♦PP12 : Nos buts produisent notre personnalité ?

Nos états de personnalité varient constamment, et nous avons vu la dernière fois des études montrant qu’il n’y avait pas besoin de situations exceptionnelles pour changer : parfois seules l’heure ou la présence de personnes autour de nous nous amenait à exposer une autre personnalité. Ceci étant dit, nous ne sommes pas des machines déterminées uniquement par la situation, chacun a sa façon de l’interpréter et y répondre par des stratégies parfois totalement opposées. Certains augmentent leur politesse et sympathie lorsqu’ils sont dans une situation inamicale, puis deviennent désagréables lorsqu’ils sont entourés d’amis ; d’autres produisent un travail acharné en examen puis deviennent très paresseux, alors que d’autres sont à peine plus travailleur en situation d’examen, mais ne flirtent jamais avec cette paresse totale. Et si la raison de ces différences individuelles face à une même situation avait quelque chose en rapport avec les buts que se donnent les personnes ?

La totalité du dossier est accessible en epub : https://www.hacking-social.com/wp-content/uploads/2023/06/La-personnalite-cette-performa-Viciss-hackso.epub

Articles du dossier : 

En 2016, Fleeson et McCabe vont explorer cette question des buts en tenant compte des apports des expériences précédentes : on a une situation qui comporte des indices où l’expression de l’extraversion sera favorable, que ce soit quant à l’horaire (disons début de soirée), au social (il y a du monde), à l’amicalité (des gens agréables qui nous apprécient),ainsi que d’autres facteurs qui ont un impact (mais tout ne peut pas être testable). Certains individus qui ont moins de variation de l’extraversion ne vont pas saisir ces indices, tout du moins ces indices n’activeront pas une hausse de leur extraversion : leur état de personnalité sera le même, ne réagira pas à ces éléments nouveaux. D’autres au contraire saisiront cet indice et enclencheront alors une forte extraversion, ce qui au final dans leurs résultats révèlera une forte variabilité intraindividuelle. Et on a vu que globalement, la variabilité intraindividuelle des gens était très forte pour l’extraversion. Ainsi, il est plus probable qu’en ce début de soirée avec du monde, les gens soient très différents de ce qu’ils étaient seuls au petit matin, ils seront plus similaires entre eux qu’avec eux-mêmes.

L’hypothèse de McCabe et Fleeson est que la manifestation des traits, par exemple l’enclenchement d’une haute extraversion à cette soirée, est un outil pour la poursuite des buts de la personne : si vous avez vu les théories dispositionnelles précédentes, vous comprendrez à quel point c’est un renversement que de penser ainsi. Le trait n’est plus considéré comme un déterminant de notre nature, mais comme quelque chose qu’on met en œuvre pour atteindre des buts. Il y a un retournement paradigmatique de ce que nous disaient McCrae et Costa. Pour eux, les traits orientent nos buts : à la place de « comme je suis extraverti, je vais aller à cette soirée pour exprimer mon extraversion naturellement haute » (interprétation de McCrae et Costa), on a ici le postulat inverse « comme j’ai pour but de m’amuser, je vais déployer mes capacités d’extraversion dès que la situation montrera des indices favorables à celles-ci (heure/présence de monde/amicalité) ».

La façon dont s’interpréterait le comportement d’une personne démontrant de l’extraversion à une fête, selon les dispositions à gauche et selon la perspective des expériences sur les états de traits à droite :

L’hypothèse de McCabe et Fleeson (2016) est donc que si les gens manifestent des traits différents à des moments différents et à des degrés différents, c’est parce qu’ils auraient des buts différents.

Les chercheurs définissent le but comme une « représentation cognitive d’un objet futur que l’organisme s’engage à approcher ou à éviter » (Elliot et Fryer 2008). Le but a donc une fonction et un processus clair qui amènent à développer des stratégies, de l’engagement à l’action et la réalisation d’un point final. Les buts dirigent notre comportement : si mon but est de nettoyer l’appartement, je vais exclure des comportements tels que partir à la fête foraine, répéter la Marseillaise à la flûte, dormir, faire un concours d’apnée avec le voisin, etc. Je me dirige plutôt vers la préparation de l’aspirateur et d’autres outils de ménage, je planifie pour optimiser les tâches, m’organise, puis travaille à tout ordonner. Ici le but de faire le ménage amène donc à avoir besoin de performer de la conscienciosité.

Le trait ou la facette n’est pas un but en soi. Vous ne dites pas par exemple à votre compagne ou compagnon : « je m’absente une heure, je vais aller être chaleureux et altruiste ! ». Vous formulerez peut-être cela en but beaucoup plus précis « je m’absente une heure, je vais aller discuter avec tel ami qui a besoin de soutien en ce moment ! » et vous activerez votre état de chaleur et celui de l’altruisme tel un outil pour que ce but d’amitié et d’altruisme soit atteint.

McCabe et Fleeson rapportent des études précédentes connectant les buts aux traits :

« L’extraversion prédit les objectifs interpersonnels, hédonistes, de croissance et politiques, l’agréabilité prédit les objectifs interpersonnels, la conscienciosité ] prédit les objectifs de santé, académiques et professionnels, le névrosisme prédit les objectifs d’image et l’ouverture les objectifs de croissance prévus (Bleidorn et al., 2010 ; Reisz, Boudreaux et Ozer, 2013 ; Roberts et Robins, 2000 ; Roberts, O’Donnell et Robins, 2004). »

McCabe KO, Fleeson W. Are traits useful? Explaining trait manifestations as tools in the pursuit of goals. J Pers Soc Psychol. 2016 Feb;110(2):287-301. doi : 10.1037/a0039490. Epub 2015 Aug 17. PMID : 26280839 ; PMCID : PMC4718867. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/

Cependant, la causalité est ici pensée à l’inverse, à savoir que les buts causent les traits :

« Nous partons de l’hypothèse que les États [de personnalité] sont plus que de simples couleurs ou styles d’action, mais sont des opérations sur le monde avec des conséquences réelles (Sadikaj, Moskowitz, Russell, Zuroff et Paris, 2012). Par exemple, être dominant sur le moment peut changer la façon dont les autres agissent et se sentent. Si les États ont des conséquences, alors peut-être que ces conséquences pourraient être utiles. Si les conséquences peuvent être utiles, alors peut-être que les gens emploient ces états intentionnellement afin d’obtenir ces conséquences (McCabe & Fleeson, 2012 ; Paulhus & Martin, 1987). Autrement dit, le contenu des traits peut être adopté lorsque les conséquences des états sont nécessaires pour un objectif particulier.

Ainsi, nous proposons que les buts provoquant des états puissent être l’un des mécanismes constitutifs des traits. »

McCabe K.O., Fleeson W. Are traits useful? Explaining trait manifestations as tools in the pursuit of goals. J Pers Soc Psychol. 2016 Feb;110(2):287-301. doi: 10.1037/a0039490. Epub 2015 Aug 17. PMID : 26280839 ; PMCID : PMC4718867. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/

Pour vérifier cela, ils ont fait passer l’ESM à 44 étudiants 5 fois par jour pendant 10 jours. Les questions portaient sur deux traits : l’extraversion et la conscienciosité, à savoir pour l’extraversion « à quel point étiez-vous assertif (ou sociable, extraverti, asociable, audacieux, peu assertif) ces 30 dernières minutes ? » et ils pouvaient répondre de 1 = pas du tout à 6 = beaucoup.

Et pour la conscienciosité la question avait la même forme, excepté que les adjectifs étaient : organisé, désorganisé, assidu, persévérant, déterminé, paresseux, ordonné.

Les buts comportaient des questions sous la forme de : « à quel point essayiez-vous de vous amuser durant les 30 dernières minutes ? ». Les buts testés étaient : « s’amuser », « retrouver de l’énergie/recharger ses batteries », « éviter de se mettre dans l’embarras », « être le centre de l’attention », « éviter d’être ignoré par les autres », « éviter les conflits », « s’adapter », « utiliser son temps efficacement », « éviter d’oublier de faire quelque chose », « diriger son énergie vers là ou elle est la plus nécessaire », « éviter d’être tendu », « accomplir les tâches », « éviter de faire des erreurs », « ne pas s’inquiéter de quelque chose », « éviter un défi ».


Résultats


Il a été découvert que les buts prédisaient 46 % de la variation intraindividuelle de l’état d’extraversion. Autrement dit, la personne change d’état d’extraversion à cause des buts qu’elle se donne à hauteur de 46 %. 53,8 % de son changement d’état d’extraversion n’est pas expliqué par les buts. C’est légèrement plus pour la concienciosité où les buts prédisent 50,6 % de variation intraindividuelle de l’état de conscienciosité.

Le questionnaire général mesurant les traits et non l’état de la personnalité ne prédisait que 6,6 % de la variance de l’état d’extraversion. Autrement, il prédisait très peu l’état varié d’extraversion, contrairement aux buts. Si les buts étaient pris en compte dans les calculs, la prédiction du questionnaire tombait à 2,6 %.

Pour la conscienciosité, les questionnaires prédisaient la variance à 29,6 % sans les buts, mais s’ils étaient pris en compte, le questionnaire de personnalité ne prédisait plus que 13,5 % de la variance des états de conscienciosité. Autrement dit, votre questionnaire de personnalité, même si vous y obteniez des scores très marqués en introversion ou extraversion, ne peut vous prédire ou prédire à autrui comment vous changerez dans une situation donnée.

Notre Jean-Bernard si conscienciencieux et ordonné est peut-être très en colère concernant les reformes de retraite et n’a pas hésité à mettre le zbeul dehors. Son questionnaire n’est pas prédictible de ce qu’il ferait dans une situation politique d’injustice.

Si par contre on vous demande quel serait votre but principal à la soirée de votre voisin Jean-mich (qui fête son nouveau record exceptionnel d’apnée), et que celui-ci est de vous faire de nouveaux amis, que vous soyez catégorisé d’introverti ou d’extraverti par le questionnaire, il est très probable que vos scores d’extraversion montent, car l’extraversion est un bon outil pour se faire des amis. Si votre but est au contraire de vous venger (vous estimez que c’est vous qui méritiez de gagner ce concours d’apnée), là ce n’est pas l’outil extraversion que vous allez utiliser, mais l’outil « basse agréabilité » couplé à la facette colère-hostilité, et ce afin de ruiner la réussite de Jean-mich et sa soirée.

Mais dans l’étude, quel but prédit alors le plus un état d’extraversion ou de conscienciosité ? Voici les résultats de cette première étude, dont je mets le détail parce que cela peut être fort utile ; si vous voulez diminuer ou augmenter ces deux états de traits, un moyen de le faire est d’adopter un but ou d’arrêter un but qui n’amènerait pas au résultat que vous souhaitez.

On peut aussi utiliser cela comme une analyse : par exemple, si on a pour but d’utiliser son temps efficacement, on performe sans doute un état de conscienciosité qui sera perçu comme tel par les autres. C’est bien vu au travail, très mal vu en soirée amicale, parce que ce n’est pas la contingence attendue. Cela peut expliquer pourquoi les gens vont mal vous percevoir à ce moment-là ou se sentir insultés. Mais peut-être a-t-on de bonnes raisons d’agir ainsi : il s’agit d’enquêter sur ces raisons et si elles sont déjà claires pour nous, on peut être en discuter avec les autres ou s’atteler au problème sous-jacent qui nous empêche de nous harmoniser aux contingences de la situation.

En gras les plus fortes corrélations, mais les petites corrélations sont parfois très signifiantes (celles avec ** signifie que p < .01, c’est-à-dire que le résultat est statistiquement hautement significatif).

 

Extraversion générale Conscienciosité générale Extraversion facette sociable Extraversion facette assertive Consciencisité facette ordonné Conscienciosité facette industrieux
S’amuser

.36**

−.06

.49**

29**

−.09*

−.04

Éviter de louper une opportunité

16**

.18**

.13*

.19**

.11*

.23**

Retrouver de l’énergie/recharger ses batteries

−.11**

−.26**

−.09*

−.12**

−.20**

.32**

Éviter d’être embarrassé

.34**

.05

.42**

.25**

−.04

.10*

Être le centre de l’attention

.47**

.01

.60**

.32**

−.09*

.08*

Éviter d’être ignoré par les autres

.33**

.00

.43**

.24**

−.05

.04

S’adapter (fit in)

.42**

.03

.55**

.28**

−.05

.08*

Éviter les conflits

.14**

.03

.19**

.10**

.02

.04

Utiliser son temps efficacement

.00

.35**

−.07

.08*

.32**

.39**

Éviter d’oublier quelque chose

.02

.21**

−.03

.07*

.19**

.24**

Mettre de l’énergie ou il y en a besoin

.04

40**

−.03

.12**

.32**

.41**

Éviter d’être tendu

.21**

.03

.26**

.17**

−.02

.06

Accomplir des tâches

−.01

.36**

−.08

.08*

.32**

.39**

Éviter les erreurs

.07*

.26**

.02

.13**

.22**

.30**

Ne pas s’inquiéter de quelque chose

.05

−.04

.06

.02

−.04

−.05

Éviter un défi −.06 −.18** −.06 −.06* −.14** −.22**

*p <.05 ; **p < .01

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/#FN1

Ils ont mené une deuxième étude pour clarifier les résultats :

« L’étude 1 a montré qu’environ la moitié de la variance des états d’extraversion et de conscienciosité peut être prédite à partir des objectifs que les gens poursuivent. Cependant, ce lien ne peut être revendiqué comme un mécanisme sous-jacent aux traits que s’il a été démontré que les relations sont causales. Cependant, l’hypothèse typique est que le flux causal est le contraire, des traits (ou états) aux objectifs (Corker, Oswald, & Donnellan, 2012; Lischetzke, Pfeifer, Crayen, & Eid, 2012 ; Lüdtke et al., 2009). Ainsi, le but de l’étude 2 est de tester si l’association entre l’objectif et l’état de la personnalité survit au test de causalité. »

McCabe KO, Fleeson W. Are traits useful? Explaining trait manifestations as tools in the pursuit of goals. J Pers Soc Psychol. 2016 Feb;110(2):287-301. doi: 10.1037/a0039490. Epub 2015 Aug 17. PMID : 26280839 ; PMCID : PMC4718867. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/

Cette fois, il y avait un aspect plus expérimental, car les participants venaient au laboratoire du campus, et les buts leur étaient donnés (ceux qui avaient le plus de puissance dans l’étude 1). Les buts étant les présentés ainsi : « votre objectif pour les 45 prochaines minutes : vous connecter avec les gens et faire rire les autres » (but en lien avec l’extraversion) ou « Votre objectif pour les 45 prochaines minutes : accomplir une tâche et utiliser votre temps efficacement » (but en lien avec la conscienciosité).

Après les 45 minutes, les participants revenaient au labo et décrivaient ce qu’ils avaient fait, remplissaient des questionnaires sur l’état de leur personnalité, mais aussi des questionnaires liés aux buts et aux affects.

Résultat, l’état d’extraversion était beaucoup plus élevé lorsque le participant avait pour but de se connecter aux autres, contrairement au but de faire ses tâches. Cette expérience démontre l’effet causal des buts sur l’état de la personnalité : parce que le but a été donné, demandé à être effectué, et ce, qu’importe le niveau d’extraversion de base de la personne, l’état d’extraversion est monté pour accomplir le but. Si les traits étaient la cause première, cet effet n’aurait fonctionné que sur des profils extravertis, les introvertis n’auraient pas pu augmenter leur extraversion, or ce n’est pas le cas. Et si la personnalité était cause première, avec le but des tâches, les hauts extravertis seraient restés hauts. Or, on voit que le but a amené les personnes à diminuer leur extraversion.

Mon hypothèse sur le fait que la conscienciosité bouge moins est qu’il s’agit d’une expérience contrôlée, sur le campus : la conscienciosité était un état latent, parce que les participants — même avec le but de se connecter à autrui — le faisaient aussi sans doute par conscienciosité de bien mener l’expérience prise au laboratoire.

La troisième étude

« On craint que les États [de personnalité], étant autodéclarés, ne soient pas des évaluations précises de ce que les gens font réellement. Le cinquième élément de preuve nécessaire pour nos affirmations est que les États évaluent avec précision ce que les gens font réellement. Si nous voulons affirmer que les objectifs expliquent le côté “ce que les gens font réellement” des traits, alors nous devons montrer que ces changements d’état en réponse aux objectifs sont ce que les gens font réellement. Ainsi, nous avons ajouté des observateurs afin d’évaluer les états. »

McCabe K.O., Fleeson W. Are traits useful? Explaining trait manifestations as tools in the pursuit of goals. J Pers Soc Psychol. 2016 Feb;110(2):287-301. doi: 10.1037/a0039490. Epub 2015 Aug 17. PMID : 26280839 ; PMCID : PMC4718867. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/

Les chercheurs ont donc organisé cinq séances de groupe, d’une heure, pendant 5 semaines. Chaque groupe de 4 à 3 personnes suivaient l’enseignement d’une activité :

« Les activités comprenaient (1) une activité de mots (définitions des adjectifs de notation), (2) de la peinture, (3) une tâche de décision du comité d’organisation, (4) une analyse d’art, (5) une séance de devoirs en groupe, (6) une activité libre (jeux ou devoirs) »

McCabe KO, Fleeson W. Are traits useful? Explaining trait manifestations as tools in the pursuit of goals. J Pers Soc Psychol. 2016 Feb;110(2):287-301. doi: 10.1037/a0039490. Epub 2015 Aug 17. PMID : 26280839 ; PMCID : PMC4718867. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/

Un temps était dédié au fait de remplir des questionnaires d’évaluation de leur comportement et de leurs objectifs, mais aussi d’évaluation du comportement et objectifs des autres. Chaque participant faisait au total 10 autoévaluations et jusqu’à 30 évaluations des autres. Et cette connexion buts-traits est également perçue en observant et en évaluant les autres :

 

Extraversion Conscienciosité Bavard (facette extraversion) Assertif (facette extraversion) Organisation (facette conscienciosité) Industrieux (facette conscienciosité)
S’amuser .28** -.05 .38** .19** .04* -.05*
Être le centre de l’attention .54** -.02 .63** .44** -.07* .03
Utiliser son temps efficacement -.05 .38** -.14 .04 .40** .36**
Accomplir ses tâches -.07* .39** -.16 .02 .39** .40**

Table 5 issue de McCabe KO, Fleeson W. Are traits useful? Explaining trait manifestations as tools in the pursuit of goals. J Pers Soc Psychol. 2016 Feb;110(2):287-301. doi: 10.1037/a0039490. Epub 2015 Aug 17. PMID : 26280839 ; PMCID : PMC4718867. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/


En conclusion


Les chercheurs concluent donc que si les traits sont considérés comme des descriptions de ce que font réellement les gens et cela est déterminé en partie par les objectifs qu’ils poursuivent. L’étude apporte cinq éléments de preuve :

— Les buts hypothétiques ont prédit près de la moitié de la variance de l’état de conscienciosité et de l’état d’extraversion, ce qui démontre que la poursuite d’un but explique la mise en acte de traits.

— Les buts expliquaient de grandes quantités de variance inter et intra-individuelle dans la manifestation des traits. Les gens agissent parfois de manière extravertie ou consciencieuse parce qu’ils poursuivent des objectifs qui nécessitent ces manifestations, et certaines personnes sont plus extraverties ou consciencieuses que d’autres parce qu’elles poursuivent les objectifs associés plus souvent que d’autres.

— Les états de personnalité avaient des fonctions distinctes, confirmant que différents états ont des utilisations différentes, car ils exécutent différentes opérations sur le monde et différentes opérations sont nécessaires pour différents objectifs.

— L’effet des buts sur les états de personnalité s’est avéré être un effet causal. Les gens différaient les uns des autres par leurs traits, car ils poursuivaient des objectifs différents. Les gens ont adopté l’état de personnalité dans leur vie quotidienne parce qu’ils poursuivaient des buts qui bénéficieraient de ces états. Par exemple, certaines personnes étaient plus extraverties que d’autres parce qu’elles voulaient s’amuser plus souvent que d’autres, et elles étaient parfois plus extraverties parce qu’elles voulaient s’amuser à ces moments-là. Les chercheurs signalent que le mot « parce que » est sciemment utilisé, car ce n’est pas qu’une simple association, les buts causent l’adoption d’un état plutôt qu’un autre.

« La poursuite d’objectifs momentanés et spécifiques est une source majeure de mise en acte de traits dans la vie quotidienne. Des objectifs spécifiques et de petites tailles sont activés, puis les États [de personnalité] sont sélectionnés pour être promulgués. Les états qui sont promulgués sont ceux qui ont des conséquences qui devraient accomplir l’objectif activé. »

McCabe KO, Fleeson W. Are traits useful? Explaining trait manifestations as tools in the pursuit of goals. J Pers Soc Psychol. 2016 Feb;110(2):287-301. doi: 10.1037/a0039490. Epub 2015 Aug 17. PMID : 26280839 ; PMCID : PMC4718867. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/

Au vu de tous ces résultats, notamment tous ceux qui montrent la variation de la personnalité et le fait que des éléments déterminent l’état d’un trait (et non le trait qui détermine par exemple un but), le modèle théorique de McCrae et Costa n’était pas tenable pour expliquer les résultats obtenus via ces méthodes. On ne peut plus parler de dispositions. Aussi, les chercheurs autour de ces résultats, vont développer un nouveau modèle théorique, le modèle total des traits (whole theory trait) qu’on va expliquer la prochaine fois.

La suite : ♦PP13 : WTT, LA THÉORIE TOTALE DES TRAITS : LA PERSONNALITÉ COMME OUTIL, MISE EN SCÈNE, CONSÉQUENCE ET NON PLUS CAUSE.

 


 

La totalité de la bibliographie de ce dossier est présente ici : https://www.hacking-social.com/2023/04/03/%e2%99%a6ppx-sources/ 

 

Viciss Hackso Écrit par :

Attention, atteinte de logorrhée écrite et sous perfusion de beurre salé. Si vous souhaitez nous soutenir c'est par ici : paypal ♥ ou tipeee ; pour communiquer ou avoir des news du site/de la chaîne, c'est par là : twitterX

11 Comments

  1. BruceBT
    20 juin 2023
    Reply

    Au risque de médiocrement prédire les futurs critiques de l’ESM et de la WTT dans les prochains articles j’aimerais abaisser l’enthousiasme pour ces derniers avec deux trois petites choses sans prétention et en amateur.

    Si l’ESM est moins déshumanisante et néolibérale que la perspective dispositionnelle il n’empêche qu’elle le demeure :
    – Si cette approche utilitariste est largement préférable au fatalisme cela rappel et renvoi néanmoins aux capacitismes cognitif et (socio)relationnel et reste alors hiérarchisant.
    Cette théorie semble légèrement en dire plus sur le « moteur » mais c’est insuffisant notamment sur l’apprentissage et la mise en pratique des interactions humaines (adultes pour rester dans le sujet).
    – Cette généralisation sur le fait que les gens adoptent (sous entendu volontairement mais pas forcément consciemment) des états de personnalité exclus les personnes que notre société saniste rend inadaptées et marginalise.
    A moins d’avoir mal lu (ce qui est possible…) il ne me semble pas que ces études parle des erreurs et mauvaises adaptations (par rapport aux normes sociales donc), de leur pourquoi et de leur comment, ce qui a mon sens pourrait être intéressant.

    Peut être un exemple bancal : pour ce qui est de l’interrogation « pourquoi y a t-il des gens qui baisse leur agréabilité en étant avec des gens agréable »
    Une hypothèse serait qu’il s’agirait de réagir et de souligner l’hypocrisie, l’indifférence et le confort de personne scorant agréable ayant un mode vie moyen en étant désagréable avec elles puisque sa propre situation de vie fait injustice d’équité et impossibilité de communiquer ce problème par impossibilité systématique de remise en question en profondeur.

    Bien que je vous fasse entièrement confiance il m’est pour l’instant impossible d’entrevoir une perspective empouvoirante avec ces éléments.

    • Viciss Hackso
      23 juin 2023
      Reply

      Je vois pas trop le rapport avec le capacitisme si tu l’entends par « Le « capacitisme » fait référence à des attitudes sociétales qui dévalorisent et limitent le potentiel des personnes handicapées. » . Il y a encore peu d’études dans le champ de la WTT, et il n’y a pas eu d’études cliniques à ce sujet (à ma connaissance). Mais je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas envisager que les personnes ayant des troubles ou des handicaps ne puisse pas ajuster ces états et donc qu’on retrouve une variation également chez eux. De mon expérience aux cotés de personnes avec divers troubles et handicaps, j’ai vu tout autant des switch par exemple vers plus d’extraversion quand la situation était au vert pour cela. Ils s’adaptaient aussi, je pense que c’est discriminant au contraire de croire que les personnes à handicap ou trouble ne soient pas capable de cette flexibilité psychologique. Au contraire, pour de nombreux troubles le probléme est même l’inverse, les personnes peuvent se sur-adapter pour cacher leur troubles.

      « Cette théorie semble légèrement en dire plus sur le « moteur » mais c’est insuffisant notamment sur l’apprentissage et la mise en pratique des interactions humaines (adultes pour rester dans le sujet).' »
      oui car ce n’est pas la perspective étudiée 🙂 Mieux vaut regarder dans le champ des compétences socio emotionnelle (et j’en ai parlé dans un chapitre d’ETP : https://www.hacking-social.com/2021/09/17/en-toute-puissance-manuel-dautodetermination-radicale/ ) par exemple.

      « Cette généralisation sur le fait que les gens adoptent (sous entendu volontairement mais pas forcément consciemment) des états de personnalité exclus les personnes que notre société saniste rend inadaptées et marginalise. »

      Je ne vois pas en quoi ça exclut des personnes. La société marginalise des personnes, en rend certaines inadaptée c’est évident qu’elle fait du mal. Mais en quoi la découverte des états exclus ces personnes ? Au contraire, que ce soit de fort changement extrême ou l’inverse une chronicité d’un trait (par exemple la depression) est un miroir sur ce qu’ont les environnements sociaux sur les personnes et cela porte une dénonciation en soit des conditions qui aliénent les personnes ou les obligent à de grands écarts d’états de personnalité. Cette découverte que les états changent n’est pas une injonction à le faire ni a une valence nécessairement positive.

      « A moins d’avoir mal lu (ce qui est possible…) il ne me semble pas que ces études parle des erreurs et mauvaises adaptations (par rapport aux normes sociales donc), de leur pourquoi et de leur comment, ce qui a mon sens pourrait être intéressant. »

      Là aussi parce que ce n’est pas la perspective de l’étude, on trouverait plus de choses côté psychologie clinique (stratégie de coping par exemple), et des études de cas plus individuels. Là on est sur un angle plus large d’étude de comment des variables de personnalité varient en fonction de quelques autres variables, et cela avec l’angle du groupe. Et je suis d’accord c’est quelque chose d’interessant, mais je pense que ça necessiterait des études aux champs différents.

      « Une hypothèse serait qu’il s’agirait de réagir et de souligner l’hypocrisie, l’indifférence et le confort de personne scorant agréable ayant un mode vie moyen en étant désagréable avec elles puisque sa propre situation de vie fait injustice d’équité et impossibilité de communiquer ce problème par impossibilité systématique de remise en question en profondeur. »
      Les gens agreables ne sont justement pas indifférents au sort des autres parce que il y a plusieurs facettes de l’agréabilité qui cochent avec la sensibilité aux sort des autres et l’altruisme, donc une volonté d’aider les autres et des actions dans ce sens. Pour les plus hautement agréables c’est même un risque pour eux, parce que les profils fortement antisociaux (sadisme/psychopathie/machiavelisme) vont exploiter leur générosité plus facilement et s’en amuser car ce sont des profils à l’opposé d’eux (dans le livre « confession d’une sociopathe », la sociopathe explique totalement comment elle a exploité l’altruisme effectif de hauts agreables).
      Dans l’étude dont je parles, les bas agreables insultent leurs amis (qui ne sont pas forcément haut agreables d’ailleurs, si ce n’est que le climat est sympathique) et les traitent mal : s’ils sont envieux de leur situation, les trouvent hypocrites, injustes, veulent exprimer leur ressentiment envers eux sans se faire entendre d’eux, pourquoi ils les considèrent comme des amis ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

LIVRES