⬛ PP7 : La personnalité, uniquement « biologique » ????

Précédemment, nous avons vu que le modèle des 5 traits de McCrae et Costa n’admettait pas le changement comme véritablement possible ou souhaitable, parce que la personnalité était pour eux comme un cocon qui ne pouvait produire que des papillons et non des araignées : c’était biologiquement déterminé et fixé comme dans du plâtre dès 30 ans.

La totalité du dossier est accessible en epub : https://www.hacking-social.com/wp-content/uploads/2023/06/La-personnalite-cette-performa-Viciss-hackso.epub

Articles du dossier : 

Aujourd’hui, on poursuit la critique de ce point de vue naturaliste de la personnalité en explorant leurs arguments et leurs limites.


L’environnement n’aurait aucune influence sur la personnalité ????


Dans le modèle théorique de McCrae et Costa (ci-dessus), on voyait que les traits étaient issus de la biologie, mais passaient par le filtre des adaptations caractéristiques. C’est-à-dire que les dispositions s’exprimaient plus ou moins selon des conditionnements culturels : un extraverti n’allait pas par exemple chercher les sensations fortes et les émotions positives à un enterrement.

Pour vous l’avouer très franchement, au vu de ce modèle, j’ai cru pendant un moment qu’ils admettaient donc une influence mutuelle entre environnement et personne, que le modèle était quasi-interactionniste. D’autres auteurs dont les écrits et revues sont plus récents, comme Rolland (2004), rapportaient tout autant les preuves de la stabilité comme celles du changement, et admettaient les changements possibles, même avec un événement banal (changement de métier, mariage/divorce, études, etc.). Je pensais que la source la plus importante de la personnalité avait été mise dans cette chimie personne-environnement de la case « adaptations caractéristiques », et que les tendances de base ne représentaient qu’une influence minime.

Mais je me trompais, McCrae et Costa mettaient clairement la source première des comportements dans « tendances de base » :

« La FFT [Five Factor Theory] n’admet aucune influence de l’environnement sur les traits […] c’est une position très radicale et elle est probablement erronée dans un sens absolu, c’est-à-dire que nous sommes susceptibles de trouver des circonstances dans lesquelles l’environnement à des influences directes sur les traits. »

McCrae, Costa, Personality in adulthood, a five factor theory perspective, 1990

On voit qu’ils n’ont pas une confiance absolue en ce jugement, mais estiment que ce n’est pas leur affaire que de régler ce problème :

« Nous ne prétendons pas avoir démontré de manière convaincante que les influences externes n’ont aucun effet sur les tendances de base, mais nous pensons que la charge de preuve s’est inversée […], il incombe désormais à ceux qui pensent que l’environnement façonne la personnalité le prouve »

McCrae, Costa, Personality in adulthood, a five factor theory perspective, 1990

Pour eux, ces tendances de base comportant les traits qui suivent une voie de développement intrinsèque à l’échelle de l’espèce, et pour soutenir le fait que l’environnement n’a pas d’influence sur la personnalité ils vont donner quatre arguments :

  • Les différences de genre
  • L’universalité des big 5
  • Le fait que les animaux aient aussi des traits de personnalité
  • Les gènes

Des différences de genre feraient que la personnalité est uniquement biologique ????


Selon McCrae et Costa, la personnalité serait codée intrinsèquement dans notre biologie parce que les hommes et les femmes ont des scores différents :

« FFT [la théorie des cinq facteurs] dit que les influences externes n’affectent pas les tendances de base, qui suivent plutôt une voie de développement intrinsèque à l’échelle de l’espèce. Des études interculturelles confirment cette prédiction.

La théorie du rôle social (Eagley, 1987) soutient que les traits de personnalité sont influencés par les rôles attribués aux hommes et aux femmes. Parce qu’il existe d’énormes différences culturelles dans le traitement des hommes et des femmes (comme les événements récents en Afghanistan l’ont clairement illustré1 ), il ne serait pas surprenant qu’il y ait des différences culturelles dans les différences des traits entre les sexes. La FFT n’offre aucune indication quant à savoir s’il devrait y avoir des différences entre les sexes ou ce qu’elles seraient, mais elle ne tient pas compte des influences culturelles sur les traits. Quelles que soient les différences entre les sexes que l’on trouve chez les Américains, on devrait les trouver partout. Les données prennent-elles en charge la théorie des rôles sociaux ou FFT ? Clairement, la FFT (Costa, Terracciano, & McCrae, 2001) montre que bien que l’ampleur des différences entre les sexes varie, la direction est toujours la même : les femmes étaient plus élevées en névrosisme, en agréabilité et en ouverture aux sentiments ; les hommes étaient plus forts en termes d’affirmation de soi et d’ouverture aux idées dans les 26 cultures étudiées. »

McCrae, Costa, Personality in adulthood, a five factor theory perspective, 1990

Et c’est ça, selon eux, qui prouverait qu’il n’y a pas d’influence externe sur la personnalité. Franchement, cela me semble un argument complètement farfelu car c’est enlever de l’équation ce qui est demandé culturellement aux hommes et aux femmes et ce, de façon assez « universellement » sexiste : qu’importe la culture, il est généralement demandé aux femmes d’être dans le soin à autrui (donc exprimer/développer plus souvent des facettes de l’agréabilité), elles sont souvent infériorisées, voire malmenées (donc cela peut avoir un impact sur le haut névrosisme). Quant à l’ouverture, il est souvent valorisé que les femmes soient attentives à leurs sentiments, à l’esthétique, ce qui peut élever leurs scores d’ouverture, mais aussi avoir un impact sur le névrosisme. Si on est plus ouvert aux sentiments, alors on est plus attentif à ce qui se passe dans notre psyché, ce qui augmente la probabilité de constater une déprime, des angoisses, etc. Socialement, les hommes sont mal vus, voire humiliés s’ils expriment ces facettes d’ouverture aux sentiments ou celles de l’agréabilité, et il leur ait demandé d’être fort, assertif, dominant.

Un documentaire qui montre à quel point la pression de devoir « être fort » (entendu comme dominant et sourd à ses émotions) est culturellement imposé aux hommes sans quoi ils sont exclus, infériorisés, harcelés, battus, etc.  :

Même à travers l’histoire on voit ce pattern : l’homme est dressé depuis des lustres pour qu’une partie de ses capacités sociaux-émotionnelles (qui peuvent trouver leur écho dans la facette ouverture et agréabilité) soient tronquées, et ce pour qu’il soit utilisé comme un objet pour faire la guerre ou disposé à pouvoir la faire :

Une autre vidéo qui explique bien les pressions sociales et culturelles qui pèsent sur les hommes  :

Autrement dit, les différences de genre trouvées  qui semble universellement partagé tiennent très certainement plus à l’effet du pouvoir social, tant à travers les rôles qu’il attend que les hommes et les femmes tiennent (et comment le pouvoir social les conditionne, les récompense ou les sanctionne), aux représentations culturelles qui donnent un modèle à atteindre pour être bien perçu, ou encore aux contraintes institutionnelles/organisationnelles qu’il pose de façon différente en fonction des genres.

Mais la personnalité selon le genre change en fonction des politiques d’un pays…

Ceci étant dit, des études récentes montrent que les différences de personnalité entre hommes et femmes vont au-delà de l’agréabilité, de l’ouverture et du névrosisme : les femmes seraient plus hautes sur tous les traits et encore plus dans les sociétés notées comme ayant des politiques plus égalitaires. Par exemple, l’étude de Giolla et Kajonius (2018) montre que plus la société est égalitaire, plus il y a des différences sur les scores des traits entre hommes et femmes. Ces chiffres contredisent en soi l’affirmation de McCrae et Costa sur cette connexion entre genre et nature puisqu’on voit des différences selon les sociétés (celles qui ont un haut score à l’index d’égalité de genre, supérieur à 0,8 sont par exemple la Norvège, la Suède, la Finlande ; celles qui ont un bas score, inférieur à 0,6, sont l’Inde, la Corée du Sud, le Japon, la Malaisie ; la France à un score un peu plus bas que 0,7) :

Giolla et Kajonius (2018)

On voit que les femmes (traits gris) scorent plus haut sur tous les traits que les hommes (traits noirs), qu’importe le score d’égalité des genres du pays, excepté à un moment pour la conscienciosité, pour les pays à bas score d’égalité. L’ouverture et l’agréabilité montent tant pour les hommes que les femmes selon le niveau d’égalité, mais les hommes diminuent leur conscienciosité, leur extraversion et leur névrosisme selon le taux d’égalité, contrairement aux femmes où cela augmente.

Or les chercheurs concluent très étrangement que c’est parce que les personnes choisiraient des rôles traditionnels :

« Les résultats indiquent que les femmes sont généralement plus inquiètes (Névrosisme), sociales (Extraversion), curieuses (Ouverture), attentionnées (Agréabilité) et responsables (Conscience) que les hommes, et que ces différences sont plus importantes dans les pays plus égalitaires entre les sexes. Une explication possible de cette constatation est qu’à mesure que l’égalité des sexes augmente, les hommes et les femmes gravitent autour de leurs rôles de genre traditionnels. Une combinaison de la théorie des rôles sociaux et des perspectives évolutives peut être nécessaire pour rendre compte de ce résultat curieux ».

Giolla et Kajonius (2018)

Précisons que cette interprétation est reprise par des figures d’extrême droite, des milieux conservateurs et des antiféministes ainsi que par des vendeurs de programmes pour sortir du célibat qui veulent faire passer leur coaching en séduction comme s’appuyant sur des bases scientifiques2.

Seulement, absolument rien dans cette étude ne prouve que cette différence de personnalité a un quelconque rapport avec le rôle traditionnel.

L’ouverture et l’agréabilité qui s’élèvent pour les deux genres en fonction de l’indicateur d’égalité tend même à donner une hypothèse inverse : rappelez-vous la facette O6 et O5 (voir ci-dessous), elles sont très liées à l’ouverture aux autres mode de vie, alors qu’un bas score est lié au contraire au conservatisme. Ces résultats s’opposent donc en théorie aux rôles traditionnels.

L’agréabilité monte aussi pour les hommes comme pour les femmes ; or on a vu que le duo ouverture haute + agréabilité haute était lié au progressisme (voir image ci-dessous). On aurait davantage pu poser la question du retour aux rôles traditionnels si on avait constaté une baisse de l’ouverture et/ou de l’agréabilité.

L’extraversion quant à elle a, je le rappelle, des facettes de sociabilité, mais aussi d’énergie et d’assertivité (= dominance). Et McCrae et Costa soulignaient dans leur étude que les hommes scoraient plus haut justement sur cette facette d’assertivité, ce qui me semble logique d’un point de vue social : il leur est ordonné d’être fort, dominant, c’est ce qu’ils doivent démontrer sous peine d’être exclus. Donc, s’il y avait un choix de retour aux rôles traditionnels dans les sociétés égalitaires, les femmes devraient être plus basses et les hommes plus hauts. Or c’est l’inverse qu’on voit ici.

Il serait presque plus pertinent de dire que les personnes se libèrent de leur rôle traditionnel, ce qui opère des changements sur leur personnalité : les hommes étant libérés de la pression à être assertif ils se modèrent plus, les femmes étant libérées de la pression à se taire et à obéir, elles développent plus d’assertivité. L’étude ne donnant pas les scores des facettes, ce n’est qu’une simple hypothèse.

La conscienciosité quant à elle est vraiment une facette associée au travail. On trouve des tas de corrélations entre la prise d’emploi et la hausse de la conscienciosité. Or ici, même si les femmes sont plus hautes que les hommes, la courbe va globalement à la baisse dans les sociétés plus égalitaires : cela pourrait n’avoir rien à voir avec le traitement des genres, mais l’évolution du travail lui-même et des représentations qui en sont faites. Au contraire, on pourrait voir du progressisme dans le fait que les gens expriment plus de spontanéité et de recherche de plaisir que l’ordre et l’accomplissement par le travail. Il n’y a peut-être aucun lien avec l’égalité de ces pays, mais plutôt dans la représentation culturelle du travail et de son importance dans la vie.

Plus les pays sont placés hauts, plus ils ont eu une note forte sur l’index de l’égalité du genre (ici croisée avec le taux de différences entre les genres) :

Giolla et Kajonius (2018)

Or entre l’Inde et la Norvège, il ne s’agit pas que de différence de politiques sur le genre, mais aussi de richesse du pays, de filets de sécurité, etc. Lorsqu’on est pauvre dans un pays qui n’est pas riche, on a besoin de hisser sa conscienciosité pour ne pas perdre un moyen de survivre. Ainsi, je pense que la baisse de conscienciosité trouvée dans les pays haut sur l’index n’est clairement pas qu’une question de politique sur le genre. Les chercheurs le disent également :

« l’indice d’égalité des sexes est fortement corrélé à plusieurs mesures du progrès national, telles que le produit intérieur brut (PIB) et l’indice de développement humain (Hausmann et al., 2011). Les différences de personnalité entre les sexes au niveau des pays devraient donc montrer des corrélations similaires avec ces autres mesures nationales, comme cela a été observé dans des recherches antérieures (Schmitt et al., 2008). »

Giolla et Kajonius (2018)

Donc ce n’est pas qu’une question de politique d’égalité entre les genres, mais de richesse du pays, de ses conditions économiques. Quand vous êtes obligés de travailler énormément pour juste assurer la survie de votre famille, baisser sa conscienciosité est le risque de tout perdre, c’est un luxe inaccessible. Il est normal que des individus de pays riches, ayant plus de filets de sécurité, puissent davantage avoir l’opportunité de diminuer leur conscienciosité, d’augmenter leur spontanéité et leur plaisir.

Je ne vois pas donc pas de preuves dans cette étude qui lierait le fait de saisir un rôle traditionnel et les différences de personnalité. Et encore moins de preuves qui démontreraient que les différences hommes/femmes sont « naturelles », puisqu’on voit au contraire que les personnalités varient en fonction des politiques différentes des pays. Si c’était si naturel, il n’y aurait aucun changement, sur la figure 2 on aurait des lignes droites séparées de la même manière.

Au contraire, connaissant les facettes qui sous-tendent les traits mesurés ici, l’hypothèse inverse que les personnes, hommes comme femmes, se libèrent de leurs rôles traditionnels ou de contraintes liées à la pauvreté du pays, me semble une hypothèse plus crédible.


Comme c’est universel, c’est naturel ???


Outre l’argument des genres qui, on l’a vu, était plus que douteux, McCrae et Costa arguent que l’universalité des big five démontre que c’est naturel, intrinsèque à l’humain. Cette universalité étant que le questionnaire est validé dans plein de pays différents aux cultures différentes et qu’on peut trouver des résultats assez communs : par exemple, que tout le monde a envie de scorer plus haut sur tous les traits et diminuer en névrosisme.

Beauvois et Dubois (2016) répondent que d’une part, les recherches interculturelles ne portent que sur des cultures très alphabétisées depuis longtemps ; d’autre part, les échantillons internationaux ne sont composés que d’étudiants pour la plupart (donc un rôle social similaire dans une organisation visant de mêmes genres de but et ayant de mêmes attentes), dans des zones très urbaines. Quand bien même la culture y est différente, l’organisation sociale dans laquelle les personnes doivent se mouler a des similarités :

« Les individus étasuniens ou indonésiens sont les uns et les autres confrontés à des artefacts comme le travail salarié, comme les organisations, comme les hiérarchies proposant des modèles d’être et de savoir-être, ou bien encore comme les évaluations formelles. de ce point de vue, les sociétés étasuniennes et indonésiennes sont à la même enseigne : le déploiement du pouvoir social peut y produire de grands facteurs, peut être même les cinq grands »

Beauvois, Dubois (2016) Psychologie de la personnalité et évaluation

Beauvois et Dubois citent l’étude de Gurdden, Von rueden, Massenkoff, Kaplan, Lero, Vie (2013) sur les populations d’Amazonie bolivienne, les Tsimanes, qui ont très peu de contact avec l’univers des organisations, des administrations. Ils sont cultivateurs et les big five ne passent pas : les dispositions trouvées sont liées à la prosocialité (un mélange d’extraversion et d’agréabilité) et d’assiduité (efficacité, persévérance, rigueur, énergie).

Au-delà de cet argument, je ne comprends pas pourquoi une notion qui fonctionne pour l’humain dans plusieurs cultures différentes prouverait que c’est dans sa « nature », que c’est inné et imperméable aux influences sociales. Je pense à la notion de flow par exemple (que nous avions vu dans cet article, et ci-dessous dans un schéma résumé) qui est un état de concentration optimale très plaisant pour l’individu et le rendant très efficace : c’est universellement trouvé également, c’est-à-dire qu’un peu partout sur terre, qu’importent la culture et le pays, les gens sont capables d’éprouver du flow et on retrouve les mêmes effets (distorsion du temps, la personne s’oublie, efficacité, etc.). Et pourtant les chercheurs ne déclarent pas pour autant que cela démontre que c’est dans la « nature » humaine d’éprouver du flow, encore moins que c’est imperméable aux influences sociales. Au contraire, ils montrent que si le flow peut être vécu universellement, il n’est pas perçu comme ayant la même valeur sociale. D’autres états de concentration peuvent être plus valorisés par la culture, par exemple en Chine on voyait que c’était un état inverse de contemplation défocalisée qui était mieux perçu, pour des raisons de culture taôiste. https://www.hacking-social.com/2018/11/05/fl7-lexperience-optimale-pour-tous/

Résumé des caractéristiques du flow

Il y a donc une influence sociale dans la façon dont une culture à une certaine époque et dans certaines circonstances va décréter que telle caractéristique est « bonne » ou « mauvaise », comment elle la récompense ou la punit, et ce quant bien même la caractéristique pourrait être largement partagé. Mais ce n’est pas la seule influence sociale particulière reconnue : pour le flow, mais aussi pour d’autres caractéristiques universelles comme les besoins fondamentaux de Deci et Ryan, on admet l’effet puissant des influences sociales sur la caractéristique. Par exemple, un prof qui ne cesse d’interrompre un élève en train d’écrire sa rédaction en le critiquant, l’empêche d’atteindre son potentiel de flow à la rédaction, sape ainsi son besoin de compétence, d’autonomie et de proximité sociale. Si on observe la même situation avec l’angle de McCrae et Costa,on interpréterait que si l’élève n’arrive pas à travailler, c’est parce qu’il serait intrinsèquement C – /O- et que pour réussir il aurait du naître avec le potentiel C+/O+.

Je me réfère à l’interprétation croisée des traits, les circumplex dont nous avons parlé ici : https://www.hacking-social.com/2023/04/17/%e2%99%a6pp3-comment-interpreter-le-questionnaire-de-personnalite/

Autrement dit, je ne comprends absolument pas en quoi il est pertinent que, sous prétexte qu’une notion en psychologie fonctionne de façon universelle, cela prouverait que c’est quelque chose de « biologiquement » ancré donc imperméable à toute influence sociale ou extérieure : si on corrigeait légèrement le naturalisme de la perspective de McCrae et Costa, on pourrait dire que, certes, c’est difficile de travailler à l’école pour le C -/O -, mais que la situation n’aide pas du tout à développer plus de conscienciosité, que même un C+/O+ dans ces conditions est sapé dans ses potentiels de bon travail.

Même l’universalisme très fort entre tous les êtres vivants de « devoir manger » n’est pas imperméable à l’influence sociale et aux influences extérieures, en témoignage les centaines de façon de manger différentes parmi les humains, leurs choix différents d’aliments, le rejet de certains autres, les régimes imposés par les contraintes de l’environnement physique ou social, etc. Par exemple, dans un village à Bali, Geertz (1973) rapporte que manger était une activité perçue comme honteuse, les gens avaient tendance à se cacher pour manger.

En tant qu’animaux sociaux, même si nous avons des besoins, des fonctions, des caractéristiques similaires communes à notre condition d’être vivant, le vécu social singulier en communauté traduit ce commun d’une façon formidablement variée.

Ainsi, pourquoi quelque chose d’universel, de biologique, serait nécessairement imperméable aux influences sociales ? Même le très naturel besoin de manger passe aux filtres sociaux en des milliers de façons différentes selon les groupes, leur culture, leur époque ?

Dans la même lignée de pensée naturaliste, McCrae et Costa vont nous parler des animaux.


Les autres animaux ont une personnalité, donc le social n’a pas d’effet sur la personnalité ????


L’autre argument de McCrae et Costa pour rendre la personnalité imperméable aux influences extérieures et ne la voir que de manière innée, est l’existence d’une personnalité chez les animaux :

« Tout propriétaire d’animal de compagnie confirmera que les chiens et les chats ont des traits de personnalité durables, qu’ils nouent des relations (aimantes et hostiles) avec les autres dans leur monde, qu’ils ont des habitudes et des préférences, qu’ils agissent et vivent tout au long de leur vie. La psychologie animale s’inscrit facilement dans le cadre de la FFT, mais il est difficile d’imaginer un rôle psychanalytique, ou social, ou une théorie humaniste de la personnalité animale. »

Autrement dit, puisque les autres animaux n’ont pas la même sociabilité que nous (sans toutes ses complexifications à travers la culture, la société,3 etc.) le fait qu’ils aient une personnalité démontrerait que la personnalité est indépendante des influences sociales.

Cela me semble assez peu solide encore une fois : les animaux sont tout aussi influencés que nous par des évènements extérieurs, sociaux (que ce soit leur rapport à d’autres espèces, aux humains ou leurs congénères, à leur environnement), ils peuvent être traumatisés par les mauvais traitements. Après un traumatisme, certains peuvent devenir durablement craintifs alors qu’ils étaient auparavant très sociables, et un animal craintif peut devenir plus sociable lorsqu’il se sent en sécurité. On peut remarquer aussi que les animaux entre eux, lorsqu’ils vivent ensemble, développent des liens, et cela influence leur comportement de telle sorte que lorsque l’un des animaux viendra à disparaître (suite à un décès), l’autre pourra en être perturbée et pourra changer de comportement par la suite en l’absence de ce lien ou modification de son environnement social. Ou encore, un animal très dominant dans sa fratrie peut devenir très soumis après des échecs de sa dominance hors de sa fratrie, etc. Les autres animaux ont des histoires, sociales, situationnelles, interactionnelles, contextuelles qui les changent sans que leur biologie ait été pour autant métamorphosée. Pour paraphraser McCrae et Costa, tout propriétaire d’animaux pourra observer ce type de changement, notamment en ce qui concerne les traumatismes et l’influence des autres animaux présents .

Certains chats domestiques peuvent avoir peur des rats :

Ou être amis avec eux :

Beauvois et Dubois (2016) donnent l’exemple de chien de chasse ayant vécu dehors dans une ferme a contrario d’un chien de citadin avec son couchage dans l’appartement : ils n’auront pas les mêmes réactions parce qu’ils n’ont ni les mêmes conditions de vie, ni les mêmes activités, ni les mêmes liens avec les humains, ni le même conditionnement par ceux-ci. Et ce, qu’importe s’ils ont une biologie assez similaire, leur histoire aura fait d’eux des chiens aux comportements très différents.

Même les pigeons ont un comportement différent selon le contexte extérieur, les individus du groupe en face de chez moi ne n’approcheront pas à moins de deux mètres au mieux (j’ai vraiment tout essayé lors du confinement :D), mais si je vais au centre-ville, les pigeons sont à mes pieds alors que des dizaines de voitures passent à côté, et cela sans que je les y invite à coup de miettes de pain. Ils sont tellement habitués aux humains, possiblement nourris par eux, qu’ils ont diminué leurs instincts de fuite et que les voitures ne leur font pas plus peur que ça.

L’extérieur a une influence sur les animaux, ils ne sont pas des machines programmées par nature, incapable de s’adapter ou de changer en fonction des influences extérieures. Pour survivre, on doit pouvoir s’adapter donc changer. Ainsi, si les recherches prouvent effectivement que les big 5 sont retrouvés chez nos cousins les grands singes, cela ne prouve pas à mon sens que leur personnalité est fixée comme du marbre tel un programme naturel invincible face aux conditions diverses de leur vie.


Si c’est dans les gènes, alors la personnalité ne change pas ????


Évidemment, l’argument ultime en faveur de la personnalité comme étant la nature humaine indépendante de l’influence sociale est celle des études génétiques sur les jumeaux, notamment homozygotes dont l’environnement n’est pas partagé et qui pourtant vont avoir des scores assez similaires.

Cependant, il y a à comprendre que même lorsqu’on sait quels gènes, quelles singularités neuroanatomiques produisent un profil particulier, les choses sont plus complexes que « organe comme ça = comportement comme ça » : prenons Fallon, un neuropsychologue qui s’est découvert psychopathe. Neurologiquement et génétiquement, il cochait toutes les cases. Il s’avoue agressif dans les disputes ou les situations de compétitions, et clairement dans sa biographie on voit qu’il considère normal des choses atypiques : adolescent il avait une passion pour les explosifs, a pu détruire des voitures. Mais il ne frappe pas, n’agresse pas, a un code de conduite.

« Fallon était autrefois un déterministe génétique autoproclamé, mais ses opinions sur l’influence des gènes sur le comportement ont évolué. Il pense maintenant que son enfance l’a empêchée de s’engager sur une voie plus effrayante.

“J’étais aimé et cela m’a protégé”, dit-il. En partie à cause d’une série de fausses couches qui ont précédé sa naissance, il a reçu une attention particulièrement importante de la part de ses parents, et il pense que cela a joué un rôle clé.

Cela correspond à des recherches récentes : son allèle particulier pour une protéine de transport de la sérotonine présente dans le cerveau, par exemple, est censé l’exposer à un risque plus élevé de tendances psychopathiques. Mais une analyse plus approfondie a montré qu’il peut affecter le développement du cortex préfrontal ventromédian (la zone à faible activité caractéristique chez les psychopathes) de manière complexe : il peut ouvrir la région pour qu’elle soit plus significativement affectée par les influences environnementales, et donc un effet positif (ou négatif) dans l’enfance est particulièrement cruciale pour déterminer les résultats comportementaux.

Bien sûr, il y a aussi un troisième ingrédient, en plus de la génétique et de l’environnement : le libre arbitre. “Depuis que j’ai découvert tout cela et que j’ai examiné la question, j’ai fait un effort pour essayer de changer mon comportement”, déclare Fallon. “J’ai fait plus consciemment des choses qui sont considérées comme” la bonne chose à faire “et j’ai davantage réfléchi aux sentiments des autres.”

Mais il a ajouté : “En même temps, je ne fais pas ça parce que je suis soudainement devenu gentil, je le fais par fierté, parce que je veux montrer à tout le monde et à moi-même que je peux y arriver.” » https://www.smithsonianmag.com/science-nature/the-neuroscientist-who-discovered-he-was-a-psychopath-180947814/

Autrement dit, qu’importe la biologie, les gènes, il serait erroné de croire que le bagage physiologique soit une destinée toute tracée, qu’importe l’environnement social et les conditions de vie en général. Bien au contraire, l’environnement a un fort pouvoir d’activer, stimuler ou au contraire modérer voire inhiber des potentiels physiologiques : a priori notre biologie pour la très grande majorité d’entre nous permet d’être musclé par exemple, mais notre société a des besoins autres que de faire des activités permettant de développer nos muscles. La société peut valoriser des activités qui nécessitent de rester sans trop bouger assis dans un bureau (en donnant des salaires plus élevés à ceux-ci, en glorifiant les profils de cadres) mais tout en dévalorisant socialement le fait de ne pas être très musclé (que les représentations de corps plus gras soient associées à la mocheté, au « laisser aller », au manque de volonté, au dégoût, etc.). Ainsi, dans une même société, on peut être payé pour des activités qui développent ce potentiel, tout en étant dévalorisé parce que ce ne sont pas des activités vues comme supérieures dans la hiérarchie. Ce potentiel physiologique « être musclé » est passé au filtre de la société – parfois de façon hautement contradictoire – mais aussi au filtre de nos décisions et choix face à ceux-ci, et ce dans les limites de nos possibilités physiques, sociales.

C’est pourquoi les gènes ou les structures neuro associés aux traits ne sont pas des arguments suffisants pour décréter que les traits seraient uniquement physiologiques et imperméables aux influences externes. Les potentiels physiologiques s’expriment ou non selon les environnements sociaux, leurs règles, leurs influences et notre interaction plus ou moins autodéterminée face à eux.

L’autre problème de cette obsession du tout biologique est de croire que l’affaire est close si l’on découvre l’origine physiologique d’un comportement, car cela nous dirait comment y remédier s’il pose problème. Or en psycho savoir qu’est-ce qui physiologiquement pousse au comportement antisocial d’un individu ne va pas empêcher que pour le fun, il aille quand même incendier son voisinage. La thérapie, l’apprentissage social qu’il y a à lui transmettre pour qu’il trouve du fun sans mettre en danger les autres ou soi demande tout un autre corpus de connaissances ainsi que d’un travail particulier avec la personne.

Bandura (1999) nous l’explique :

« Connaître le fonctionnement de la machinerie biologique en dit un peu sur la façon d’orchestrer psychosocialement cette machinerie à des fins diverses. Par exemple, la connaissance des circuits cérébraux impliqués dans l’apprentissage en dit peu sur la meilleure façon de concevoir les conditions d’apprentissage en termes de niveaux d’abstraction, de nouveauté et de défi ; comment fournir des incitations pour amener les gens à consulter, traiter et organiser les informations pertinentes ; dans quels modes présenter les informations ; et si l’apprentissage est mieux réalisé de manière indépendante, coopérative ou compétitive. Les conditions optimales doivent être spécifiées par des principes psychologiques et ne peuvent être déduites de la théorie neurophysiologique car elle ne contient pas les facteurs psychosociaux pertinents dans son objet. »

Bandura A., A social cognitive theory of personality, 1999

Et au-delà de ce constat, comme je l’ai évoqué dans un précédent article, des théories sociogénétiques arguent totalement l’inverse de ce chemin «  gène → comportement » : on peut changer en augmentant la fréquence d’un comportement, et plus on l’effectue, plus on a de chance de changer notre biologie (donc on a « comportements → activation de gènes donnés et pas d’autres »). Notre cerveau va changer, des gènes vont davantage s’exprimer et d’autres se taire : par exemple, il existe plusieurs gènes impliqués dans l’alcoolisme4. Mais la personne qui les aurait tous peut n’avoir jamais touché une goutte d’alcool de sa vie, parce qu’ayant été élevée par des parents alcooliques violents, elle s’est refusée à devenir ainsi, et qu’importe ses gènes, elle a décidé que l’alcool serait hors sujet de sa vie. Peut-être qu’elle a constaté que sa consommation était dangereuse (suite à un accident ou à des conséquences préjudiciables sur son entourage qu’elle regretterait par exemple) et a décidé d’opérer plus de contrôle ou a trouvé d’autres activités plus bénéfiques. Et peut-être aussi qu’au contraire, elle s’est laissée glisser dans l’alcool. Peut-être que culturellement ou dans sa société, il n’y a pas d’accès à l’alcool ou de façon très illégale, très mal perçue, ou punie, donc elle n’a peut être même pas penser à s’alcooliser un jour tant c’est une pratique peu courante.

Des tonnes de comportements différents sont possibles face à de mêmes gènes, selon les environnements sociaux de la personne et ses possibilités/impossibilités d’autodétermination face à tous ces éléments.

Ainsi, il faut comprendre que les gènes ne fonctionnent pas tous comme les gènes de la couleur de nos yeux qui décrètent le marron ou le bleu pour toute la vie5.

Ceci étant dit, pour McCrae et Costa un changement dans la personnalité n’est possible que s’il y avait une modification d’ordre biologique, comme la maladie, les atteintes neuronales, ou encore avec le développement physiologique. Et ils ne sont pas du tout ignorants de la dynamique mouvante des gènes  :

« Certains lecteurs peuvent être perplexes quant à la manière dont nous concilions la base (largement) génétique des traits avec leur développement tout au long de la vie. Les gènes, après tout, ne changent pas. Mais les influences génétiques sont dynamiques. Ils déterminent le développement non seulement de l’embryon, mais aussi du nourrisson en croissance et, dans une certaine mesure, de l’adulte vieillissant. Certaines parties du cerveau continuent de se développer jusque dans la vingtaine (Pujol, Vendrell, Junque, Martí-Vilalta et Capdevila, 1993). La ménopause et la prise de poids d’âge moyen sont programmées dans les horloges biologiques. La FFT ajoute simplement que le développement des traits de personnalité est également lié aux horloges biologiques : les changements de personnalité peuvent être considérés comme une maturation intrinsèque. »

Autrement dit, ils estiment que s’il y a changement dans la personnalité, c’est uniquement lié à un développement physiologique comme des poils qui poussent à la puberté, ce serait indépendant de ce qui se passe socialement. On deviendrait plus consciencieux au travail parce que ça serait dans notre développement « naturel » et pas du tout parce que c’est ce qui est demandé. Or des tas d’études, y compris menée dans une perspective dispositionnelle, démontrent le contraire.


La personnalité peut changer grâce ou à cause d’évènements sociaux


 

Cette affirmation que la personnalité peut changer grâce ou à cause d’évènements sociaux n’est pas innocente, parce qu’elle remet en cause les théories de McCrae et Costa sur l’absence d’influence sociale sur les traits. Ils arguaient que seul un événement physiologique pouvait changer la personnalité (comme la maladie d’Alzeihmer par exemple), ce qui démontrait une conception de la personnalité comme indépendante de l’influence des environnements sociaux : cela pouvait avoir une vertu d’autodétermination via des traits (par exemple une agréabilité qui persisterait malgré des pressions à ne pas l’être), comme être totalement déprimant et fatalisme (comme si un haut en névrosisme le resterait toute sa vie, et ce quoiqu’il arrive). Malgré les modérations dans le modèle, prenant en compte les adaptations, les conditionnements culturels, etc., on restait quand même au fond sur une idée de la personnalité comme une destinée, une essence intouchable au sein de nous. Ils admettaient les grands changements jusqu’à 30 ans, mais ensuite, la plasticité restait très mince et uniquement liée à des transformations physiologiques.

Et pourtant McCrae et Costa rapportent des recherches qu’ils ont eux-mêmes conduite qui contredisent ce cadre théorique de la toute-puissance physiologique.

Rappelez-vous, ils arguaient que comme les hommes et les femmes avaient des divergences comparables dans 26 cultures différentes, alors ça démontrait soi-disant que c’était un code physiologique inné imperméable à la société. Ce à quoi on répondait que c’était oublier que partout, il y a jugements assez similaires de ce que devraient être un homme et une femme et que cela les affecte. Et Costa lui-même mènera une étude (Costa et Herbst 2000) qui démontre l’inverse.

Lorsqu’il y a divorce dans le cadre hétérosexuel – donc un événement d’ordre social qui change les rôles genrés et non une question qui changerait la biologie inhérente aux individus – la personnalité des femmes tend à changer de façon « libératrice » (ce sont leurs termes) : elles ont plus d’ouverture, plus d’extraversion, comparée aux femmes de l’échantillon qui restaient mariées. Les hommes divorcés vont être plus déprimés que ceux mariés, auront une diminution de la conscienciosité. Chez eux, c’est d’être marié qui tend à les faire aller mieux et être plus consciencieux. D’un côté, avec le mariage hétérosexuel on a une sorte de contrainte qui sape les femmes et de l’autre une situation de mariage qui favorise le bien être des hommes. D’autres études (Allemand, Hill, and Lehmann (2015)) montreront au contraire une diminution de l’extraversion des divorcés (tous genres confondus).

Et ce n’est pas le seul événement social qui a un impact sur la personnalité :

  • McCrae, Yik, Bond, Trapnell (1998) a réalisé une étude où l’on voit des étudiants de Hong Kong déménageant au Canada avait eu une hausse d’ouverture et d’Agreabilité.
  • Cet apport de l’université est confirmé par d’autres études (Luedtke, Roberts, Trautwein, and Nagy (2011) ; Bleidorn (2012) ; Bleidorn, Hopwood, Lucas (2018)6), la transition de l’école à l’université peut faire un développement rapide de O, A, C et une diminution de N.
  • Specht et al. (2011) ; Galdiolo and Roskam (2014) : la parentalité fait descendre la conscienciosité et l’extraversion. Clairement, vous ne pouvez pas être aussi ordonné qu’avant avec un petit enfant à charge, ni sortir en permanence voir vos amis comme avant.
  • Roberts, Walton, Viechbauer (2006) remarquent que les Américains baissent en extraversion avec l’âge comparé aux Européens. Ils l’expliquent par une pression sociale culturelle à devoir être extraverti aux États-Unis. Avec l’âge, les personnes se détachent progressivement de cette pression.
  • Anger, Camehl, Peter (2017) : quand une perte d’emploi est liée à une fermeture de l’entreprise, l’ouverture augmente, surtout chez ceux qui ont un haut niveau d’étude et trouvent rapidement un nouvel emploi.
  • Costa (2000) : le licenciement entraîne une hausse en Nevrosisme et une baisse en Conscienciosité.
  • Vaidya (2002) : les événements de vie comme l’obtention de diplômes, d’emploi, de voyage à l’étranger augmentent l’extraversion.
  • Shwaba, Bleidorn (2018a) : au moment de la retraite, il y a augmentation de l’Ouverture et de l’agréabilité puis un déclin, mais pas de changement sur l’extraversion et la conscienciosité.
  • Hoerger (2014) : les conjoints ayant eu un partenaire décédé du cancer changent sur leur extraversion, leur agréabilité, leur conscienciosité, mais pas sur le névrosisme.
  • Hudson, Fraley (2015) : faire le travail qui nous plaît augmente la Conscienciosité ; être en relation amoureuse augmente l’Agréabilité.

Et on pourrait continuer à citer de nombreuses études qui montrent des changements selon des évènements d’ordre social : comme on l’a vu avec le divorce, les chercheurs trouvent souvent des résultats différents de leur confrère. Cela tient d’une part à des méthodes différentes, des échantillons différents aux cultures différentes, et aussi au fait que les évènements sociaux en question ne sont pas perçus de la même manière selon les époques, les cultures, les individus eux-mêmes et leurs interactions singulières. Comme le physiologique qui ne va pas déterminer totalement la personnalité, un même évènement social ne va non plus déterminer totalement la personnalité d’une même façon.

Le profil de Barbara. L’interprétation de ce profil, l’histoire de barbara est expliquée ici : https://www.hacking-social.com/2023/04/24/%e2%99%a6pp4-un-agresseur-sexuel-un-fondamentaliste-accro-aux-jeux-et-une-conservatrice-analyse-de-personnalite/

Ce n’est pas qu’une bonne nouvelle pour notre espoir d’évoluer favorablement, mais aussi pour les pratiques thérapeutiques. Penser le tout physiologique comme imperméable au social rend inutile toute pratique thérapeutique ou d’aide en général : c’est penser que notre Barbara (voir au-dessus le rappel de ses scores) trouverait immanquablement une raison d’angoisser ou de déprimer, qu’importe le changement de situation lui étant favorable. Or, il est fort probable qu’une thérapie l’aide parce qu’heureusement ce haut névrosisme n’est pas sa nature, mais très certainement lié aux situations éprouvantes qu’elle vit et a vécu.

Piedmont, bien qu’adhérant à cette idée d’impossibilité de changer7 mènera une étude qui démontre de telles possibilités de changement : dans un programme de 6 semaines de désintoxication pour des alcooliques et cocaïnomanes, les personnes ont vu leur névrosisme baisser et les autres traits monter, surtout la conscienciosité.

Roland et Mogenet (1994) montrent que le traitement pour la dépression (psychothérapie + médicament) diminue le Nevrosisme. Et Roland (2004) rapporte que lorsqu’on regarde les individus en détail dans ces recherches, certains passent d’un névrosisme très haut à minimal ; un autre est passé de très bas en Ouverture au niveau le plus haut.

Cependant, on pourrait arguer que c’est un effet purement biologique d’arrêt de la drogue et du fait d’avoir surmonté les phases de manque. Ou pour les dépressifs, que c’est le médicament qui a eu un impact, donc que la situation sociale thérapeutique n’a pas en elle-même changé les traits.

Mais d’autres recherches n’impliquant pas des patients à la merci de drogues ou de médicaments montrent que la thérapie a un effet bénéfique sur la personnalité :

Nelis (2011) a fait apprendre les compétences émotionnelles à un échantillon d’étudiants (n’ayant a priori pas de troubles) : à travers des cours, des lectures, des jeux de rôles et de travail en groupe, ils apprenaient à mieux identifier les émotions (les leurs et celles des autres), à mieux les réguler (et aider autrui à les réguler), à utiliser les émotions positives pour favoriser le bien être. Contrairement au groupe contrôle, ces étudiants ont connu une hausse directe de l’extraversion, puis une hausse progressive de l’agréabilité, une diminution du névrosisme signifiante six mois après l’intervention.

« Ces résultats concordent avec des études antérieures, démontrant affirmer que les interventions cliniques peuvent réellement changer les traits de personnalité (P.A. Barnett & Gotlib, 1988 ; Lambert & Supplee, 1997 ; Piémont, 2001). Ces interventions contrôlées ont montré que les traits de personnalité sont quelque peu malléables, même à l’âge adulte. En effet, des expériences de vie dans plusieurs domaines tels que l’amour et le travail sont associées au changement des traits de personnalité (Roberts, Wood, & Smith, 2005). Les transformations positives observées dans la présente étude suggèrent également que le développement de compétences émotionnelles pourrait conduire à un certain nombre d’autres conséquences positives généralement associées aux compétences émotionnelles élevées (par exemple, bien-être, santé, avantages sociaux et performances) »

Nelis D, Kotsou I, Quoidbach J, Hansenne M, Weytens F, Dupuis P, Mikolajczak M. Increasing emotional competence improves psychological and physical well-being, social relationships, and employability. 2011

 

J’ai imaginé les scores de Barbara si sa thérapie fonctionnait bien et/ou qu’elle quittait les environnements sociaux qui la sapent (son travail, son couple) pour d’autres plus sympas. Son névrosisme pourrait baisser, la conscienciosité aussi (parce que le perfectionnisme qui y est lié l’est par une forme de souffrance. Elle a besoin d’occasions d’être plus spontanée et à la recherche de plaisirs), l’extraversion monterait car il y aurait plus d’émotions positives, peut être grâce à des relations sociales plus épanouissantes. J’ai laissé l’agréabilité et l’ouverture intacte, mais il y a à se rappeler que dans les recherches, les thérapies ou les changements d’environnements peuvent faire monter ces traits aussi.

 


Attention, il ne s’agit pas de nier que le physiologique a un impact sur la personnalité


Évidemment, quand le corps est bouleversé d’une façon ou d’une autre on peut s’attendre à des variations  :

Ceci étant dit, l’unique détermination physiologique et la stabilité ne sont pas les seuls points de discorde qui alerteront les autres chercheurs. La prochaine fois, on verra pourquoi certaines critiques considèrent le modèle à cinq traits comme carrément inutile.

La suite : LA PERSONNALITÉ ET SES 5 TRAITS, UN CONCEPT INUTILE ?

 


Note de bas de page


La totalité de la bibliographie de ce dossier est présente ici : https://www.hacking-social.com/2023/04/03/%e2%99%a6ppx-sources/ 

1Ils n’ont pas précisé à quels évènements ils se referaient, donc nous ne savons pas non plus de quoi ils parlent.

2 Pour ces coach de séduction, ma théorie est qu’il est plus lucratif pour eux de viser des profils à l’idéologie autoritaire, car les SDO [=dominateurs sociaux] détestant les femmes, ils réduisent leurs chances d’être en couple (personne n’a envie d’être en couple avec quelqu’un qui vous stéréotype et vous hait). Leur basse agréabilité n’aide pas non plus à créer de bonnes relations. Ainsi, ils peuvent avoir plus de clients en visant ceux-ci, et sur le long terme car l’injection d’idéologie autoritaire fait persister le problème, l’alimente.

3 Évidemment, même ce constat est à modérer, parce que les autres animaux ont aussi cette complexité sociale : les fourmis ont des formes d’organisation sociale singulières et variées, on a trouvé des villages construits par les poulpes (https://www.tandfonline.com/eprint/SuKqGmXPA8zJdrkjkSRE/full), les éléphants semblent avoir des pratiques rituelles autour de la mort, s’occupant de recouvrir les cadavres d’autres espèces (dont les humains) et s’occupant des os de leurs proches (https://www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2013-4-page-35.htm)

5 Quoique même la couleur des yeux peut se transformer bien après 6 ans chez certains, pour des raisons environnementales qui sont parfois mystérieuses https://www.bbc.com/future/article/20220929-how-our-eyes-change-colour-throughout-our-lives

7 Il disait par exemple : «  D’un point de vue thérapeutique, le traitement doit tenir compte du fait que des niveaux aussi élevés de dysphorie affective peuvent ne pas être entièrement améliorés. Il peut toujours y avoir des niveaux élevés d’affect négatif, que ce soit la dépression, l’anxiété, la conscience de soi ou la colère. Ces sentiments sont caractéristiques de Barbara, et le traitement devrait se concentrer sur les techniques qui peuvent l’aider à mieux gérer sa détresse interne. » Piedmond The revised neo personality inventory clinical, 1998 »

Viciss Hackso Écrit par :

Attention, atteinte de logorrhée écrite et sous perfusion de beurre salé. Si vous souhaitez nous soutenir c'est par ici : paypal ♥ ou tipeee ; pour communiquer ou avoir des news du site/de la chaîne, c'est par là : twitterX

12 Comments

  1. gripho
    19 mai 2023
    Reply

    Super dossier comme d’habitude, j’attends la fin pour poster un commentaire plus complet 🙂

    Par contre, je ne suis pas sûr que file:///C:/jamapsychiatry_reuben_2019_oi_180106-1.pdf soit le bon lien ^^’

    • Viciss Hackso
      19 mai 2023
      Reply

      Merci c’est modifié !

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