Sommaire de l'article
- 1.Plus un individu/groupe sera perçu comme s’éloignant des normes de genres/sexuelles, plus il est la cible d’attitudes négatives de la part de ceux qui adhérent à ces normes [Nagoshi & coll 2019]
- 2.Plus des groupes adhéreront à ces normes, plus ils auront potentiellement de forts préjugés
- 3.Les préjugés transphobes peuvent avoir des processus différents entre les hommes et les femmes (cis)
- 4.La transphobie repose sur des processus cognitifs, émotionnels et motivationnels identifiés.
Le chapitre 8 « SHOCKING #28 – LA TRANSIDENTITÉ, AU-DELÀ DES APPARENCES. » est disponible !
Cet article a été également publié ici :
[thread sur la Transphobie] Le chapitre 8 est dispo !
Il y sera question notamment des détransitions, d’autogynéphilie, du sport, ainsi que de la transphobie.
C’est là-dessus que je voudrais m’arrêter, en vous proposant un « petit » résumé de la recherche en psycho sur ce thème. https://t.co/NlGHT3aHql pic.twitter.com/9UtaPc0KJU— Chayka Hackso (@ChaykaHackso) June 23, 2023
Il y sera question notamment des détransitions, d’autogynéphilie, du sport, ainsi que de la transphobie.
C’est là-dessus que je voudrais m’arrêter, en vous proposant un « petit » résumé de la recherche en psycho sur ce thème.
Pour commencer, la transphobie qu’est-ce que c’est ?
« Discrimination sociétale et stigmatisation des individus qui ne se conforment pas aux normes traditionnelles de sexe et de genre » Sugano et Coll. 2006
Les préjugés transphobes peuvent être mesurés par différentes échelles psychométriques. Vous trouverez un exemple ici :
[TW transphobie, préjugés explicites]
Je serais curieuse de savoir quel serait les scores des "femellistes" à des échelles de psycho mesurant la force de préjugés transphobes.
Prenons par exemple l'échelle de Nagoshi et al (2008), composée de 9 items,🔽 https://t.co/DT2E0B4jFZ— Chayka Hackso (@ChaykaHackso) October 5, 2022
Quelques éléments à préciser d’entrée de jeu pour éviter quelques malentendus et confusions :
- Oui dans transphobie, il y a « phobe », suffixe qui se traduit par « peur ». Or, il faudrait plutôt parler d’aversion : les préjugés homophobes et transphobes tiennent d’une vive répulsion, sans qu’il soit question de peur à proprement parler.
- Les préjugés transphobes sont en confluence avec d’autres préjugés tels que l’homophobie et le sexisme. Parler de transphobie ce n’est donc pas que parler de transphobie.
- Ce que nous allons voir vaut aussi très souvent pour les préjugés contre les personnes LGBTQI+ en général, en cela qu’elles peuvent être perçues comme dérogeant aux normes dominantes de genre et de sexualité (spoiler : le rapport à la norme est important).
Les recherches en psycho nous apportent différents enseignements :
On peut voir les préjugés comme un spectre, et ici je vais surtout parler des personnes et groupes à fort préjugés transphobes.
1.Plus un individu/groupe sera perçu comme s’éloignant des normes de genres/sexuelles, plus il est la cible d’attitudes négatives de la part de ceux qui adhérent à ces normes [Nagoshi & coll 2019]
Trois normes sociales sont ici impliquées :
- Normes de sexualité = hétérosexisme, c’est-à-dire un système idéologique qui passe par la dévaluation et la promotion d’antipathie à l’encontre des personnes non hétéro et tout ce qui sera perçu comme tel [Herek 2004]
- Normes d’identité de genre = valorisation des identités cisgenre au détriment des transidentités (=cisnormativité), c’est-à-dire réduire les identités de genre à deux catégories binaires liées au sexe biologique [Worthen 2016]
- Normes de rôles de genre = soit les attentes, comportements et traits traditionnellement attendus en fonction du genre (ex : les hommes sont forts, les femmes sont douces, les stéréotypes quoi) [Bornstein 1998]
Les personnes trans (plus particulièrement les femmes trans et les hommes cis gays) sont perçus comme venant flouter ces normes, leur existence entrant en friction avec l’hétérosexisme, la cis normativité et les rôles traditionnels binaires de genre où les normes masculines sont conçues comme le négatif de la « féminité » [Qu’est-ce qu’un homme ? un individu capable de n’avoir aucune ambiguïté avec la féminité] [Carnaghi et coll. 2011]
Pour le dire autrement, la transidentité est perçue comme une menace à ces 3 normes, ce qui est l’un des moteurs des préjugés, des discriminations et des paniques morales en tout genre (sans jeu de mots).
2.Plus des groupes adhéreront à ces normes, plus ils auront potentiellement de forts préjugés
De qui parle-t-on ?
Les études montrent un fort lien avec les individus qui adhèrent en général à des valeurs conventionnelles (= tendance à se conformer aux normes sociales en général, à justifier le système social en place),
ce qu’on retrouve fortement en Europe et en Amérique du Nord dans le conservatisme de droite et l’extrême droite.
Le RWA (= l’autoritarisme de droite) et le fondamentalisme religieux sont connectés aux préjugés transphobes [Nagoshi & coll 2019], rien d’étonnant donc à ce que la transphobie soit souvent associée à d’autres préjugés comme l’anti-féminisme, le racisme, la xénophobie, etc.
Qu’est-ce que le RWA et le fondamentalisme religieux? On en parle ici :
3.Les préjugés transphobes peuvent avoir des processus différents entre les hommes et les femmes (cis)
Chez les hommes, la menace à ces normes découlent d’une crainte à la remise en cause de leur statut d’hommes (pouvoir/privilège), et la transphobie est étroitement lié à l’hétéronormativité= chez les hommes, les préjugés transphobes se mélangent à des préjugés homophobes.
Pour eux, exprimer des attitudes négatives à l’encontre des personnes LGBTQI+ est un moyen de préserver leur statut social, leur identité masculine et leur hétérosexualité (l’idée d’une sexualité autre leur apparaît insupportable) [Falomir-Pichastor et Mugny 2009]
Cette association homophobie/transphobie se retrouve moins chez les femmes cis à fort préjugés. Leur transphobie réside davantage dans la crainte de perdre leurs rôles traditionnels, avec cette croyance que leur place dans la société dépend de leur conformité aux rôles de genre.
Autrement dit, la transphobie ici est souvent liée au sexisme bienveillant.
Qu’est-ce que le sexisme bienveillant ? Selon la théorie du sexisme ambivalent (Glick & Fiske 1996), le sexisme comprend deux types de croyances idéologiques interconnectés :
- Le sexisme hostile = « idéologie qui caractérise les femmes comme incompétentes, trop émotives et tentant de manipuler les hommes pour accéder au pouvoir »
- Le sexisme bienveillant = « idéologie [qui maintient] le pouvoir des hommes, en caractérisant les femmes comme délicates, pures et ayant besoin de la protection et des soins des hommes [Hammond et coll. 2018]
Autrement dit, la transphobie chez les H s’articulera souvent sur l’hétéronormativité, la transphobie chez les femmes cis s’articulera par la valorisation de ce que devrait être une « vraie femme » (sur le plan anatomique, psychologique, et/ou des rôles sociaux traditionnels).
4.La transphobie repose sur des processus cognitifs, émotionnels et motivationnels identifiés.
Selon l’approche de la cognition sociale motivée les personnes aux préjugés transphobes ont un plus grand besoin de fermeture cognitive (NFC need for the closure, Makwana 2017), de structure, d’ordre.
Ils peinent à gérer l’ambiguïté, seront demandeurs de réponses simples, fermées et définitives. Or, la bisexualité et la transidentité sont perçues comme remettant en cause les dichotomies hétéro/homo, homme/femme [Grelick et Al.], ce qui peut engendrer des sentiments de doute, d’ambiguïté, un inconfort psychologique chez ces personnes.
(à remarquer que c’est là l’une des raisons pour laquelle la biphobie a aussi un statut particulier par rapport à l’homophobie : une personne ayant un besoin de fermeture fort pourra tolérer davantage l’homosexualité car la dichotomie ne lui apparaît pas menacé, à l’inverse la bisexualité pourra le perturber +).
Concrètement, les hauts score au NFC manifesteront un besoin pressant d’une définition de genre, ne se satisferont pas d’une réponse nuancée, souple et ouverte. D’où la fameuse « guerre » des définitions dès qu’on commence à parler de transidentité.
Pour résumer : plus le besoin de fermeture cognitive est forte, plus les préjugés à l’encontre des personnes trans pourront être forts ; mais à l’inverse, les personnes ayant un besoin de cognition élevé (=appétence pour la connaissance, la complexité, la nuance, etc. ) plus les préjugés transphobes seront faibles.
Bon, c’est bien joli tout ça, mais ça sert à quoi ?
Ces recherches nous donnent des pistes pour faire diminuer ces préjugés (pas seulement transphobes, ça marche aussi pour de très nombreux groupes ciblés autres que trans).
Petite liste des procédés efficaces :
- Contact intergroupe = plus on interagit avec un groupe, plus les préjugés diminuent. L’ouverture à la diversité des expériences est centrale dans la diminution des préjugés, d’où l’importance de visibiliser les minorités.
- Cela vaut pour les représentations = plus de visibilité de la parole des personnes trans/nb, meilleure représentation dans les fictions, médias, etc. [cela peut mettre mal à l’aise les hauts scores aux préjugés transphobes qui manifesteront leur désapprobation, mais à long terme c’est redoutablement efficace]
- On peut valoriser les comportements pro sociaux : plutôt que de pointer du doigt des comportements, on peut aussi au contraire essayer de valoriser (visibiliser) des comportements prosociaux que l’on peut élargir à l’ensemble des groupes. Ce mode est intéressant car il évite les injonctions et jugements sociaux négatifs qui peuvent parfois entraîner des effets boomerang.
- Meilleur traitement journaliste du sujet. Beaucoup de choses à revoir ici. Pour en savoir plus sur les problèmes médiatiques en France, ce dossier d’AJL est excellent : http://transidentites.ajlgbt.info/
- Vouloir rationaliser (aller sur le terrain des définitions par exemple) sera peu efficace, tout comme adopter un mode injonctif. On peut préférer l’écoute, tendre à rassurer tout en prenant en compte les valeurs d’autrui, sans discours apparaissant comme contrôlant. C’est bien plus efficace.
- Apprentissage de la reconnaissance des stéréotypes et idées reçues sexistes, homophobes et transphobes (plutôt que de débunker, prébunker !) Comment ? par une meilleure information, formation et sensibilisation, à l’école et dans les milieux pro, et ce en privilégiant l’autonomie (sans injonction)
- On peut intégrer dans nos pratiques des questionnements sur nos actes langagiers : par exemple dans les fiches de renseignements à l’école, les papiers d’identité, le fait de ne pas ramener la personne à son sexe ou genre.
- À l’école, quand je parle de sensibilisation je ne parle pas seulement des élèves (plus ouvert sur les questions LGBTQI+ que les adultes, vive les jeunes) mais l’équipe pédagogique (dont la direction, trop souvent oubliée). Soyons clair, les sensibilisations ne seront jamais suffisantes, mais demeurent importantes.
- Ces sensibilisations peuvent passer par des mises en perspective (se mettre à la place de…) et par des activités créatives (la créativité participe à diminuer le besoin de fermeture cognitive et participe à plus de souplesse, à une meilleure tolérance à l’ambiguïté, et en + c’est fun).
- On peut aussi mettre en avant le fait que la transidentité ne vient pas restreindre des possibilités, au contraire elle les ouvre énormément, par seulement pour les personnes trans et non binaire, mais aussi pour les personnes cis, et ça c’est plutôt cool, non ?
Voilà pour ce « petit » résumé.
- Vous pouvez retrouver le chapitre 8 sur plusieurs plateformes ( https://metadechoc.fr/tree/ ) , comme youtube :
- Le site de Meta de choc : https://metadechoc.fr/podcast/la-transidentite-au-dela-des-apparences/
- Les plateformes de streaming comme spotify : https://open.spotify.com/show/4j5ZAz47NbAgO2HyA30kPo
[…] Mise à jour du 20/07/2023 : pour aller plus loin vous pouvez consulter ce nouvel article concernant la transphobie. […]