Sommaire de l'article
Dans les recherches précédentes, de la théorie de la gestion de la terreur (qu’on a décrite ici), on apprenait que les personnes sous saillance de la mort étaient beaucoup plus sévères lorsque les normes sociales n’étaient pas respectées : l’estime de soi des individus est mise à mal à cause du rappel de la mort, alors ils tentent de regagner cette estime en s’accrochant rigidement aux normes sociales.
L’étude 3 va tester ce biais afin de voir si la pleine conscience protège ou non de commettre ce biais.
Cet article est la suite de :
- [TMT1] Quand avoir peur de penser à la mort rend ethnocentrique : la théorie de la gestion de la terreur
- [TMT2] La théorie de la gestion de la terreur, qu’est-ce que c’est ?
- [TMT3] Quand ne pas penser à la mort nous fait perdre l’esprit critique
- [TMT4] Le racisme est considéré moins grave lorsqu’il est perpétré par un blanc (et qu’on est blanc)…
Conseil : si vous avez la flemme de lire tout le dossier, mais que je voulais comprendre cette étude, l’article 2 peut suffire (ici : https://www.hacking-social.com/2018/01/29/tmt2-la-theorie-de-la-gestion-de-la-terreur-quest-ce-que-cest/ ) ; si vous ne comprenez pas le principe des corrélations, nous expliquons cela dans un paragraphe de l’article TMT3 (ici : https://www.hacking-social.com/2018/02/05/tmt3-quand-penser-a-la-mort-nous-fait-perdre-lesprit-critique/ ).
Ce dossier est disponible en PDF : https://www.hacking-social.com/wp-content/uploads/2018/07/la-pleine-conscience-de-la-mort-2.pdf
Étude 3
Il y avait pour cette étude un échantillon de 128 étudiants.
Étape 1
Il leur était soumis des questionnaires :
- un questionnaire de pleine conscience (toujours le MAAS, le test est accessible ici : https://ppc.sas.upenn.edu/resources/questionnaires-researchers/mindful-attention-awareness-scale ; et nous l’avons traduit ici)
- un questionnaire mesurant l’estime de soi
- un questionnaire mesurant le nationalisme des personnes
- un questionnaire d’attitude politique (mesurant sur une échelle allant du conservatisme au libéralisme, libéralisme étant à prendre ici au sens américain excluant le libéralisme économique, on a expliqué ici)
Étape 2
Les sujets étaient soit soumis à la condition de saillance de la mort (comme l’étude 1), soit à la condition contrôle (comme l’étude 2, sur la souffrance dentaire)
Étape 3
Les sujets étaient distraits soit par un questionnaire d’humeur, soit par des mots fléchés.
Étape 4
Les sujets devaient ensuite juger des transgressions sociales telles que celle-ci :
» Un médecin a mélangé les dossiers de deux patients ayant le même nom de famille et a amputé la jambe du mauvais patient. « C’est incroyable« , dit la patiente alors qu’elle regardait avec incrédulité l’espace vide sur son lit, où sa jambe gauche était supposée être. « Je suis venu pour une simple opération au genou et je me suis réveillé sans une jambe.« »
Après chaque vignette, on a demandé aux participants « Quelle est la gravité de ces actes répréhensibles ? » Les réponses ont été faites sur une échelle de 15 points allant de 1 (extrêmement mineur) à 15 (l’une des pires choses qu’une personne puisse faire). On a également demandé aux participants : « Dans quelle mesure l’auteur de ce méfait devrait-il être puni ? » Les réponses ont été faites sur une échelle de 15 points allant de 1 (aucune punition) à 15 (punition la plus sévère possible).
La condition contrôle
Rappel : pour mieux comprendre les corrélations, nous avons fait une explication plus simple dans cet article, sous « les corrélations, comment les lire ? » : https://www.hacking-social.com/2018/02/05/tmt3-quand-penser-a-la-mort-nous-fait-perdre-lesprit-critique/
Sans saillance de la mort, il n’y a pas de lien entre condamnation sévère d’une personne ne respectant pas les normes sociales et l’attitude politique (conservatisme), l’estime de soi et la pleine conscience. Il y a cependant un petit lien avec le nationalisme et la dureté du jugement : ce qui corrobore avec l’étude d’Adorno sur la personnalité autoritaire, où l’on apprenait qu’une caractéristique psychologique des potentiels fascistes était de condamner durement autrui (dans l’échelle F, puis ensuite confirmée par l’étude clinique)
En condition de saillance de la mort
Le nationalisme est toujours une caractéristique qui prédit que les gens jugeront sévèrement le non-respect des normes sociales ; on voit ici par contre que la pleine conscience est un facteur important pour ne pas subir l’effet de la saillance de la mort et se laisser entraîner dans un jugement plus sévère.
Les scores
Les scores du jugement des transgressions sociales sont ici standardisés (1 n’est pas égal à 1 sur l’échelle du questionnaire sur les échelles, mais représente un jugement fort négatif).
En condition de basse pleine conscience, on a 0,01 de jugement négatif pour la condition contrôle et 1 en saillance de la mort : il y a un fort effet de la saillance de la mort sur la dureté du jugement.
En condition de pleine conscience haute, on a -0,04 de jugement négatif pour la condition contrôle et -0,03 de jugement négatif en condition de saillance de la mort : la saillance de la mort n’a pas d’effet sur la dureté du jugement, la personne résiste aux biais.
Assez clairement cette étude montre qu’effectivement, les sujets sont atteints dans leur psychisme par la saillance de la mort, ce qui les rend plus sévères ; ce n’est pas le cas des pleinement conscients qui ne sont pas influencés par la saillance de la mort dans leur jugement d’une situation de transgression des normes sociales.
En résumé
Encore une fois, être pleinement conscient protège d’avoir un jugement plus sévère à cause d’une saillance de la mort. Les non-pleinement conscients sont soumis au biais et se révèlent beaucoup plus sévères avec la saillance de la mort. On remarque aussi que le nationalisme des personnes semble avoir un effet sur la dureté du jugement, ce qui corrobore avec les études sur la personnalité autoritaire.
Les chercheurs ont donc pour l’instant testé deux facettes de l’ethnocentrisme (rehausser l’endogroupe dans l’étude 1, protéger l’endogroupe et accuser l’exogroupe dans l’étude 2) et cette présente facette autoritaire (un jugement dur, ce qu’Adorno classe en « agressivité autoritaire » dans l’échelle F). Les pleinement conscients n’y sont pas perméables. La prochaine fois nous verrons une autre facette autoritaire qui est par exemple le souhait de dominer autrui, et nous essayerons de voir si cet aspect peut être provoqué par la saillance de la mort, et si les personnes pleinement conscientes y tombent également.
La suite : [TMT6] On souhaite être plus dominant lorsqu’on dénie sa mort
[…] [TMT5] On punit plus les autres lorsqu’on est moins conscient au quotidien […]