⬛ [FL5] Les adolescents sont paresseux… Et si c’était l’école qui ne savait pas générer du flow chez eux ?

On a vu que le flow étant une expérience optimale, n’est pas un état d’apathie, d’ennui, de paresse ; mais dans quel domaine advient-il le plus ? Dans les loisirs, davantage que devant la télévision ou à l’école ? Aujourd’hui nous allons voir où les ados ont du flow et casser ainsi les stéréotypes à leur sujet.

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Cet article est la suite de :

L’image d’en-tête (une classe à possible flow, à mon avis 😀 ) a été réalisé par arsenixc, vous pouvez admirer son travail ici : https://www.deviantart.com/arsenixc


Le flow est-t-il réservé à certaines activités ? Les loisirs VS les études…


« Quand, à la fin des années 1970, j’ai commencé à étudier ce qu’on a appelé plus tard l’expérience du flow, j’ai considéré ce sujet comme intéressant, mais comme une diversion marginale, ayant peu de capacité à contribuer à la psychologie ou aux sciences sociales en général. Ma principale motivation était de comprendre ma propre expérience : pourquoi les gens pouvaient-ils se sentir plus vivants quand ils faisaient des choses qui n’étaient pas importantes dans la “vraie” vie, comme chanter, jouer aux échecs, faire de la randonnée dans les montagnes – alors qu’ils s’ennuyaient ou s’énervaient à la maison, au travail,- en d’autres termes, pendant la plus grande partie de leur vie ? »

Flow and fondation of positive psychology, Mihaly Csikszentmihalyi

Il pensait que ses études serviraient d’autres recherches dans le domaine de l’art, du sport, des hobbies ou dans d’autres activités « autotéliques » (faites pour elle-même, c’est-à-dire par motivation intrinsèque). Ce n’est qu’après qu’il a compris que les recherches sur le flow avaient une autre valeur possible :

« Cependant, après quelques années, je me suis rendu compte que la valeur réelle de l’étude du flow n’était peut-être pas dans le domaine des loisirs, mais dans ce qu’elle pouvait contribuer à changer les conditions de la vie “réelle” et nous aider au quotidien à faire des expériences plus “’autotélique”’. Si nous comprenions quelles conditions rendent les jeux si agréables, ne serait-il pas possible de rendre le travail, ou la vie de famille, plus agréable également ? Ne pourrions-nous pas apprendre à rendre la vie aussi agréable que de faire une œuvre d’art, de danser un menuet ou de jouer aux échecs ? »

Flow and fondation of positive psychology, Mihaly Csikszentmihalyi

L’un des premiers domaines d’application auquel il a pensé était l’école :

« L’endroit où commencer à appliquer ce que nous apprenions à propos du flow, pensais-je, était l’école. J’étais encore assez jeune pour me souvenir de ces nombreuses années passées dans la terreur ou l’ennui, assis sur les bancs de tant de salles de classe, dans une ambiance froide et abstraite. Ce que j’avais appris à l’école valait-il l’exclusion de la vitalité de toutes ces années ? Peut-être, pensais-je, que comprendre les causes du flow pourrait aider à concevoir des écoles qui non seulement enseignent, mais inspirent les enfants à apprendre, parce qu’ils ont appris à aimer apprendre… Je savais que la tâche ne serait pas facile. »

Flow and fondation of positive psychology, Mihaly Csikszentmihalyi

Mais cette souffrance à l’école est-elle si répandue ? S’ennuie-t-on autant que cela au travail ? Veut-on fuir vraiment ce quotidien ? Préfère-t-on vraiment nos hobbies ou passions « inutiles » (l’utilité serait donc « extrinsèque », c’est-à-dire avec pour finalité l’argent, le statut, la gloire, être en conformité avec les buts implicites de la société)  que ce soit le jeu, l’art, la programmation, l’escalade, etc. ? Est-ce que ce déplaisir est-il vraiment si généralisé ? N’y a-t-il du flow que dans ces activités autotéliques ? Est-ce possible à l’école ou au travail ?

Reprenons l’échantillon de 199 adolescents italiens dont nous avons parlé précédemment ; dans quelles activités sont-ils les plus heureux et vivent des expériences optimales ?

En terme de bonheur, les sports ou hobbies et les interactions sociales sont les expériences les plus appréciées, les loisirs structurés étant potentiellement plus à flow, la concentration relevée étant plus élevée, ils sont impliqués (donc actifs et engagés dans l’activité).

L’activité de regarder la télévision apparaît ici comme une activité de repos, où la concentration est très basse, ainsi que l’implication. Elle ne rend pas non plus les adolescents heureux ni ne leur permet un sentiment de contrôle sur leur vie.

La pire des expériences est celle de l’école : ils sont concentrés, mais forcés à cette concentration (pas de motivation intrinsèque, pas de liberté, pas de bonheur, contrairement aux loisirs structurés où ils se concentrent avec plaisir et motivation) ; cette concentration qui est de piètre qualité, est difficile à maintenir. On retrouve ce que racontait Mihaly, à savoir que l’expérience scolaire est pénible ; ici, ces adolescents ne vivent pas pleinement, leur potentiel de concentration et d’implication est plus présent ailleurs.

Cependant les expériences varient, et ici nous n’avons fait qu’observer les moyennes ; voyons maintenant ce qu’ils rapportent d’une situation à haut défi pour laquelle ils se sentent à la hauteur avec leurs compétences (= canal du flow), que ce soit dans les études ou en loisir ; il est aussi important ici de voir le nombre d’ado par activités en flow :

Les situations de haut défi + hautes compétences dans les loisirs structurés (hobbies et sport) sont meilleures et peuvent être qualifiées d’expériences optimales : il y a concentration, motivation intrinsèque, bonheur, forte distorsion du temps, sentiment de contrôle. Les buts et enjeux sont des variables qu’ont ajoutés les chercheurs et qui concernent les buts à long terme, non ceux de l’activité menée directement.

Les interactions sociales remportent la palme du bonheur, comme c’est très souvent le cas dans les études sur les adolescents, période où le besoin social est exacerbé (donc s’il est rempli positivement, c’est le bonheur). À noter que 47 adolescents sur 199 de cette étude vivent aussi une expérience à défi/compétence de bonne qualité avec la télévision, même si l’on voit encore que l’implication ne peut atteindre des sommets étant donné que c’est une activité passive. Mais cela reste une expérience marginale, car presque tout l’échantillon regarde la télévision sans croiser ces conditions de flow.

Les expériences scolaires sont là encore un problème : même s’il y a haut défi et compétence à la hauteur de ces défis, il n’y a pas de motivation intrinsèque, la concentration est difficile, le temps est « laborieux », le bonheur peine à dépasser la moyenne habituelle. On ne peut pas vraiment parler d’expérience optimale, même si la concentration est là, encore une fois, les adolescents semblent s’y forcer contrairement aux loisirs structurés.

Dans d’autres analyses statistiques, on voit que les études scolaires ont un effet extrêmement négatif sur la motivation intrinsèque, la facilité de concentration et le sentiment de contrôle : on dirait que ces adolescents sont aliénés par le milieu scolaire, qu’il n’y a rien d’eux qui accroche aux défis scolaires, sans quoi il y aurait motivation intrinsèque et contrôle. Si on regarde les buts à long terme et les enjeux (sur le premier graphique), on voit également qu’ils sont très élevés pour la situation scolaire, ainsi on peut supposer qu’il y a une pression de nature extrinsèque (obtenir un diplôme, entrer dans une école, avoir un « bon » travail, etc.) qui détruit en soi la possibilité de s’intéresser intrinsèquement aux disciplines. La difficulté de concentration peut s’expliquer par cette absence de motivation intrinsèque : ils voudraient être ailleurs, ou bien peut-être que c’est une pression extrinsèque qui les pousse à ne faire que le minimum pour remplir les objectifs. Cette pression extrinsèque les désengage peut-être totalement également. Il peut s’agir des conditions d’études (y a-t-il trop de bruits ? Sont-ils trop nombreux ? Les exercices sont-ils inadaptés aux élèves, c’est-à-dire trop faciles ou trop difficiles ?). Quoi qu’il en soit, il semblerait que la dimension motivation intrinsèque joue un grand rôle dans l’émergence ou non du flow.


À quoi peut immédiatement nous servir cette étude ?


Tout d’abord, à renverser nos préjugés. On pourrait, sans faire attention au cadre théorique de cette étude, conclure que les adolescents sont nuls, irresponsables, qu’ils ne font des efforts que quand ça leur chante, que les jeunes « c’est plus ce que c’était », que « de notre temps on était pas aussi nuls ». Bref, faire une erreur d’attribution causale en rejetant toute la faute sur les adolescents et s’épargner ainsi notre responsabilité d’adulte sur le monde qu’on leur offre. Mais clairement l’étude montre qu’ils peuvent être très concentrés, donner leur maximum et en tirer un plaisir type flow en plus de cela : mais uniquement dans des activités bien conçues en terme de défi et compétence, ce qui n’est pas le cas de l’école dans cette étude qui semble leur donner des niveaux trop difficiles ou trop faciles (qui n’est pas adapté à eux donc) et qui les pressent avec des objectifs trop lourds sur leur vie.

Autrement dit, cette étude est utile pour nous apprendre à inspecter le sentiment des ados et en déduire par la même occasion les problèmes que pose l’école. Les solutions sont aussi à chercher là où les ados trouvent leur flow : dans les loisirs structurés c’est parfait, il y a donc à s’en inspirer pour concevoir une école où ils peuvent se donner à fond. Est-ce qu’il ne serait pas temps de redéfinir clairement les buts de l’école ? De la recalibrer pour qu’elle ne soit plus sous un mode de compétition, de pression et de soumission ? Pour qu’elle autodétermine plutôt qu’elle empêche l’autonomie ?

Redéfinir l’école n’est pas un défi impossible (ici c’est juste un exemple pour résoudre le problème d’estime de soi qui plombe les compétence, via les buts et structures de l’école). On a eu la chance d’animer deux ateliers sur « hacker l’école » et les personnes, qu’elles soient professeurs, instituteurs, élèves, étudiants, salariés, sont extrêmement inspirés et ont des tonnes d’idées très sensées. On les as rapporté ici : hacker ensemble l’éducation

Les préjugés à renverser sont également aussi en nous : très clairement, j’imagine qu’on se croit prendre beaucoup plus de plaisir devant la télévision ou dans des loisirs passifs, que glander est une espèce de luxe qui accomplit, qui se mérite comme un Graal. Or l’étude montre bien que les ados ont plus de bonheur aux états actifs, comme les interactions sociales ou les loisirs (ce qui casse aussi l’image de l’ado qui se satisferait de son apathie). Peut-être qu’on sous-estime ses propres capacités, qu’on soit adulte ou ado, ou encore que les situations d’anxiété (selon le cadre théorique du flow, c’est-à-dire une situation où il y a trop de défis selon nos compétences) nous ont cassés et nous font croire « incapable » dans des situations, où non seulement nous serions fort capables, mais où l’on prendrait énormément de plaisir aux défis. De voir le glandage comme un luxe ou comme une bonne chose montre surtout que la vie professionnelle ou scolaire (ou familiale) nous presse comme des citrons, au point qu’on n’a même plus de force pour faire la moindre activité enrichissante. C’est peut être signe d’un surmenage, et c’est cette vie qui presse qui est peut-être à changer en premier lieu, pour avoir au moins l’espace de penser. Il s’agit peut-être de s’orienter vers des situations où l’on est actif, mais également plus libre si on s’en réfère aux résultats précédents, le surmenage est aussi lié à une situation ou l’on n’a plus l’espace de s’organiser pour faire les activités à rythmes et façons raisonnables en fonction de nos limites humaines.

La suite : [FL6] Le flow au travail et au foyer ?

Les autres chapitres du dossier :

Viciss Hackso Écrit par :

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2 Comments

  1. Lise Iria
    8 octobre 2018
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    Nouveau chapitre très intéressant. J’aime beaucoup le fait de voir concrètement ce qu’il en est pour les ados et pourquoi l’école peut être vécu « en souffrance » pour eux.

    J’adorais personnellement aller en cours que ce soit au niveau collège ou lycée car pour moi c’était un jeu car je savais ce que je voulais faire et où je me dirigeais. Je sais que dans ce cas, j’ai eu de la chance car j’avais les capacités de suivre sans me sentir en difficulté, ou trop grande difficulté ou alors que je pouvais avoir de l’aide à la maison de la part de mes parents. En voyant le tout comme un jeu, de manière inconsciente car je ne l’ai réalisé que très récemment, ça m’a permis de pimenter et de me permettre de toujours être dans une situation de contrôle ou alors de me croire en situation de contrôle et donc de m’amuser en cours

  2. Grexiem
    8 octobre 2018
    Reply

    Ce chapitre m’a intéressé car même si je ne me reconnais pas forcément dans la moyenne de ces études (ce qui est normal), Je trouve que cette étude explique assez bien ce que l’on ressent sur les bancs de l’école.
    En prenant un exemple personnel, je sais que les programmes obligatoires comme la philosophie (qui est très importante) est amenée trop directement et je pense que peu de scientifiques Ont une sensation de flow avec cette matière. Je peux aussi faire le rapprochement avec les matières dites scientifiques dans les filières dites littéraires.
    Je pense que le manque de professeurs forcent à faire des groupes d’élèves et on ne peut pas se concentrer pour essayer de faire le flow. On se contente de balancer des informations que nous, apprenants, devons comprendre.

    Ce chapitre m’a quand même fait réfléchir à élaborer des techniques pour essayer d’avoir un semblant de flow dans les études que j’entreprends.

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