Sommaire de l'article
- Le flow est-il présent hors occident ?
- A-t-on plus de flow selon sa catégorie ou son genre ?
- A-t-on plus de flow selon sa catégorie socio-professionnelle ?
- Est-ce que certains individus ont plus de flow que d’autres ?
- Le flow est-il une expérience similaire à celle de la méditation ?
- Le flow est-il moral ?
- L’absence de flow est-elle pathologique ?
- À quoi peuvent nous servir immédiatement ces résultats ?
- La suite : [FL8] Nous sommes le produit de ce à quoi nous avons accordé de l’attention
Un état de concentration optimale est difficile à obtenir et semble dépendre des conditions de l’activité qu’on mène, mais est-ce que des caractéristiques individuelles peuvent changer la donne ? Aujourd’hui, on se demandera si le flow est dépendant de notre catégorie socio-professionnelle, de notre genre, de nos origines ou de nos capacités. Nous verrons également que l’expérience optimale n’est pas forcément l’expérience ultime, si plaisante soit-elle.
Ce dossier est disponible en ebook : en PDF et en Epub
Cet article est la suite de :
- [FL1] Donner des sens à la vie : la piste du flow
- [FL2] Aux sources du flow, les créatifs
- [FL3] Le flow, une expérience optimale et mesurable
- [FL4] Être nul, être flemme et s’ennuyer : et si on se trompait de diagnostic ?
- [FL5] Les adolescents sont paresseux… Et si c’était l’école qui ne savait pas générer du flow chez eux ?
- [FL6] Le flow au travail et au foyer : seulement si on peut choisir et y être libre
Image d’en-tête « méditation » par Zennore : https://www.deviantart.com/zennore/art/Meditation-333711620
Le flow est-il présent hors occident ?
Il est très courant en psychologie que les découvertes faites en occident ne s’appliquent pas hors de celui-ci : par exemple, la norme d’internalité et la dissonance cognitive ne sont pas autant facteur de biais dans les pays non-occidentaux (cf « la dissonance cognitive », Girondola et Gosling ; et toute la biographie ici pour l’internalité). Ce n’est pas que les non-occidentaux seraient dénués de biais ou plus « sages », mais tout simplement qu’ils vivent dans une culture qui n’est pas aussi centrée sur l’individu, qui est plus collectiviste ; ce qui n’est ni meilleur ni moins bien, c’est tout simplement différent et amène les personnes à faire des attributions causales différentes.
Ainsi, on peut se demander si le flow est universel. Les entretiens menés par Mihaly le laissaient à penser : des personnes aux activités, âges, cultures, genres différents rapportaient la même expérience de flow, avec ces caractéristiques saillantes de forte concentration, de temps qui se tordait, d’oubli total de son ego, de fusion avec l’action, etc.
Avec la technique FQ (c’est-à-dire quand il y a une description du flow donnée aux personnes, puis sélection d’activités où elles pensent avoir vécu cet état) les chercheurs (Delle Fave, Massimini, Bassi, 2011) ont interrogé 870 personnes de toute origine et activité : parmi ces 870 participants, il y avait 379 femmes et 491 hommes, âgés de 15 à 78 ans (âge moyen : 35 ans). Parmi eux, 354 (40,7 % de l’échantillon) appartenaient à des cultures non-occidentales. Ils venaient d’Inde (36 femmes et 16 hommes), d’Indonésie (32 femmes et 31 hommes), d’Iran (10 femmes et 17 hommes), d’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire et Ghana, 13 hommes), d’Afrique du Nord (Maroc et Tunisie, 3 femmes et 10 hommes), Philippines (11 femmes), Somalie (6 femmes et 6 hommes) et de Thaïlande (20 femmes et 4 hommes). Ce groupe comprenait également des citoyens nord-américains qui étaient néanmoins membres de minorités culturelles, préservant leur langue, leur mode de vie et leurs valeurs : c’était le cas des Navajos vivant en Arizona et au Nouveau-Mexique (51 femmes et 28 hommes) et des Roms installés en Italie (32 femmes et 28 hommes). L’échantillon de l’Ouest comprenait 516 participants italiens (59,3 % de l’échantillon), vivant dans des zones urbaines et rurales et occupant divers emplois traditionnels et modernes. La répartition des emplois était sensiblement la même dans les deux groupes : agriculteurs, artisans, commerçants, tailleurs, ouvriers, employés de maison, commis, personnes au foyer, étudiants, directeurs de production et de vente, conseillers financiers, académiciens, infirmiers et enseignants.
84,6 % (736 personnes) ont reporté des expériences optimales dans leur vie et l’ont associé avec au moins une activité. Il n’y avait pas de différences selon les genres et peu de différences en général :
L’une des différences qui saute aux yeux est qu’un échantillon plus important de non-occidentaux a choisi pour le flow des situations d’introspection (qui comprennent la réflexion, la rêverie, la solitude plaisante, la méditation et la prière).
Concernant le travail, ce sont les activités traditionnelles (l’agriculture, travail à la maison, artisanat) et non le travail moderne (au bureau, à l’usine,…) qui dans les deux groupes remportent le plus de succès d’association au flow :
C’est assez similaire entre non-Occidentaux et Occidentaux pour les hobbies, sport et activités de relaxation ou plaisir :
Le flow semble donc universellement vécu. Mais est-il un état désiré et désirable dans toutes les cultures ?
L’expérience optimale, avec son haut défi et les hautes compétences de l’individu, est-elle toujours une expérience désirable dans toutes les cultures ?
Cette fois avec l’ESM, les chercheurs (Moneta, 2004) ont testé 269 étudiants chinois de Hong Kong, 1309 étudiants des États-Unis dont 9 % Américains-asiatiques, 11 % d’Hispaniques, 17 % américain-Africains et 63 % de Caucasiens. Le focus dans cette étude a été mis sur la motivation intrinsèque (qui correspond à l’affirmation « je voulais le faire ») : les personnes sont-elles motivées intrinsèquement dans les états de flow (haut-défi/haute compétence) ou dans d’autres états (dit « apathie », « relaxation », etc.) ?
Dans cette étude, il a été découvert que la motivation intrinsèque des Américains ne s’étend pas lorsque les défis augmentent, ni quand ils sont égaux aux compétences. Les personnes ici sont motivées intrinsèquement lorsque les défis adviennent dans des compétences déjà maîtrisées.
Pour l’échantillon chinois, les défis ont eu un effet négatif sur la motivation intrinsèque. Le plus haut de niveau de motivation intrinsèque est expérimenté dans la condition nommée « ennui » ou « relaxation » c’est-à-dire lorsque les défis sont bas et qu’il y a de très hautes compétences.
L’effet négatif des défis est plus présent chez les Chinois que chez les Américains. Cependant ce n’est pas que les Chinois aimeraient plus l’ennui ou aurait « peur » des défis : selon les chercheurs, il se pourrait qu’ils quêtent l’état de Tao, tant dans les activités productives que le loisir (la dichotomie est moins marquée là-bas). Le flow est un élan vers les défis tandis que l’état Tao est une approche prudente des défis, qui consiste à savoir s’arrêter lorsqu’on peut être à l’abri du danger, porter beaucoup d’attention aux détails « Voir le petit s’appelle le discernement » (Lao Tzu), il doit y avoir un équilibre entre le fait d’être actif et réceptif, et il convient de choisir la « voie du milieu ». L’état de Tao implique de ressentir son interdépendance avec tout l’univers des relations, tant avec les personnes qu’avec le monde physique, alors que le flow est un bonheur solitaire. Le flow avec ses pics d’intérêts, de concentration sur une activité, est susceptible de diminuer la conscience de l’interconnexion avec le monde que demande l’état de Tao.
Même si le flow est vécu universellement, il n’est pas quêté dans toutes les cultures, car les émotions et fortes activités durant le flow empêchent de faire un travail de la conscience, de modération émotionnelle.
Ainsi, on voit que la culture peut avoir une grande influence sur le fait ou non de rendre désirable tel ou tel état mental, même si cet état mental est vécu universellement, il peut être plus ou moins voulu.
A-t-on plus de flow selon sa catégorie ou son genre ?
On a vu dans les études précédentes que les hommes avaient plus de motivation intrinsèque que les femmes pour les tâches du foyer, non pas parce qu’ils étaient plus intéressés par l’activité elle-même, mais parce qu’ils avaient la liberté de les faire ou de ne pas les faire. Ce n’est donc pas lié au sexe de la personne, mais à des normes culturelles qui mentalement ou directement obligent les personnes à faire des activités et/ou d’autres sont libres de les faire ou non. Être libre ou forcé de faire une activité change totalement s’il peut y avoir probabilité ou non de flow.
Dans les autres études, il n’y a jamais de grande différence entre femmes et hommes concernant le flow lui-même, parfois les femmes en ressentent plus, parfois ce sont les hommes. Quoi qu’il en soit le genre ne détermine pas la capacité au flow : les facteurs de déclenchement du flow dépendent plus de la liberté de l’individu face à une activité, ainsi que des conditions de l’activité.
A-t-on plus de flow selon sa catégorie socio-professionnelle ?
Dans l’étude abordée dans l’article FL6 on remarquait des différences concernant la motivation intrinsèque et le statut. Mais contrairement à l’intuition des chercheurs, qu’on ait un statut supérieur dans la hiérarchie ou qu’on soit ouvrier, il n’y avait pas de grandes différences, personne n’était motivé intrinsèquement par le travail, le loisir était toujours préféré.
Toujours dans le même article, les recherches nous montraient que des différences selon les professions et ce qui déterminait à la fois le bonheur de la personne, sa motivation intrinsèque et son flow, étaient effectivement liées à la profession : c’est la profession qui avait été choisie par vocation et non pas par contrainte qui était le plus appréciée. À noter que le flow des autres professions était gâché ou empêché par de mauvaises conditions.
Idem, dans l’étude sur les différentes cultures ci-dessus, on voit que le travail dit traditionnel est beaucoup plus apprécié, parce que plus sensé, plus ancré dans la communauté ou la famille.
Autrement dit, la profession ne fait pas le bonheur ni le flow, ce sont des caractéristiques autres qui semblent faire la différence : les conditions de travail, la qualité dans les interactions sociales, le fait d’avoir choisi cette vocation, le fait que le métier ait du sens.
Est-ce que certains individus ont plus de flow que d’autres ?
Autrement dit, est-ce que le fait d’avoir plus de flow s’expliquerait selon les qualités personnelles de la personne ou alors selon des circonstances extérieures indépendantes des qualités de la personne ?
Effectivement, selon les études (Flow and the fondations of positive psychology, Mihaly Csikszentmihalyi) il y a des individus plus « autotéliques » que d’autres, c’est-à-dire qui transforment les conditions de toutes les situations qu’ils traversent pour que celles-ci puissent les satisfaire et produire du flow.
Mihaly, dans son ouvrage « Vivre » donne l’exemple d’un ouvrier d’usine, extrêmement débrouillard et aimé de tous qui est devenu essentiel à toute son usine, car il s’est avéré pouvoir tout réparer, aider tout le monde. Idem dans sa vie personnelle, il avait transformé son jardin en spectacle admirable.
Les autotéliques inventent leur vie, avec les autres, où qu’ils soient, ne cessant d’accumuler des compétences et de les partager.
Qu’est-ce qui détermine l’autotélisme donc ? Il semblerait que le déterminant majeur soit le fait d’avoir eu une famille dite complexe, soutenant le développement, la curiosité, nourrissant de culture, de savoirs et d’expériences variées, et qu’importe la condition sociale de celle-ci. Mihaly a également mené une étude sur les génies (des personnes réputées dans leur discipline pour être extrêmement créatives et apportant énormément à leur environnement social très élargi, que ce soient leurs étudiants ou la société toute entière) et beaucoup d’entre eux se sont avérés avoir eu une enfance parfois dure (de par la guerre, la pauvreté, l’injustice), mais les parents ont toujours apporté de quoi nourrir la curiosité de leur enfant. Il est assez étonnant de voir que tous ces génies, enfants, ont souvent eu un livre favori, un livre devenu comme leur guide. Ainsi, progressivement, ils ont pu donner sens à leurs malheurs et pour beaucoup, en faire une véritable quête puis une vocation à comprendre les problèmes du monde et tenter de les résoudre pour tout le monde, via l’art, la science, la justice… Attention, cela ne veut pas dire que tous les génies ou personnes s’étant démarqué dans leur domaine sont pour autant des personnes autotéliques, et inversement on peut être autotélique sans pour autant être reconnu.
Le flow est-il une expérience similaire à celle de la méditation ?
Le flow est une expérience qui advient, la méditation est à la fois une expérience qui advient et un choix d’expérience, ce qui les distingue plus qu’il n’y paraît : le flow advient au cours d’une activité, la personne choisit ou mène une activité et le flow advient presque accidentellement, sans que cela soit la finalité ou l’objectif de la personne. L’objectif de la personne étant de mener telle activité. C’est bien différent dans la médiation : la personne cherche volontairement un état particulier (de concentration sur un objet, de pleine conscience, de bienveillance, de compassion, de se « foutre la paix », etc.) dans diverses activités, mais ce ne sont pas les activités le but, mais l’état. Ainsi la personne peut décider de méditer pendant qu’elle se balade, mais le but ne sera pas de se balader mais le travail de pleine conscience des stimuli, qui pourrait être le même que lors d’un trajet en métro. Le flow peut advenir dans une ballade si par exemple la personne décide de partir en quête de champignons et est tellement concentré dans sa recherche grâce à de bonnes conditions (bonnes connaissances de la nature, température idéales, partenaire dans la même quête, etc.) qu’elle en vient à perdre le sens du temps, son ego, etc.
On a là deux mouvements bien distincts, même s’ils peuvent concerner la concentration, l’attention et tous deux apporter des bienfaits à long terme : pour le flow, par exemple la découverte qu’on est extrêmement motivé par telle activité, qu’elle fait sens dans notre vie, etc. ; la médiation liée à la concentration par exemple amène une plus grande maîtrise de ses forces mentales, notamment la capacité à inhiber des stimuli non pertinents, surmonter (mais pas denier) l’anxiété et tout état mental « parasitant » la concentration.
Le flow est-il moral ?
Non, on peut tout à fait éprouver du flow pour des activités qui n’ont absolument rien de moral. Mihaly Csikszentmihalyi en cite quelques exemples :
« Malheureusement, il arrive que des gens apprennent à aimer des activités destructrices (pour eux-mêmes ou pour d’autres) ou moralement contestables. Par exemple, des vétérans témoignent du plaisir intense éprouvé dans une tranchée derrière une mitraillette puissante et rapide ; des jeunes délinquants parlent du frisson qu’ils éprouvent à voler des bijoux dans la chambre des victimes sans les réveiller ; un footballeur américain raconte qu’il a été constamment tabassé par les copains au cours de son enfance et qu’il peut maintenant se venger avec ses cent quinze kilos de muscles, d’autant plus que le travail d’un arrière consiste justement à « porter des coups à l’adversaire » ; Adolf Eichmann adorait régler les problèmes de « logistique » que constituait le transport des Juifs dans les camps d’extermination des nazis ; un étudiant universitaire brillant et de bonne famille connaissant une période de « vide » et une absence totale d’enthousiasme est transformé par un travail d’été sur un bateau qui longe les côtes de l’Alaska. Il a retrouvé son assurance, son entrain et il parle avec passion de son travail qui consistait à tuer de jeunes phoques avec un gros gourdin pour en garder la fourrure. Cette boucherie lui procurait un plaisir intense ! »
Vivre, une psychologie du bonheur, Mihaly Csikszentmihalyi
Il me vient à l’esprit un exemple certes tiré d’une fiction, mais qui me paraît extrêmement signifiant pour montrer que le flow, quand bien même son état soit « jouissif », peut être profondément immoral. L’expérience optimale peut se passer de prise de conscience. Il s’agit de Frankenstein de Mary Shelley : Frankenstein étant un chercheur complètement pris dans le flow de son activité consistant à créer un être a partir d’organes morts qu’il récoltait dans les cimetières ou prenait sur des animaux qu’il tuait :
« L’étude avait pâli ma joue, l’absence d’exercice avait amaigri mon corps. Parfois, au bord même de la certitude, je n’aboutissais pas ; et pourtant je n’abandonnais pas un espoir que le jour ou l’heure suivante réaliserait peut-être. L’unique secret que seul je possédais, était l’espoir auquel je m’étais consacré ; et la lune contemplait mes labeurs nocturnes, tandis que, dans la constance et l’essoufflement de l’impatience, je poursuivais la nature jusque dans ses cachettes. Qui concevra les horreurs de mon travail secret, tandis que je tâtonnais, profanant l’humidité des tombes, ou torturais l’animal vivant pour animer l’argile inerte ? Ce souvenir fait aujourd’hui trembler mes membres et trouble mon regard ; mais alors une impulsion irrésistible et presque frénétique me poussait en avant ; toute mon âme, toutes mes sensations ne semblaient plus exister que pour cette seule recherche. Celle-ci n’était plus, à vrai dire, qu’une extase isolée, qui ne faisait que renouveler l’intensité de mes sentiments dès qu’en l’absence de ce stimulant étrange je reprenais mes anciennes habitudes. »
Après le flow, advient la prise de conscience :
« Depuis près de deux ans, j’avais travaillé sans relâche dans le seul but de communiquer la vie à un corps inanimé. Je m’étais privé de repos et d’hygiène. Mon désir avait été d’une ardeur immodérée, et maintenant qu’il se trouvait réalisé, la beauté du rêve s’évanouissait, une horreur et un dégoût sans bornes m’emplissaient l’âme. Incapable de supporter la vue de l’être que j’avais créé, je me précipitai hors de la pièce, et restai longtemps dans le même état d’esprit dans ma chambre, sans pouvoir goûter de sommeil. »
Plutôt que de tenir compte de cette prise de conscience et d’agir en conséquence, Frankenstein rejeta et abandonna sa créature à sa « naissance », alors qu’elle ne souhaitait qu’un minimum de soutien de son créateur pour pouvoir mieux s’intégrer auprès des êtres humains.
Des études sur les jeunes (« Psychological Selection and Optimal Experience Across Cultures, social empowerment through personnal growth », Antonella Delle Fave, Fausto Massimini, Marta Bassi) montrent qu’ils vont vers des activités de délinquance tout simplement parce que ce sont des activités plus faciles à maîtriser et donc permettant de produire du flow plus rapidement ; faute de compétence ou d’un environnement social qui provoque de l’anxiété (trop de défi + pas de compétence ou encore menace à l’ego) ou de l’ennui (pas de défi, trop de compétence), ils vont vers des activités qui les satisfont plus directement. Mihaly rajoute à ce sujet que le problème de l’école n’est jamais (pour l’instant) que ses environnements créée trop de flow (comme pour Frankenstein qui en a oublié de prendre du recul), mais pas assez, et c’est cela, avec les menaces à l’ego (humiliation, remarques, étiquetages de « nul », « bon à rien ») qui amène les enfants et jeunes à perturber les cours, voire les tournent vers la délinquance si le milieu familial n’offre pas non plus de quoi développer des compétences, stimuler la curiosité, etc.
L’absence de flow est-elle pathologique ?
Être incapable d’atteindre le flow dans sa vie n’est pas une pathologie, mais peut être signe de troubles de l’attention ou d’autres pathologies. Le flow est le résultat d’une attention qui fonctionne bien grâce à différents facteurs, comme une activité qui est bien conçue pour l’humain, un environnement social qui le permet, et des capacités individuelles d’attention. Ainsi on peut voir les pathologies telle que la schizophrénie comme aussi des atteintes à l’attention, parce que les hallucinations empêchent toute concentration ; la dépression empêche de se concentrer sur des activités et situations positives tout en diminuant l’énergie nécessaire au flow ; etc.
Ainsi les études sur le flow ont permis d’ouvrir un horizon thérapeutique : accéder au flow est lié au bonheur et au sens dans sa vie, donc si on peut aider la personne à trouver l’activité et les conditions d’une activité qui vont générer du flow chez elle, afin qu’elle soit motivée intrinsèquement, on peut aider la personne à aller mieux, quelque soit son problème.
Des thérapies via le flow ont donc été menées, avec succès (Flow and the fondations of positive psychology, Mihaly Csikszentmihalyi) : les patients sont équipés de l’ESM et inspectent les données avec leur thérapeute, pour voir ce qui déclenche les états d’apathie, d’anxiété ou d’ennui (et donc s’attellent à changer ses situations, soit en les quittant si possible, soit en les ajustant ou en y remédiant). Ils regardent également – et c’est sans doute le plus important – les activités ou situations qui les mettent en flow : ces situations ou activités sont de précieux indicateurs qui peuvent aider la personne à trouver une voie professionnelle ou une passion dans laquelle elle va générer du bonheur, c’est-à-dire tout autant de force pour toute sa vie.
À quoi peuvent nous servir immédiatement ces résultats ?
Comme d’habitude, des préjugés sont à mettre à la poubelle : tout le monde est apte à vivre du flow, à peu près dans n’importe quelle situation, du moment que celle-ci est bien conçue, offre des conditions humaines et surtout la liberté d’être contrôlée par l’individu selon ses besoins. À noter que les activités traditionnelles sont préférées non pas parce que « le passé c’est mieux », mais bien parce que ces activités peuvent être menées avec liberté (avec des pauses n’importe quand, une organisation telle qu’on l’entend, peu d’heures de travail, avec des relations sociales positives et non entravées par des normes arbitraires…) contrairement au travail « moderne » qui est contrôlant, liberticide sur bien des aspects.
L’étude sur les pays non-occidentaux permet de relativiser l’importance du flow : d’autres états sont également souhaitables, le flow n’est pas un Graal absolu. Et l’aspect méditatif, contemplatif, de non-action, d’absence de compétence et de défi est aussi un état qui a une grande importance, notamment pour réfléchir et inscrire son action dans un tout plus grand, plus conscientisé. Les études sur la moralité du flow montrent que le flow n’est pas toujours un indicateur valable pour jauger du bien-être (au sens littéral) de notre action au sein du monde. Personnellement, j’en ai conclu que les états méditatifs sont absolument essentiels quand on connaît des états de flow, l’un devrait aller avec l’autre, chacun nous ajustant différemment, mais tout aussi fondamentalement au monde. Si on suit continuellement son flow, qu’il est extrêmement intense, on se coupe du monde ; et même en période de repos, l’inconscient cognitif est complètement surchargé de travail futur, ce qui nous rend inattentifs au quotidien. Je pense que c’est de là d’où vient ce stéréotype du chercheur fou, décalé, obnubilé par ses recherches et qui n’arrive même pas à faire les choses simples du quotidien, ou est déconnecté de sa famille. En fait, il est dans un flow continu, une sorte d’addiction à tel ou tel travail. Oui, c’est une grande aventure, et cet état comme de drogué dans un projet est souvent une étape incontournable, mais je pense que cela peut être délétère si cet état est continu, qu’il n’y a jamais de recentrage sur le présent. Cependant le problème n’est pas si répandu, à notre époque, c’est plus le manque de flow qui semble dominer. Mais dans certains lieux intelligents, conçus selon le flow pour des activités immorales ou exploitantes, il me semble que la méditation ou au moins des temps de vrai calme hors sujet du flow sont une piste pour éviter d’être entraîné dans un enthousiasme fou pour quelque chose de fondamentalement nuisible éthiquement parlant, pour nous ou pour les autres.
Merci pour cet excellent article.
A mon sens il est effectivement souhaitable de chercher les conditions permettant le Flow, car leur absence criante nous informe sur le malaise profond de nos expériences quotidiennes. Toutefois cette recherche ne doit jamais se faire sans questionnement ni recul. Le Flow pour le Flow est une quête dangereuse car aveugle et insensée (elle est dépourvue de sens, alors qu’elle devrait en servir un). Si les conditions amenant au Flow sont des moyens, un « comment ? », l’introspection, la réflexion calme et la méditation, elles, nous permettent de chercher le « pourquoi ? ».
Le sens apporté à une expérience ayant conduit à une situation de Flow ne doit jamais être prise à la légère. Outre le questionnement introspectif (le questionnement de nos raisons personnelles), il y a également le questionnement éthique qui se pose : même dans le cas d’une expérience de Flow vécue sur la base d’une motivation intrinsèque, cette expérience peut malgré tout avoir été conçu par d’autres que soi, parfois à dessein, ou subtilement détourné de son dessein premier. Dans ce cas, la question épineuse est de savoir quelles sont les motivations derrière la mise en place des conditions permettant le Flow.
En somme, nous ne devrions jamais perdre de vue que la recherche d’une expérience optimale doit avoir un but, et que ce but doit être interrogé constamment.
Petite note de relecture au passage :
3ème paragraphe ; L’absence de flow est-elle pathologique ? – «Ils regardent également […] » (il manque le « s » de « ils »)
Et merci pour ce commentaire, c’est merveilleusement bien résumé, c’est vraiment tout à fait ça <3
[…] Lire l’article[FL7] L’expérience optimale pour tous […]
vraiment c’est très intéressant! Bonne continuation
Un expert électricien Yvelines est à votre service 24h/24 et 7j/7
superbe blog
c’est génial!
[…] [FL7] L’expérience optimale pour tous, avec ou sans éthique ? […]
[…] [FL7] L’expérience optimale pour tous, avec ou sans éthique ? […]