♦ [F6] Le facho est-il celui qui traite de facho ? Critiques de l’échelle F

Avant de poursuivre l’étude, arrêtons-nous un instant pour inspecter cette échelle F, dont une des critiques renvoie directement à notre interrogation de départ : n’est-il pas fasciste de classer les gens et de dire que certains sont plus potentiellement fascistes que d’autres ? Plus globalement, les outils développés par Adorno et ses collaborateurs sont-ils fiables, justes ?

« N’est-ce pas là un ethnocentrisme que de catégoriser les hauts scores de potentiels fachos ? » ou la stigmatisation et la pathologisation des hauts scores…

Autrement dit, chercher les opinions extrêmes, trouver les individus qui les portent, analyser le tout et en déduire des syndromes, n’est-ce pas là le jeu du fascisme lui-même ? N’est-ce pas là, en tant que « non-autoritaire », « bas score », une façon de stigmatiser et d’écraser un exogroupe, pour rehausser l’endogroupe, lui donner plus de légitimité, de pouvoir ? Le facho est-il celui qui traite de facho ?

J’ai eu très clairement cette crainte lorsque j’ai lu les écrits d’Adorno (que l’on n’a pas encore abordés), lorsque je n’avais pas connaissance de l’intégralité de l’étude : Adorno n’est pas psychologue, eh oui, on sent chez lui des teintes d’exaspération, de fatigue, de désespoir, voire de jugement, lorsqu’il analyse les entretiens. Mon avis a changé lorsque j’ai lu les écrits des autres chercheurs qui ont une attitude exemplaire dans leur accueil des hauts scores (tout est pensé pour qu’ils se sentent bien), dans leur écoute, le respect de leur vie privée. Les intervieweurs restent à l’écoute, calmes, lorsque les sujets commencent à vanter le nazisme ou préconiser des solutions épouvantables de destruction de populations entières, ils arrivent à poser des questions sans jugement sur leurs opinions, ce qui est à mon sens signe d’une très grande compétence en psychologie clinique. Leurs analyses sont du même acabit : sans jugement des personnes elles-mêmes, l’intérêt est porté d’abord sur la bonne définition des caractéristiques de la personnalité autoritaire et leurs liens avec la potentielle adhésion au fascisme, puis sur les mécanismes qui conduisent à des tendances comme le conventionnalisme par exemple.

Le problème – qui m’a fait craindre cet « ethnocentrisme » anti-haut score, tient peut-être au vocabulaire employé par Adorno en fin d’étude : ils classent les différents profils de hauts scores et bas scores en différents « syndromes ». Ce terme est problématique car il renvoie à des représentations de maladies et on peut légitimement se demander si ce n’est pas là une pathologisation abusive. Mais l’est-ce vraiment ? Si les chercheurs avaient pathologisé les hauts scores, ils auraient préconisé des soins médicaux, ils auraient listé des symptômes à traiter, ils auraient donné des recommandations sociales (à l’extrême, les éloigner de la société, les faire hospitaliser, les rééduquer) et là, oui, on aurait pu y voir une pathologisation, une posture assez fasciste envers les fascistes. Mais ce n’est pas le cas et rappelons que des profils de bas scores sont également classés en « syndromes ».

Les chercheurs ont cherché à comprendre le haut score, et non pas trouver des moyens d’évincer ces individus. S’il y a effectivement lutte contre le fascisme, il n’y a pas lutte contre les individus, mais contre les éléments dans l’environnement qui fragilisent et conditionnent les hauts scores à adopter des conceptions de la vie nuisibles tant pour eux que leur entourage et la société. Un fasciste, un ethnocentrique, éliminerait physiquement les individus qui lui pose problème, ou les éviterait, les enverrait loin de lui, ou les attaquerait d’une façon ou d’une autre : les études ne serviraient qu’à justifier de tels actes, c’est ce qu’on appelle une « rationalisation ».

 

Il s’agit donc de comprendre le haut score. Parce que pour un non-autoritaire, oui les idées, les opinions, attitudes du haut score sont incompréhensibles dans leur fondement, paraissent illogiques, irrationnelles : les chercheurs ont donc longuement écouté, enquêté, cherché, analysé pour créer un outil – l’échelle F – qui permette de comprendre quelques grands fondements de la personnalité autoritaire.

Mais on ne le cache pas : ce besoin de comprendre les hauts scores, c’est parce qu’évidemment leur mentalité est potentiellement un danger pour autrui. Ils méprisent les autres, les jugent, recommandent d’abolir des libertés, des droits, recommandent des sanctions violentes, etc.

Comprendre n’est pas non plus excuser, comprendre c’est avoir toutes les informations et analyses à portée de main pour voir où se situe le problème, et il s’avère que l’agressivité du haut score est entretenue par l’environnement, donc ce n’est pas en s’attaquant directement au haut score qu’on « neutralisera » ses pulsions agressives, mais bien en modifiant l’environnement pour qu’il puisse avoir les outils par exemple, pour gérer ses émotions, pour avoir la sécurité mentale de se permettre l’introspection, pour avoir des conventions qui n’encouragent pas la discrimination, etc.

À noter que les bas scores ne sont pas hissés au panthéon comme le « bon » groupe. Ils sont juste là à titre de comparaison factuelle, pour dire qu’il y a des personnes qui ne sont pas du tout autoritaires. Dans les entretiens que nous verrons la prochaine fois, les bas scores permettent de mettre en lumière en quoi leurs témoignages sont radicalement différents de ceux des hauts scores, et quels mécanismes ils n’ont pas ou de façon différente. On verra par exemple que les bas scores ont eux aussi leurs problèmes, ils ne sont pas des modèles à suivre en tous points, mais leur étude permet de mettre en lumière la particularité des hauts scores.

Pour conclure sur ce questionnement, je dirais que se poser la question « suis-je un fasciste lorsque je vois le haut score comme ayant un problème ? » est intéressante dans une certaine mesure – par exemple pour ne pas devenir ce que l’on combat –, mais ce questionnement ne doit pas être un déni. La soumission à l’autorité, le conventionnalisme rigide, la stéréotypie, l’agressivité sont problématiques ; certes, elles ne sont pas pathologiques, mais elles ont des conséquences négatives pour les individus ayant ces tendances, pour leur entourage, pour la société. Toutes ces tendances facilitent la manipulation, l’exploitation de l’individu haut score, cela réduit considérablement ses horizons de joie et de bonheur tant dans la sociabilisation que dans la joie de la connaissance qui procure l’ouverture d’esprit, cela réduit sa vie même s’il croit y avoir trouvé de la puissance, de la connaissance, et de la force en suivant des dogmes ethnocentriques. Et tout ceci, ce sont des problèmes préoccupants dont on ne peut nier la négativité – à moins d’être haut score soi-même 🙂

« La démocratie, ce n’est pas mieux » : au sujet de la posture démocratique non définie

Les chercheurs parlent souvent de potentiel anti-démocratique ; les bas scores seraient plus proches de la démocratie que les autres et les hauts scores seraient pseudodémocratiques. L’étude explique bien que le pseudodemocratisme c’est vanter en surface des idées démocratiques (égalité de droit entre les individus par exemple), mais au fond c’est préférer une idéologie autoritaire et fasciste. Les hauts scores sont parfois inconscients de l’incompatibilité logique d’une égalité de droits entre personnes et le fait de vouloir interdire un type de personne d’accéder à certains métiers (dans l’étude, les femmes, les noirs, les juifs, etc.).

La posture démocratique n’est pas expliquée dans l’étude, elle est posée comme anti-autoritarisme, anti-fascisme par défaut et donc qu’on peut considérer comme bonne ou parfaite par extension. Et là oui, cette absence de définition ou de critique pose problème, car elle nourrit directement les critiques ci-dessus.

C’est là un défaut, mais pragmatiquement, l’étude devait se concentrer sur un objet et l’ambition d’étude était déjà en soi énorme ; les chercheurs sont parfaitement conscients qu’il y a quantité de points qui n’ont pas été assez investigués, par exemple les moyens scores dont on ne sait quasiment rien, ou encore l’autoritarisme de gauche dont les rigidités mentales peuvent être proches des hauts scores, mais que l’échelle F ne semble pas mesurer du tout.

Ce problème, que la définition de « démocratie » soit acquise est surtout un problème pour la lecture de cette étude à notre époque, car nous sommes conscients qu’un régime dit « démocratique » peut être tout à fait inégalitaire, peut employer des moyens pour surveiller la population pires que dans les régimes autoritaires (cf les révélations de Snowden), peut abattre des libertés à coup de 49.3, etc.

Au fond, cela n’impacte pas l’étude qui est vraiment centrée sur le potentiel fasciste, même l’étude des personnes non-autoritaire n’est faite que pour compléter l’analyse des mécanismes psychologiques du fascisme. Cependant, c’est une critique qui pourrait nourrir l’inspiration des chercheurs, je pense.

« Cette étude est trop vieille, elle est périmée »

Oui, pour ce qui concerne les échelles d’antisémitisme, d’ethnocentrisme et de conservatisme politico-économique, car elles s’inscrivaient dans le contexte des années 40/50 aux États-Unis. Par exemple la proposition « 10. (O) Je peux difficilement m’imaginer mariée à un juif. » avec laquelle les hauts scores étaient majoritairement d’accord serait caduque à notre époque, pour la simple raison que beaucoup de personnes ne veulent pas se marier, avec qui que ce soit, donc pourraient être en accord avec cette proposition de par leur opinion sur le mariage en général, mais sans que ce soit lié nécessairement à un antisémitisme.

Certains items de l’échelle F sont également trop contextualisés, mais on le verra en seconde partie de ce présent article, cette échelle fonctionne très bien même dans des époques plus proches de la nôtre et est particulièrement valide avec quelques ajustements.

« Les échelles sont-elles biaisées dans leur construction ? »

On a déjà parlé de méthodologie au sujet des sondages, questionnaires (ici) et l’une des grandes règles que l’on avait exposées est de construire des questions ou propositions tout en évitant le biais d’acquiescement des répondants (c’est-à-dire, dire « oui » ou « tout à fait d’accord » à tout).

L’échelle F aurait été bien mieux construite si les propositions pour la soumission à l’autorité avaient varié : « 21.b les jeunes ont parfois des idées rebelles, mais en devenant adultes ils devraient s’en libérer et se poser. » Et qu’il y avait eu plus loin dans le questionnaire « En devenant adulte, on ne devrait pas se résigner à accepter ce qui nous était inacceptable avant » qui est une posture d’insoumission.

À cause du biais d’acquiescement, on peut postuler qu’une partie des hauts scores puissent n’avoir pas mis sincèrement leur accord et avoir juste répondu en mode automatique, sans réfléchir.

Mais ce n’est pas ce que montrent les résultats : les réponses de tous sont très variées, les hauts scores ne sont pas majoritaires (si tous les sujets avaient été biaisés par la tendance à l’acquiescement, les scores seraient en conséquence beaucoup plus élevés), et les hauts scores ne sont pas d’accord sur tous les items. De plus, le DP est souvent très important, ce chiffre rend compte d’une véritable division sur l’accord ou non avec les items.

Plusieurs faits font qu’il ne semble pas y avoir de biais d’acquiescement dans ces études : les items avaient un contenu important, apparaissant choquant pour certains sujets bas score (dans les entretiens ils rapportent à quel point certaines propositions les ont énervés), cela concernait des thèmes qui n’étaient pas anodins. Les sujets ont fait relativement attention à leurs réponses. De plus, la présentation des échelles est une véritable amorce contre le biais d’acquiescement, discrètement il y a injonction au sujet de répondre de façon variée et sincère pas de la manière qui serait « correcte ». Cette amorce a dû contribuer à la variété des réponses.

« Enquête d’opinion publique

Nous vous proposons de découvrir quels sont les sentiments et les opinions du public en général à propos d’une série d’importantes questions sociales.

Nous sommes certains que vous trouverez l’enquête ci-jointe intéressante, vous y trouverez de nombreuses questions et problèmes sociaux auxquels vous avez réfléchi, à propos desquels vous avez lu des articles dans les journaux et les magazines, dont vous avez entendu parler à la radio. »

Présentation de l’échelle F au sujet, source : Chapter 07: The Measurement of Implicit Antidemocratic Trends. The Authoritarian Personality, Studies in Prejudice Series, Volume 1. (1950)

Cependant, si on devait refaire passer l’échelle F, il est évident qu’il faudrait varier les items ; c’est d’ailleurs ce qui a été fait dans les échelles suivant l’étude d’Adorno et coll. Qu’on verra en seconde partie.

« En quoi ces échelles prouvent le lien entre personnalité autoritaire et perméabilité au fascisme ? »

Le contenu des échelles me paraît sans l’ombre d’un doute fasciste, on y entrevoit le programme, la mentalité nazie, la connexion historique me paraît évidente avec notre recul, dans notre époque. Cependant, je sais qu’à mon époque, certains de mes concitoyens rejettent le fait que les nazis étaient d’extrême droite (parce qu’il y a le mot « socialisme » dans leur parti…), rejettent le fait que les juifs et d’autres groupes aient été malmenés par les nazis, rejettent ce qu’on apprend en histoire au collège/lycée ou dans les manuels sur cette époque. Donc je suis obligée d’apporter d’autres éléments (eh oui ça me désole, non d’apporter des éléments, mais que la mentalité fasciste ne soit plus reconnue lorsqu’elle apparaît même nettement).

La question est donc « est-ce qu’il y a connexion entre la personnalité autoritaire et adhésion au fascisme ». Pour vérifier cela, d’autres chercheurs ont fait passer l’échelle F non à des personnes qui pourraient être fascistes, mais qui l’étaient actuellement et le revendiquaient plus ou moins fort.

En 1950, Coulter infiltre un groupe ouvertement fasciste qui soutenait Sir Oswald Mosley, un homme politique anglais admirateur des nazis. Cette chercheuse infiltrée dans le groupe fait passer l’échelle à 43 fascistes et obtient le score moyen le plus haut des études sur l’autoritarisme : 5,30 en moyenne.

En 1960, en Allemagne, Steiner et Fahrenberg font passer l’échelle à 229 SS grâce à l’aide d’un général SS. Leur score moyen est de 5,23. À la même époque, 201 anciens membres de la Wehrmacht ont testé l’échelle F, ils ont obtenu 4,52 en moyenne. Leurs scores sont plus bas car les SS étaient plus investis dans l’idéologie nazie et les rangs supérieurs de la Wehrmacht préconisaient plus une monarchie qu’une dictature contrairement aux SS.

L’échelle F mesure donc une personnalité de type autoritaire prompte à aimer/adhérer au fascisme, les fascistes eux-mêmes étant largement en accord avec tous les items de l’échelle, largement plus en accord que la population en général. Et c’est ce qu’on va voir encore plus avec la méta-analyse qui suit.

« Et la gauche ? Les gauchistes sont tout autant autoritaristes ! »

 

On pourrait imaginer qu’au contraire de ce qu’on voulu faire les chercheurs, l’échelle F mesure l’autoritarisme en général, et que les personnes de gauche sont tout aussi potentiellement fascistes que les personnes de droite. Là encore ce sont les études suivantes qui le prouveront : peut-être qu’il existe un autoritarisme de gauche, mais l’échelle F ne mesure que l’autoritarisme de droite/extrême-droite : plus les gens sont à droite, plus les scores montent ; plus les gens sont à gauche, plus les scores baissent.

Cela ne prouve pas que les personnes à gauche sont exemptes de rigidité – il y a quelques sujets de gauche dans l’étude d’Adorno qui rapportent des propos extrêmement rigides et intolérants, on le verra dans la partie « syndromes » –, cela prouve simplement que ce ne sont pas les mêmes modalités que ceux d’extrême droite. Les échelles de dogmatisme sont plus à propos pour rendre compte de ces formes d’autoritarismes de gauche selon la méta-analyse (mais je n’ai pas encore pu les voir dans le détail).

« Finalement, est-ce que l’échelle F est valide ou non ? »

Autrement dit, est-ce que l’échelle mesure bien ce qu’elle est censée mesurer ? Est-ce que les caractéristiques psychologiques telles que le conventionnalisme rigide, la soumission à l’autorité, l’agressivité autoritaire, etc. sont liées à un potentiel fascisme ? Est-ce que la psychologie d’un individu peut être directement liée à ses opinions politiques, est-ce que la psyché d’un individu peut le pousser à adhérer à tel ou tel parti ?

Une meta-analyse a été réalisée sur 40 années de recherche sur l’autoritarisme et le dogmatisme ( de 1940 à 1989), 2341 publications ont été passées au crible. Pour vérifier cela, ils se sont centrés sur l’échelle F. L’échelle serait valide si les scores étaient plus élevés parmi les groupes ouvertement fascistes et antidémocratiques, leurs scores y seraient plus élevés que dans la population ; les scores seraient plus bas parmi les groupes antifascistes, antiautoritaires et prônant les valeurs de la démocratie. Nous vous livrons ici quelques résultats d’études marquantes qui valident ces hypothèses concernant l’échelle F ; ce n’est que quelques échantillons, les chercheurs ont inspecté en tout les résultats de 350 échantillons composés de 29 000 personnes, majoritairement aux États-Unis (17 000), mais aussi d’autres pays, comme l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Angleterre, etc.

Enoch Powell, était un parlementaire conservateur britannique, critiquant le multiculturalisme, opposé à l’immigration venant des pays du Commonwealth.

C’est le plus haut score jamais trouvé dans un groupe d’étudiant, qui sont généralement bas sur l’échelle F. Un Afrikaner est un sud-africain blanc d’origine néerlandaise, française, allemande ou scandinave qui s’exprime dans une langue dérivée du néerlandais du XVIIe siècle : l’afrikaans.
Les chercheurs suggèrent que les scores à l’échelle F seraient encore plus haut dans la population car les étudiants en psycho sont généralement les plus bas sur l’échelle et les étudiants en général sont plus bas que la population. Les afrikaans étaient plus partisans de l’apartheid. Mynhardt a aussi mesuré des corrélations significatives entre l’échelle F et l’antisémitisme, le fait d’être anti-noir, et le patriotisme.

 

Les études néerlandaises du fascisme

Elles ont été réalisé sur trois années par Hagendoorn & Janssen, 1983 ; Raaijmakers, Meeus, & Vollebergh, 1985; Meloen, Hagendoorn, Raaijmakers, & Visser, 1988; Poppelaars & Visser, 1987.

Comme le changement de score en général était très étonnant, je suis allée me renseigner sur le contexte socio-politique dans ces années , il semblerait qu’il y ait eu une élection, quelques ajustements dans leur constitution. Si un historien spécialiste des pays-bas passe par là, je serait curieuse de savoir si j’ai manqué des événement particuliers, car la mentalité générale semble avoir bien changée momentanément :

Et la « crise » semble s’être tassée aussi rapidement qu’apparue :

Quelques groupes à bas scores

Handlon et Squier (1955) ont testé un groupe de personnes aux principes forts : elles refusaient de signer un serment de fidélité anticommuniste, ce qui signifiait la perte de leur emploi à l’Université de Californie (leur moyenne est de 1.88).

Les plus faibles moyennes à la fin des années 1960 ont été rapportées par un groupe de contre-culture de Berkeley par Christie (Gold, Christie, & Friedman, 1976, leur moyenne : 1,95).

Mantell (1972/1974), à l’aide d’une échelle F équilibrée [c’est-à-dire mettant aussi des items positifs et négatifs pour contrebalancer le biais d’acquiescement], a constaté que les volontaires de l’armée affichaient un niveau plus élevé (3,84) que les conscrits (3,44), les objecteurs de conscience ont obtenu le score le plus bas (2,34).

Conclusion

Voici ce que concluent les chercheurs ayant réalisé cette méta-analyse :

« La conclusion générale de cette étude est que l’échelle F est plus fortement liée à l’extrémisme de droite que ce qui a été supposé jusqu’ici. Entre les années 1940 et 1980, un certain nombre de groupes composés d’activistes ainsi que des partisans d’idéologies associées au nazisme, au fascisme, à l’apartheid, au racisme et au nationalisme extrême, ont montré un score élevé sur l’échelle F ou échelles apparentées. Leurs moyennes de groupe sont beaucoup plus élevées que celles de la population générale, alors que les groupes clairement antifascistes et anti-autoritaires tendent à avoir des scores plus bas que la population générale. Ces données contribuent considérablement à la validité de l’échelle F en tant qu’échelle mesurant le potentiel (et actuel) fascisme des individus.

On peut poser la question de savoir si l’échelle F est une échelle d’autoritarisme en général. Cela dépend principalement de la définition de l’autoritarisme. Le contenu de l’échelle F aborde clairement une mentalité autoritaire et hiérarchique de droite d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord. Au moment des travaux du groupe de Berkeley, les régimes fascistes avaient ouvertement préconisé et approuvé des systèmes d’État autoritaire, et l’association entre fascisme et autoritarisme était presque évidente. Si l’on peut démontrer que les échelles d’autoritarisme prédisent également le soutien d’un système communiste autoritaire, cela ajouterait un argument fort pour que l’échelle F soit une échelle d’autoritarisme en général, indépendante de la dimension socio-économique (capitaliste ou communiste). Dans ce cas, Adorno et coll. (1950) aurait peut-être produit le schéma d’une échelle d’autoritarisme en général. Cependant, plus de preuves sont nécessaires. […]

À la lumière de la réapparition des attitudes ethnocentriques et autoritaires dans les années 1980 (Meloen et coll., 1988), cette recherche est trop importante pour les petites querelles sur les questions secondaires insignifiantes qui ont dominé trop longtemps le débat sur l’autoritarisme : les psychologues ont contribué à la plupart des études dans ce domaine, les sociologues et les politologues n’accordent pas beaucoup de crédit à la motivation personnelle et au raisonnement individuel qui peuvent améliorer la compréhension des phénomènes politiques. L’étude de l’autoritarisme, cependant, ne peut être limitée à la psychologie. Des analyses plus approfondies sur le plan social, politique, économique et historique dépassent le cadre du présent rapport, mais nous suggérons une approche plus globale, plus dynamique et pluridisciplinaire pour étudier ces questions. Cette meta-analyse conclut donc que les recherches sur l’autoritarisme sont pertinentes et que les résultats de ces recherches ont été fortement sous-estimés. »

Strength and Weakness, the authoritarian personnality today, William F. Stone, Gerda Lederer, Richard Christie, 1993

L’échelle F est donc valide et mesure bien le potentiel fascisme, l’autoritarisme potentiel d’extrême droite. Les caractéristiques psychologiques de ce profil « F », c’est-à-dire le conventionnalisme rigide, l’agressivité autoritaire, la soumission à l’autorité, la stéréotypie, la division des hommes en faible VS fort, sont donc bien le terreau du fascisme.

La suite : [F7] Une famille au fonctionnement totalitaire

Viciss Hackso Écrit par :

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6 Comments

  1. Thomas Cmoi
    27 février 2017
    Reply

    Je trouve cela très intéressant et nécessaire de remettre cette échelle en question. D’autant que ça ressemble à une petite synthèse qui fait du bien, surtout quand on n’a pas tout compris ^^. Voilà, c’était juste pour vous dire que vous faites toujours un travail formidable et que je vous en remercie =).
    hâte d’être à lundi pour la suite !

    • Viciss0Hackso
      27 février 2017
      Reply

      Merci (contente de te voir toujours présent 😉 ) !
      Et pour tout ceux qui liraient ce com, il ne faut pas hésiter à me dire si un truc n’est pas compris, y a pas de honte bien au contraire, c’est une étude dense, j’ai mis beaucoup de temps à la décortiquer. Et puis j’ai tellement la tête dans cette étude depuis longtemps que certaines choses peuvent me sembler tellement évidentes que je ne m’attarde pas à les expliquer, alors qu’elle ne sont pas si évidentes que cela, mais je n’en ai pas conscience.
      La seule personne que je juge quand on me dit ne pas avoir compris tel truc, c’est moi et comment je pourrais mieux l’expliquer, certainement pas celui qui pose la question. Au contraire, j’ai même beaucoup d’admiration pour les gens qui expriment leur incompréhension posément, donc n’hésitez pas 🙂
      Sinon Thomas, la suite ne sera pas pour lundi prochain, ce sera une semaine sur deux à présent, pour me laisser le temps d’écrire la fin 🙂

  2. Sylvain C.
    7 mars 2017
    Reply

    Bonjour, un simple message pour vous remercier pour tout le travail que vous faites, autant sur ce blog que sur la chaîne youtube. Même s’il est parfois difficile de bien assimiler toutes les informations, qui sont denses, surtout pour un novice, c’est très instructif et passionnant !
    Merci et continuez donc à nous faire découvrir tout ça !

  3. Kaeso
    11 mai 2017
    Reply

    Ah, c’est l’article que j’attendais de lire depuis un moment. Ca n’est pas le plus intéressant, mais pour le moment le plus rassurant sur l’interprétation de l’étude.
    J’avais beaucoup de mal depuis le début à voir si l’étude n’était pas dirigée de sorte à arriver à un résultat.

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