ne pas être contrôlé tel un pion. Cela ne veut pas dire être indépendant, vivre seul : on peut être dépendant d’autrui tout en étant autonome ; par exemple on peut être dépendant d’autrui pour se nourrir (c’est-à-dire ne pas cultiver sa propre nourriture, et devoir aller en acheter) tout en étant autonome (on choisit ses lieux de vente de nourriture selon nos valeurs, on décide de consommer ceci et pas cela, etc.). Un enfant peut être dépendant de ses parents et pourtant faire des choix autonomes concernant ses activités extrascolaires ou scolaires, son avenir (par exemple en choisissant de développer des compétences dont les parents dénient l’importance).

8.Les relations parent-enfants

9.Les besoins de proximité sociale comblés

C’est pour l’individu le besoin d’être connecté à d’autres humains, de recevoir de l’attention et des soins par autrui, de se sentir appartenir à un groupe, à une communauté par son propre apport significatif et reconnu comme tel ; à l’inverse, une proximité sociale sapée se manifeste par de l’exclusion, des humiliations, des dévalorisations, être ignoré.

Focus sur le besoin de proximité social des humains (et ce qui l’entrave dans des systèmes autoritaires ou pseudolibéraux)

10. Une bonne moyenne scolaire.

11. Le soutien social.

12. La supervision parentale.


La culture du no-life est elle un problème ?


Comme le trouble du jeu vidéo en ligne était une préoccupation plus étudiée en Asie, je me suis demandée si les chercheurs avaient mesuré les aspects politico-culturels privilégiés par ceux atteints du problème.

En psychologie, on peut voir des aspects politico-culturels différents avec des mesures de l’individualisme vertical ou horizontal, avec la mesure du collectivisme horizontal ou vertical :

Dans l’individualisme en général, il y a une croyance que chacun est responsable de soi et que l’intérêt de l’individu prévaut sur celui du groupe. Les individus donnent la priorité à leurs objectifs personnels par rapport aux objectifs de leur groupe et ils se comportent principalement sur la base de leurs attitudes plutôt que sur les normes de leurs groupes. L’individualisme caractérise les sociétés où l’indépendance, l’autonomie, la différenciation sociale, la compétition, l’épanouissement et le bien-être personnel sont au centre (Triandis, 2001).

Dans l’individualisme vertical (c’est-à-dire valorisant plus la hiérarchie), les individus adhérent aux inégalités de statuts, valorisent la comparaison sociale, la compétition, la recherche de l’intérêt personnel et le pouvoir (de domination) sont valorisés.

Dans l’individualisme en version horizontale, les individus sont considérés comme égaux, et la liberté individuelle de chacun est valorisée.

Dans le collectivisme en général (qui est le plus répandu sur la planète) il y a préoccupation pour les relations et les liens entre les membres du groupe. La personne donne la priorité aux objectifs du groupe, car l’intérêt du groupe prévaut sur celui de l’individu (Hofstede, 2010). Le collectivisme caractérise les sociétés où l’attachement, l’interdépendance, l’intégrité familiale, la loyauté à un groupe, la sociabilité et la coopération sont au centre (Triandis, 2001).

Dans la version verticale du collectivisme (c’est-à-dire valorisant plus la hiérarchie), l’individu est interdépendant du groupe, mais il se caractérise davantage dans la différence de statut et de pouvoir. Il y a adhésion à l’inégalité de statuts entre personnes, mais le sacrifice au profit du groupe reste un point important. La conformité sociale, le respect de l’autorité et l’asymétrie des relations y sont des aspects importants.

Dans le collectivisme horizontal (c’est-à-dire valorisant plus l’égalité entre personnes) l’individu est perçu comme connecté aux autres, il se construit comme étant égal aux autres. L’égalité et le partage y sont des valeurs essentielles.

À noter qu’une même personne n’est pas soit individualiste, soit collectiviste, mais à des taux dans ces catégories, et cela peut changer selon le contexte. Alors, qu’en est-il de nos no-life qui préoccupent les pays asiatiques ?

Plusieurs études4 ont fait passer ces échelles d’individualisme et de collectivisme puis ils ont observé s’il y avait un lien avec le trouble du jeu : il s’avère que c’est l’individualisme, notamment vertical, qui pose problème et qui est lié au trouble du jeu, y compris dans les échantillons asiatiques. Le collectivisme semble au contraire protéger de tomber dans l’excès. Certains chercheurs occidentaux voient ainsi le collectivisme comme un potentiel moyen d’aider les no-life à sortir du jeu excessif, notamment en transmettant les valeurs de coopération, d’interdépendance, d’entraide, d’égalité (en jeu comme IRL) plutôt que celles de domination, de compétition liée l’individualisme vertical, et qui est connecté un temps de jeu excessif et de mauvaise qualité.

Or les échelles d’individualisme vertical me semble très proches de la pensée et des valeurs autoritaires5, c’est pourquoi j’en suis venue à me demander s’il y avait un lien entre autoritaires et no-life.


Les autoritaires ?


Pour rappel, l’autoritarisme de droite ce sont des attitudes caractérisées par de très forts préjugés envers des groupes, s’exprimant par du sexisme, du racisme, des LGBTphobies, du classisme, de la psychophobie, du validisme, bref ils discriminent à tout va et selon les thèmes du moment. Ils soutiennent des politiques d’inégalité, soutiennent et justifient le fait d’inférioriser certaines personnes.

On peut mesurer deux autoritarismes de droite distincts. Nous avons déjà parlé du RWA dans nos vidéos YouTube sur la chaîne Hacking social  :

Si le profil RWA est plus marqué par une forme de soumission, l’autre autoritaire, le SDO est caractérisé par sa domination sociale. Il cherche activement à dominer, à maintenir une domination et pour cela soutient ou pratique des politiques d’inégalité.

Nous avons parlé davantage du SDO sur le site et dans notre ouvrage En Toute Puissance : 

📖 En toute puissance, manuel d’autodétermination radicale

On parle d’autoritaires de « droite » non pas parce que ces individus se déclarent de droite ou votent à droite, mais parce que leurs comportements et leurs visions du monde sont intrinsèquement liés à l’extrême droite du spectre politique6.
Ils discriminent, ils sont motivés et s’engagent dans des comportements visant à maintenir ou augmenter la suprématie de leur groupe d’appartenance.
Ils peuvent par exemple harceler et cautionner cette agression comme une bonne chose à pratiquer. Un harceleur autoritaire qui s’assume d’extrême-droite assumera s’attaquer à la cible et lui vouloir du mal, car c’est légitimé par son idéologie. Tandis qu’un autre, qui n’assume pas d’être dans cette idéologie voire se dit de gauche, rationalisera avec des justifications pour que ce harcèlement n’apparaissent pas d’extrême droite, que cela ne paraisse pas sexiste ou raciste, car ce n’est pas cautionné par la vision du monde à laquelle il dit appartenir.
Dans les pires des cas, il manipulera l’avis des témoins sur le harcèlement pour faire passer cela pour de l’humour, pour de la légitime défense, il dira que c’est lui la cible de méfaits ou encore qu’il ne fait que se défendre.

Mais dans les deux cas, c’est une forme d’autoritarisme de droite parce que le harcèlement violent est légitimé dans sa violence et qu’il est motivé à cette hauteur par des préjugés sexistes, racistes. À la même situation, l’individu n’aurait jamais été aussi violent envers une cible ayant son même genre, sa même couleur de peau ou sa même condition socio-psychologique.

Ainsi quand on parle « d’autoritarisme de droite » il faut entendre une extrême droite qui pratique factuellement du racisme, du sexisme ou autres discriminations. La publicité qu’exprime l’individu sur ces valeurs n’est pas un bon indicateur. C’est dans les actes racistes, sexistes ou à l’inverse antisexiste, antiracistes qu’on peut voir l’expression d’un antiautoritarisme ou d’un autoritarisme.

Ainsi, même des gens se disant de gauche pourrait se révéler avoir à la mesure un fort score à l’échelle SDO ou celle du RWA, ainsi que pratiquer de fortes discriminations.

Si le score RWA peut changer dans le temps, notamment en augmentant avec les crises ou en diminuant grâce à des environnements sociaux ouverts, le score SDO, lui, a tendance a rester stable dans le temps, car il est lié au statut social privilégié dans une société.


Alors, en quoi le gaming excessif serait connecté à l’autoritarisme de droite ?


En 2023, Beeder Mollandsøy et Nornes7 ont étudié 473 Anglais célibataires et hétérosexuels. Ils ont répondu à différentes échelles mesurant le sexisme hostile, la misogynie, l’attractivité auto-perçue (s’ils se perçoivent attractifs ou non) le nombre de partenaires sexuels et romantiques, l’autoritarisme de droite, la solitude, la sensibilité au rejet.

Ils ont trouvé qu’il y avait une forte relation positive entre l’autoritarisme de droite et l’hostilité envers les femmes, que ceux qui se percevaient moins attractifs étaient plus hostiles envers les femmes que ceux se percevant attractifs, que les hommes ayant le nombre de partenaires sexuels le plus faible et ceux le plus élevé étaient moins hostiles envers les femmes que les hommes ayant un nombre moyen de partenaires sexuels. Ils n’ont pas trouvé de preuves d’une relation entre le jeu et l’hostilité envers les femmes, ils n’ont pas trouvé de preuves selon laquelle la solitude, le rejet prédiraient l’hostilité envers les femmes.

Comme d’habitude, les autoritaires s’avèrent agressifs envers les femmes, mais ceci étant dit, le fait d’être un no-life ne prédit pas qu’on va agresser les femmes, il n’y a pas de liens trouvés. Le problème, c’est d’être autoritaire.

Bien que passer toute sa vie en jeu puisse être un problème, en fait il y a quelque chose de rassurant que de voir que l’exposition massive aux jeux en ligne n’a pas de lien quelconque avec l’autoritarisme. Cela veut dire que, même en abusant, cela ne risque pas d’augmenter votre autoritarisme, ni que le jeu vidéo attirerait prioritairement des autoritaires de droite.

En 2021, Jagayat et Choma ont fait 3 études avec respectivement 46, 276 et 6381 participants, dans des communautés de gamers. La dernière s’est faite au cours d’un stream en live, où le youtubeur critiquait le féminisme et arguait que les femmes avaient des privilèges dans la commu des gamers. Les participants étaient selon les études majoritairement soit des hommes anglais, soit étasuniens, mais il y avait une proportion d’autres continents représentés, pour la dernière étude on a par exemple ces participants : moyenne d’âge 24 ans, 90 % d’hommes, provenant des états unis à 52.7 %, du royaume uni à 11.8 %, du Canada 8.0 %, de l’Allemagne à 3.3 %, du Brésil à 0.8 %, de la France à 0.6 %, de la Russie à 0.6 %, du Japon à 0.5 %, du Mexique à 0.4 %, de l’Espagne à 0.4 %, de la Corée du Sud à 0.1 %, de la Chine à 0.05 %.

Les chercheurs ont donc mesuré le SDO, le RWA, les différents types de menace ressentie, l’anxiété intergroupe, le sexisme ambivalent, l’approbation et l’engagement dans une cyberagression des femmes.

Résultat, les hauts scores en SDO et/ou RWA sont toujours liés à l’approbation de la cyberagression des femmes. C’est plus fort chez les SDO, parce qu’ils persistent à traduire le monde comme une compétition permanente et que la simple présence d’une gameuse est vue comme menaçante.

Si les chercheurs notent que plus de représentativité serait la bienvenue dans toutes les sphères du jeu vidéo et aurait un effet bénéfique, ils restent néanmoins sans inspiration pour savoir comment rendre « moins menaçante » la présence de femme dans le secteur. On rappelle que c’est juste leur simple présence qui déchaîne les SDO et les motive à les agresser…

Une autre étude de Kostewicz en 2023 sur 834 participants (dont 40 % de femmes) montre aussi que le SDO est prédicteur du harcèlement sexiste.

En bref, il y a peu d’études qui répondent directement à ma question initiale, mais j’ai appris des choses et fait un peu de rangement dans ma tête à ce sujet : le gaming acharné en ligne n’amènerait pas nécessairement à des formes agressives d’autoritarisme de droite, bourrées de préjugés et d’intolérance à la diversité. Et le lien inverse, a savoir que le jeu en ligne attirerait des profils d’autoritaire ne semblent pas non plus pertinent. En fait, les autoritaires sont autoritaires avec la même pénibilité qu’habituellement avec leur agressivité envers les femmes ou tout groupe discriminé, en jeu, en ligne ou IRL. Mais on peut avoir l’impression que le gaming est grand remplacé par leurs idées parce que leur colère, leur haine est très bruyante notamment sur les réseaux sociaux, et que leur cyberharcèlement est violent (et que la paix foutue aux autres est silencieuse).


La technique du ventilateur sur les flammes de la haine8


Avec l’étude de Jagayat et Choma, on apprend quand même qu’on peut stimuler ces profils autoritaires à déployer leur agressivité. La flamme de colère avait été allumée en partie par un streamer qui avait souligné la menace à leur domination en formulant l’idée que les femmes dans le gaming étaient privilégiées.

C’est-à-dire que pour eux, le fait que des gens différents d’eux accèdent au même droit, aux mêmes lieux ou mêmes positions de « pouvoir », est ressenti comme une menace à combattre par harcèlement de la cible. Ce n’est pas tant que ce sont des gros fragiles qui pourraient avoir peur pour un rien (surtout pas pour les profils SDO), mais parce qu’ils veulent garder la suprématie sur un domaine et que la notion de gagnant gagnant pour eux, c’est insoutenable, voire n’existe pas. Ils veulent qu’il n’y ait qu’eux ou leur clone pour dominer un domaine. Ils veulent garder le pouvoir d’inférioriser les autres par leur simple (omni) présence. Et ce « combat » pour garder leur suprématie, passe par le fait de soutenir les politiques qui font que les autres aient moins de droits qu’eux, moins d’existence dans le paysage qu’eux, moins de respect qu’eux, etc.

Si une personne différente d’eux accède à une position qu’ils envient, c’est-à-dire n’importe quelle réussite (bien que ce soit souvent lié à l’argent ou la notoriété), ils se sentiront menacé et feront un scandale sur twitter X, où ils n’hésiteront pas à jouer les victimes même sans être véritablement lésés. Parce que ce qu’ils veulent, c’est la suprématie, ils ne peuvent pas partager la joie avec une personne qui n’est pas leur clone. Ainsi, ils peuvent s’offusquer et rager qu’un héros de leur jeu vidéo ne soit pas un homme blanc hétérosexuel lambda : ils y perçoivent une « injustice » et se battent comme s’ils étaient une minorité opprimée, alors que ce qui se passe est juste que le territoire médiatique est plus varié en profils divers.

Il y a à souligner qu’il existe des opérations pour utiliser la commu des gamers (et celle des gens en ligne) à des fins de propagande et d’adhésion à l’extrême droite, telles que celles réalisées sous l’impulsion de Steve Bannon. Nous l’avons abordé dans notre dossier sur Cambridge Analytica :

⬛ Comment manipuler les élections ? L’affaire Cambridge Analytica [CA1]

Pour autant, il ne s’agirait pas de confondre les gamers avec le bruit que font ces gamers autoritaires ni y voir un modèle de comportement pour « percer » sur les réseaux sociaux.

Comme la colère génère beaucoup de réactions, de partages, les algorithmes des réseaux sociaux tendent à mettre en valeur ces messages. Or ce modèle pourrait être pris par les personnes en manque d’estime d’elle-même comme une façon pour être validée, d’obtenir du soutien. Et comme tout le monde se met à agir de la même façon en permanence, cela devient la règle implicite du jeu du réseau social, qui est à peu près la même qu’un jeu à somme nulle typique de croyances narcissiques :

Le système de croyances narcissiques, est comme un jeu à somme nulle, c’est-à-dire qu’il considère l’échec d’autrui comme sa victoire, et il considère réussir quand il a écrasé autrui. Il s’estime supérieur et l’autre inférieur. Autrement dit, il voit les relations sociales que comme un jeu d’échecs. À l’inverse, un jeu à somme non nulle comme peuvent l’avoir des personnes ayant une estime de soi relativement bonne, c’est un jeu « gagnant gagnant ». C’est estimer qu’on a de la valeur comme l’autre de la valeur, et estimer que chacun peut avoir ce qu’il veut et c’est super. C’est voir les relations comme de potentielles coopérations où tout le monde atteint ses buts, où tout le monde affronte ensemble l’adversité.

Une des solutions pour se prémunir de nourrir le moulin de l’extrême-droite, ou encore ne pas glisser dans l’autoritarisme, serait donc de cultiver ce game de l’estime de soi. Lorsqu’il y a une estime de soi suffisante, on ne ressent pas le besoin d’opérer une domination sur l’autre et de se débattre pour conserver une suprématie. Autrement dit, on en revient à ce dont on parlait plus haut : il y a besoin de cultiver une joie aux modes relationnels relevant du collectivisme horizontal. Être ensemble, à s’estimer les uns les autres, à œuvrer ensemble n’est pas que plus agréable, c’est aussi augmenter nos possibilités, nos forces, nos puissances constructives. Et le bonus, c’est que cela pourrait aussi nous sortir de trouble d’usage du jeu vidéo en ligne, si nous avons un problème avec cela.

On pourrait traduire ces caractéristiques comme un défi à relever. À la caractéristique « manque d’ouverture à l’expérience » on pourrait y voir un défi de trouver des buts qui vont naturellement augmenter notre ouverture, comme faire des orgies d’œuvres, de musique ou toute autre absorption esthétique. Au manque d’empathie et à l’agréabilité, on pourrait s’entraîner à écouter une autre personne jusqu’à imaginer ce qu’elle peut ressentir, comme si on écoutait une histoire en cours d’écriture. Là aussi, il y a un transport à gagner qui s’avère extrêmement plaisant et enrichissant. On pourrait aussi viser sa propre autodétermination en cultivant des orientations autonomes, qui sont l’inverse des orientations contrôlées du schéma : à la place d’observer les situations sous l’angle hiérarchique, contrôlant, on pourrait se centrer sur les possibilités créatives qu’elle recèle. Il ne s’agit pas juste de se donner le but de ne pas devenir autoritaire, mais de cultiver des caractéristiques, traits, qui sont fournisseurs d’affects très positifs, de relations riches et mémorables. Ça en vaut la peine pour sa propre existence au jour le jour.

Concernant les structures et le fait de changer le monde d’une façon qui rende obsolète l’autoritarisme, nous en avons parler dans notre ouvrage ETP, en montrant et décortiquant des tas d’environnements qui ne font pas émerger l’autoritarisme, mais son inverse, à savoir des structures autodéterminatrices.


En résumé


Les no-life (personnes passant leur vie dans les jeux en ligne sans que cela soit rémunérateur) peuvent être effectivement dans un individualisme vertical qui est proche des valeurs autoritaires (compétition, inégalité, pouvoir de domination etc). Mais le gamer no-life n’est pas forcément autoritaire de droite. Par contre, il est facile d’influencer les gamers autoritaires d’hurler au scandale (parce qu’ils sont sensibles aux menaces à leur suprématie) et ce dans le cadre de leurs préjugés (sexistes, racistes notamment). Cela donne l’impression qu’ils sont très nombreux et majoritaires et cela peut gonfler les rangs de l’extrême droite puisque d’autres peuvent être tentés par conformisme ou par manque d’estime de soi d’adopter leur position et leur game. Mais on peut changer la donne en cultivant un collectivisme horizontal.


Bibliographie


Dans l’audio :

Présence d’extrait de ce morceau d’Ethel Caïn :


Un petit mot sur le format


Depuis quelque temps, je (viciss) demandais à Tonio9 de relire mes articles, car cela me facilitait la correction de mes propres écrits. Je me suis dit, et si on l’enregistrait et qu’on rendait tout cela accessible aux personnes ?

Pour diverses raisons, les personnes peuvent ne pas avoir des difficultés à lire mes gros articles, ainsi cela semblait une piste intéressante pour augmenter l’accessibilité. Mais la lecture seule, qui est déjà possible avec les navigateurs ou autres logiciels, ne me semblait pas assez satisfaisante d’un point de vue stylistique et esthétique. J’ai donc essayé de mixer musicalement tout ça, d’autant que j’aimais déjà bidouiller musicalement des samples.

Je ne vous le cache pas : j’ai franchement adoré faire ça et je veux le refaire.

Ainsi, ce que vous avez entendu est une espèce d’essai, il y aurait beaucoup à améliorer encore, mais j’avais d’ores et déjà envie de vous le partager pour voir vos réactions, pour savoir comment c’est entendu.

J’ai déjà des règles et limites concernant ce format : pour l’instant, il est hors de question que nous utilisions nos voix, que ce soit la mienne, celle de Technicien ou Chayka. Cela rajouterait une charge de travail beaucoup trop élevée qui amputerait des ressources à Chayka pour faire les vidéos, ce que je ne veux pas. Coopérer avec Tonio et Vivi me permet d’aller relativement vite, sans sortir une débauche de moyens que nous n’avons pas à disposition : nous ne pouvons absolument pas embaucher des personnes par exemple, nous n’en avons pas les moyens (et or de questions que l’on demande à quelqu’un de nous prêter sa voix « gratuitement »).

J’ai encore beaucoup à apprendre et à créer pour ce format d’article audio assez bizarre, mais je suis déjà attachée à Tonio et Vivi qui commencent déjà à vivre comme personnages et avoir leurs liens singuliers et dont je sens le background arriver progressivement.

Pour ce pilote, je n’ai posté que sur soundcloud, mais peut-être que je le ferais ailleurs plus tard. Je ne sais pas encore si cela vaut la peine de le poster sur YouTube avec un habillage dédié ni sur quelle chaîne (taverne hackso ; la principale, hacking social, ou carrément sur une nouvelle chaîne ?).

Certains pourraient être étonnés – voire choqués – de mes choix esthétiques. Pour être tout à fait franche avec vous, j’ai essayé à travers le son d’être au plus proche de comment je sentais le sujet, je conçois que le mix d’Ethel Caïn à un moment pourrait apparaître extrême à certains, mais c’est exactement comme cela que je ressens le sujet des autoritaires. Autrement dit, les choix sonores sont faits parce que j’ai envie de tenter d’être profondément honnête intellectuellement et émotionnellement avec vous : c’est comme ça que je pense les sujets, c’est comme ça que je les ressens. Oui ça comporte de fortes variations allant du grave au léger, parce que c’est comme ça que je suis, au fond. Et j’ai aussi envie de me marrer parfois, parce qu’il me paraît évident que Tonio et Vivi ont intrinsèquement ce potentiel.

Voilà, j’espère que ce format vous intéressera ou vous sera utile, et que sa bizarrerie ne vous perturbera pas trop. Merci d’avance pour votre compréhension, n’oubliez pas que c’est juste un pilote et qu’il se définira mieux avec le temps et l’expérience.


Note de bas de page


1Dans Glued to games, Rigby et Ryan ;

2 Xiaoyu Zhuang, Youmin Zhang, Xinfeng Tang, Ting Kin Ng, Jiaxi Lin, Xue Yang, Longitudinal modifiable risk and protective factors of internet gaming disorder: A systematic review and meta-analysis, 2023 https://akjournals.com/view/journals/2006/12/2/article-p375.xml

3Selon les définitions de Fergusson and Horwood, 1999, Fergusson et al., 2003, Keijsers et al., 2012

4. Stavropoulos et al. (2021) https://link.springer.com/content/pdf/10.1186/s12888-021-03245-8.pdf  ;  Stavropoulos, V., Baynes, K.L., O’Farrell, D.L., Mueller, A., Yucel, M. & Griffiths, M.D. (2020) 286268571.pdf (core.ac.uk) ; Wang HY, Cheng C (2022) https://mental.jmir.org/2022/2/e23700  ;

5Et après vérification, effectivement il y a des études qui montrent des corrélations entre RWA, SDO et individualisme ou collectivisme vertical par exemple https://scholarworks.sjsu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=8252&context=etd_theses ou https://stars.library.ucf.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1007&context=honorstheses ; le collectivisme horizontal a une corrélation négative avec le RWA.

7https://bora.uib.no/bora-xmlui/bitstream/handle/11250/3071027/Hovedoppgave-vr-2023-Mollands-yA–B–Nornes-C.pdf?sequence=1&isAllowed=y

8Je reprends l’expression des influenceurs du Brexit qui ont explicitement rapporté que leur technique était d’arroser les réseaux sociaux de fake news et de passer un ventilateur sur les incendies. https://www.youtube.com/watch?v=IWQh2lHqYek

9Antoine la voix synthétique à l’accent québécois disponible notamment sur le navigateur Chrome ; vous entendez aussi la voix de Vivienne, alias vivi.

Viciss Hackso Écrit par :

Attention, atteinte de logorrhée écrite et sous perfusion de beurre salé. Si vous souhaitez nous soutenir c'est par ici : paypal ♥ ou tipeee ; pour communiquer ou avoir des news du site/de la chaîne, c'est par là : twitterX

8 Comments

  1. 23 mai 2024
    Reply

    J’ai écouté la version audio, et c’était vraiment sympa à écouter 😀

    • Viciss Hackso
      23 mai 2024
      Reply

      Merci <3

  2. Noren
    24 mai 2024
    Reply

    Anonyme a dit avant moi, le 23 mai 2024: « J’ai écouté la version audio, et c’était vraiment sympa à écouter 😀 »

    Ben pareil.
    J’ai apprécié, notamment:
    – de pouvoir m’économiser les yeux en les tenant longuement hors de l’écran, même si j’ai fait défiler au fur et à mesure le texte pour suivre où on en était,
    – de pouvoir jouer sur le fait que je suis quelqu’un de l’auditif préférentiel,. J’entends par la le fait que j’étais le genre d’étudiant qui retenait plus de choses d’un cours déjà entendu au moins une fois que d’en lire que la transcription, fût-elle très exhaustive et fidèle au dire initial.

    Et puis j’ai trouvé que chacune des 2 voix avaient du charme (à mes oreilles), et s’harmonisaient bien dans l’alternance de leur duo alterné.
    J’ai pas trop fait gaffe au contenu sonore autour, je me concentrais sur le contenu du dire (ce qui renvoie aussi à cette notion de « auditif préférentiel »). En tout cas je ne l’ai pas trouvé envahissant ou déconcentrant., cet habillage, et qu’il donnait du relief en « atmosphère » globale.

    Et enfin, le coup genre « je vais pas vous lire les statistiques descriptives, ça me gave » m’a fait marrer. J’ai dû jouer du défilement à l’écran, sur le moment, pour retrouver où le texte lu reprenait. C’est comme l’habillage sonore, ça rend l’ensemble plus vivant, sans nuire au contenu, bien au contraire, je trouve.

    Bref, merci, car ça m’a rendu cet article plus confortablement accessible que si j’avais dû me le lire par moi-même.

    • Viciss Hackso
      25 mai 2024
      Reply

      Merci pour ce retour ! d’autant plus que je n’avais pas pensé à cet usage d’écouter + regarder l’article en même temps, je croyais que les personnes allaient soit juste écouter, soit juste lire, donc c’est très intéressant ! Je suis vraiment contente si ça permet plus d’accessibilité, ça me donne envie de continuer sur cette nouvelle voie.

  3. Anonyme
    25 mai 2024
    Reply

    Attention, il manque la note 4 en bas de page.
    Merci pour cet article !

    • Viciss Hackso
      25 mai 2024
      Reply

      Merci ! j’ai remis la note 4.

  4. Anonyme
    7 juin 2024
    Reply

    Je me demandais s’il était encore pertinent d’affirmer qu’on peut être haut score RWA/SDO et voter à gauche. Vous parlez de personnes votant à gauche et qui auraient des attitudes révélant un haut « potentiel fasciste », mais j’ai justement l’impression que la recomposition politique de ces 10 dernières années (voir plus) tient justement au siphonnage électoral de ces personnes par l’extrême-droite. Typiquement, ceux qui vous sortent des trucs du style « je votais à gauche avant, mais je peux plus à cause de Taubira/Obono/Rima ». De fait, oui, on a eu ce genre de profil à gauche, mais j’ai l’impression qu’on les a plus aujourd’hui, justement. Alors que le vote est de moins en moins lié à des questions économiques et de plus en plus à des questions morales, ce genre d’attitude devient plus déterminante. Alors, autour de Roussel, peut-être, mais on voit comment il rame niveau électoral (ça fait pas grand monde), mais j’ai l’impression que ces profils se sont tous barrés de LFI par exemple depuis 2020, et en sont devenus des contempteurs. Je ne sais pas s’il existe des études donnant une répartition précise des scores en fonction des votes (et pas juste des moyennes) et leur évolution dans le temps. Mais je me dis quand-même qu’il a dû y avoir une évolution récente, surtout pour les RWA et double hauts (peut-être moins pour les SDO bas-RWA).

  5. Zielh
    11 juin 2024
    Reply

    Article intéressant, merci !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

LIVRES