♦ [FL9] Critiques : le flow une expérience qui est plus qu’une situation haut défi/haute compétence

Avant de livrer des outils de réflexion au hack social, il est temps de critiquer les recherches sur le flow !

Ce dossier est disponible en ebook : en PDF et en Epub

Cet article est la suite de :

Photo d’en-tête : protestation d’équipiers Mcdonald’s aux USA, à cause de leurs conditions de travail et rémunération, par Fibonacci Blue J’ai choisi cette photo car les métiers en fast-food, et d’autres métiers dans d’autres entreprises, peuvent effectivement offrir des situations théoriquement à flow (hautes compétences demandées + haut défi des situations) , mais peut-on vraiment parler de flow lorsque que le travail pose un problème éthique aux personnes, ou encore qu’elles n’ont pas le choix de faire un autre métier ? C’est ce qu’on va voir dans cet article.


Critiques


L’état de flow est réel, désirable lorsqu’il est éthique, et la recherche l’a bien montré. Les critiques qui vont suivre ne remettent pas en cause les résultats ni même les interprétations, et portent plus sur le cadre théorique, sur les variables, les priorités ou non données à celles-ci. J’ai l’habitude de les livrer parce que c’est un passage presque obligé lorsqu’on parle de recherches, mais aujourd’hui la grande nouveauté est que ces critiques sont plus « opératoires », c’est-à-dire que je les ai testé (en utilisant les questionnaires ou en les faisant tester par autrui) et que j’ai tenté de les prendre en compte avec les outils que je vous proposerais, mixés à partir des outils originaux.

La motivation intrinsèque, en premier lieu, est comme un interrupteur du bonheur ; si la personne veut faire l’action et ne pas en faire d’autres, que la situation est bien câblée en terme de défi/compétence, le flow peut advenir et donc cela peut être une expérience de bonheur. Mais il suffit que la personne ne veuille pas faire l’action et alors le bonheur n’advient pas. Dans les recherches sur le flow, cela a donné lieu au « paradoxe du travail », on voyait que le travail pouvait être à flow, les conditions étaient réunies, mais l’absence de motivation intrinsèque tuait le flow dans l’œuf.

Plutôt qu’un paradoxe, j’y vois plutôt un problème de priorité de variable : le flow est déduit d’une situation de haut défi + haute compétence, or il me semble impossible qu’il survienne si la personne n’est pas motivée intrinsèquement par la situation. Par exemple, je pense que nombreux sont les gens très compétents au nettoyage : si on leur présentait une situation à haut défi de nettoyage, par exemple une maison d’une saleté de très haut niveau, ils pourraient en venir à bout avec des compétences à la hauteur du défi. Mais est-ce que c’est vraiment une situation à flow ? Le schéma prédirait du flow, pourtant évidemment que cela n’en serait pas : le nettoyage est rarement une situation pour laquelle on est motivé intrinsèquement, surtout dans un cas de haut défi qu’on nous imposerait.

« Je voulais faire cette activité » devrait être le premier facteur pour déterminer le « vrai » flow, la condition première. Certes, il arrive des situations que l’on ne veut pas vivre (par exemple un entretien à Pôle Emploi) et qui finalement s’avère beaucoup plus fun que prévu (l’agent était extra, on a bien rigolé tout en résolvant le problème). Mais lorsqu’il s’agit de voir le vrai flow, celui qui réduit l’anxiété ontologique, il me semble que vouloir faire l’activité, le vouloir au sens large dans son existence, est un passage obligé. Certes, beaucoup d’écrivains disent par exemple se faire violence pour se mettre à écrire, en s’inventant des modes de travail parfois assez rudes (se lever tous les jours à 4 heures du matin pour écrire, ou encore écrire un maximum pendant trois jours non-stop…), mais dans un sens « large » de leur vie, ils veulent écrire, ils ont besoin de cette activité dans leur existence. Peut-être faudrait-il aussi reformuler ce « je voulais le faire » en « je voulais mener cette activité dans mon existence ». C’est peut-être d’allure trop épique, mais le flow se comprend mieux selon cet apparat épique.

♦ La conscience de soi, mesurée souvent par « À quel point étiez-vous conscient de votre image ? » (dans l’ESM) est une variable qui a posé problème car elle était sensée mesurer cet oubli total de soi présent dans le flow, or les gens en flow l’ont mis haute parfois, parce qu’il la confondait comme le contrôle de l’action. En conséquence, les chercheurs l’ont souvent enlevé des mesures car ce n’était plus du tout valide statistiquement, ni même théoriquement.

Cette « conscience de soi » porte théoriquement sur les préoccupations parasites qui nous font continuellement contrôler notre physique, notre attitude, nos mimiques, nos propos pour bien paraître ; ces préoccupations parasitent l’émergence du flow, la concentration sur l’activité, mais le terme « image » ne semble pas avoir parlé aux personnes ; ni même l’item « je ne me préoccupais pas de ce que les autres pensaient à mon propos » qui pourtant à mon sens montre bien cette dimension parasite liée à l’ego. Il y a peut-être une confusion sur la conscience au sens large : une personne peut avoir bien réfléchi en amont son activité, ses dimensions éthiques, esthétiques qui effectivement prennent en compte autrui (lui montrer quelque chose de beau, qui lui fait du bien…), et faire l’activité sous flow en s’oubliant totalement en suivant ces règles qu’elle s’est donnée auparavant et qui prennent en compte une conscience de soi. Il faudrait peut-être appuyer fortement sur la dimension de temps « Lorsque j’étais plongé dans l’activité, je n’étais pas préoccupé par le jugement des autres au sujet de mon image ».

♦ Les activités de méditation, de contemplation, de réflexion, de pleine conscience passent au travers de l’analyse. On l’a vu avec l’étude sur une population chinoise, le modèle théorique du flow rend très mal compte de ces moments de calme pourtant mentalement très particuliers et les qualifie avec une certaine injustice « d’apathie » ou « d’ennui ». Pourtant, on a vu que cela pouvait être des états absolument nécessaires pour contrebalancer des flow qui ne seraient pas éthiques ou pour en trouver d’autres, que c’est un repos actif qui je le pense nous « recale » sur l’existence avec une vision plus holistique de la vie.

J’ai fait le test en m’auto-administrant une forme d’ESM sur environ 2 semaines, et un matin en allant au travail, je suis descendue de mon bus plus tôt que prévu parce que le lever du soleil était absolument magnifique, j’avais envie de profiter du paysage splendide. Ce petit moment a illuminé ma journée au travail, m’a détendue totalement. Mais si on observe juste les statistiques, clairement ce moment ne se différencie pas de cet autre moment où je me suis ennuyée à mort au travail, excepté sur la variable bonheur. Là encore que ce soit la situation haut défi + haute compétence qui détermine l’état est un problème, car la variable bonheur est aussi un indicateur qui devrait, comme la motivation intrinsèque, être une barrière, mais cette fois contre les états négatifs : si dans une situation d’apathie, d’ennui, d’inquiétude ou même d’anxiété, il y a un fort bonheur, c’est qu’il se passe quelque chose d’autre qui n’est pas mesuré par le modèle du flow, en cela on ne peut pas le classer dans un canal.

Le modèle du flow n’a pas vocation à mesurer les moments de pleine conscience, en cela, il faudrait peut être trouver un moyen de les écarter de la mesure sans denier leur importance non plus ; ou alors y intégrer des questions mesurant la pleine conscience, et créer un nouveau canal.

♦ La variable « contrôle » peut poser un problème, je pense notamment aux confusions qu’il peut y avoir entre auto-tyrannie, harcèlement moral de soi, self-control rigide, et contrôle de l’activité saine sans violence vis-à-vis de soi. Dans le flow, il s’agit davantage d’être aux commandes de l’activité, il n’y a pas d’idée d’égo dedans, mais je me demande si les questionnaires représentent bien cela.

La notion d’autonomie, telle que décrite dans la théorie de l’autodétermination me semble beaucoup mieux représentée comment l’individu est aux commandes de son activité et comment l’environnement va à la fois le laisser maître de son activité, l’aider et comment ce contrôle peut être complètement coopératif, sans hiérarchie et sans pour autant être indépendant (par exemple est autonome un enfant qui sait demander de l’aide pour apprendre quelque chose) :

« L’autonomie [selon la théorie de l’autodétermination] C’est pour l’individu être à l’origine de ces actions, pouvoir choisir, pouvoir décider, ne pas être contrôlé tel un pion. Cela ne veut pas dire être indépendant, vivre seul : on peut être dépendant d’autrui tout en étant autonome ; par exemple on peut être dépendant d’autrui pour se nourrir (c’est-à-dire ne pas cultiver sa propre nourriture, et devoir aller en acheter) tout en étant autonome (on choisit ces lieux de vente de nourriture selon nos valeurs, on décide de consommer ceci et pas cela, etc.). Un enfant peut être dépendant de ses parents et pourtant faire des choix autonomes concernant ses activités extra scolaires ou scolaires, son avenir (par exemple en choisissant de développer des compétences dont les parents dénient l’importance). » [extrait de mon futur livre au titre indéterminé:D]

Par ailleurs, Decy et Ryan, les chercheurs de la théorie de l’autodétermination, critiquent également le modèle du flow parce qu’il se centre sur les haut défis et hautes compétences, alors qu’eux pensent que l’expérience optimale advient si les besoins fondamentaux (autonomie, proximité sociale, compétence) de l’individu sont remplis : la personne doit être laissée autonome, se sentir en sécurité dans l’environnement social, et se sentir compétente (ce qui correspond à la « haute compétence » ressentie dans le modèle du flow).

Le modèle de la théorie de l’autodétermination, on l’a présenté un peu ici :  https://www.hacking-social.com/2015/10/13/se-motiver-et-motiver-autrui-une-histoire-dautodetermination/

Dans les outils que j’ai bidouillé, j’ai décidé d’intégrer carrément la notion d’autonomie comme pré-requis à l’avènement du flow, la théorie de l’autodétermination étant empli d’expériences et preuves que l’autonomie laissée à la personne est vraiment la condition de base pour qu’elle puisse vivre. Sans autonomie, pas de flow, mais pas non plus de développement, de bonheur, de bien-être, etc.

♦ Les relations sociales dans les recherches sur le flow montrent qu’une relation sociale négative peut anéantir les meilleures situations. Par exemple, chez les professionnels, même quand il s’agit de leur vocation (donc quand ils ont de la motivation intrinsèque pour leur métier), qu’ils aiment leur métier, que ce métier a du sens pour eux, les relations sociales peuvent tout « détruire ». Là encore cela rejoint ce que disent Decy et Ryan sur l’autodétermination : il ne peut pas y avoir de bonheur, de flow, si les besoins fondamentaux, ici le besoin de proximité sociale, ne sont pas remplis. Il me semble également, que les « basses compétences » dans le modèle du flow peuvent peut-être être perçue comme basses à un moment non pas parce que l’individu est incompétent dans son métier, mais parce que la compétence sociale est mise à mal par une situation difficile socialement. On peut par exemple exceller dans son travail, mais se sentir totalement incompétent lors d’une réunion qui se passe mal, ou lorsqu’il s’agit de coopérer avec quelqu’un au caractère difficile.

Les personnes peuvent aussi ne pas voir les compétences sociales comme des compétences effectives et se dire compétentes dans une situation d’interaction, car effectivement elle savent très bien faire leur métier, mais n’ont pas conscience qu’elles ont des choses à apprendre sur l’échange. Je pense notamment aux statistiques sur les artisans dans l’étude sur les métiers : oui, ils excellent sûrement dans l’acte de création, mais le métier de vendeur est d’un autre genre de compétence, plus sociale, et c’est peut-être pour ce rôle qu’ils n’ont pas les outils pour vivre du flow ou pour lequel ils n’ont pas de passion. L’inverse est aussi vrai, le bien être social et la compétence sociale, par exemple des caissiers dans cette étude, les sauvent : certes le métier les empêche d’exercer des compétences complexes (ils sont forcés à des tâches triviales dans des conditions peu épanouissantes), alors ils compensent en développant des amitiés, des relations fortes avec les collègues.

La question est complexe, pour ma part je m’en suis tenue à garder les relations sociales comme un indice dans mes outils : si c’est négatif, cela ferme la porte au vrai flow, si c’est positif (ou neutre, quand par exemple l’activité est solitaire), c’est une porte d’ouverte au flow.

♦ Le flow est la totalité de ses caractéristiques, pas simplement une situation perçue comme à haut défi et des compétences hautes perçues. Dans tous les écrits, les variables (implication, temps tordu, etc.) sont décrites comme étant des caractéristiques du flow, mais les recherches ne se basent en premier lieu que sur la variable haut défi et haute compétence pour le décréter, ce qui me semble contradictoire. Le flow ne devrait être complètement décrété que lorsque toutes les caractéristiques sont bien présentes, et le « canal flow », même si les chercheurs appuient vraiment le fait que ce soit théorique, reste trompeur à mon sens : que le travail soit à potentiel de flow car les défis et compétences sont en équilibre me semble très largement insuffisant.

Par exemple, un rush dans mon ex-fast-food très célèbre était une situation à « canal flow ». Oui, comme l’état de flow, mon temps était tordu ; oui j’étais en stimulation totale, engagée, sans conscience de mon ego, j’étais au défi (littéralement, en concurrence avec mes collègues), etc. Mais cette expérience a très largement augmenté mon niveau d’anxiété ontologique : j’étais forcée d’avoir des relations sociales affreuses avec les clients pour performer selon leur objectifs (et pour éviter de me faire engueuler), supporter des pressions aberrantes de la part des chefs (saler les frites en forme de M…), et tout cela pour un travail insensé, mauvais pour l’environnement et la santé des personnes, etc. Pourtant ces rushs les pires (ce n’était pas aussi atroce tout le temps) étaient du flow selon les calculs…

Peut-être que pour cadrer cette notion de flow, comme nous avons dit au sujet de la motivation intrinsèque, il faudrait peut être inclure la dimension de la présence ou absence l’anxiété ontologique, par le fait que l’activité a un impact positif ou négatif selon la considération de son existence « cette activité était importante dans ce que j’attendais de mon existence ».

♦ La déduction du flow à travers les situations à haut défi + haute compétence est problématique pour les raisons qu’on a vu précédemment, mais aussi pour les personnes lorsqu’elles remplissent les questionnaires. Je ne sais pas si vous les avez déjà essayés, mais rapidement quand on se pose la question « est-ce que je dois évaluer la situation objectivement ou est-ce que je dois mettre sa difficulté selon ce que je perçois ? ». Par exemple quelqu’un pourrait mettre que la situation « conduite » est facile parce qu’il sait que pour quantité de gens c’est facile, alors qu’actuellement c’est dur pour lui car il a tout juste son permis, ça le stresse. Idem pour les compétences, on peut avoir des biais d’humilité ou il peut y avoir une sorte d’effet Dunning-Kruger  (les personnes très incompétentes se surévaluent positivement à cause justement de leur méconnaissance du domaine et inversement les experts d’un domaine sont humbles sur leur niveau de compétence car ils savent mesurer l’étendue de ce qu’ils ne savent pas), ou encore se baser sur des évaluations extérieures inappropriées à nous-mêmes (par exemple lorsqu’un mauvais professeur juge toute la classe d’incapable que les élèves acceptent cette étiquette alors qu’elle est fausse).

Cependant, dans le modèle théorique, ces biais sont tout aussi intéressants : par exemple en canal apathie, le fait de se sentir incompétent alors que la situation n’a pas de défi à relever est signe d’un problème d’estime de soi, de déprime ou de dépression. On se dénigre, car s’il n’y a rien à faire, c’est qu’on pourrait avoir la liberté de tout mettre en œuvre (à moins que l’environnement empêche de mettre en œuvre des choses, comme des interdits au travail par exemple). Finalement le modèle du flow, à partir des perceptions, des sentiments de l’individu, peut faire émerger les problèmes de la situation, et même si l’appellation des canaux est problématique, on arrive quand même avec toutes les variables à voir si une situation est bien conçue ou non (par exemple, on voit que l’école met trop de défis, trop de pression, pas assez d’interaction sociale, etc.). Mais ce qui m’a posé problème c’est l’interprétation interne allégeante qu’on pourrait en faire (les chercheurs n’en font pas) : on pourrait dire que c’est la faute des individus qui ne font pas d’efforts, et leur reprocher leur manque d’autotélisme. Pour cette raison j’ai reformulé les questions tout de façon le plus non allégeante que j’ai pu, mis le focus sur l’environnement social même pour des questions individuelles.

La non-allégéance est donc d’inclure dans les explications l’environnement social sans nier son pouvoir, ses responsabilités, ni d’oublier ceux de l’individu ; On en a parlé plus longuement dans ce dossier : https://www.hacking-social.com/2018/08/02/livre-pole-emploi-au-coeur-dun-formatage/

♦ Trop centré sur l’individu ? Comme dit précédemment, les chercheurs se sont centrés sur l’expérience subjective de l’individu pour étudier le flow qui est effectivement une expérience du sujet, et à partir de là on peut également déduire ce qui va bien ou mal dans les environnements de l’individu. J’ai pour ma part une vision encore plus environnementale du flow : il n’est possible individuellement de vivre l’expérience optimale que si l’environnement est sain. En cela, je pense que les questionnaires du flow devraient être encore plus tournés de façon non-allégeante pour donner davantage des indicateurs diagnostic de la situation. Ce n’est pas juste pour être non-allégeante, mais c’est parce que je pense que si l’on centre notre regard sur les situations, l’individu peut trouver plus de solutions positives à mettre directement en œuvre pour changer l’environnement. Alors que si on se centre juste sur son expérience, il aura plus tendance à se sentir coupable, fautif et possiblement s’autotyranniser, contrôler son ego, ce qui est paradoxalement anti-flow. Dans mes outils, j’ai tenté de reformuler tout en fonction de cette non allégeance (mais rappelez-vous que les auteurs n’étaient pas allégeants pour autant).

La suite : [F10] Évaluer son propre flow

Viciss Hackso Écrit par :

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3 Comments

  1. Asadar
    20 novembre 2018
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    Un grand merci pour ce très bon article, que j’attendais avec impatience.

    Je me permets quelques réflexions au point par point, bien que dans l’ensemble je sois parvenu aux mêmes conclusions lors de mes propres recherches sur le sujet.

    1. La motivation intrinsèque
    Le Flow est dirigé par des motivations intrinsèques, et en cela, la mesure de cette motivation devrait effectivement être le premier facteur déterminant.
    Cependant, il y a là une petite précision que je voudrais apporter car il existe deux aspects de la motivation très importants vis-à-vis d’une expérience : l’amorce (qui amène à l’expérience) et la persistance (qui pousse à poursuivre l’expérience jusqu’à son aboutissement ou son interruption). Nous avons tous vécu ces situations où « le plus dur c’est de s’y mettre » et cela témoigne selon moi de l’importance de cette distinction. Or la persistance dans l’expérience me semble également être une caractéristique importante du Flow (cette volonté intrinsèque de poursuivre, au moins « encore un peu »).
    Il est tout à fait possible qu’une même motivation soit à la fois l’amorce et la persistance. Par exemple si j’ai envie de jouer de la musique, et que le fait d’en jouer me donne encore plus envie de continuer à en jouer.
    Mais il est également possible que les deux soient distinctes : c’est un peu l’exemple de l’entretien Pôle Emploi (initialement subi), qui tourne bien (dont la persistance était positive et dépassait le cadre initial -imposé). Si l’on pousse l’exemple plus loin, on peut imaginer un jeu vidéo auquel vous ne voulez pas particulièrement jouer, mais les pressions de vos amis vous font céder (amorce externe). Rapidement, le jeu s’avère être en fait excellent, et vos motivations opèrent une mutation : vous oubliez les injonctions (extrinsèques) et les remplacez par vos propres envies (intrinsèques). Bref, vous « vous prenez au jeu ».
    Et c’est là que je veux en venir : une expérience de Flow est-elle possible si la seule motivation persistante est intrinsèque ? Donc est-il toujours possible de vivre une situation de Flow lors d’une expérience amorcée par des motivations initiales extrinsèques ?
    Je serais tenté de répondre que oui (mais ce n’est qu’une hypothèse).
    Retour à l’article, cela implique donc que la mesure de la motivation intrinsèque devrait non seulement être prioritaire, mais également centrée sur la motivation persistante, « pourquoi persister » (prolongation de l’expérience), car les questions trop vagues sur « l’envie de faire », « pourquoi le faire », tendent à ne faire aucune distinction entre amorce et persistance.

    2. La conscience de soi
    La question que je me pose ici ne porte pas tant sur la temporalité, comme justement souligné dans l’article, mais plutôt sur le repère : on demande aux gens s’ils avaient conscience de « leur image » pour désigner la conscience de leur ego (leur « moi ») vis-à-vis de leur environnement immédiat (réel et social). Ne devrait-on pas plutôt leur demander s’ils avaient conscience de cet environnement ? Car de fait, lorsque l’on oubli l’ego, on ne s’oublie pas « soi en entier », mais « le soi dans un environnement déterminé, et vis-à-vis de ce dernier ». Le « moi » ne disparaît pas entièrement dans le Flow, c’est uniquement tout ce qui est hors de l’activité qui disparaît. C’est au final un « moi » épuré, concentré, qui est investi dans le Flow, débarrassé des considérations parasites à l’activité.
    Le terme qui me vient alors est celui d’immersion (souvent rattaché à la concentration) : une personne immergé dans une activité concentre non seulement son attention, mais restreint également sa conscience d’elle-même à l’univers de l’activité (son espace réel ou virtuel, ses règles, sa crédibilité, etc.), et tend à oublier ou négliger tout ce qui est hors-activité. La question pourrait-elle être alors « L’activité vous paraissait-elle immersive ? ». J’avoue que j’ai un doute, mais cela me semble une piste de réflexion à creuser car la question s’oriente alors sur l’activité et non sur la personne, évitant ainsi l’orientation égocentrique soutenue par la question de la concentration ou de l’ego.

    3. Inclure le facteur de pleine conscience dans le canal
    La pleine conscience est un sujet qui me laisse toujours une interrogation : ne serait-ce pas une forme de Flow que l’on peine à identifier parce que nos mesures sont mal définis ou trop orientées ?
    Une expérience de pleine conscience réussie demande de la concentration, et même une forte immersion (pour reprendre ce qui était évoqué plus haut), possède des objectifs clairs et déterminés (même pour une activité spontanée, comme la contemplation totale, j’estime qu’il existe un besoin psychologique d’esthétisme, parfois lié au besoin de relation, que l’on cherche à satisfaire), s’effectue en autonomie (que ce soit seul ou à plusieurs, cela reste une activité volontaire, autonome), fournit un feed-back que l’on doit être compétent à repérer (c’est d’ailleurs un enjeu central de l’écoute de soi)… et demande un fort sentiment d’efficacité personnelle (soutenu par un état physiologique et émotionnel fort).
    Et c’est sur ce dernier point que je voudrais revenir : l’auto-efficacité, ou sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 2003), se place ici comme une alternative plus complète à la comparaison défi/compétence. Elles partagent cependant le même objectif à mon sens : mesurer la croyance d’un individu dans sa capacité à réaliser une tâche (bref son sentiment de maîtrise et de compétence sur l’activité). On parle bien ici de croyance, ce qui souligne bien que défi et compétence sont des notions subjectives, et non des mesures externes d’une performance réelle. L’intérêt que je vois dans l’auto-efficacité de Bandura, ce sont ses quatre sources complémentaires : la maîtrise personnelle (celle sur laquelle la théorie du Flow se concentre), l’apprentissage social (importance du contexte et de l’environnement, de l’externalité), la persuasion par autrui (STD – proximité sociale), et enfin l’état physiologique et émotionnel (qui à mon sens peut être aussi impactant que les 3 autres réunis et comble bien des lacunes de la théorie du Flow en admettant l’impact significatif que cela peut avoir sur le sentiment d’efficacité personnelle).
    En procédant sous cet angle, j’émets l’hypothèse selon laquelle des activités de pleine conscience apparaîtraient alors non plus comme des activités fortement éloignées du Flow, mais au contraire comme des activités proches du Flow, voire sources de Flow. Ce qui me semblerait somme toute plus proche du vécu réel que ce que laisse sous-entendre les tests actuels sur le Flow.

    4. L’autonomie plus que le contrôle
    Encore une fois, je suis tout à fait d’accord sur le fait que l’approche de l’autodétermination me semble plus pertinente, à ceci près que j’y ajouterais, comme vu précédemment, celle d’auto-efficacité. J’y viens plus en détail par la suite.

    5. Les relations sociales
    Je rejoins la conclusion apportée dans l’article : Le besoin de proximité social (Deci & Rian), ou l’apport social à l’auto-efficacité (Bandura), n’est pas un prérequis au Flow, mais peut en être un inhibiteur aussi bien qu’un impulseur.
    En cela, c’est un facteur difficile à intégrer sinon comme un indice un peu à part.

    6. Le Flow est la somme de ses caractéristiques
    Au final, je pense que le Flow peut être plus efficacement mesuré, non seulement en ajoutant la mesure de l’autonomie, mais également celle d’état physiologique et émotionnel (par exemple comme mesure de l’anxiété ontologique évoquée dans l’article).
    Au final les facteurs pour évaluer une situation de Flow seraient selon moi :
    * le sentiment personnel de compétence (« Besoin de Compétence » pour Deci & Rian ; « maîtrise personnelle » pour Bandura ; « Défis/Compétences » pour Csikszentmihalyi) – Comment estimiez-vous votre capacité à réaliser cette activité ? / Vous sentiez-vous capable de réaliser cette activité ?
    * la volition libre, ou la capacité à agir de façon volontaire et autonome (« Besoin d’Autonomie » pour Deci & Rian) – Pourquoi faisiez-vous cette activité ? Ou, si l’on reprend la question selon l’angle de la persistance : Pourquoi persistiez-vous dans cette activité ?
    * l’état physiologique et émotionnel (Bandura) – Comment vous sentiez-vous durant l’activité ?
    * la facilité à se concentrer (liée à la précédente, mais moins égocentrique, afin de distinguer si la difficulté de concentration est due à un facteur interne ou externe) – Etait-il facile de vous concentrer sur l’activité ?
    * la concentration – Etiez-vous concentré(e) sur l’activité ?
    * la distorsion du temps – Le temps semblait-il s’écouler de façon inhabituelle durant l’activité ?
    * la conscience de son environnement non lié à l’activité – Aviez-vous conscience de votre environnement et de votre entourage extérieurs à l’activité ? Ou encore : L’activité vous semblait-elle immersive ?
    * la qualité des feedbacks perçus – L’activité vous procurait-elle des retours d’expérience (feedbacks) satisfaisants ? / Saviez-vous lorsque vous faisiez bien ou mal quelque chose durant l’activité ?
    Et enfin un facteur optionnel (selon si l’activité est solitaire ou non):
    * l’environnement social favorable (« Besoin de Relation » pour Deci & Rian ; « persuasion par autrui et apprentissage social » pour Bandura) – Comment décririez-vous le contexte social de l’activité ?

    Bon, il y a encore sûrement beaucoup à dire et à réviser, mais ça commence à faire long alors je vais m’arrêter là et prendre un peu de recul.. ^^

    Et pour terminer, une toute petite remarque syntaxique :
    « Pour cette raison j’ai reformulé les questions tout de façon le plus non allégeante que j’ai pu, mis le focus sur l’environnement social même pour des questions individuelles. » – (Av. Image Norme d’allégeance) => « de la façon la moins allégeante », plutôt que « tout de façon la plus non allégeante » ?

  2. Marsouin
    21 novembre 2018
    Reply

    « Les personnes peuvent aussi ne pas voir les compétences sociales comme des compétences effectives et se dire compétentes dans une situation d’interaction, car effectivement elle savent très bien faire leur métier, mais n’ont pas conscience qu’elles ont des choses à apprendre sur l’échange. Je pense notamment aux statistiques sur les artisans dans l’étude sur les métiers : oui, ils excellent sûrement dans l’acte de création, mais le métier de vendeur est d’un autre genre de compétence, plus sociale, et c’est peut-être pour ce rôle qu’ils n’ont pas les outils pour vivre du flow ou pour lequel ils n’ont pas de passion.  »

    Un autre exemple pourrait être les enseignants-chercheurs (voire certains professeurs de collège/lycée) qui possède un fort niveau d’expertise dans leur domaine de spécialité mais qui, en général, ne sont pas très bon pour la pédagogie.

    Et encore une fois, super article.

    • Viciss Hackso
      7 janvier 2019
      Reply

      merci ! excellent exemple en effet, la pédagogie est une compétence à part.

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