⬛ [F13] Pseudo-intellectuel, narcissique, « non-manipulable » et pourtant crédule… Est-ce là le nouveau facho ?

Il est l’heure de synthétiser toutes les infos fournies par l’étude, et elles sont nombreuses : entre les signes d’ethnocentrisme, de préjugé à la surface, les traits de personnalité, les indicateurs informant sur la structure psychique, les déterminants de la personnalité et de la structure psychique, les conséquences sur la sociabilité, il y a de quoi faire. On passera un long moment à voir ce qui pourrait avoir changer dans ce portrait.

 

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Comment résumer cette foule d’information et rendre compte des interactions ? Cela a été une longue préoccupation pour nous et nous avons dû faire des choix qui ne sont pas parfaits à nos yeux. Notamment en tirant un trait sur la représentation des interactions, ce qui est fort dommage, mais qu’on peut rapidement pallier en se rappelant que tout est lié : ainsi si on veut réfléchir la question de la soumission à l’autorité, il ne faut pas oublier son lien à l’ethnocentrisme et ses conséquences de conformisme et conventionnalisme.


Avertissement


Ce qui suit n’est pas la carte d’identité du haut score : comme on a pu voir dans la partie « syndromes » des bas scores peuvent avoir des caractéristiques de potentiels fascistes, des hauts scores n’ont pas forcément eu une enfance destructrice. C’est un résumé de l’étude d’Adorno et ses collaborateurs, pas un bingo qu’il faudrait remplir entièrement pour être certifié potentiel fasciste.

Le bas score n’a pas pour autant un profil, une personnalité, une structure psychique parfaite ; il a juste des caractéristiques contraires au haut score, mais qui, poussées à l’extrême, peuvent être névrotiques tout comme un haut score poussé à l’extrême peut tomber dans la psychose (notamment la paranoïa). Le fait qu’il soit contraire au haut score permet juste de mieux comprendre la particularité du haut score, mais il ne faut pas en faire un idéal.

Le haut score n’est pas un suppôt de Satan dont il faudrait prendre toutes les caractéristiques en contre dogme, comme « ne soyez jamais soumis à l’autorité ! » (suivre une autorité, par exemple médicale, peut sauver la vie). Dans cette étude, on a appris les dégâts du moralisme, du dogmatisme. Ce résumé ne doit pas servir à faire la morale aux gens ou leur dire que ce qu’ils font est mal parce que tel autre truc est bien, il ne doit pas servir à juger. Le jugement moral des individus est parfaitement stérile d’efficacité pour changer vraiment la société et ne sert que l’ego de celui qui juge ou sa communauté en accord avec lui. Il me semble qu’il faille aller au-delà. C’est un exercice difficile, mais on peut le rendre plus accessible en concentrant son attention sur l’environnement, les situations, ainsi qu’en se rappelant qu’on est déterminant également, qui qu’on soit et quoi qu’on fasse, et que ce n’est pas un pouvoir négligeable, bien au contraire.

Le résumé des caractéristiques hauts scores trouvées dans l’étude sur la personnalité autoritaire d’Adorno et ses collaborateurs :

Le résumé des caractéristiques bas scores trouvées dans l’étude sur la personnalité autoritaire d’Adorno et ses collaborateurs :


Ce qui a changé aujourd’hui


Ce qui va suivre ne sont que des hypothèses déduites de mes observations et recherches autres : il s’agit de réactualiser un peu ces recherches non pour avoir une carte précise et exhaustive du système haut score, mais suffisamment d’éléments pour réfléchir convenablement d’éventuels « que faire », du hack social.

Donc on va passer en revue quelques caractéristiques qui semblent avoir changé ou muté. Encore une fois je vous invite à participer, clairement une seule tête ne suffit pas à trouver toutes les idées et vous avez autant de légitimité, d’expériences, de connaissances (peut-être bien plus sûrement) pour réfléchir à ces questions.

Idiocracy ? Stupidité ?

Il est vraiment très difficile de comprendre ce que vit intérieurement le haut score pour quelqu’un qui n’est pas ethnocentrique. La propagande fasciste, en faisant de la personne différente, que ce soit l’étranger ou le congénère,  la cause de  problèmes de société complexes apparaît comme une stratégie du bouc émissaire clairement grossière : on peut se demander comment les hauts scores peuvent gober de telles âneries tant cela réduit la réalité, fait l’impasse sur des dizaines de mécanismes et facteurs plus signifiants.

En 1950, Adorno et ses collaborateurs n’ont pas cessé de répéter dans leur étude que les hauts scores n’étaient pas bêtes ou idiots (et ils l’ont même vérifié via des tests), ce n’était ni un manque d’intelligence ou d’éducation qui les conduisait à adhérer à la propagande fasciste. Beaucoup de sujets disaient ouvertement ne rien comprendre à la politique ou prouvaient une grande méconnaissance (comme ce sujet qui pensait que le communisme était une sorte de club social), mais cette méconnaissance, ce n’est pas juste de la stupidité. La question à se poser pour contrer le fascisme n’est pas « pourquoi les gens sont cons ? » (question désespérante qui amène à une impasse et à la passivité), mais « pourquoi les gens ne peuvent pas, en raison de problèmes psychologiques, aller vers la connaissance, la chercher par eux même ? » La question se posait déjà en 1950, car on remarquait que les bas scores faisaient leur éducation eux-mêmes, soit en lisant des livres et en faisant des recherches sans autre finalité que leur curiosité, soit en étant curieux de discuter avec toutes sortes de personnes, et c’est ce qui faisait leur ouverture d’esprit. Aujourd’hui, cet élan de curiosité est encore plus facilité par Internet, toute connaissance étant très accessible, que ce soit en « théorique » que via l’échange social. Et pourtant nos hauts scores restent coincés dans leur bulle fascisante, abordant les autres contenus ou les discussions comme s’ils étaient des déclarations de guerre, qu’importe leur sérieux, leur neutralité ou leur authentique bienveillance lorsqu’il s’agit de relations sociales.

Numerama a publié cet article le 3 février 2017 :

Puis a reçu ce mail assez aberrant :

Voici leur réponse (avec publication du mail évidemment) :

Ce n’est pas de la stupidité, c’est de la rigidité : leur mental se sent menacé par des éléments inconnus, un peu comme un estomac très sensible qui obligerait à ne manger qu’un nombre réduit d’aliments, ils ne peuvent digérer des informations différentes de leur régime habituel, rien de nouveau ne s’incorpore excepté la propagande fasciste, leur seul régime toléré [désolée pour ceux ayant effectivement l’estomac sensible, c’est juste une métaphore, mais vous n’êtes pas que vos tripes]. La propagande fasciste répond à leurs besoins, donc elle est acceptée et digérée, contrairement au reste. Et cette propagande on a vu qu’elle leur offrait une illusion de sécurité mentale (monde simple), un défouloir pour exprimer les frustrations/colères, les expliquer et leur offrir une issue (« c’est de la faute d’untel »), etc.

Les personnes à bas QI ou sans diplômes ne sont pas forcément hauts scores, elles peuvent très bien être ouvertes d’esprit, s’intéresser à autrui, être curieuses et « digérer » le monde dans toutes ses variations ; et inversement une personne à très haut QI ou bardée de diplômes peut devenir haut score parce que la variété du monde lui est indigeste. La « stupidité » est hors de propos, que ce soit dans les études en 1950 ou à présent, gardez-vous de ce jugement hâtif qui à mon sens, n’est qu’une façon de ne pas s’occuper du problème, de le dénier.

Du tabou sexuel comme déterminant… au thème sexuel comme révélateur de tendances autoritaires

Dans l’étude d’Adorno, les chercheurs se sont basés sur des théories freudiennes pour tenter d’interpréter et comprendre la personnalité autoritaire, étant donné que Freud voyait dans la sexualité et la libido la source de problème psychique lorsqu’elle était mal canalisée ou bridée. Eh oui, à son époque, nul doute que quantités de comportements problématiques avaient trait à des pulsions sexuelles refoulées, à cause de normes, de conventions et obligations à adopter un genre stéréotypé avec une sexualité tout aussi stéréotypée s’opposant parfois aux besoins de l’individu (d’être obligé d’être hétérosexuel alors que la personne est homosexuelle par exemple).

Aujourd’hui, il existe sûrement des individus qui refoulent leurs pulsions sexuelles, qui sont piégées dans les stéréotypes contre ce que veut leur libido, il y a évidemment des comportements pathologiques liés à des frustrations sexuelles ou des problèmes de gestion de libido. Mais ce ne sont pas forcément des problématiques en lien avec la personnalité autoritaire. Autrement dit, les problèmes sexuels ne sont pas forcément une caractéristique de la personnalité autoritaire ou du haut score.

Même s’il est très difficile d’en savoir quoi que ce soit, certains sondages montrent que les pratiques sexuelles sont assez libérées et satisfaisantes chez l’extrême droite [lien]

Ce sondage n’est pas à prendre comme preuve, parce que les gens lorsqu’il s’agit de sexe, « mentent » encore plus, et donnent des réponses conformistes ou qui leur font paraître comme quelqu’un de bien/enviable. On pourrait dire que les normes sont à la variété des pratiques et que les gens disent avoir une sexualité variée alors que peut-être il n’en est rien. C’est strictement impossible à vérifier. Mais ce que montre l’étude, c’est que les personnes n’ont pas honte de dire qu’elles ont eu des pratiques comme la sodomie, qu’elles ont déjà eu des relations avec des personnes du même sexe, ce qui montre – quelle que soit la vérité ou non de ces affirmations – que les tabous sexuels ne sont plus les mêmes qu’en 1950.

Je pense qu’à présent le domaine du sexuel est utilisé par le haut score comme un appui pour exprimer d’autres tendances plus déterminantes sur son comportement comme l’agressivité, la stéréotypie, l’extrapunitivité et que cela révèle plus des problèmes de soumission à l’autorité, de dogmatisme et d’ethnocentrisme : durant la manif pour tous, j’avais entendu une manifestante qui disait qu’autoriser le mariage gay, c’était courir vers la fin du monde étant donné qu’il n’y aurait plus que des relations homosexuelles, donc plus de reproduction.

On a là d’abord une « belle » projection : la personne estimait que l’instauration d’un droit supplémentaire impliquait immédiatement un changement de comportement de toute une population. Plus que de pulsions sexuelles refoulées, on voit surtout ici à quel point la personne est soumise à l’autorité : elle imagine que la sexualité est dictée par une autorité, nullement par l’élan interne de la personne, ni sa conscience, ni sa réflexion, ni ses désirs. C’est une autorité qui décide cet intime pourtant profondément personnel. Dire que cette personne était juste homophobe ce serait passer à côté de très graves symptômes : elle est totalement sous l’emprise de doctrines, c’est-à-dire que son moi est refoulé ou elle refuse d’en prendre conscience pour se soumettre totalement à une autorité extérieure. En résultat, elle n’a jamais observé sans doute son désir ou pris en compte son ressenti, sa sexualité est déterminée par les « lois ». On peut suspecter un endoctrinement très fort depuis longtemps, au point qu’elle n’ai pu développer ou ait renié sa propre conscience de ses ressentis. Cette personne n’était pas stupide ou terrorisée par l’homosexualité, mais le pion parfaitement conditionné d’un dogme, au point que sa conscience d’elle-même ait été supprimé.

Le sexe est un thème certes particulier, mais plus qu’être une caractéristique problématique du haut score, je pense qu’il est intéressant de voir ses connexions avec le dogme, la soumission à l’autorité, l’agressivité pour mieux comprendre les enjeux. Certes, certains manifestent assez clairement des pulsions sexuelles refoulées ou des problématiques assez claires d’impuissance ou de frustration, mais il ne faut pas cantonner l’analyse juste à cela, comme la clef qui expliquerait toute une série de comportements, car souvent il a bien d’autres tendances associées, et des tendances sur lesquelles on peut agir plus facilement que des besoins intimes.

De la superstition à la crédulité

Déjà en 1950, le haut score était prompt à voir des complots et conspirations partout, souvent fomentés par les politiciens qu’il n’aimait pas ou des groupes contre lesquels il avait des préjugés. Cela permettait aux hauts scores de sentir leur ego plus fort qu’autrui (car eux « savaient » ), de gagner en assurance (leur forme de complotisme étant une certitude excluant tout doute, ils présentaient aux chercheurs une assurance sans faille dans leurs comportements) et cela leur permettait de ne pas chercher la responsabilité de leurs attitudes dans les malheurs qu’ils avaient pu subir (c’était de la faute du groupe accusé de conspiration) ou de ne pas y penser. Croire en un complot mondial leur permettait d’aller mieux en s’épargnant d’affronter la complexité des connaissances (pour faire de la recherche, il faut accepter d’être ignorant et certaines personnes n’ont pas la force mentale d’accepter ce statut perpétuel), cela leur épargnait l’introspection et la réflexion sur leurs propres problèmes.

Associer superstition et stéréotypie dans l’étude ne me semble pas approprié, surtout que dans l’échelle on est plus proche de quelque chose de très productif d’idée comme de la paranoïa alors que la stéréotypie qui est une réduction d’idée, un cloisonnement. Les idées purement superstitieuses me semblent plus de l’ordre de la compulsion, du rite pour se rassurer, et cela n’est pas très représenté dans l’échelle.

Je pense que le terme crédulité serait plus approprié à notre époque : il s’agit de la facilité à croire alors que les fondements de ce qui est cru sont très légers, voire absents. Les hauts scores vont absorber des idées, croyances en lien avec leurs idées ethnocentriques, ainsi ils vont croire à toutes les infaux sur le web qui confirment leurs idéologies, parce que cela nourrit leur système interne, légitime leur idéologie, et donc gonfle cette « assurance » de façade dont ils ont besoin pour cacher leur moi faible. Ce serait une crédulité sélective, il faut que l’infaux soit en raccord avec leur idéologie : c’est-à-dire qu’ils ne vont pas croire à tout, ils seront d’une rigidité, d’une intolérance très forte face au moindre contenu qui contient un signe qui ne leur plaît pas (qu’importe s’ils interprètent mal ce signe) et d’une allégeance acritique au contenu qui présente un signe qui leur plaît (par exemple si l’info vient d’un site ostentatoirement patriote). Cette crédulité est liée à leur besoin psychique, à leur représentation du monde. Voici par exemple une personne qui s’est opposée totalement à notre article sur l’antisémitisme quelques minutes après sa sortie (donc il était impossible qu’elle ait tout lu), jugeant simplement le titre et l’image, prouvant une forme de crédulité ; sans vérifier, il était certain que cela partait en guerre contre ses idéologies et elle s’est emportée :

Cela parait long ainsi, mais la personne s’est déchainée une demi-heure / une heure avant de nous bloquer. Elle a d’un bout à l’autre refusé de prendre en considération ne serait-ce que l’intitulé facebook qui pourtant montrait clairement qu’on parlait des années 50.

Un hacker en déduira qu’alors il est très facile de les piéger, il suffirait donc de donner des signes qui leur plaisent, quelques mots et images, mais avoir un discours tout autre, il le partagerait quand même. C’était un peu l’idée provoc’ des rédacteurs d’infaux : tester jusqu’où allait la crédulité et amuser ceux qui avaient de l’esprit critique. Cependant certains regrettent tant la machine de crédulité s’emballe : http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2016/11/17/le-constat-d-un-auteur-de-fausses-infos-sur-facebook-personne-ne-verifie-c-est-effrayant_5033076_4832693.html

Les nouveaux jeux rationnels des hauts scores : le pseudo-intellectuel, le pseudo-scientifique et le pseudo-littéraire

En 1950, il y a déjà quelques discours pseudo-intellectuels chez les hauts scores : les sujets prennent des grands airs devant les intervieweurs, utilisent des mots scientifiques, emploient un phrasé d’apparence rationnel et logique, mais le contenu présenté n’est en rien scientifique et sa visée n’est pas scientifique ou intellectuelle, il ne s’agit pas de réfléchir ou de se questionner sur le monde, mais justifier son ethnocentrisme :

M732c, un ancien combattant « mentionne que la fille la plus brillante de la classe de son école se trouve être noire et il explique ses bons résultats scolaires en termes de surcompensation noire de ce que lui considère comme infériorité intrinsèque »

Ce haut score exploite un terme psychanalytique pour justifier sa théorie raciste que les noirs sont « intrinsèquement inférieurs » et aussi pour que l’exemple de cette fille noire douée ne remette pas en cause son idéologie par son exemple. Cet exemple montre à quel point l’expérience personnelle a peu d’impact sur les hauts scores : lorsqu’un élément vient montrer qu’ils ont tort (c’est-à-dire que les noirs ne sont nullement inférieurs aux blancs) ils rationalisent. Cette rationalisation n’a rien d’un raisonnement scientifique, car sa finalité n’est pas de réfléchir, d’ouvrir des horizons à des questions, accroître le doute et permettre la critique, mais de justifier une croyance raciste.

Cette posture pseudo-intellectuelle sert aussi à masquer l’ignorance. Le sujet offre une façade confiante, autoritaire, certaine, avec un ton façon « tour d’ivoire » et assène un discours pour impressionner l’interlocuteur. Seulement lorsque l’interlocuteur n’est pas ignorant, hé bien il voit parfaitement que c’est une façade, un nuage de fumée qui au contraire montre une ignorance non assumée. Le discours peut aussi prendre des allures généralistes, mais qui ne disent rien :

Toujours M732c ; adorno le décrit comme un bluffeur qui « commence toujours par des phrases qui sonnent moderne », mais il les finit rarement : « (que pensez-vous des tendances politiques actuelles ?) je dirais qu’aujourd’hui nous sommes dans une situation très triste. Pire qu’il y a deux ans – bon la situation avec la Russie et l’Iran – et ces grèves qui s’annoncent – il faut une sacrée capacité politique pour remettre le monde d’aplomb… »

Dans l’étude, ces « bluffeurs », cette ignorance masquée, n’a pas été très étudiée, car bon nombre de hauts scores étaient sincères et disaient ne rien comprendre à la politique. Ces hauts scores étaient aussi des citoyens lambda, et à cette époque, les gens n’avaient pas beaucoup de voies « publiques ». C’est très différent maintenant avec Internet où chacun peut devenir porte-parole, guerrier de son idéologie. Alors je pense que les hauts scores, soit de façon assez autonome ou soit grâce à l’appui de leur groupe, ont développé leur capacité à délivrer un discours pseudo-intellectuel qui peut impressionner l’ignorant, chez qui l’ignorant peut percevoir de la force. L’intellectuel lui-même peut tomber dans ce jeu macabre s’il est frustré : en effet, il est très facile de dominer autrui en utilisant des marques d’autorité avec des termes compliqués, des sentences ampoulées et un style affûté – qu’importe si cela cache en son contenu juste des sentiments de haine ou ne sert qu’à détruire autrui. Les intellectuels frustrés peuvent y voir là une solution pour réparer leur ego blessé ou justifier des sentiments inavouables.

Autrement dit, comme toute attitude, un phrasé scientifique, intellectuel ou littéraire avec un style merveilleux peut servir à justifier l’injustifiable, cacher les sentiments de haine, cacher des finalités odieuses, servir comme arme pour détruire autrui sans aucune justification valable. Il est donc plutôt recommandable d’inspecter toujours le contenu avant de vous faire épater par la forme, et ce n’est pas évident. Je pense par exemple au livre « du bonheur d’être reac’ », j’ai été horrifiée de voir ce style d’écriture magnifique, qui aurait pu conter merveilleusement bien de belles histoires, être au service de sentiments parfaitement médiocres qui pourrait être résumé ainsi « le monde, tel que je le vis uniquement à travers le filtre de la télévision, ne me plaît pas comme ça ». Il en est de même pour Zemmour, il base toute sa réflexion sur le monde, la société à travers le filtre de la télévision, des séries TV à 14h au JT, et parfois sur des pubs qu’il voit dans la rue. Mais son intellectualisme, son style écrit, masque ce fait particulièrement médiocre d’une vision complètement tronquée, formatée par le petit écran.

Soral est un maître du style, sans conteste. Il sait très bien masquer ses intentionnalités, il le fait en dansant avec les mots et oui, c’est normal que cela en épate plus d’un. Au fond, tout ce qu’il fait n’est que rationalisation de sentiments ou de volonté inavouables, qui sont pêle-mêle la volonté de dominer l’esprit de ceux qui le suivent, gagner une pseudo-puissance sur ce qu’il accuse, s’élever au-dessus des gens qu’il n’aime pas, compenser ses frustrations et échecs, voire jusqu’où il peut tricoter la réalité et constater que ces tricotages sont crus (ce qui satisfait son ego). Sa problématique mentale est déterminée par le narcissisme couplé à de nombreux problèmes psychiques non réglés (traumatismes de l’enfance).

Par exemple, ci-dessous il use à la fois d’un pseudo-humour cynique (entendez par là qu’il pourra dire que c’est pour rire si on l’accuse, mais le contenu est clairement une opinion qu’il avait) pour cracher sur l’idée qu’Internet n’est pas une révolution parce que lui il n’était pas dans ce monde-là à l’époque et semblait ne pas du tout savoir ce que c’était ni ce qu’il y avait dedans :

Extrait de « Abécédaire de la bêtise ambiante » de Soral. On peut voir à quel point il a été médiocre dans ses prospectives, même concernant son propre comportement vis-à-vis du Net.

On voit qu’à la fin il cite n’importe comment Nietzsche et Lénine, c’est du « name dropping », une façon économique de se faire passer pour intelligent, d’ébahir avec son discours ou encore d’avoir une autorité de façade, mais ça n’a strictement aucune utilité ici, ni pour appuyer son raisonnement ni pour quoi que ce soit. On a là un bel exemple à la fois de rigidité (« non je n’irais pas à la rencontre d’internet vraiment ! »), de pseudo-intellectualisme pour justifier sa haine, ses incompréhensions, et d’arguments d’autorité balancés n’importe comment pour satisfaire son ego qui se veut supérieur et dominer le lecteur.

Observation « secondaire » : l’excuse de l’humour

C’est encore une caractéristique de surface qu’on ne voit pas chez les hauts scores de l’étude : le contexte ne s’y prêtait pas non plus, les gens se laissent rarement aller à des blagues ou des traits d’humour devant des chercheurs (sauf quand on les amorce à la créativité, mais ça, c’est une autre histoire:) ).

Cependant, les bas scores de notre époque voient assez souvent des hauts scores faire des blagues-qui-n’en sont pas vraiment, mais qui révèlent une vraie opinion du blagueur. Cela va de l’oncle raciste qui en repas de famille ne fait que des blagues racistes et sexistes à l’humoriste professionnel qui fait de son fond de commerce un ralliement des hauts scores dits « dissidents » (= idéologues hauts scores), parfois par emballement, parce que cela lui rapporte ou parce qu’il a fini par se convaincre. C’est difficile de jauger, par exemple pour des humoristes comme Dieudonné, il est tombé dans une spirale de provocation, Astier qui s’oppose à sa censure, fait bien la nuance sans pourtant soutenir ces dérapages :

On a également détaillé la question de Dieudonné dans cet article sur la réactance.

Au-delà de ces questions de cercle vicieux de provocation, l’humour permet à certains, comme pour le pseudo-intellectualisme, de faire passer des opinions inavouables : quand bien même cela serait mal perçu par l’assistance, il y aura toujours l’excuse « mais je disais ça pour rire, faut pas prendre ça au premier degré ». Cela permet au haut score d’exprimer ses idées sans trop de risque social, cela peut aussi lui servir à se trouver des amis ou un public ayant les mêmes idées que lui.

L’erreur est peut-être de trop se préoccuper de ce trait de surface, et de vouloir interdire ces « sales » blagues, de se poser la question de ce que devrait être l’humour. La censure de Dieudonné a considérablement servi à Soral et à la sphère dissidente, par des phénomènes de réactance. Cela ne devrait qu’être un appel à investiguer pour les bas scores. À l’oncle raciste et ses blagues, je pense qu’on ne devrait pas l’ignorer ou vite parler d’autre chose, mais lui poser des questions, de façon neutre pour l’inviter à exprimer clairement et sans faux semblant ses opinions, pour qu’il en prenne conscience et qu’il puisse les assumer ou au contraire s’en écarter si cela n’était pas sa volonté. Il ne s’agit pas de tolérer les expressions de sexisme, de racisme et d’intolérance, mais de les utiliser pour susciter l’intraception, l’introspection, la réflexion du haut score sur ses propres opinions ; autrement dit, lui tendre un miroir pour qu’il soit certain que c’est bien cela qu’il pense ou veut exprimer de son moi profond.

Observation secondaire : il se dit « non-manipulable », pas « naïf », il ne se fait pas « berner », lui

Dans l’étude les hauts scores ne parlent pas de la question de la manipulation, le seul thème qui s’approche de cette idée est la question du grand complot mondial qu’ils attribuent aux juifs ou aux politiciens adverses.

Aujourd’hui le thème « on nous manipule » est redondant : les hauts scores accusent de manipulation, de mensonges, de manigance toutes les personnes ou groupes qu’ils n’aiment pas. Ils clament d’autre part être lucides, avoir pris la pilule rouge (en référence à Matrix), ne pas se faire avoir ? « comme les autres moutons » (= les personnes ne pensant pas comme eux), n’être pas manipulables.

Et d’autre part on constate qu’ils ont un peu le même comportement que Trump : ils accusent les médias en bloc (de mensonges, de manipulations…), mais ne tirent leur vérité que de la télévision et tout ce qu’elle peut envoyer de grossièrement faux. Par exemple Trump s’est récemment basé sur un montage abusif concernant la Suède, croyant qu’il s’y était déroulé un attentat :

Il a admis ensuite s’être basé sur un reportage de la fox news (réputé faire n’importe quoi)

Il s’agirait de ceci :

Idem pour ceux plus amateurs d’Internet, ils accusent les médias de mentir, mais une fois sur la toile (ou plutôt sur Facebook) ils cherchent ou prennent pour argent comptant des infaux grossièrement erronées. Alors qu’on aurait pu imaginer qu’une démarche critique soit de faire des recherches exhaustives, notamment dans des archives historiques, de la CIA, ou sur des bases de données scientifiques, et de croiser tous les contenus sur un thème pour tenter d’en faire une synthèse. Non, l’affirmation « on nous ment » ici se base sur la consommation en diagonale d’une info balancée par un responsable FN (à l’origine, c’est un post de Bernard Monot puis hyper-relayé sur Facebook :

 

Et le debunkage par l’excellent site hoakbuster : http://www.hoaxbuster.com/hoaxliste/carte-bancaire-migrants

Les commentaires sur le debunkage par les décodeurs sont très explicites en termes psychologiques ; il y a un déni de la manipulation par l’extrême droite, un renforcement de leurs opinions sur le thème que l’État-nous-ment — l’État-est-injuste-envers-les-français, une absence totale de questionnement sur pourquoi l’extrême droite a manipulé cette info pour la rendre plus choquante (passant ladite allocation à 40Euros/par jour au lieu de 6,80euros/par jour ou pour le deuxième post 641Euros/par mois au lieu d’en vérité 204Euros/par mois). Non, au lieu de s’interroger sur le menteur, les commentateurs accusent de menteurs les « ennemis » désignés, c’est-à-dire les « gauchistes » ou encore les médias qui débunkent , etc.

Encore une fois, ce n’est pas par bêtise qu’ils ont ce comportement étonnant où d’un côté ils s’enorgueillissent de lucidité, de « savoir » plus qu’autrui et de l’autre ils ne questionnent nullement ceux qui leur mentent dont il y a preuve du mensonge (ou de la corruption d’ailleurs ; ils ont porté souvent des discours accusant les politiciens d’être pourris, corrompus, lorsque c’est Le pen et son parti qui sont effectivement en cause de magouilles, ils clament que c’est un complot, donc encore un déni).

C’est un effet purement psychologique : leur ethnocentrisme très poussé accentue le biais de confirmation. Une page patriotique ou anti-gauchiste, une autorité ou un influenceur d’extrême droite sera un endogroupe impossible à remettre en cause, impossible à questionner. Donc les influenceurs d’extrême droite ont tout pouvoir de faire croire à n’importe quoi ou être protégés de toute accusation du moment que l’exogroupe peut porter le chapeau. C’est un gros problème pour tout ceux qui ont à cœur l’esprit critique, la vérification d’info, pour ceux qui luttent contre le fascisme, pour ceux qui ont à cœur la justice et tendent vers quelques vérités : impossible que les hauts scores doutent de leurs chefs, quand bien même ceux-ci se comporteraient d’une manière on ne peut plus explicitement corrompue (avec preuves à l’appui), débiteraient des mensonges, tenteraient de manipuler leur monde. Mais croire que c’est parce qu’ils seraient bêtes c’est s’empêcher de régler le problème : le problème, c’est la soumission aveugle à l’endogroupe, et cela on peut le voir ailleurs que chez les militants d’extrême droite. Personne n’aime les politiciens qui volent l’argent de l’État pour leurs luxes personnels, personne n’aime les corrompus et pourtant il y a toujours des fans de Fillon ou de Macron. Le problème, c’est qu’il s’agit d’une question de soumission à l’endogroupe, d’allégeance à l’autorité. Il est là le problème.

Le fait que les personnes se vantent d’être non-manipulables est une sorte d’affirmation-talisman « si je dis que je ne suis pas manipulable, je ne serais pas manipulable ou on ne me manipulera pas ». Une sorte de méthode Coué sur la question de la force mentale, sauf qu’ici la stratégie est vouée à l’échec : seul le doute sur soi et ses convictions trop vite acquises permettent d’être alerte sur la manipulation, donc se croire au-dessus est le meilleur moyen de se faire manipuler.

Cela leur permet de gagner une supériorité mentale de façade, pour montrer une forme d’assurance et de pouvoir à autrui – un autrui qui serait bien peu informé sur les méthodes de manipulation pour croire qu’on peut s’en prémunir en se disant au-dessus de tout ça.

Cela leur permet également de ne pas chercher à comprendre les informations, de ne pas analyser, de ne pas croiser les sources, de ne pas les confronter à d’autres sources, de ne pas avoir à affronter des avis contraires à soi, de ne pas faire face à des idées qui pourraient leur faire changer d’avis, etc. Autrement dit, se dire « non manipulable » et d’accuser les exogroupes de manipuler tout le monde (ce qui justifie au passage le fait qu’on ne veuille pas les lire/les voir/les entendre) est également une façon d’économiser de l’énergie mentale, de ne pas se risquer à affronter des remises en cause, cela permet de rester dans une forteresse de convictions confortables et ne pas se mettre en insécurité mentale. Mais là encore, ce n’est pas une question de stupidité ou de flemme intellectuelle. Le haut score ne peut se risquer à absorber des connaissances, des informations qui pourraient modérer ou changer sa forteresse mentale fasciste : il a besoin de ces croyances pour mieux vivre, pour dompter la confusion, pour ne pas affronter ses sentiments de peurs ou de ressentiment de façon franche et à propos. Donc toute connaissance qui risque de le questionner est d’office rejetée.

Mais il peut néanmoins absorber des livres, des films avec des œillères fascistes ; on a cité par exemple l’excellent Matrix tout à l’heure. Au lieu d’y voir une invitation à questionner tout dans le monde, le film est réduit à une dichotomie ethnocentrique entre un monde d’illusion fait de méchants et de moutons aveuglés (l’exogroupe) et un monde d’éclairés (son endogroupe). Pareil pour Fight Club, encore un excellent film et livre, il est vanté par les hauts scores non pour son excellente critique de la société de consommation par exemple, mais parce que ce serait bien de retrouver la force de se taper dessus entre mâles (une réduction terrible du film).

La forteresse des croyances fascistes défend le haut score de voir l’élément qui pourrait l’ouvrir à d’autres réflexions. Ce n’est pas parce qu’il est « convaincu », « engagé », c’est de l’expression de la rigidité mentale, prouvée par leur soumission à leurs autorités/influenceurs et leur refus d’aller à la rencontre de l’exogroupe.

On pourrait aussi parler de « pseudolucidité », c’est-à-dire que le haut score donne des signes d’être critique, de ne pas se faire avoir, d’être fort contre la propagande/la manipulation pour masquer au contraire une très forte propension à être manipulé et soumis à la propagande de son endogroupe qui a tout pouvoir sur lui. Les mécanismes psychiques ont souvent ce caractère assez ironique.

La haine, la peur, l’ethnocentrisme… une stratégie marketing comme une autre ???

Enfin, ce qui a changé aujourd’hui, c’est que l’ethnocentrisme, la peur de l’autre, le syndrome du grand méchant monde ne sont pas qu’un appel idéologique purement fasciste, mais un argument, une forme marketing complétement intégrée et tolérée :

On voit à quel point la peur, les émotions négatives, l’insécurité mentale sont exploités et servent totalement à la vente, car le contenu du journal est bien moins « extrême » que ses titres provocateurs. Bien que nous ayons pris l’exemple d’un journal de droite dure, on retrouve ces phénomènes dans bien des médias, de tous les partis. La question qui reste en suspend, et est-ce que cette forme de marketing de la peur, de l’accusation, de l’ethnocentrisme accroit tout ce dont nous avons parlé avant (que ce soit pour Valeurs ou d’autres) ? Ou est ce une réponse à une demande et que quoiqu’ils fassent, le potentiel fascisme augmentera (notamment à causes des conditions économiques) ? Quels sont les interactions entre ces phénomènes ? Quoiqu’il en soit, que ce soit une démarche marketing acceptée et acceptable est un problème, ne serait-ce que parce qu’appuyer sur l’ethnocentrisme et les émotions négatives, c’est un manque de créativité, d’une facilité médiocre qui n’apporte rien de plus ou de nouveau au monde. Les médias se voulant éthiques ou engagés à du non-fascisme devraient y réfléchir plutôt que de jouer ce jeu qui, peut être leur rapporte de l’argent, mais qu’en est-il de leur influence sur la population, renforcée dans cette peur, cette insécurité mentale, cet ethnocentrisme ? N’a-t-on pas plus intelligent, plus imaginatif à proposer aux personnes ?


Des déterminations variées…


Nous avons dû le dire déjà à plusieurs reprises, mais nous ne sommes pas forcément en accord sur le fait que les chercheurs voient en la famille la source de la personnalité autoritaire ou du moins le seul levier pour améliorer leur développement.

L’enfant roi

On a évoqué ce point rapidement dans les critiques, qu’une « éducation » (ou plutôt absence d’éducation) enfant-roi pouvait former un potentiel fasciste.

Soyons bien clairs sur la définition d’enfant-roi, parce que justement les fascistes sont prompts à accuser le laxisme parental pour vendre les méthodes violentes d’antan, dont la soumission totale de l’enfant et la violence. L’enfant-roi c’est un enfant à qui on n’a pas appris le principe de réalité parce que ses parents n’ont posé ni cadre (heures de repas, heure de coucher définie par exemple), ni règles (comme « on ne touche pas au placard à médicaments »), ne disent jamais « non ». En résulte chez l’enfant une intolérance à la frustration qui persiste même à l’âge adulte via un caractère tyrannique : il veut commander tout le monde et que le monde réponde à ses exigences, parce qu’il n’a pas les outils de maîtrise de la frustration, comme la patience, la réflexion, l’empathie qui permet de mettre ses besoins de coté par respect d’autrui, etc. Le principe de réalité n’est pas acquis, c’est-à-dire qu’il ne voit pas les exigences de la réalité (par exemple ne pas déranger le voisin et ajourner cette envie de faire de la batterie survenue à trois heures du matin ; il dira que c’est la faute du voisin qui ne sait pas dormir assez profondément si celui-ci est en colère contre lui), il refuse de prendre sur lui la conséquence de ses actes. S’il a un échec, comme une mauvaise note, ce sera de la faute du prof.

Selon Didier Pleux, certains adultes rois deviennent même incapable de faire intervenir la morale dans leurs prises de décision. Devenant amoraux, ils peuvent devenir immoraux, de véritables tyrans. Cette situation serait aussi un terreau favorable pour le développement du fascisme : perdu face à cette liberté sans borne, l’individu roi accepterait le cadre rigide d’un système autoritaire et ce d’autant plus qu’il y serait valorisé et que des boucs émissaires seraient désignés comme étant la source de ses problèmes (lieu de maîtrise externe). https://fr.wikipedia.org/wiki/Individu_roi

Avant d’accuser ces parents d’enfant-roi d’être mauvais, il faut comprendre qu’ils n’ont nullement l’intention de faire mal : au contraire, ils peuvent être super-laxistes parce qu’ils ont peur d’être des tyrans, de mauvais parents (peut-être parce qu’eux-mêmes ont eu des parents les violentant) ; certains ont des problématiques psychologiques qui les amènent à se soumettre à l’enfant parce qu’ils veulent être aimés d’eux (et ont peur de les aider à être autonomes, la domination-soumission est un lien fort qui perdure, aussi triste cela soit, c’est une relation de dépendance) ; il est aussi possible que les parents d’enfants devenus rois soient tout simplement épuisés : imaginez une mère divorcée qui doit travailler 40h par semaine dans un métier mal payé, eh bien elle fait tout pour se faire aimer, culpabilisée de n’être pas là tout le temps, de ne pas avoir le temps, de ne pas réussir à jouer avec lui tant mentalement et physiquement toutes ses forces ont été tirées, etc. Rajoutez ne serait-ce qu’une angine à ce tableau et vous obtenez un quotidien franchement infernal à tenir mentalement. Alors une solution facile d’obtenir un peu d’affection dans cette histoire peut être le laxisme total.

Apprendre le principe de réalité et apprendre à gérer les frustrations (c’est un peu synonyme), ce n’est pas se « soumettre aux normes sociales », c’est juste prendre conscience de l’environnement social, voire même l’environnement physique et son corps : il s’agit de faire apprendre à l’enfant les grands principes du corps (et le nourrir à intervalle régulier et dire non aux bonbons pour le dîner par exemple), respecter le monde physique (et apprendre à l’enfant à prendre soin de son jouet et que la plante verte mérite aussi qu’on lui laisse ses feuilles), respecter autrui (et lui dire non lorsqu’il se met à maltraiter un autre enfant). Cela ne retire rien à la singularité de l’enfant, c’est juste lui donner des outils pour qu’il appréhende le monde avec respect.

Cependant comme tous les points ajoutés au tableau dressé par Adorno et ses collaborateurs, cela reste une hypothèse. J’ai personnellement l’impression que ces adultes tyrans auraient plutôt tendance à plonger dans le fascisme non par besoin d’un « cadre » (mais certains si), mais par besoin de contrôler tout le monde et que tous répondent à ses besoins. Donc, à devenir un influenceur fasciste pour avoir des pions à disposition et contrôler le monde tel qu’il le souhaite.

Le travail d’aujourd’hui

Nous pensons que le travail par exemple peut endoctriner un individu pour lui donner une conception du monde « comme une jungle » ; peut-être n’aura-t-il pas autant de préjugés qu’un haut score des années 50, mais il pourra être brutaliste ce qui est très proche de la personnalité autoritaire. On a donné des tonnes d’exemple dans l’homme formaté, et cela peut se produire dans des entreprises aux allures très libérales et ouvertes, mais étant basées sur la compétition entre les personnes, le seul moyen de s’adapter est d’opter pour une posture haut score, avec toute la violence que cela suppose. L’adaptation se paye généralement cher, car l’individu peut reprendre conscience, parfois via le corps, comme cet homme qui a eu un infarctus dont nous parlons ici :

Le travail autoritaire « à l’ancienne »

Il y a des corps de métier qui fonctionnent de façon autoritaire, comme de petites tyrannies, où l’obéissance est la seule modalité acceptée : la police, les militaires, mais aussi des « petites boîtes » que ce soit des restaurants, des entreprises dans le bâtiment… L’individu est forcé à s’adapter et se conditionner à une structure autoritaire/centrée sur la hiérarchie ou la question du pouvoir, donc aussi à accepter ce système vertical avec inégalité des rapports, supériorité de l’un, infériorité de l’autre. Il est aussi probable qu’il y ait un mouvement inverse, que les hauts scores soient attirés par des corps de métier dans lesquels ils espèrent pouvoir « exprimer » leur agressivité et confirmer leur vision du monde comme une jungle ; le documentaire d’Usul (ci-dessous) est très explicite sur cette question, mais il ne faut pas oublier que certains n’ont pas du tout ce profil haut score ou d’appétit pour « la guerre » et viennent pour l’inverse ; d’autres encore n’ont ni un profil pacifiste ou guerrier, mais s’adaptent à la mentalité dominante avec plus ou moins de sérieux.

Des traumatismes et événements marquants au cours de la vie

Tout un tas d’événements peut faire basculer la vision du monde à une personne, cela peut être des agressions, des viols, des humiliations, du harcèlement, des frustrations, des échecs, etc.

Certaines personnes pourront faire d’extraordinaires prouesses de résilience même avec des traumatismes profonds ; ci-dessous Boris Cyrulnick aborde le cas d’une personne qui a été dans les camps et qui a résisté tant que possible, étudiant la vie dans le camp, faisant cours aux personnes autour d’elle tout en subissant au quotidien les chocs terribles de la violence et des humiliations. C’est toute la différence entre résignation et résilience : dans les deux cas on subit une situation déplaisante voire violente, mais avec la résilience on utilise toutes ses forces pour dépasser d’une manière ou d’une autre la situation.

Mais cette force, parfois on n’a pas la chance de l’avoir, parce que l’enfance n’a pas été sécurisante non plus, parce que le contexte actuel n’est pas aidant, parce qu’on n’a pas de soutien, parce que les tentatives de résilience sont punies, bref, il peut y avoir tout un tas de raisons qui ne permettent pas à l’individu de trouver les forces nécessaires pour aller au-delà. Alors, le traumatisme, la frustration, le ressentiment ou l’échec va dominer son action et la teinter de mépris de l’autre, de colère, voire de haine.

Attention, je ne dis pas qu’une frustration ou un échec provoque soit la résilience, soit le haut score, il peut y avoir une multitude de comportements possibles, même la résilience est précédée de colère et de dépression souvent. Mais c’est une issue malheureusement possible.

Le vécu dans des situations impossibles

Parfois, les personnes sont coincées dans des situations infernales, par exemple sont dans un travail où elles sont harcelées, mal traitées et dans une situation financière tendue. La seule issue qui leur permettrait d’aller mieux serait de quitter l’emploi, hors cette solution est légitimement terrorisante, car ils ont déjà du mal à se nourrir avec un salaire et trouver un autre emploi est mission impossible, ou le risque que ce soit encore pire.

Dans ce genre de situations, où il y a des heures et des heures à subir une pure destruction de ses forces mentales (on peut aussi faire le parallèle avec une situation de couple qui va très mal, qui est destructrice où les personnes ont du mal à partir parce que c’est risquer aussi quelque chose d’encore plus terrorisant), la personne ne peut pas se développer, elle ne peut pas réfléchir, alors oui, peut-être qu’elle va rester devant la télévision, eh oui, peut-être qu’un jour elle va projeter ces peurs sur le monde. Mais ce ne sera pas de la stupidité, c’est peut-être parce que les circonstances, les contextes qu’elle a subis l’ont tellement vidé de ses forces qu’elle ne pouvait rien faire d’autre, parce que lire un livre, lire tout court, ça demande de l’énergie.

Beaucoup de hauts scores avec « ressentiment de surface » c’est-à-dire qu’ils n’ont pas vraiment de personnalité autoritaire ni de préjugés ancrés, le sont à cause de situations impossibles qui les vident de toute force. Ces personnes-là ont besoin à mon sens qu’on les aide à faire le changement déterminant – de couple, de travail – en toute tranquillité, avec toute la douceur possible et surtout beaucoup beaucoup de sécurisation.

Le vécu dans un milieu haut score

À force de vivre dans un certain environnement social, on se calque à ceux-ci pour être accepté, pour passer de bons moments, pour vivre tout simplement. Ce conformisme qu’on vit tous un moment – au moins dans l’adolescence – il n’est pas mauvais en soi : c’est comme cela qu’on se construit en « introjectant » certaines caractéristiques de cet autrui qu’on respecte/admire et en repoussant d’autres caractéristiques. Mais parfois, ce milieu est haut score, et l’individu, quand bien même il aurait eu une enfance enrichissante, il va se calquer sur d’autres qui n’ont pas développé leur sécurité mentale ou leur autonomie à cause de traumatismes, peut-être même qu’il va penser que leur façon d’être est plus réfléchie que lui qui « a bien vécu ». Donc il est possible que certains deviennent haut score par conformisme à un groupe, possible aussi qu’après la rencontre d’autres groupes ou d’autres milieux ils se rendent compte que ce n’était pas une mentalité qui leur était adaptée pour appréhender le monde.

L’endoctrinement

Certains groupes ont le même effet que des sectes sans pour autant qu’il y ait une religion derrière. Il faut bien comprendre que l’endoctrinement, c’est progressivement retirer tout ce qui fait la singularité d’un individu pour le remplacer (ou s’y accoler) par un dogme qui a une toute-puissance sur le comportement de cet individu, qui devient alors un pion du groupe jusqu’à tuer et se tuer.

Les individus endoctrinés ne le sont pas nécessairement parce qu’ils auraient une faiblesse – cela arrive que beaucoup joignent des sectes alors qu’ils sont en « crise » (mais une crise n’est pas forcément faiblesse, c’est juste un moment de transformation, donc d’instabilité, du mental de l’individu), mais parfois c’est parce que leur vie, pour une raison ou une autre est apparue pauvre, sans sens. L’individu cherche de l’épique, de l’« awe » (un terme difficile à traduire en français qui représente à la fois l’épique de la vie ressentie et se sentir tout petit face à quelque chose de fascinant, de grand, parfois réalisé collectivement) cherche à rendre sa vie importante et c’est là un très grand déterminant qui pousse à s’accoler à un dogme, qu’il soit extrémisme religieux ou extrémisme politique. Le groupe qui endoctrine n’a qu’a nourrir ses idées de gloire, de victoire, d’épique et s’assurer de voir en cet individu quelqu’un de très important et de combler ses besoins psychiques.

Et là, il y a accusé la société de consommation dans les futilités des buts qu’elle propose ; il y a accusé la conception de l’école (je n’accuse pas les profs, c’est le système scolaire actuel qui pose problème) qui ne rend pas épique l’acquisition de connaissances et compétences (et pourtant ça l’est !) ; il y a accuser le monde du travail qui est, dans beaucoup trop de milieux, parfaitement déprimant et dégradant dans sa division et organisation des tâches qui privent l’individu d’œuvrer. Le grandiose de la vie, de ce qu’on peut ressentir en tant qu’individu (par exemple le flow), il est enterré à six pieds sous terre d’une décharge de produits qui veut s’approprier et voler les sentiments les plus épiques : ce que les pubs de voiture vantent par exemple, prenons la sensation de liberté, hé bien on peut la ressentir en lisant un bouquin qui « matche » avec nos questions existentielles et qui donne soudainement une clef majeure pour nous ouvrir des horizons de vies inconnus jusqu’alors. J’ai par exemple ressenti ça récemment en me plongeant dans les écrits de Carls Rogers et en pensant la question d’authenticité. C’était d’une jubilation qu’aucune voiture ou paire de Reebok n’aurait pu me procurer, je me suis sentie réellement plus libre avec cette lecture. Peut-être qu’il faudrait les déterrer ces sentiments et en parler, les partager, pour qu’ils retrouvent leur place appropriée, hors de la pub, hors du supermarché que représente notre société consommatrice, ennuyeuse et déprimante au possible pour quelqu’un qui veut vivre.


Résumons


Voici le listing, revu selon mes hypothèses sur le monde actuel des hauts scores. Cela n’a rien de vérifié, je n’ai pas de preuves de quoi que ce soit pour ce qui va suivre, cela n’est pas exhaustif. Mais je le fais parce que cela peut être utile à la réflexion sur « que faire ». Vous comprendrez, nous ne sommes plus sur le territoire de la recherche, mais on cherche là à opérationnaliser toutes ces connaissances en but de hack, social ou non, en but de réparation, de construction voire de neutralisation.

Encore une fois ce ne sont pas des traits forcément cumulés, il peut y avoir des profils variés ; ce sont toutes sortes de profils possibles.

La suite : [F14] Neutralisation, transformation et prévention des racines du fascisme.

Viciss Hackso Écrit par :

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7 Comments

  1. […] et très rarement management, à savoir la manière dont on anime et les Hommes. Pourquoi ? [F13] Pseudo-intellectuel, narcissique, « non-manipulable » et pourtant crédule… Est-ce là l… […]

  2. Elip
    12 juin 2017
    Reply

    « […] prenons la sensation de liberté, hé bien on peut la ressentir en lisant un bouquin qui « matche » avec nos questions existentielles et qui donne soudainement une clef majeure pour nous ouvrir des horizons de vies inconnus jusqu’alors. »
    Vous êtes en partie la cause de cette sensation de liberté qui m’habite depuis mon adolescence, merci de m’aider à forger mon esprit critique même si la singularité « réfléchie » que j’essaye d’avoir m’exclut (ou je m’auto-exclus) des relations sociales…

    • Viciss0Hackso
      13 juin 2017
      Reply

      On est enchanté de participer à ta sensation de liberté <3 Concernant les relations sociales, j'ai l'impression qu'en général lorsqu'on accumule de la connaissance ou des forts temps de réflexion, le sentiment de décalage avec autrui peut augmenter, surtout si on essaye de s'y opposer (en corrigeant l'ignorance d'autrui, ils n'aiment pas se sentir déclarés ignorants c'est compréhensible), de s'y résigner (être hors des discussions qui ne nous intéressent plus parce qu'on prefererait un sujet plus complexe), ou qu'on ressent ce décalage comme un mur entre soi et les autres qui empêche d'être « dedans » les relations sociales.
      Perso en tant que personne peu sociale de base (introversion + bizarrerie/marginalité involontaire), j'ai deux trucs qui m'aident au quotidien pour être un peu dedans : la volonté de passer des bons moments de rigolade, de discussion ou d'action avec les autres (qui nécéssite que je me masque, c'est à dire qu'il y a qu'une partie de moi active, le reste est de coté et peut oeuvrer dans d'autres contextes, notamment ici) qui font que je fais des efforts dépasser ma tendance à ne rien dire entre autres ; et l'autre, c'est de savoir que tout ce que je vais voir, entendre, écouter, vivre, expérimenter, toutes les personnes que je vais rencontrer vont m'apporter quelque chose, que le moment en lui même soit fun, passionnant, ennuyeux, pénible, dangereux, l'expérience va nourrir ma réflexion un jour ou l'autre.
      J'ai l'impression que c'est à la fois une connaissance et une acceptation de soi même dans ses traits les plus atypiques ou bizarres + un effort vers les situations et les autres pour que cela se passe de la façon la plus profitable à tous qui peut jouer dans les relations sociales. Et là, l'échange avec les personnes se fait, la discussion est intense (même si le sujet est superficiel parfois, ça n’empêche pas une forme d'intensité) peut y avoir un flow identique à celui qu'on ressent quand on apprend quelque chose dans un livre. Il me semble que tout cela demande de la tolérance vis à vis de soi et des autres, et beaucoup de temps et d'expériences variées.
      N'hésites pas à m'envoyer un mail (admin@hacking-social .com) si vraiment ça ne va pas – autant nous sommes contents d'apporter quelque chose, mais on n'a pas envie que tu en souffres non plus, donc on reste à ta disposition pour en parler.

  3. julien
    13 janvier 2021
    Reply

    Bonjour! je viens de finir le dossier complet, mais je prefere laisser un commentaire ici (d’une part c’est la partie en lien avec mon commentaire, d’autre part ce sera plus visible ici et pourra servir a d’autres) sur ce que vous appelez le « pseudo-intellectuel » (ou l’attitude designee comme telle) je pense a quelque chose qui a subi une grande progression depuis quelques annees: le fait, notamment dans certaines injonctions au debat par des personnes opposees a l’egalite homme-femme, de se referer a une supposee connaissance de ce que dirait les sciences biologiques sur le sujet, pour renforcer ses propres prejuges et exprimer des constats essentialisants en definitive, avec l’argument massue du consensus scientifique (pretendu tel) j’avais lu un livre sur la sociologie de la vulgarisation scientifique « Le singe, le gene et le neurone. Du retour du biologisme en France » de Sebastien Lemerle, expliquant plutot bien les mecanismes a l’oeuvre dans les reappropriations sociales des discours des sciences biologiques (ethologie, genetique, puis neurosciences) qui finissent par produire un autre discours, fonctionnant selon d’autres normes: ce qu’il nomme le biologisme (ou encore le biopsychologisme, exprimant une biologisation du social et une psychologisation des relations interpersonnelles entre hommes et femmes) c’est a dire en fait l’ideologie considerant les sciences biologiques comme une sorte de nouvelle morale contemporaine qui prescrirait des normes de comportements, un ideal social etc… mais ce n’est pas une ideologie fataliste, c’est precisement en cela que reside sa force attractive: elle promet une liberation, par la reprise de nos determinants biologiques et psychologiques, une liberation totalement conforme au nouvel esprit du capitalisme, individuelle et qui demande une adaptation a la societe, pas un changement de celle-ci (le terme adaptation dit bien la biologisation sous-jacente par ailleurs) et cette utilisation touche en fait un tres large spectre politique, pas simplement les profils les plus virulents qui la mettent en evidence le plus bruyamment. Sebastien explique que cela vient entre autre, d’un transfert de l’ideal marxiste de liberation vers les sciences biologiques considerees comme plus a meme de saisir le monde contemporain, combine a l’exportation d’une nouvelle discipline nee aux Etats-Unis, la sociobiologie, qui a subi des transformation pour devenir compatible avec une vision disons social-democrate et pas juste de droite extreme (plus dans le fatalisme et l’ineluctable) +une politique de vulgarisation des sciences via les mediateurs culturels (editeurs, journaux comme La recherche, Pour la science, entre autre) et des intellectuels en vue comme Edgar Morin puis Jean-Pierre Changeux. Enfin, le livre est foisonnant et je lui rends justice comme je peux^^ il est extremement eclairant sur les diverses utilisations actuelles des sciences biologiques et leur tentative d’instrumentalisation dans le champ social (notamment via des injonctions a la pluridisciplinarite qui sont en fait un pretexte d’annexion d’autres disciplines, voire de negation du savoir des SHS dans le pire des cas. Voire aussi la rehabilitation de la notion de « nature humaine » dans certains debats)

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