Sommaire de l'article
Si les personnes ont des biais après la saillance de la mort, c’est parce que, selon la théorie de la gestion de la terreur, ils « suppriment » les idées concernant de la mort, sans les avoir traitées, c’est-à-dire réfléchies consciemment et pour ainsi dire classées, comme lorsqu’on décide de la solution d’un problème. Si les pleinement conscients n’ont pas de biais, c’est donc qu’ils traitent la saillance de la mort, y font face, et décident d’adopter une posture, qui parfois et à l’opposé du biais (comme dans l’étude 5 et 4, où les personnes pleinement conscientes vont à l’inverse du biais, mettant à l’honneur des valeurs de bienveillance ou de connexion émotionnelle contre d’autres valeurs liées à la défense de l’égo). Cela a été déjà un peu vu, notamment avec plus de temps à écrire au sujet des saillances (que ce soit la mort ou la condition contrôle également pénible, la souffrance dentaire).
L’étude 7 va essayer de préciser cette non-suppression, en utilisant des tests cognitifs qui permettent de voir si l’idée de la mort est présente dans la conscience ou peu accessible, que ce soit chez les non-pleinement conscients que chez les pleinement conscients.
Cet article est la suite de :
- [TMT1] Quand avoir peur de penser à la mort rend ethnocentrique : la théorie de la gestion de la terreur
- [TMT2] La théorie de la gestion de la terreur, qu’est-ce que c’est ?
- [TMT3] Quand ne pas penser à la mort nous fait perdre l’esprit critique
- [TMT4] Le racisme est considéré moins grave lorsqu’il est perpétré par un blanc (et qu’on est blanc)…
- [TMT5] On punit plus les autres lorsqu’on est moins conscient au quotidien
- [TMT6] On souhaite être plus dominant lorsqu’on dénie sa mort
- [TMT7] Faire du sexe pour rehausser son égo : un effet de la saillance de la mort
- [TMT8] Et si le temps d’attention était la solution contre les biais ?
Conseil : si vous avez la flemme de lire tout le dossier, mais que vous voulez comprendre cette étude, l’article 2 peut suffire (ici : https://www.hacking-social.com/2018/01/29/tmt2-la-theorie-de-la-gestion-de-la-terreur-quest-ce-que-cest/ ) ; si vous ne comprenez pas le principe des corrélations, nous expliquons cela dans un paragraphe de l’article TMT3 (ici : https://www.hacking-social.com/2018/02/05/tmt3-quand-penser-a-la-mort-nous-fait-perdre-lesprit-critique/ ).
L’image d’en-tête représente un épisode de l’excellente série Black Mirror, San junipero, qui questionne la mort de façon magnifique (l’un des plus lumineux épisode de cette série) ; l’artiste qui a réalisé cette image se trouve ici : https://www.deviantart.com/art/San-Junipero-664113767
Ce dossier est disponible en PDF : https://www.hacking-social.com/wp-content/uploads/2018/07/la-pleine-conscience-de-la-mort-2.pdf
Étude 7
113 étudiants ont participé à cette étude.
Étape 1
Les personnes remplissaient certains questionnaires :
- un questionnaire de pleine conscience
- un questionnaire d’estime de soi
Étape 2
Ils étaient soumis à une saillance de la mort ou, dans la condition contrôle, à un sujet sur la télévision. Certains sujets étaient ensuite soumis à un test cognitif d’accessibilité des pensées de la mort : il s’agissait de 30 mots à trou tel que « BUR_ _D » ; lorsque la mort est présente à l’esprit, la personne va rapidement trouver « buried » (enterré) si la mort n’est pas très présente à son esprit, il peut trouver du vocabulaire plus lointain comme « burned » (brûlé). Cette condition est nommée « pré-delai ».
Étape 3
C’est le temps de distraction, dans cette étude on faisait remplir un questionnaire d’humeur. Certains sujets étaient soumis ensuite au test cognitif d’accessibilité des pensées de la mort, c’est la condition « post-délai ».
La condition contrôle et de saillance
On leur posait des questions sur le thème de la télévision, puis en condition pré-délai, on leur faisait passé le test pour savoir s’ils avaient la mort à l’esprit :
On voit ci-dessus qu’il n’y a pas de lien entre pleine conscience ou estime de soi et la présence de la mort à l’esprit. S’estimer ou être pleinement conscient ne met pas la mort en tête après avoir pensé à la télévision, ce qui semble parfaitement logique.
Lorsqu’on leur fait passer le test après la distraction – mais toujours dans la condition saillance de la télévision – il n’y a toujours pas de liens entre présence de la mort à l’esprit et pleine conscience ou estime de soi :
Ci-dessus, les chercheurs ont cherché à savoir si juste après avoir pensé à la mort, les personnes avaient la mort à l’esprit : il y a plus de liens entre cette présence à l’esprit de la mort et pleine conscience, ce qui ne semble pas être le cas avec la caractéristique estime de soi. Autrement dit, on peut prédire que les pleinement conscients penseront à la mort juste après la saillance de la mort, il n’y a pas de déni.
Après la saillance de la mort, après la distraction, on voit ci-dessus que les pleinement conscients ne pensent plus à la mort, ils ont traité cette question avant, possible qu’ils soient concentrés à présent, et pleinement, sur la tâche de distraction.
Mais les scores sont plus parlant quant à ce qui se passe vraiment chez les pleinement conscients et ceux qui ne le sont pas.
Scores
Les pensées de la mort sont plus accessibles pour les pleinement conscients lors de la période pré-délai (c’est-à-dire juste après la saillance de la mort) et peu lors de la période post-délai ; c’est le contraire pour les moins pleinement conscients qui ont l’idée de la mort plus accessible à leur pensée après la période de distraction et peu accessible juste après la saillance de la mort. Les conditions contrôle, que ce soit pour les pleinement conscients et les autres, sont relativement similaires et sans changement, ce qui est logique, car la saillance en contrôle concerne le thème de la télévision, pas forcément connecté avec le vocabulaire de la mort.
Il se passe dans le mental des personnes pleinement conscientes VS non pleinement conscient un travail apparemment inverse face à la saillance de la mort : dans les études précédentes Greenberg et al. (1994) découvraient que les pensées de la mort étaient faiblement accessibles chez les personnes, ce qui est confirmé dans cette étude, avec les non pleinement conscients : la logique voudrait que lorsque l’on travaille sur un sujet, les mots de ce travail soient accessibles à la conscience ; or si ce n’est pas le cas ici, c’est qu’il y a une défense pour supprimer le thème de la mort de l’attention, confirmée par les résultats de la faible accessibilité des mots chez les non-pleinement conscients. C’est le contraire chez les pleinement conscients qui au contraire, ont en tête le thème de la mort, trouvant les mots rapidement après la saillance. Ils ne suppriment pas le thème de leur pensée à ce moment-là.
En post-délai, les pleinement conscients n’ont plus aussi efficacement le thème de la mort en tête. On peut donc en conclure que soit le thème a été traité et « classé » précédemment pour se concentrer sur l’activité de distraction, soit que le déni de la mort est peut-être arrivé plus tard. Chez les non pleinement conscients, la mort est présente en retard, après la distraction ; selon Greenberg, c’est parce qu’on ne peut pas supprimer, denier des pensées indéfiniment, elles reviennent sous d’autres formes dans le champ de la conscience (c’est pour cela que l’individu fait des biais, par défense contre le retour de la mort dans sa conscience) ce qui serait confirmé par les résultats trouvés dans cette étude 7.
« Dans la condition saillance de la mort / pré-délai, les personnes pleinement conscientes ont signalé une accessibilité plus élevée à la pensée de la mort, suggérant une défense proximale plus basse (moins de suppression de la mort)
immédiatement après la saillance de la mort, tandis que dans la condition de saillance de la mort / postdélai, les personnes pleinement conscientes ont signalé une accessibilité moindre à la mort. Nous interprétons cette dernière conclusion comme une preuve que les pensées de mort ont été correctement traitées. Cependant, il est
aussi possible que cette constatation reflète la suppression retardée des pensées de mort parmi ceux plus conscients. Des recherches futures sont nécessaires pour examiner cette possibilité. »« Being Present in the Face of Existential Threat: The Role of Trait Mindfulness in Reducing Defensive Responses to Mortality Salience » Christopher P. Niemiec, Kirk Warren Brown, Todd B. Kashdan, Philip J. Cozzolino, William E. Breen, Chantal Levesque-Bristol, Richard M. Ryan Journal of Personality and Social Psychology 2010
En résumé
- Les non-pleinement conscients ne veulent pas penser à la mort lorsqu’on leur demande d’y penser : ils dénient la mort, tentent de supprimer ce sujet de leur conscience (ce qui est confirmé par l’absence de vocabulaire de la mort à leur esprit après la saillance de la mort, c’est-à-dire en condition pré-délai).
- Cependant, ils n’arrivent pas à supprimer ce thème de la mort, qui revient sous une certaine forme en leur conscience en un moment inapproprié (lors de la distraction). Ce qui est confirmé par la présence du vocabulaire de la mort en condition post-délai.
- Les pleinement conscients acceptent de penser à la mort lors de la saillance de la mort, ce qui est confirmé par la présence de vocabulaire sur ce thème en condition pré-délai
- Lors de la distraction, les thèmes de la mort ne sont plus présents à l’esprit des pleinement conscients : soit c’est parce qu’ils ont traité cette question lors de la saillance de la mort et se concentrent à présent sur la distraction ; soit ils dénient « en retard ». Cependant cette dernière hypothèse est assez caduque au vu des autres études qui montrent qu’il n’y a pas d’influence de la saillance de la mort sur les biais, montrant qu’effectivement ils traitent avant cette question, donc elle n’a pas d’influence sur leur jugement futur.
La prochaine fois, nous détaillerons la conclusion des chercheurs, incluant toutes les critiques de ces 7 études !
hey il va y avoir un documentaire sur l’influence du pouvoir sur le cerveau qui va bientot sortir le dimanche 8/04 sur LCP et Public Sénat j’aimerai savoir si vous allez traitez de ce sujet un jour ?(le doc s’appelle »Le pouvoir nuit-il gravement au cerveau ? » et est fait par Hélène Risser)
Ah merci pour l’info ! On a parlé un peu de l’influence du pouvoir sur les comportements ici : https://www.hacking-social.com/2014/06/02/et-toi-tu-serais-comment-si-tu-avais-du-pouvoir/