Sommaire de l'article
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- « En quoi ce tout petit échantillon peut être représentatif de quoi que ce soit ? »
- « La description des hauts scores est stéréotypée »
- « On dirait que selon les chercheurs, il est impossible de se sortir des traumatismes de l’enfance, que les parents sont tout puissants sur la formation psychique des enfants »
- « Cette étude n’a rien à voir avec notre époque, maintenant les punitions sont moins violentes, les femmes ont plus de droits, il y a plus de mixité, etc. En quoi ça pourrait nous informer de quoi que ce soit sur notre époque ? »
- « Comment être certain que tout ceci n’est pas un vaste biais de confirmation pour valoriser le groupe bas score contre le groupe haut score »
- « C’est trop freudien »
- « Ça ne sert à rien de rentrer si profondément en eux, on ne peut pas changer leur enfance ni guérir leurs traumatismes »
- La suite : [F13] Pseudo-intellectuel, narcissique, « non-manipulable » et pourtant crédule… Est-ce là le nouveau facho ?
Aujourd’hui, nous passons en revue toutes les critiques de l’étude clinique (de F7 à F11) sur la personnalité autoritaire.
- Ce dossier est également disponible en intégralité en PDF : https://www.hacking-social.com/wp-content/uploads/2017/07/espece-de-facho-etude-personnalite-autoritaire-hackso.pdf
- Voici tous les chapitres qui composent le dossier :
- F1] Espèce de facho ! Études sur la personnalité autoritaire
- [F2] « La menace juive… » L’antisémitisme ou la peur de la contamination
- [F3] « Nous forts et bons, eux faibles et mauvais ! » : l’ethnocentrisme
- [F4] Libéralisme ou conservatisme… une histoire d’ignorance et de confusion
- [F5] Anti-faible, agressif, intolérant et soumis : la personnalité autoritaire, potentiellement fasciste
- [F6] Le facho est-il celui qui traite de facho ? Critiques de l’échelle F
- [F7] Une famille au fonctionnement totalitaire
- [F8] « Moi ! » Comment le potentiel fasciste et l’antifasciste se considèrent-t-ils ?
- [F9] Personnalité fasciste et sexe : la recherche du stéréotype plutôt que de l’amour
- [F10] L’enfer, c’est les autres
- [F11] Les syndromes fascistes
- [F12] Critiques II : Peut-on vraiment s’appuyer sur les études d’Adorno pour comprendre le fascisme d’aujourd’hui ?
- [F13] Pseudo-intellectuel, narcissique, « non-manipulable » et pourtant crédule… Est-ce là le nouveau facho ?
- [F14] Neutralisation, transformation et prévention des racines du fascisme.
- Nous l’avons aussi traité dans ces deux vidéos :
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On peut émettre de très nombreuses critiques à l’égard de cette phase de l’étude. C’est à ce point que nous avons hésité longuement à ne rapporter que la partie psychologie sociale, c’est-à-dire toute l’aventure jusqu’à l’échelle F. Celle-ci est particulièrement solide, que ce soit en nombre de personnes testées, sa construction soignée, sa validité à travers le temps (on en a parlé ici). Il est impossible de dire la même chose pour les entretiens, la question même d’en faire des statistiques – bien qu’il y ait eu des comptes – me semble sujette à trop de biais. Clairement, la partie entretien ne « prouve » rien, elle ne donne pas une « vérité », elle n’offre aucune certitude. Faut-il pour autant l’ignorer ? Non à mon sens, car elle étaye les tendances du haut score de l’époque, donne des éléments à la compréhension de cette psychologie singulière, met en lumière des causes et conséquences qui, sans ces entretiens, auraient manqué de finesse, auraient été un jugement implacable. Ces entretiens rendent de la complexité à la vie de ces personnes, là où l’échelle F nous montrait des individus peut-être trop stéréotypés, bien que ces résultats soient scientifiquement plus solides.
Malgré les découvertes des entretiens, qu’on peut lister, on ne peut pas les prendre comme le bingo psychique du haut score et le tendre comme l’unique recette du haut score. Et au fond, ce n’est pas un mal, cette incertitude. Au contraire, il me semble que cette seconde partie de l’étude s’oppose aux certitudes de celui qui voudrait partir à la chasse au haut score, le considérant comme un individu problématique. Cette partie nous rappelle la complexité des vies, ces terribles nœuds que certains arrivent à défaire de façon étonnante sans qu’on saisisse vraiment le facteur qui permis une telle prouesse et que d’autres renforcent, légitiment et qui deviennent leur personnalité, leur façon de vivre, leur forteresse.
J’y vois là un rapprochement entre fumeurs et haut score [je suis fumeuse] : aujourd’hui les instituts de prévention, de santé, etc., pour baisser le nombre de fumeurs, lui font la morale en prenant pour base un bingo des saloperies que cause la cigarette. Par exemple, ils disent aux fumeurs sur les paquets « tu vas devenir aveugle si tu continues ». Et le non-fumeur peu compréhensif va vous faire des reproches tels que « t’es stupide, la cigarette ça fait ceci et cela et tu continues, tu veux crever, avoir un sale teint, c’est ça ? T’es con ».
C’est ce qui ce qui se passe avec les hauts scores, on les accuse de stupidité, d’être soumis à la hiérarchie, d’être allégeant en société, de se faire avoir par toutes les infaux qui passent, de se croire forts et supérieurs alors que leurs propos ne font que crier une insécurité mentale dominée par les émotions.
On ne comprend là ni les fumeurs ni les hauts scores et en conséquence, on va les accuser, les pousser à la réactance, à renforcer le comportement qu’on accuse. Les campagnes de prévention contre la cigarette me donnent immédiatement envie de fumer par exemple, c’est l’exemple même de la réactance.
Il me semble que lorsqu’un comportement pose problème – par exemple le fait que les fumeurs se tuent à fumer et que le haut score peut être parfaitement insupportable en milieu social à cause de son extrapunitivité ; il s’agit de comprendre pourquoi la personne le réalise, pourquoi la personne a besoin de ce comportement, quels sont les avantages qu’elle en retire. Pour la cigarette, peu de non-fumeurs accusateurs ont conscience du besoin psychique que c’est, ils ne se rendent pas compte qu’à choisir, le fumeur préfère subir le manque de nourriture plutôt que le manque de cigarettes tant c’est un besoin fort. Ils ne se rendent pas compte que la clope est une béquille qui organise la vie dans le temps, une façon de gérer, d’organiser sa vie, qu’elle est un soulagement, une récompense contrôlée, qu’elle est utilisée comme un palliatif à tout un tas de choses et qu’ainsi, l’addiction est comme un mode de vie, supprimez-le sans prendre des mesures avant et il y a un effondrement du corps et de l’esprit.
Il me semble qu’il pourrait en être de même pour les hauts scores : s’il existait un moyen de les empêcher de se comporter tel qu’ils se comportent, ils s’effondreraient, parce qu’ils ont besoin de ces comportements, c’est ce qui leur apporte une vie sécurisée mentalement.
Alors voilà, ces entretiens ils ont permis à mon sens d’apporter de la complexité au sujet et de ne pas se cantonner à des explications rigides et par là même erronées. Tout comme il peut être vrai de dire « un fumeur retire le même plaisir qu’une personne ayant tendance à grignoter » l’appliquer à tous serait erroné ; il en va de même pour ce qu’on a vu précédemment, certains hauts scores ne voient que les relations sociales qu’en hiérarchie autoritaire parce qu’il n’ont connu que ça enfant et n’ont pas les moyens psychiques de remettre en cause ces modèles, mais ils ne sont pas tous ainsi. C’est juste une possibilité qui peut s’avérer vraie pour certaines personnes, mais fausse pour d’autres. Les informations découvertes par ces entretiens sont des pistes, certainement pas la recette du haut score par défaut.
Voilà pourquoi j’ai abordé cette partie clinique, parce qu’elle donne des pistes de compréhension, parce qu’elle nous remet sur le chemin de la complexité de l’être humain, et qu’appréhender cette complexité est la seule façon de mieux penser des solutions. Sans quoi on s’en tiendrait à un « arretez avec vos stéréotypes c’est parfaitement con » qui va les faire renforcer leur idée que le monde est une jungle dans laquelle ils doivent se battre.
Ceci étant dit, oui évidemment, elle a des défauts cette étude.
« En quoi ce tout petit échantillon peut être représentatif de quoi que ce soit ? »
En effet, si on prend juste l’échantillon des hauts scores, on se rend compte qu’il est tout petit, en plus ce sont les hommes hauts scores qui rentrent surtout dans tous les traits de la personnalité autoritaire, les femmes ayant un profil moins homogène. L’échantillon ne comporte que des extrêmes, que ce soit en bas et haut score, et même sur des facteurs extrêmement fort en termes de déterminations, on se rend compte qu’ils peuvent produire tout et leur contraire. Par exemple sur l’enfance, les hauts scores ont tendance à avoir été très maltraités, violentés et non aimés de façon authentique, mais beaucoup d’entre eux semblent avoir eu une enfance convenable. Certains ont même été chouchoutés et deviennent pour autant des hauts scores extrêmes. Des bas scores ont vécu des traumatismes terribles, je pense à une jeune femme frappée continuellement par son père qui en plus a été enlevée par une personne noire enfant, on aurait pu imaginer qu’elle développe une peur des personnes noires et qu’elle devienne autoritaire, or c’est absolument tout l’inverse qui s’est passé. Elle n’a pas fait d’une généralité son traumatisme, a pris conscience du comportement odieux de son père et fait tout pour ne pas devenir comme lui.
Oui, l’échantillon n’est pas représentatif et je dirais même qu’il ne rend pas compte de ces profils qui se sont sortis des déterminations de leur environnement, c’est-à-dire en devenant autoritaires alors qu’ils n’ont pas subi l’autorité injuste, ou devenant non-autoritaires alors qu’ils ont subi cela. Clairement, je pense que ces sujets auraient dû mériter une grande investigation, car il y a des facteurs qui échappent à la compréhension et ces facteurs qui les ont faits devenir différents auraient été passionnants à examiner.
Mais avoir cette somme de facteurs, quand bien même elle n’est pas représentative, pas généralisable, c’est néanmoins très riche d’interrogations. Je pense à la partie « les autres » par exemple, qui met en lumière la méfiance massive des hauts scores à l’égard d’autrui, cela permet de prédire les comportements de ceux-ci et donc aussi de s’y préparer : avant de pouvoir lui parler, et bien il va falloir gagner sa confiance et cela est un défi, c’est normal de se prendre des regards de travers de sa part en premier lieu, il n’y a pas à s’en culpabiliser. Le chemin vers une vraie discussion où chacun s’écoute sera en premier lieu très long. Les données de cette étude permettent de s’y préparer. Repérer rapidement l’autoritaire permet aussi de l’éloigner de postes où il serait une nuisance, un frein au développement d’autrui : je pense à l’éducation par exemple, et tous les domaines liés au social, ou tout ce qui nécessite des interactions nécessitant des compétences relationnelles, diplomatiques (je pense à la police).
« La description des hauts scores est stéréotypée »
On peut percevoir dans cette somme d’informations trouvée chez les hauts scores un mode d’emploi du haut score, une somme de lois qui le régissent. Il me semble essentiel de ne pas considérer cela comme des preuves, une vérité quelconque, mais comme des pistes, sans quoi on peut devenir moraliste, dogmatique et extrapunitif. Il en va de même pour les bas scores : quand bien même leur portrait donne parfois l’impression que c’est le chemin idéal, ce n’est pas le cas, il faut se rappeler qu’il a été très difficile de faire rentrer dans des cases les bas scores et que l’étude n’était pas centrée sur eux, mais sur leurs différences avec les hauts scores. Comme c’est leur différence qui importait dans l’étude, forcément ce sont les traits enviables qui sont ressortis, comme la conscience, la possibilité d’entrer en conflit avec les parents et de digérer les crises pour que tous en tirent une nouvelle force, de nouvelles voies. Il n’y a pas à se vanter d’être bas score, ni en retirer une gloire quelconque, sachant que beaucoup d’entre eux présentent des traits de rigidité mentale, de dogmatisme, et aussi beaucoup de souffrance, cela ne peut pas être considéré comme un stéréotype de l’idéal.
« On dirait que selon les chercheurs, il est impossible de se sortir des traumatismes de l’enfance, que les parents sont tout puissants sur la formation psychique des enfants »
Oui en effet, dans l’étude on a cette impression que les parents – quand bien même ce serait à cause de problèmes socioéconomiques – ont une toute-puissance nocive ou bienfaitrice sur l’enfant. C’est une critique qu’on pourrait faire à la psychologie clinique, surtout lorsqu’elle se base trop (à mon sens) sur la psychanalyse.
Dans l’étude, les explications, les interprétations sont basées sur la psychanalyse freudienne et c’est bien là le gros problème selon moi, car celle-ci ne voit pas assez les traumatismes arrivant après l’enfance, ne voit pas la puissance des conditionnements sociaux (au travail par exemple), ni la façon dont les individus peuvent se déformer sous la pression sociale pour réussir leur vie dans la société quand bien même leur éducation aurait accusé cette déformation.
C’est un problème, mais les données récoltées par les chercheurs s’opposent justement à cette interprétation qui voudrait que tout soit joué durant l’enfance : oui, les traumatismes et l’éducation reçus enfant peuvent être déterminants, mais d’autres événements, les potentiels de la personne ou encore l’environnement de la personne peuvent tout renverser, pour le meilleur et pour le pire.
Et c’est là la grande frustration que cause cette étude : en se centrant sur l’enfance, les chercheurs sont passés à mon sens à côté des formatages sociaux, des événements sociaux déterminants qui auraient pu nous expliquer comment, malgré un environnement haut score un individu rejette tout ethnocentrisme et inversement, comment malgré un environnement riche d’affection, d’ouverture au monde et bienveillant, un individu se met à adhérer au fascisme, tant d’un point de vue psychologique que politique.
« Cette étude n’a rien à voir avec notre époque, maintenant les punitions sont moins violentes, les femmes ont plus de droits, il y a plus de mixité, etc. En quoi ça pourrait nous informer de quoi que ce soit sur notre époque ? »
Oui, il s’est passé plus de soixante ans depuis cette étude, beaucoup de choses ont changé, que ce soit le traitement des enfants, les droits des femmes, les droits des homosexuels, les droits des minorités, les luttes contre la discrimination, etc. Les conventions ne sont plus les mêmes en « surface ».
Comme beaucoup de mes congénères bas scores, il me semblait par exemple qu’autoriser le mariage homosexuel ne serait qu’une formalité, c’est-à-dire que cela passerait sans encombre, puisque les mentalités n’étaient plus les mêmes. J’ai été véritablement choquée de la manif pour tous, des propos qu’on y a entendus, des propos que je ne concevais pas encore possibles à notre époque. La non-homophobie que j’avais perçue avant cet événement n’était qu’une surface, une façade, au fond il y avait toujours ce jugement de l’homosexualité, il y avait toujours ces représentations d’ « anormalité » ou de « perversion » dans la population. J’en étais véritablement effarée et dégoûtée , autrement dit je m’étais laissée avoir par cette surface qui paraissait à peu près tolérante, alors qu’au fond, non.
Si je parle de cette anecdote où l’on pourrait me taxer de naïve, c’est pour montrer que selon le milieu où l’on vit, son environnement, on peut croire que des conventions ont changées, surtout lorsqu’on n’est pas touché directement par la discrimination : on ne prend pas conscience que des personnes ont telle ou telle vieille convention, parce qu’elles affichent une façade moderne, et que sa réalité est en fait tout autre. Cette réalité est cachée, elle ne se fait voir que lorsqu’on est la cible d’une discrimination, ou lorsqu’on assiste à un événement particulier. Je pense par exemple à la maltraitance des enfants : ayant eu la chance de ne jamais être frappée pour quoi que ce soit, j’ai pensé pendant longtemps que les enfants même frappés ne l’étaient qu’exceptionnellement et « doucement », que les violences fortes étaient rares. Cette croyance s’est dramatiquement effondrée lorsque j’ai vu à l’école des élèves se cacher dans les vestiaires pour que les autres ne voient pas les bleus dont ils étaient recouverts à cause de leurs parents. Puis plus tard, même en public, dans les supermarchés, au restaurant, etc., j’ai été tétanisée de voir la violence que certains parents infligent à leur enfant de façon totalement arbitraire.
Les conventions changent oui, mais en surface. En 2017, oui, il n’est pas dans la norme de dire en public que les gamins doivent être éduqués à coup de poing par exemple. Mais en privé, ces pratiques existent encore, le changement de convention pour certains c’est juste « il ne faut pas crier ça sur tous les toits » ou « on n’a plus le droit de dire que ça c’est une bonne/mauvaise chose, on « muselle » ma parole » pour les plus hauts scores.
Bien sûr, les conventions changent en profondeur dans certains environnements, heureusement, mais pas du tout dans d’autres. Qu’importe les lois et ce que dit l’État, dans les foyers, le secret est total. Les violences en général sont cachées, qu’elles soient physiques ou mentales, il est très difficile de s’en rendre compte et lorsqu’on a la chance de ne pas la connaître, oui on peut avoir du mal à en prendre conscience.
« Comment être certain que tout ceci n’est pas un vaste biais de confirmation pour valoriser le groupe bas score contre le groupe haut score »
Explication du biais de confirmation :
On ne peut être certain de rien à mon sens, mais de là à dire que toute l’étude serait un biais de confirmation est exagéré. Il y a des signes qui montrent que toutes les précautions ont été prises pour éviter tout biais :
- Dans la méthodologie : les hauts scores étaient libres de parler le temps qu’ils le souhaitaient et de la façon dont ils souhaitaient. Le guide d’entretien des thèmes à aborder était le même que pour les bas scores et les questions n’étaient pas des questions pièges, mais au contraire des questions les plus « vides » possible d’orientation. Le seul traitement différent envers les hauts scores était que leur intervieweur était blanc, du même sexe qu’eux, et avec un nom sans consonance juive.
- Concernant la « catégorisation » que l’on voit dans les tableaux, elle a été faite par d’autres psychologues que ceux des entretiens (pour éviter des biais de jugement liés à la rencontre elle-même), qui ont agi seuls chacun de leur côté avant de rassembler ce qu’ils avaient trouvé (qui coïncidait).
- On voit également que toutes les hypothèses sur les hauts scores n’ont pas été vérifiées ; par exemple « le culte du héros » n’est pas présent dans leurs discours.
- Il n’y a strictement aucun indice dans les entretiens qui montre une orientation des discours, un jugement ou un comportement de l’intervieweur ayant « poussé » les sujets : ils sont d’une neutralité impressionnante et d’excellents psychologues, on le voit lorsqu’ils continuent de poser des questions dans le thème pour « bien comprendre » alors que le sujet dit des horreurs sur les minorités et vante Hitler.
- Le compte dans les catégories pourrait être plus critiquable en effet – mais ce n’est nullement vérifiable, nous n’avons pas l’intégralité des entretiens. Il faut considérer ce compte non comme une preuve, mais comme un indice général des tendances chez les hauts scores ou bas scores.
« C’est trop freudien »
C’est la critique avec laquelle je suis le plus en accord. Dans ma retranscription de cette étude, j’ai essayé de rapporter avec exactitude les propos des chercheurs tout en l’expliquant de la façon la plus claire possible, mais je n’ai pas traité l’intégralité de l’étude, voici les chapitres que je n’ai pas reporté :
- Les tests projectifs : Chapter 14: The Thematic Appreciation Test in the Study of Prejudiced and Unprejudiced Individuals. The Authoritarian Personality, Studies in Prejudice Series, Volume 1. (1950)
- L’organisation dynamique de la personnalité : Chapter 12: Dynamic and Cognitive Personality Organization as Seen Through Interviews. The Authoritarian Personality, Studies in Prejudice Series, Volume 1. (1950)
- L’étude sur les prisonniers : Chapter 21: Criminality and Antidemocratic Trends: A Study of Prison Inmates. The Authoritarian Personality, Studies in Prejudice Series, Volume 1. (1950)
- L’étude sur les internés en hôpital psychiatrique :Chapter 22: Psychological Ill Health in Relation to Potential Fascism: A Study of Psychiatric Clinic Patients. The Authoritarian Personality, Studies in Prejudice Series, Volume 1. (1950)
Je ne les ai pas reportés pour des raisons pragmatiques de synthèse (y étaient trouvées les mêmes variables que décrites ailleurs, notamment pour les tests projectifs qui confirment les problématiques de l’enfance), mais aussi parce que les interprétations de ce qui avait été découvert étaient trop psychanalytiques (chapitre sur l’organisation dynamique de la personnalité), au point de passer à côté des mécanismes sociaux plus évidents à mon sens, comme la soumission beaucoup plus grande à la pression sociale chez les hauts scores que les bas scores.
La psychanalyse freudienne pose un gros problème pour la question des genres, qui est stéréotypée (l’homme « actif », la femme « passive ») malgré l’acceptation qu’un homme ait une part de féminin et inversement, cela reste une conception des différents sexes imbibée de stéréotypes, c’est à mon sens un certain paradoxe que d’analyser des personnes à préjugés sous l’angle de théories n’ayant pas fait une croix sur les stéréotypes, même pour des raisons symboliques.
Globalement, ce qui me pose problème, c’est l’absence d’interprétation sous l’angle psychosocial, que l’appel à l’interprétation par la psychanalyse a masqué et qui, en dernier lieu, donne des constats assez désespérants dans le sens où les leviers qui permettraient de faire évoluer les hauts scores sont dans des domaines où il est quasi impossible d’intervenir, comme la famille. Heureusement, quand bien même les chercheurs se sont appuyés sur les théories freudiennes dans leurs interprétations, rien n’empêche d’y chercher d’autres interprétations et donc d’autres solutions.
Le plus gros biais psychanalytique est à mon sens dans la typologie des syndromes : on apprend des choses intéressantes sur des profils plus paranoïaques que d’autres, des rigidités plus ou moins profondes, mais c’est un outil que je n’utiliserais pas personnellement, ni pour en tirer des solutions ni pour en jauger des problématiques (excepté peut-être pour le ressentiment de surface ou le conventionnalisme qui sont assez parlant). On parlait de biais de confirmation tout à l’heure, je parlerais ici de biais de « désespoir » ; j’ai l’impression qu’Adorno et ses collaborateurs ont été tant usés d’écouter ces hauts scores qu’ils se sont auto-convaincu qu’il n’y avait rien à faire et donc n’ont pas vu au-delà. Les hauts scores ont aussi cette façon d’aborder les problèmes comme désespérante, il suffit de plonger dans un livre fasciste d’aujourd’hui pour en prendre la mesure : tout ce qu’il reste de ces lectures, c’est un sentiment d’impuissance, de la colère, de la haine, etc. Qu’on soit d’accord ou non avec ce fascisme, ces personnes ont cette capacité de tuer l’espoir, l’ouverture d’esprit. Autrement dit, j’ai le sentiment qu’ils se sont fait avoir dans cette ambiance de mort que diffusent les hauts scores, non volontairement, mais parce que c’est la mécanique même des conflits mentaux que de se défendre contre tout ce qui pourrait aider à les régler. Mais ces considérations me sont tout à fait personnelles et cela n’enlève strictement rien à toutes les informations trouvées par les chercheurs : on peut travailler à l’interprétation de celles-ci différemment ou encore y voir des indices ou le « hack social » est possible.
« Ça ne sert à rien de rentrer si profondément en eux, on ne peut pas changer leur enfance ni guérir leurs traumatismes »
Comme dit au-dessus, ce qui ressort des « que faire » des chercheurs est particulièrement déprimant : la mixité sociale ne servirait à rien parce que les hauts scores ne tiennent pas compte de leurs expériences personnelles ; l’éducation ne sert à rien parce qu’elle ne développe aucun élan de motivation intrinsèque (caractéristique importante des bas scores qui vont d’eux-mêmes, juste par curiosité personnelle ou pour comprendre des phénomènes de société, chercher la connaissance dans les livres ou en parlant avec des inconnus par exemple) ; le développement de l’autonomie mentale semble vraisemblablement impossible tant qu’il n’y a pas au moins un parent qui la permet ; etc.
Plus de 60ans se sont écoulés depuis cette recherche et là, c’est un avantage : la psychologie sociale a prouvé que les comportements pouvaient être changés, la psychologie positive a montré qu’on pouvait changer les croyances qui bloquent les comportements positifs, que l’individu peut se développer psychiquement quand on arrive à être un bon facilitateur de changement. Plus globalement, les changements de société, le champ d’exercice, de test, sont agrandis (internet…) et donc nous permettent d’observer cette recherche avec d’autres horizons possibles. La simple distance temporelle peut nous faire voir d’autres choses possibles et le temps n’a pas beaucoup changé les hauts scores : ils ont certes plus de terrains d’expressions possibles, des styles forts différents et des préjugés différents, mais si on creuse un tout petit peu, on voit les mêmes mécanismes à l’œuvre.
Alors oui, en effet, il est quasi impossible d’intervenir dans les familles pour éviter les violences ou les traumatismes. À moins d’être un voisin, un instituteur, un proche très attentif et de faire appel aux institutions de protection de l’enfance. Mais parfois, c’est un totalitarisme sans violence physique ni vraiment mentale, c’est une culture de l’autorité ou encore une culture de l’enfant roi (exacerbant un narcissisme, voire des traits de triade noire n’en donnant strictement aucune limite ou en considérant l’enfant comme un demi-dieu qui a le droit d’avoir tout y compris la vie du chat, par exemple) qui pousse l’enfant à devenir haut score. Et là, les institutions n’y peuvent rien. Mais les environnements que fréquente l’enfant peuvent contrer ça, s’ils interviennent rapidement ; je ne responsabilise pas là uniquement les professeurs ou maîtres, parce que l’individu tout seul s’il peut certes accomplir beaucoup de choses, dans ce cas là, il a besoin que l’environnement soit congruent avec ces volontés d’enseignement et qu’elles soient non empêchées d’exercer.
Ce sont ces questions d’environnement que nous allons voir bien plus tard (ou que nous avons déjà vu). Parce que l’enfant n’est pas que la « création » des parents, il se forme dans les environnements qu’il fréquente qui sont tout aussi déterminants que les parents. Et il en va de même pour les adultes, on s’adapte aux environnements, on s’y formate pour le meilleur et le pire, c’est donc là qu’on peut voir des « que faire » assez productifs à mon sens.
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